Numéro 11
22 juillet 2022
Les ramifications du pillage des minéraux critiques et des terres rares
• Le Canada se
joint à la dangereuse chaîne d'approvisionnement
en minéraux critiques des États-Unis
• Document de
travail du gouvernement fédéral sur
la stratégie des minéraux critiques
• Les éléments de terres rares comme « arme politique »
Contre l'abaissement des standards dans les émissions polluantes au Québec
• La communauté de Rouyn-Noranda réclame des mesures urgentes pour réduire les émissions d'arsenic
Les ramifications du pillage des minéraux critiques et des terres rares
Le Canada se joint à la dangereuse chaîne d'approvisionnement en minéraux critiques des États-Unis
Piquet de Sudbury, le 6 septembre 2018, contre le développement prévu du
Cercle de feu, sans le consentement des peuples autochtones.
L'extraction de minéraux critiques constitue une part
importante de
l'exploitation minière prévue dans la région.
Le 14 juin, le département d'État des États-Unis a annoncé la création du « Partenariat pour la sécurité des minéraux » (MSP) qui regroupe l'Australie, le Canada, la Finlande, la France, l'Allemagne, le Japon, la République de Corée, la Suède, le Royaume-Uni et l'UE. Ces pays « se sont engagés à mettre en place des chaînes d'approvisionnement en minerais critiques solides et responsables pour favoriser la prospérité économique et la réalisation des objectifs en matière climatique ».
Le département d'État des États-Unis informe que cette annonce a été faite à Toronto « lors du congrès de l'Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs, la plus grande manifestation du monde dans le secteur minier ». Le département d'État poursuit en affirmant que :
« L'objectif du MSP est de garantir que les minéraux critiques sont produits, traités et recyclés de sorte à aider les pays à tirer pleinement parti de leurs atouts géologiques dans une perspective de développement économique. La demande en minéraux critiques essentiels pour l'énergie propre et d'autres technologies devrait augmenter considérablement au cours des prochaines décennies. Le MSP contribuera à catalyser les investissements des gouvernements et du secteur privé pour tirer parti des opportunités stratégiques, dans l'ensemble de la chaîne de valeur, dans le respect des normes environnementales, sociales et de gouvernance les plus rigoureuses. »
Le Global Times qualifie le MSP de signal dangereux de la volonté américaine de dissocier la Chine des chaînes d'approvisionnement en minéraux. Le journal cite un expert en sécurité internationale basé à Pékin qui a requis l'anonymat, disant : « Les actes ou les appels à pousser le découplage avec la Chine viennent de prouver que les États-Unis ne vont pas réparer les liens avec la Chine ou la Russie pour le bien de la paix mondiale, mais qu'ils vont maintenir leurs mouvements hostiles pour faire pression sur la Chine et la Russie afin de servir leur concurrence stratégique qui vise à protéger leur hégémonie. »
Dans le même ordre d'idées, le 22 février, deux jours avant l'intervention militaire russe en Ukraine, la Maison-Blanche a publié une déclaration intitulée « Sécurisation d'une chaîne d'approvisionnement en minéraux critiques fabriquée en Amérique » dans le cadre de ce qu'elle a appelé la « rupture de la dépendance à l'égard de la Chine ». La déclaration ajoute que « En juin (2021), l'administration Biden-Harris a publié une évaluation de la chaîne d'approvisionnement, la première en son genre, qui a révélé que notre dépendance excessive à l'égard de sources étrangères pour les minéraux et les matières critiques provenant de pays hostiles constituait une menace pour la sécurité nationale et économique. » À la fin de cette déclaration, il est mentionné que « En octobre (2021), le président Biden a rationalisé la réserve de la Défense nationale en signant le décret 14051 pour déléguer l'autorité [pour] la distribution de matériel stratégique et essentiel au sous-secrétaire à la Défense pour l'acquisition et le maintien. »
Le Décret 14051 sur la désignation d'exercer l'autorité sur la réserve de la Défense nationale, « confère l'autorité de libérer du matériel stratégique et essentiel de la réserve de la Défense nationale afin d'améliorer les efforts du gouvernement fédéral en matière de stockage à des fins de défense nationale. » La section 3 – Exécution et consultation, précise ce qui suit : « Dans l'exécution de l'autorité conférée par le présent ordre, le sous-secrétaire [de la Défense] peut libérer du matériel stratégique et essentiel de la réserve de la Défense nationale pour utilisation, vente ou autre disposition uniquement lorsque cela est nécessaire pour l'utilisation, la fabrication, ou la production à des fins de défense nationale. Aucune libération n'est autorisée à des fins économiques ou budgétaires. »
Le Council on Foreign Relations, une « organisation indépendante et non partisane » et un groupe de réflexion qui compte parmi ses membres Condoleeza Rice, ancienne secrétaire d'État des États-Unis sous l'administration Bush, avait ceci à dire au sujet du stockage de matériel essentiel : « Le département de la Défense aurait stocké des minéraux de terres rares, qui sont utilisés pour fabriquer des armes de pointe, et du lithium, un intrant essentiel pour les batteries de pointe, afin de réduire sa dépendance des sources chinoises. Le Pentagone possède également une réserve de divers métaux d'une valeur d'environ 1,1 milliard de dollars. »
L'Agence logistique de défense (DLA) du Pentagone, « l'agence nationale de soutien logistique au combat », indique sur son site Web que « la DLA Strategic Materials stocke 42 produits d'une valeur marchande actuelle de plus de 1,1 milliard de dollars à six endroits aux États-Unis. Les produits vont des métaux de base comme le zinc, le cobalt et le chrome aux métaux plus précieux comme le platine, le palladium et l'iridium. Il n'existe aucune entreprise du secteur privé dans le monde qui vende une gamme aussi large de produits de base et de matériaux ». Autrement dit, le gouvernement des États-Unis fournit à la chaîne d'approvisionnement du pays les minéraux essentiels nécessaires à la production d'armes par les entrepreneurs militaires, tant en temps de paix qu'en temps de guerre. Le Canada joue également un rôle important dans cette chaîne d'approvisionnement.
Le lieu, le moment et la nature de l'annonce du MSP sont révélateurs du diktat américain et de l'intégration du Canada dans l'économie et la machine de guerre des États-Unis et soulèvent de graves questions sur ce qui se passe.
Un communiqué de presse publié le 15 juin sur le site Web du gouvernement du Canada indique que Jonathan Wilkinson, ministre des Ressources naturelles, a participé au congrès de l'Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs (ACPE) où il a expliqué le développement du MSP. Le ministre paraphrase le communiqué de presse du département d'État des États-Unis. Aucune autre information n'est fournie, comme un document d'information, à l'exception d'un lien vers le communiqué de presse du département d'État.
Lors du congrès de l'ACPE, le ministre Wilkinson a également rendu public un document de travail sur l'élaboration de la stratégie canadienne sur les minéraux critiques qui « sollicite les commentaires des provinces et territoires, des peuples autochtones, de l'industrie et d'autres intervenants sur le document de travail de la stratégie ». Les consultations sur ce document se dérouleront du 14 juin au 15 septembre, les soumissions devant être faites par courriel.
