Le gouvernement du Québec se plie aux demandes des sociétés minières de produire le nickel sans égard à la santé de la population

Une nouvelle norme quotidienne d'émission de nickel dans l'air est entrée en vigueur le 28 avril 2022 au Québec. Déposé le 16 décembre 2021, le Projet de règlement modifiant le Règlement sur l'assainissement de l'atmosphère - norme nickel, a été émis par le Conseil des ministres du gouvernement Legault et permet à l'industrie minière de quintupler — de 14 à 70 nanogrammes par mètre cube (ng/m3) — la norme quotidienne d'émission de nickel dans l'air.

Cela va avoir une incidence directe sur le transbordement du concentré de nickel (pentlandite) qui arrive par navire de la mine Raglan, au Nunavik, propriété de Glencore, et de la mine Voisey's Bay au Labrador, propriété de Vale, jusqu'au port de Québec pour y être déchargé et transporté par voie ferrée jusqu'aux fonderies à Sudbury.

Des documents obtenus par Radio-Canada révèlent que les résidents du Vieux-Limoilou situé à moins d'un kilomètre et demi du port respirent déjà quatre fois plus de nickel que ceux du secteur de Saint-Sacrement, en Haute-Ville de Québec. Selon ces données, recueillies par la Direction de la santé publique de la Capitale-Nationale (DSP), les concentrations de nickel mesurées dans l'air augmentent quand les vents proviennent des installations portuaires. Une poussière rouge très visible se dépose alors sur les résidences