Le document de travail est intitulé : « Possibilités de l'exploration au recyclage : alimenter l'économie verte et numérique du Canada et du monde entier ».
Dans l'avant-propos du ministre, Jonathan Wilkinson parle par euphémisme de la guerre économique entre les États-Unis et la Chine en ce qui concerne les minéraux critiques : « Parallèlement à ces projections d'augmentation de la demande, l'incertitude géopolitique a exacerbé la précarité des sources actuelles de minéraux et de métaux.
« Les États du monde entier ont commencé à évaluer leur vulnérabilité aux chocs d'offre pour les matières premières qu'ils ne peuvent pas se procurer en quantités suffisantes à l'intérieur de leurs frontières, mais dont dépendent leurs économies. »
Le ministre souligne également que le Canada « compte près de la moitié des sociétés d'exploitation et d'exploration minières cotées en bourse dans le monde. Ces sociétés ont des activités dans plus de 100 pays et une capitalisation boursière globale de 520 milliards de dollars. »
Les sociétés minières canadiennes sont mondialement connues pour leur exploitation des peuples et de l'environnement naturel dans les pays où elles exercent leurs activités. Au Canada, les peuples autochtones connaissent déjà les consultations bidons qui, en pratique, sont utilisées pour nier leurs droits ancestraux et issus de traités d'exercer un contrôle sur leurs territoires.
Les plus grands monopoles miniers du monde, comme Glencore (dont le siège social se trouve au Royaume-Uni et en Suisse) et Rio Tinto (Royaume-Uni, Australie), sont déjà bien connus des travailleurs au Canada et ailleurs pour leurs pratiques anti-ouvrières.
En plus d'attiser le conflit avec la Chine, le MSP dirigé par les États-Unis et le document de discussion sur la stratégie canadienne sur les minéraux critiques indiquent les dangers qui guettent les travailleurs et les peuples du monde au nom de la soi-disant économie verte.
Document de travail du gouvernement fédéral sur la stratégie des minéraux critiques
Le 14 juin, Ressources naturelles Canada a publié un communiqué de presse intitulé « Le ministre Wilkinson lance un document de travail pour orienter l'élaboration de la stratégie canadienne sur les minéraux critiques. » Il a été suivi le lendemain d'un autre, intitulé « Le ministre Wilkinson présente le Canada comme un chef de file mondial de la mise en valeur durable des minéraux et de l'innovation en matière d'exploitation minière verte. »
Dans les deux communiqués, le gouvernement Trudeau continue de faire valoir « l'urgent besoin de développer les chaînes d'approvisionnement de minéraux critiques du Canada » et que « des efforts précoces devraient porter sur six minéraux, soit le lithium, le graphite, le nickel, le cobalt, le cuivre et les éléments des terres rares », qu'il présente dans son document de travail.
Le document de travail explique : « Ces minéraux ont été choisis parce qu'ils offrent la meilleure croissance économique et les plus grandes possibilités d'emplois à l'échelle du pays, y compris pour les peuples autochtones, sur toute la chaîne de valeur (exploration, exploitation minière, traitement, fabrication et recyclage). De plus, ces six minéraux entrent dans la fabrication de produits à valeur ajoutée, notamment les technologies propres, les technologies de l'information et des communications et la fabrication de pointe[1]. »
En ce qui concerne le document de travail, Jonathan Wilkinson, ministre des Ressources naturelles du Canada, a annoncé que le gouvernement du Canada cherchera à obtenir « les commentaires des provinces et territoires, des peuples autochtones, de l'industrie et d'autres intervenants sur le document de travail de la stratégie » d'ici le 15 septembre 2022.
« Les commentaires » seront guidés par cinq principaux résultats attendus :
« - croissance économique et compétitivité ;
- protection de l'environnement et action climatique ;
- renforcement de la sécurité et des collaborations avec les alliés ;
- progrès dans la démarche de réconciliation ;
- renforcement de la diversité et de l'inclusion. »
Tout cela est fait au nom de grands idéaux tels que « aider à soutenir la transition juste du Canada vers une économie à émissions nettes nulles », « réduire notre dépendance aux combustibles fossiles », « exiger plus de minéraux pour permettre la transition vers une énergie propre », « s'associer aux peuples autochtones dans les projets de ressources naturelles » , « encourager une population active et des collectivités diversifiées et inclusives », etc. On a l'impression que c'est le peuple canadien et les peuples autochtones qui bénéficieront de ce que le gouvernement Trudeau appelle « une économie à faible émission de carbone », « la transition vers une économie verte »,« les projets de ressources naturelles » et « faire progresser la réconciliation avec les Autochtones. ». Loin de là.
En annonçant le document de travail, le gouvernement du Canada parle de « coopération internationale » afin d'« améliorer la sécurité mondiale et les partenariats avec les alliés ». Ainsi, « le Canada travaille avec les États-Unis, l'Union européenne et d'autres partenaires internationaux pour développer de manière durable les minéraux critiques, faire progresser la science, la recherche et le développement sur les minéraux critiques, et renforcer la collaboration sur les normes environnementales, la transparence et la sécurité des chaînes d'approvisionnement pour l'économie verte et numérique ».
Cette « coopération internationale » vise à cacher le fait que le Canada s'est rangé du côté des impérialistes américains en quête d'hégémonie mondiale, dans leur rivalité avec la Russie et la Chine. On peut le constater dans la Feuille de route pour un partenariat renouvelé États-Unis-Canada, signée par le premier ministre canadien Justin Trudeau et le président américain Joe Biden en février 2021.
Des chaînes d'approvisionnement en minéraux critiques au service de l'économie de guerre
Le jour même de l'annonce de la « Feuille de route pour un partenariat renouvelé États-Unis-Canada », le 24 février 2021, l'administration Biden a publié le Décret 14017 sur les Chaînes d'approvisionnement de l'Amérique, qui stipule entre autres choses :
« Le secrétaire à la Défense, en tant que gestionnaire du National Defense Stockpile (Stocks de réserve de la Défense nationale), en consultation avec les responsables des agences appropriées, doit soumettre un rapport identifiant les risques dans la chaîne d'approvisionnement pour les minéraux critiques et autres matériaux stratégiques identifiés, y compris les éléments de terres rares (tels que déterminés par le secrétaire à la Défense), et les recommandations politiques pour traiter ces risques. Le rapport doit également décrire et mettre à jour le travail effectué conformément au décret exécutif 13953 du 30 septembre 2020 Addressing the Threat to the Domestic Supply Chain From Reliance on Critical Minerals From Foreign Adversaries and Supporting the Domestic Mining and Processing Industries (Décret exécutif sur la lutte contre la menace à la chaîne d'approvisionnement nationale du recours aux minéraux critiques provenant d'adversaires étrangers).
Le rapport de suivi de 250 pages est intitulé Building Resilient Supply Chains, Revitalizing American Manufacturing, and Fostering Broad-based Growth, 100-Day Reviews under Executive Order 14017 (Mettre en place des chaînes d'approvisionnement résilientes, revitaliser l'industrie manufacturière américaine et favoriser une croissance généralisée, bilans à 100 jours dans le cadre du décret exécutif 14017). La Maison-Blanche y aborde la question des minéraux critiques :
« Compte tenu de l'importance des batteries au lithium pour le combattant, les sources assurées de minéraux et de matériaux critiques et les capacités nationales et alliées de fabrication de piles et de batteries au lithium sont essentielles à la sécurité nationale des États-Unis. La sécurité de la chaîne d'approvisionnement en minéraux, matériaux, cellules et composants de batteries est aujourd'hui un sujet de préoccupation[2]. »
Lors de la présentation du budget 2022 en avril, le gouvernement Trudeau, avec l'appui du NPD, a montré qu'il était en phase avec les plans de l'administration Biden concernant les chaînes d'approvisionnement en minéraux critiques, dans le cadre de la stratégie américaine visant à dominer l'Asie, l'Europe et d'autres parties du monde.
Le communiqué de presse du 15 juin de Ressources naturelles Canada indique entre autres : « Dans le budget de 2022, le Canada s'est engagé à verser 3,8 milliards de dollars sur huit ans pour une stratégie canadienne sur les minéraux critiques qui soutiendrait la mise en valeur des minéraux critiques et stimulerait l'investissement dans le secteur au Canada. »
Les stratagèmes pour payer les riches du budget 2022 sont liés à la Stratégie sur les minéraux critiques
Les stratagèmes pour payer les riches mis de l'avant par le
gouvernement Trudeau dans le budget 2022 prennent la forme de mesures
financières pouvant atteindre 3,8 milliards de dollars pour mettre en
oeuvre la première Stratégie canadienne sur les minéraux critiques, à
compter de 2022-23. Ces
mesures sont principalement destinées à soutenir les sociétés minières
qui extraient des minéraux critiques.
Carte de localisation des projets de minéraux critiques du Canada (source : Budget 2022, Gouvernement du Canada)
Les mesures spécifiques comprennent :
- jusqu'à 1,5 milliard de dollars sur sept ans, à partir de 2023-24, pour des investissements en infrastructure qui appuieront le développement des chaînes d'approvisionnement en minéraux critiques, en mettant l'accent sur les gisements prioritaires ;
- fournir jusqu'à 1,5 milliard de dollars, à partir de 2024-25, pour soutenir les projets de minéraux essentiels, en mettant l'accent sur les applications de fabrication, de traitement et de recyclage des minéraux ;
- fournir jusqu'à 144,4 millions de dollars sur cinq ans, à compter de 2022-23, à Ressources naturelles Canada et au Conseil national de recherches du Canada pour soutenir la recherche, le développement et le déploiement de technologies et de matériaux à l'appui des chaînes de valeur des minéraux critiques ;
- l'attribution de 103,4 millions de dollars sur cinq ans, à compter de 2022-23, pour l'élaboration d'un cadre national de partage des avantages pour les ressources naturelles, et l'expansion du Bureau de partenariat autochtone et du programme de partenariats autochtones en matière de ressources naturelles ;
- la création d'un nouveau crédit d'impôt pour l'exploration de minéraux critiques de 30 % à l'égard de dépenses d'exploration minière déterminées engagées au Canada et faisant l'objet d'une renonciation au profit des détenteurs d'actions accréditives.
Voici ce que Green Car Congress, un bulletin d'information quotidien consacré à « l'énergie, les technologies, les enjeux et les politiques de mobilité durable » avait à dire au sujet du crédit d'impôt pour l'exploration minière des minéraux critiques.
« Le crédit d'impôt s'appliquerait à certaines dépenses d'exploration visant le nickel, le lithium, le cobalt, le graphite, le cuivre, les éléments des terres rares, le vanadium, le tellure, le gallium, le scandium, le titane, le magnésium, le zinc, les métaux du groupe du platine ou l'uranium, et ayant fait l'objet d'une renonciation dans le cadre d'une convention visant des actions accréditives conclue après le jour du dépôt du budget et au plus tard le 31 mars 2027.[...]
« La Bourse de Toronto (TSX) et la Bourse de croissance TSX (TSXV) sont les principaux sites d'admission en bourse au monde pour les sociétés minières et d'exploration minière, avec plus de 1 170 émetteurs en 2021. Entre 2017 et 2021, près de 45 milliards de dollars du total mondial des capitaux propres de ces sociétés d'exploration minérale et d'exploitation minière ont été mobilisés par des sociétés cotées à la TSX ou à la TSXV [3]. »
« Le Canada est déjà fournisseur de plusieurs des minéraux jugés critiques par les États-Unis. En 2020, le commerce bilatéral des minéraux était évalué à 95,6 milliards de dollars, notamment pour 298 entreprises minières canadiennes, et atteignait un montant combiné de 40 milliards de dollars en actifs minéraux canadiens au sud de la frontière », indique l'annexe F du document de travail - « Coopération mondiale du Canada en matière de minéraux critiques. »
Un an plus tard, en mars 2021, le département du Commerce des États-Unis a lancé un programme visant à aider les sociétés minières et les fabricants de batteries américains à s'implanter au Canada. Cette initiative s'inscrit dans une stratégie visant à stimuler la production régionale de minéraux utilisés dans la fabrication des véhicules électriques (VE) et à « contrer la domination du marché par la Chine ». Il n'est pas surprenant que de plus en plus de ces gisements de minéraux critiques au Canada soient rachetés par des intérêts privés étrangers, principalement australiens, américains et britanniques, avec l'aide dans certains cas de gouvernements étrangers, comme c'est le cas pour les États-Unis.
Notes
1. « Stratégie canadienne sur les minéraux critiques : Document de travail », Gouvernement du Canada, Ottawa, 2022.
2. Voir « L'essence de la 'feuille de route pour un partenariat renouvelé » avec les États-Unis' », LML, 13 novembre 2021
3. « Le budget 2022 du Canada prévoit 3,8 milliards de dollars canadiens pour lancer la stratégie des minéraux critiques », Green Car Congress, 8 avril 2022.
(D'après des informations provenant du gouvernement du Canada, du LML, de Green Car Congress et du Financial Post)
Les éléments de
terres rares comme
« arme politique »
En 2019, Recherche et développement pour la défense Canada (RDDC) a demandé au Conseil national de recherches du Canada (CNRC) de préparer une « étude scientométrique sur les éléments de terres rares (ETR) en vue de comprendre l'impact potentiel des nouvelles recherches sur les capacités et les opérations futures de sécurité et de défense ».
Sur son site Web, RDDC se décrit comme « le chef de file, le conseiller de confiance, le partenaire-collaborateur et l'intégrateur des connaissances en science, en technologie et en innovation au Canada pour la défense et la sécurité ». Pour ce faire, RDDC « conseille le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes, ainsi que les communautés de la sécurité publique et de la sécurité nationale, sur les questions liées aux sciences et à la technologie ».
Le rapport 2019 du CNRC intitulé « Étude scientométrique sur les éléments des terres rares » n'a été rendu public par RDDC qu'en septembre 2021, mais pas dans son intégralité, car comme un reportage récent de Radio-Canada lié au rapport du CNRC l'a révélé« près de 100 pages de dossiers internes du ministère de la Défense nationale ont été retenues, soulignant la sensibilité des informations entourant l'accès à ces ressources ».
Comme le souligne le rapport du CNRC, les ETR sont 15 éléments chimiques qui « sont appréciés pour leurs propriétés de conductivité thermique et électrique, de magnétisme, de luminescence et pour leur capacité à agir comme catalyseurs. Ils sont indispensables à la fabrication d'une grande variété de produits, des appareils électroménagers et des bâtons de baseball aux téléphones intelligents et aux systèmes d'armes [1]. »
Les terres rares comme « arme politique »
En ce qui concerne les applications des ETR liées aux « systèmes d'armes », le rapport du CNRC indique ce qui suit :
« Les ETR sont également cruciaux pour la sécurité nationale, car ils sont des ingrédients clés dans la production d'une variété de composants et d'applications liés à la défense. Par exemple, les lunettes de vision nocturne de l'armée, les équipements GPS, les batteries, les capteurs et autres appareils électroniques de défense utilisent tous des éléments de terres rares. Le praséodyme est utilisé dans les aimants faits de terres rares dont le néodyme et sert d'agent d'alliage avec le magnésium pour créer des métaux à haute résistance utilisés dans les moteurs d'avion. Le terbium est utilisé pour les armes et les instruments de visée au laser dans les véhicules de combat. Les autres utilisations des terres rares dans le domaine de la défense sont les suivantes :
« - les actionneurs à ailettes dans les systèmes de guidage et de contrôle des missiles, qui contrôlent la direction du missile ;
- les moteurs d'entraînement de disques installés dans les avions, les chars d'assaut, les systèmes de missiles et les centres de commande et de contrôle ;
- les lasers pour la détection des mines ennemies, les interrogateurs, les mines sous-marines et les contre-mesures ;
- les communications par satellite, les radars, les sonars sur les sous-marins et les navires de surface, les équipements optiques et les haut-parleurs[2]. »
Le rapport du CNRC poursuit en disant :
« En même temps que la demande d'éléments de terres rares continue de croître, de nombreuses nations se sont inquiétées de l'instabilité de la chaîne d'approvisionnement, en raison du fait que la Chine a un quasi-monopole sur l'extraction, le traitement et l'approvisionnement des ETR. Toute perturbation de la disponibilité des terres rares pourrait avoir de graves répercussions sur l'économie et la sécurité nationale dans le monde entier. »
Dans une tentative d'utiliser les différends relatifs aux frontières maritimes entre la Chine et le Japon au sujet des îles Senkaku/Diaoyu Dao et d'autres îles de la mer de Chine orientale, l'auteur du rapport du CNRC, un « analyste du renseignement » de Intelligence & Analytics au CNRC, tente de dépeindre la Chine comme un État agresseur qui « est prêt à utiliser ses terres rares comme une arme politique ». Il affirme :
« En septembre 2010, lors d'un différend frontalier, le Japon a détenu le capitaine d'un bateau de pêche chinois qui était entré en collision avec deux navires des garde-côtes japonais. La Chine a répondu en annonçant qu'elle cesserait toute expédition de terres rares au Japon, dont les industries de haute technologie dépendent fortement de ces métaux importés. Le Japon a immédiatement relâché le capitaine de pêche chinois et, ce faisant, a confirmé au monde entier le contrôle de la Chine sur les terres rares, ce que certains observateurs ont appelé la version du XXIe siècle de l'« arme du pétrole » que les pays arabes ont utilisée pendant l'embargo de l'OPEP en 1973. »
Ce que cet « analyste du renseignement » oublie de mentionner, c'est que le Japon, avec le soutien des États-Unis, a poursuivi activement une politique visant à créer des problèmes dans ces eaux contestées avec l'aide de la présence militaire navale américaine sous la forme de porte-avions qui sillonnent les mers de Chine méridionale et orientale[3].
Distribution mondiale des éléments de terres rares -
Le mythe du monopole chinois
L'administration américaine passée et actuelle et le gouvernement Trudeau répètent sans relâche que la Chine constitue une menace pour la sécurité nationale des deux pays en raison du « quasi-monopole de la Chine sur l'approvisionnement en terres rares ». Le rapport 2019 du CNRC argumente de la même manière en affirmant que « malgré leur prévalence, les ETR ne se trouvent pas dans des gisements concentrés, ce qui rend leur extraction difficile et coûteuse. Par conséquent, l'approvisionnement mondial ne provient que de quelques sources ; principalement la Chine, qui représente près de 90 % de la production annuelle mondiale ». Selon le Mineral Commodities Summary 2019 de l'Institut d'études géologiques des États-Unis, les États-Unis dépendaient à 100 % des importations de terres rares au cours de l'année 2018, dont 80 % provenaient de Chine [4] ». Les mêmes arguments étaient déjà présentés il y a une décennie de cela dans le cadre du discours officiel américain sur la Chine.
Dans un document publié en mars 2011 par le Service de recherche du Congrès des États-Unis intitulé « Rare Earth Elements in National Defense : Background, Oversight Issues, and Options for Congress », son auteure indique que « des années 1960 aux années 1980, les États-Unis étaient le leader de la production mondiale de terres rares. Depuis lors, la production de l'approvisionnement mondial en terres rares s'est déplacée presque entièrement vers la Chine, en partie en raison des coûts de main-d'oeuvre inférieurs et des normes environnementales moins strictes. » L'auteure du même rapport poursuit en disant que « les décideurs politiques sont préoccupés par la dépendance presque totale des États-Unis vis-à-vis de la Chine pour les éléments de terres rares, y compris les oxydes, les phosphores, les métaux, les alliages et les aimants, et ses implications pour la sécurité nationale des États-Unis » et que « la 'crise' pour de nombreux décideurs politiques n'est pas que la Chine a réduit ses exportations de terres rares et semble restreindre l'accès du monde aux terres rares, mais que les États-Unis ont perdu leur capacité nationale à produire des matériaux stratégiques et critiques[5].
En d'autres termes, le problème n'est pas que la Chine se soit lancée dans un plan à long terme d'extraction et de raffinage des terres rares, mais que l'élite dirigeante des États-Unis se voit perdre sa domination mondiale et son monopole sur le marché des terres rares au profit de la Chine. C'est pourquoi le rapport du service de recherche du Congrès américain de 2011 souligne la nécessité pour le département de la Défense des États-Unis « d'évaluer les problèmes de vulnérabilité de la chaîne d'approvisionnement en terres rares « tandis que « le Congrès pourrait vouloir envisager des alternatives, notamment le développement d'un stock national de terres rares ; l'investissement du gouvernement dans la production de terres rares, y compris les divers aspects de sa chaîne d'approvisionnement ; et le partenariat avec des alliés étrangers pour diversifier les sources de terres rares et diminuer la dépendance envers la Chine ».
Le rapport de 2011 a été suivi d'un rapport du service de recherche
du Congrès américain de décembre 2013 intitulé « Rare Earth Elements :
The Global Supply Chain » dans lequel un argumentaire était présenté
pour « reconstruire la chaîne d'approvisionnement en terres rares des
États-Unis ». Pour
montrer la soi-disant « restriction ou vulnérabilité potentielle de
l'approvisionnement » en éléments de terres rares et autres minéraux aux
États-Unis, une carte du monde a été produite pour « illustrer la
position de quasi-monopole de la Chine dans la production mondiale de
terres rares » pour la
période couvrant 2008-2013[6].
Production mondiale d'ETR, réserves et importations américaines, 2008-2013
Toutefois, une carte plus récente, tirée du site Web de Ressources naturelles Canada, montre comment la production d'ETR entre la Chine et le reste du monde au cours de la décennie 2011-2020 a considérablement changé[7].
Production mondiale d'ETR, Chine et reste du monde, 2011-2020 (source : Ressources naturelles Canada)
Ce que montre ce dernier graphique, c'est que depuis 2016-2017, l'écart de production d'ETR entre la Chine et ce qu'on appelle le « reste du monde » s'est considérablement réduit, passant d'une différence de production d'ETR d'environ 110 000 tonnes en 2011 à une différence de production d'ETR d'environ 37 000 tonnes en 2020.
Au moment de la rédaction du rapport 2019 du CNRC, l'Australie était déjà le « deuxième plus grand producteur d'ETR, tandis que les autres pays possédant des gisements importants comprennent les États-Unis, le Canada, la Russie, le Brésil et l'Inde. ».
Le tableau suivant montre quels sont les 5 principaux pays producteurs d'ETR en 2020, la Chine représentant 58 % de la production mondiale, tandis que les États-Unis, l'Australie et le Myanmar et Madagascar représentent ensemble désormais 38 % de la production mondiale.
Production mondiale d'ETR 2020 (source : Ressources naturelles Canada)
Depuis la publication du rapport 2019 du CNRC, la première mine de terres rares lourdes au Canada a commencé ses activités à 100 km au sud-est de Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest (mine Nechalacho), appartenant à la société australienne Vital Metals.
Déjà en 2013, l'administration américaine avait les yeux rivés sur les gisements potentiels de ETR du Canada, comme celui de Nechalaco, car ils « contiennent les éléments de terres rares lourdes [HREE] dysprosium, terbium et europium, nécessaires au fonctionnement des aimants à haute température [8] ». Les mêmes terres rares lourdes dominent dans la région Québec-Labrador de Strange Lake où « La Japan Oil,Gas, and Metals National Corporation (JOGMEC) a signé un accord avec Midland Exploration Inc. pour le développement du projet Ytterby au Québec, Canada. La JOGMEC est sous l'autorité du ministère japonais de l'économie, du commerce et de l'industrie et a pour mandat d'investir dans des projets dans le monde entier afin de recevoir un accès à des approvisionnements stables en ressources naturelles pour le Japon[9] ».
Voici un résumé des gisements potentiels d'ETR au Canada tels que présentés par Ressources naturelles Canada :
La carte suivante publiée par le gouvernement du Canada montre
l'emplacement des projets miniers actuels et potentiels au Canada pour
l'extraction des ETR ainsi que des minéraux critiques tels que le
lithium, le cuivre, le nickel, le cobalt, le chrome, le graphite, etc.
Carte du Canada montrant les projets miniers actuels et potentiels pour les ETR et autres minéraux critiques (source : Ressources naturelles Canada)
Tous ces projets montrent que le Canada est en phase avec les États-Unis lorsqu'il s'agit de concurrencer la Chine et la Russie sur la question des ETR et des minéraux critiques.
Notes
1. Conseil national de recherches du Canada, « Scientometric Study on Rare Earth Elements », Otttawa, décembre 2019, page 8.
2. Ibid, page 27.
3. Voir « Japan Takes a Shot at China -- via Taiwan - Jens Kastner and Wang Jyh-Perng, Asia Times Online, July 7, 2010 », TML Daily, 12 juillet 2010
4. Conseil national de recherches du Canada, « Scientometric Study on Rare Earth Elements », Otttawa, décembre 2019, page 8.
5. Congressional Research Service, « Rare Earth Elements in National Defense : Background, Oversight Issues, and Options for Congress », 31 mars 2011, 26 pages.
6. Congressional Research Service, « Rare Earth Elements : The Global Supply Chain », 16 décembre 2013, Washington, D.C., 29 pages.
7. Ressources naturelles Canada, Faits sur les éléments des terres rares, 2021
8. Congressional Research Service, « Rare Earth Elements : The Global Supply Chain ». 16 décembre 2013, Washington, D.C., page 15.
9. Ibid, page 15.
(Avec des informations de Ressources naturelles Canada, Conseil national de recherches du Canada, Radio-Canada, Recherche et développement pour la défense Canada , United States Congressional Service)
Contre l'abaissement des standards dans les émissions polluantes au Québec
La communauté de Rouyn-Noranda réclame des mesures urgentes pour réduire les émissions d'arsenic
Assemblée publique à Rouyn-Noranda sur le problème des émissions d'arsenic, le 6 juillet 2022
Les organisations communautaires de Rouyn-Noranda en Abitibi au Québec, telles que Mères au front et le comité Arrêt des rejets et émissions toxiques de Rouyn-Noranda (ARET), prennent la parole pour réclamer des mesures urgentes afin que les émissions d'arsenic et d'autres éléments comme le cadmium dans l'air soient réduites de façon drastique et immédiate. L'auteur des émissions est la fonderie Horne, propriété du géant anglo-suisse de l'industrie minière et métallurgique Glencore. Les fumées sont parfois si fortes que les habitants sont directement touchés, notamment dans le quartier Notre-Dame, très proche de la fonderie, et les parents sont particulièrement inquiets pour la santé de leurs jeunes enfants.
Les résidents ont tenu une assemblée publique le 6 juillet dernier. Selon les médias, plusieurs personnes ont pris la parole et ont dénoncé le fait que le gouvernement persiste à dire qu'il est impossible pour Glencore de respecter la limite permise au Québec pour les émissions d'arsenic, qui est de 3 nanogrammes par mètre cube. C'est également la norme de l'Organisation mondiale de la santé. Plusieurs ont également critiqué l'intention du gouvernement du Québec de fournir des fonds publics à Glencore pour réduire sa pollution.
Des faits troublants
La surexposition à l'arsenic fait craindre pour le développement de cancers parmi la population. Déjà, une étude réalisée sous les auspices du ministère de la Santé et des Services sociaux sur l'indice du cancer du poumon 2013-2017 au Québec a révélé que l'incidence du cancer du poumon était de 140 par 100 000 personnes à Rouyn-Noranda alors que la moyenne au Québec était de 107,7. L'incidence du cancer du poumon y était aussi plus élevée que dans les autres municipalités de la région, à un degré moindre cependant que par rapport à l'ensemble du Québec.
D'autres études ont identifié une proportion plus élevée que la normale de petits poids à la naissance chez les nouveau-nés, une maladie pulmonaire obstructive chronique et une espérance de vie plus faible que dans le reste du Québec. Selon une étude publiée par l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) le 6 juillet, le maintien du statu quo en ce qui concerne les émissions d'arsenic et de cadmium dans l'atmosphère de la ville entraînerait de 13 à 550 cas supplémentaires de cancer du poumon par million de personnes au Québec, alors que le risque considéré comme négligeable au Québec est de 1 cas par million. Si le statu quo est maintenu, le taux de cancer du poumon pourrait grimper à 61 cas par 100 000 pour l'ensemble de la ville de Rouyn-Noranda et à 87 cas par 100 000 pour le seul quartier Notre-Dame.
Mais l'aspect le plus inquiétant est le taux d'émission d'arsenic très élevé dans l'air ambiant. La fonderie est officiellement autorisée à dépasser la norme québécoise sous prétexte que cette norme est entrée en vigueur en 2011, bien après le début des activités de la fonderie en 1927.
Le gouvernement québécois autorise actuellement une limite de 100 nanogrammes par mètre cube, soit plus de 30 fois supérieure à la norme. Selon les données du gouvernement québécois, le niveau d'arsenic rejeté dans l'air a effectivement atteint une moyenne de 100 nanogrammes par mètre cube en 2021.
Le gouvernement a un comité ministériel et des ententes avec Glencore sur la baisse des taux, mais, essentiellement, le gouvernement permet à l'entreprise de s'autoréglementer, comme c'est le cas au fédéral avec l'industrie ferroviaire, avec les conséquences désastreuses que l'on connaît. Il suggère, il conseille, il est préoccupé, mais la décision revient à Glencore.
En mars 2021, le ministre québécois de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, a parlé de l'encadrement que le gouvernement fournit à l'entreprise.
« Oui, un suivi serré au niveau des émissions par l'entreprise elle-même, a-t-il indiqué. On veut établir une convention avec cette entreprise, qui s'est toujours montrée très collaborative, pour qu'on puisse mieux l'accompagner. Il y a différents ministères qui pourront intervenir dans la démarche. Naturellement la Santé publique et l'Environnement, mais nos collègues à l'Économie et aux Affaires municipales sont aussi interpellés.
« C'est là où va intervenir mon collègue Pierre Fitzgibbon [ministre de l'Économie] pour voir où sont les besoins de l'entreprise, a-t-il ajouté. L'entreprise a déjà quelques projets au niveau de l'amélioration de ses procédés industriels. Ça peut prendre la forme d'un appui financier, un appui technique également, et c'est là où on met à profit la polyvalence du comité ».
Le gouvernement du Québec est présentement en pourparlers avec Glencore pour établir la limite pour les années à venir. Cependant, compte tenu de l'esprit dont il fait preuve et de l'élimination de la possibilité même de respecter la norme québécoise, personne ne croit que le gouvernement va réellement forcer Glencore à réduire de manière drastique ses émissions d'arsenic.
Un argument qui ne tient pas
L'argument non fondé du gouvernement est qu'il faut trouver un équilibre entre le développement économique et la santé et la sécurité et l'environnement.
Cet argument ne tient pas la route.
La production moderne hautement technologique, comme celle utilisée dans le secteur de la fusion des minerais, peut avoir de sérieuses conséquences pour l'environnement naturel et social lorsque le gouvernement ne rend pas des monopoles comme Glencore redevables de leurs actions. Le contrôle et la protection de l'environnement doivent être une partie intégrante de la production elle-même. Ils sont une partie essentielle du contrôle qui doit et peut être exercé, mais au lieu de cela, le gouvernement protège et paie Glencore pour continuer d'empoisonner l'environnement humain et naturel. Aussi, en plus de faire respecter les normes avec des voies de recours, aucun fonds public ne devrait être versé à Glencore pour que la compagnie s'attaque à ses émissions irresponsables d'arsenic.
Le cas de Glencore démontre que les monopoles et oligopoles privés veulent que rien ne vienne entraver la recherche du profit maximum privé pour eux. La prétention du gouvernement de rechercher un « équilibre » entre le développement économique et l'environnement est frauduleuse. Un environnement sain est la responsabilité des propriétaires de la production moderne et la technologie qui peut le garantir existe. Tant que les grandes entités privées mondiales contrôlent la production et possèdent les établissements de production, on doit exiger qu'elles utilisent une partie de la richesse sociale qu'elles exproprient des travailleurs pour garantir que l'environnement humain et naturel n'est pas endommagé.
Le premier ministre François Legault joue un jeu malhonnête en ce qui concerne la responsabilité qui lui revient. Le 23 juin, il a évoqué une menace de fermeture si des exigences sont présentées à Glencore. « Les gens de Rouyn-Noranda ne veulent pas qu'on ferme l'entreprise », a -t-il dit à des journalistes. Puis, face à l'opposition exprimée par la population, il a dit à la presse, le 5 juillet : « Soyons très clairs : s'il n'y a pas de plan de déposé par l'entreprise pour réduire les émissions à un niveau qui est sécuritaire pour la population, on n'exclut pas, effectivement, de fermer l'entreprise. »
Les gens sont très clairs. Le gouvernement du Québec doit les défendre et les protéger. Il doit entendre la voix des résidents qui s'expriment sur ce dont ils ont besoin pour vivre en santé et en sécurité, ce qui est leur droit. Cependant, sous prétexte de la « protection des emplois » et du « développement économique », ce droit n'a jamais été reconnu et appliqué. Le gouvernement doit obliger Glencore à se conformer à la norme québécoise, selon un échéancier précis.
Par ces phrases qu'il prononce, le premier ministre envisage-t-il d'ouvrir les vannes toutes grandes pour l'injection toujours plus massive de fonds publics dans Glencore au nom d'éviter une possible fermeture ? Et si une fermeture se produisait, ce sont les travailleurs et les communautés qui seraient à blâmer ?
Les déclarations de François Legault ne reflètent pas l'histoire du mouvement ouvrier et populaire de la région. Au début des années 2000, et même avant, les travailleurs de la fonderie et leur syndicat ont mené une lutte épique pour bloquer les émissions de béryllium, de soufre et d'autres éléments, pour protéger les travailleurs et la communauté. Ils ont affronté le chantage et la menace de fermeture et ont déclaré qu'on n'allait pas les faire chanter de la sorte, que la production doit comprendre un environnement sécuritaire et sain pour tout le monde. Et l'usine n'a pas fermé. Des progrès ont été faits pour protéger les travailleurs et la population.
C'est absurde de dire qu'une lutte résolue à la défense des droits va inévitablement faire fermer l'usine. C'est cette lutte qui nous fait avancer et ouvre la voie au progrès dans tous les aspects de la vie, y compris la construction d'une économie qui sert le bien-être du peuple et sur laquelle il exerce un contrôle.
Défendons avec passion la cause des gens de Rouyn-Noranda qui prennent la parole pour défendre leurs droits et un avenir digne de ce nom !
(Photos : ARET, E.L. Therrien)
Le gouvernement du Québec commande des études de marché pour justifier la hausse de la norme d'émission de nickel dans l'air
On apprend que, suite au lobbying des sociétés minières telles que Glencore pour justifier une augmentation de cinq fois plus que la norme limite d'émission de nickel dans l'air, le Parti libéral du Québec au pouvoir en 2018 avait demandé à SNC-Lavalin et la firme Deloitte de « réaliser une analyse comparative de l'encadrement réglementaire [du nickel] et conseiller » le gouvernement.
Selon le rapport de la firme Deloitte qui a demeuré confidentiel jusqu'en décembre 2021, au moment de la publication de la nouvelle réglementation sur le nickel dans l'air, un des « constats clés de l'étude » est qu'« une norme nickel plus contraignante qu'ailleurs dans le monde et dans le reste du Canada pourrait réduire l'attractivité d'investissements additionnels au Québec dans le secteur du nickel alors que le contexte mondial semble propice au développement de nouveaux projets. L'Ontario, Terre-Neuve-et-Labrador et l'Australie pourraient notamment constituer des alternatives potentielles[1]. ». Cet argument « d'attractivité d'investissements » est servi alors même que le prix du nickel est passé de 7 000 dollars US la tonne en 2016 à plus de 22 000 dollars US la tonne, le 24 février dernier, début du conflit en Ukraine.
Ce que craignent en fait ces oligopoles miniers est que leurs profits déjà faramineux soient menacés par les mouvements d'opposition des peuples et des nations autochtones au pillage des ressources naturelles de la Terre Mère et de la pollution de l'environnement naturel. C'est ce qu'exprime un autre constat repris dans le rapport de Deloitte :
« La combinaison des exigences quant au seuil et à la fréquence de mesure de la norme nickel du Québec expose les sociétés minières de nickel à des dépassements à répétition. La publication de ces résultats pourrait susciter des inquiétudes au sein des populations environnantes et des communautés autochtones et même remettre en cause l'acceptabilité sociale des projets. Les communautés pourraient demander une réouverture de leur entente de répercussions et avantages afin d'être compensées pour cette perception de risque pour leur milieu et leur santé et les résidents autour des nouveaux sites miniers pourraient aller jusqu'à émettre des pressions pour la cessation des activités des mines ou du moins pour des investissements potentiellement substantiels en mesures de mitigation additionnelles[2]. »
En d'autres mots, la publication régulière rendue publique des taux d'émission de nickel dans l'air font justement craindre aux oligopoles miniers que les « populations environnantes et des communautés autochtones [vont] remettre en cause l'acceptabilité sociale des projets » lorsqu'elles vont constater que ces compagnies minières dépassent à répétition les normes scientifiquement rigoureuses en vigueur pour la présence du nickel dans l'air. Ces mêmes populations et communautés vont exiger avec raison de ces compagnies minières qu'elles mettent en place des mesures d'atténuation des sources de pollution (mitigation) qui vont réduire la présence du sulfure de nickel dans l'air, mais qui vont compromettre leurs profits faramineux.
C'est justement cette crainte à laquelle le rapport de Deloitte fait allusion lorsqu'il est question de porter un « regard sur les impacts potentiels de la norme nickel en vigueur au Québec ». Le rapport déclare que « La norme nickel actuelle pourrait remettre en cause l'acceptabilité sociale des projets, nuire à leur compétitivité et mettre à risque des retombées économiques significatives pour le Québec[3]. »
Pour préparer le terrain à ce qu'il y ait une « acceptabilité sociale » de la nouvelle norme, un porte-parole du ministère de l'Économie et de l'Innovation du Québec a répondu ceci le 27 décembre 2021 en entrevue avec un journaliste de Radio-Canada : « La mise en place de mesures de mitigation additionnelles [pour minimiser les émissions de nickel] en réponse à de potentiels dépassements de la norme réduirait la compétitivité mondiale des minières de nickel au Québec et pourrait éventuellement les amener à ralentir leurs activités de manière temporaire ou même permanente ». En d'autres mots, ce qui a priorité pour le gouvernement Legault, c'est la quête des sociétés minières pour de nouveaux marchés de leurs produits à l'échelle internationale et la poursuite du profit maximum pour ces grands intérêts privés, et non la santé des résidents de Limoilou et des communautés minières et autochtones qui deviennent des « dommages collatéraux ».
Ainsi pour satisfaire les exigences de ces oligopoles mondiaux qui considèrent que la Terre leur appartient, le gouvernement du Québec a rendu cinq fois moins sévère la norme de nickel dans l'air plutôt que d'exiger de ces riches oligarques qu'ils mettent en place des mesures de mitigation qui existent déjà d'un point de vue technologique. De telles mesures sont même mentionnées dans le rapport de Deloitte telles qu'un bâtiment fermé pour entreposer le concentré de nickel, un système de captage des poussières et dépoussiérage, un épurateur humide, un rideau de contrôle entourant l'aire de chute du matériel pour contrôler les projections de poussières, arrosage du matériel suffisamment pour prévenir les émissions de poussières, nettoyage et arrosage régulier des zones de chargement, etc. De telles mesures de mitigation permettraient de capter à la source la poussière de sulfure de nickel qui sinon s'échapperait dans l'air.
Pour le gouvernement Legault, le nickel est « une composante clé pour l'électrification des transports » et pour sa stratégie de développement de la filière de batteries au lithium pour les véhicules électriques. Par contre pas un mot est dit sur le nickel dont l'usage est répandu dans les applications liées à l'industrie aérospatiale dont la composante militaire prend de plus en plus d'importance. Voici ce que le United States Geological Survey (USGS) mentionne à propos du nickel et de son usage :
« Environ 65 % du nickel consommé dans le monde occidental est utilisé pour fabriquer de l'acier inoxydable austénitique [acier contenant du chrome, du nickel et d'autres éléments tels que le molybdène, le titane et le niobium ; note de la rédaction]. Un autre 12 % est utilisé dans les superalliages (par exemple, l'Inconel 600) ou les alliages non ferreux (par exemple, le cupronickel). Ces deux familles d'alliages sont largement utilisées en raison de leur résistance à la corrosion. L'industrie aérospatiale est l'un des principaux consommateurs de superalliages à base de nickel. Les aubes de turbines, les disques et d'autres pièces critiques des moteurs à réaction sont fabriqués à partir de superalliages. Les superalliages à base de nickel sont également utilisés dans les turbines à combustion terrestres, comme celles que l'on trouve dans les centrales électriques [4]. »
Notes
1. Deloitte,
Rapport final : Évaluation des impacts économiques de la norme et de
l'industrie du nickel au Québec, 3 décembre 2018, p.37.
2. Ibid, p.37.
3. Ibid, p.29.
4. USGS, Nickel Statistics and Information,
(Radio-Canada, MELCC, Direction de la santé pubique du Québec, Monlimoilou, Journal de Montréal, USGS)
Le gouvernement du Québec se plie aux demandes des sociétés minières de produire le nickel sans égard à la santé de la population
Une nouvelle norme quotidienne d'émission de nickel dans l'air est entrée en vigueur le 28 avril 2022 au Québec. Déposé le 16 décembre 2021, le Projet de règlement modifiant le Règlement sur l'assainissement de l'atmosphère - norme nickel, a été émis par le Conseil des ministres du gouvernement Legault et permet à l'industrie minière de quintupler — de 14 à 70 nanogrammes par mètre cube (ng/m3) — la norme quotidienne d'émission de nickel dans l'air.
Cela va avoir une incidence directe sur le transbordement du concentré de nickel (pentlandite) qui arrive par navire de la mine Raglan, au Nunavik, propriété de Glencore, et de la mine Voisey's Bay au Labrador, propriété de Vale, jusqu'au port de Québec pour y être déchargé et transporté par voie ferrée jusqu'aux fonderies à Sudbury.
Des documents obtenus par Radio-Canada révèlent que les résidents du Vieux-Limoilou situé à moins d'un kilomètre et demi du port respirent déjà quatre fois plus de nickel que ceux du secteur de Saint-Sacrement, en Haute-Ville de Québec. Selon ces données, recueillies par la Direction de la santé publique de la Capitale-Nationale (DSP), les concentrations de nickel mesurées dans l'air augmentent quand les vents proviennent des installations portuaires. Une poussière rouge très visible se dépose alors sur les résidences, les pelouses, les parcs, les rues et les voitures du quartier de Limoilou.
Tentant de justifier cette décision, le ministre de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) Benoit Charette a dit le 18 janvier : « On a voulu bien faire les choses et on s'en est remis aux scientifiques et aux spécialistes qui, aujourd'hui, nous disent que de façon très sécuritaire on peut revoir cette norme ». Lorsqu'on lui a demandé d'expliquer cette affirmation il a ajouté : « Les normes du Québec s'avéraient contraires à l'esprit de plusieurs autres à l'international ». Il a donné les exemples des normes en vigueur en Ontario et en Europe qui sont des normes moins sévères que celle en vigueur au Québec de 2013 jusqu'en 2022, au moment où le gouvernement Legault a fait modifier la norme. Ce que le ministre ne dit pas est que les normes en Europe sont pour des formes de concentrés de nickel qui sont différentes de celles qu'on retrouve au Québec. Cette différence avait même été soulignée par une des organisations qui avait présenté un mémoire lors des « consultations » publiques pour justifier une modification à la réglementation sur la norme du nickel dans l'air qui serait nuisible à la santé de la population.
Une étude scientifique en appui aux préoccupations légitimes des résidents de Limoilou, que le gouvernement a ignoré
L'Association québécoise des médecins pour l'environnement (AQME) a déposé un mémoire de 47 pages dans le cadre des consultations publiques organisées par le ministère de l'Environnement du Québec sur le projet de règlement controversé.
Dans les fiches techniques sur lesquelles se base le gouvernement Legault pour quintupler la norme actuelle, on peut lire « qu'aucune donnée sur la spéciation [la recherche de la sorte précise] du nickel dans l'air ambiant au Québec ou dans les émissions des sources n'est disponible » alors qu'en réalité le gouvernement ignore ses propres études.
Or, l'AQME a récemment découvert qu'une étude scientifique à ce sujet existe bel et bien. Publiée en 2013, elle s'intitule « Origine des concentrations élevées de nickel dans l'air ambiant à Limoilou »[1] et est disponible sur le site web du ministère de l'Environnement.
Selon Johanne Elsener, médecin vétérinaire et porte-parole de l'AQME, « l'étude [de 2013] démontre que l'air de la ville de Québec contient une composition de nickel totalement différente de l'air européen ».
Dans le mémoire que l'AQME a présenté, on y dit :
« Nous avons découvert une erreur scientifique fondamentale. La norme européenne annuelle de 20 ng/m3 repose sur les effets respiratoires du sulfate de nickel, un composé présent en fortes proportions dans l'air européen, plutôt que sur les effets cancérigènes du sous-sulfure de nickel (Ni3S2), un composé présent à moins de 10 % dans l'air européen. Le MELCC propose d'adopter la norme européenne en se basant sur l'hypothèse que la composition de l'air québécois est comparable à celle de l'Europe. Or, une étude menée en 2013 par ce même ministère révèle que le nickel présent dans l'air de la ville de Québec est totalement différent de la composition de l'air européen. Il s'agit essentiellement de pentlandite, un sulfure de nickel et de fer (Ni9Fe9S8) pouvant être associé à une augmentation de cancers pulmonaires dans la littérature scientifique », explique Dre Claudel Pétrin-Desrosiers, présidente de l'AQME.
« 'Par principe de précaution, l'AQME recommande d'adopter comme norme annuelle la valeur guide de 3 ng/m3 dans les PM10 de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) basée sur les effets cancérigènes du sous-sulfure de nickel. C'est cette norme que l'Australie de l'Ouest, un autre grand producteur de pentlandite, a adoptée », poursuit Dr Frédéric Tupinier-Martin, résident en santé publique et membre de l'AQME. « La science médicale doit mener ce dossier en se basant sur des données réelles et non pas sur des hypothèses invalides ; c'est de la santé de gens dont il est question ici[2].' » Invitée à réagir à cette erreur, l'attachée de presse du ministre de l'Environnement a soutenu « qu'on ne commentera pas une à une toutes les recommandations reçues ».
Dans le cadre des consultations pour changer la réglementation, la Ville de Québec a aussi présenté un mémoire rendu public, dans laquelle elle réclame « une exception » afin d'être « exclue » de l'application de la nouvelle norme. Le gouvernement du Québec a refusé cette demande, tout comme il a refusé de répondre aux revendications légitimes de l'organisme L'Initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec, un regroupement de citoyens qui s'est donné comme mission depuis au moins 2013, de colliger et diffuser l'information sur les impacts environnementaux des activités industrielles au Port de Québec. Cet organisme s'est entouré d'experts ou les a formés afin de faire valoir que les lois et règlements existants à la défense de l'environnement naturel et social doivent être respectés par les différents paliers d'autorité, en commençant par les autorités portuaires de Québec et le Ministère de l'Environnement du Québec.
Notes
1. Pierre
Walsh et Jean-François Brière, « Origine des concentrations élevées de
nickel dans l'air ambiant à Limoilou », ministère de l'Environnement et
de la Lutte contre les changements climatiques, Québec, 2013, 21 pages.
2. Association
canadienne des médecins pour l'environnement, « Norme nickel : Une
erreur scientifique fondamentale dénoncée par l'Association québécoise
des médecins pour l'environnement (AQME) », 23 février 2022.
(Radio-Canada, MELCC, AQME, Direction de la santé publique du Québec, Monlimoilou, Journal de Montréal. Photos : Initiative citoyenne de vigilance du port de Québec)
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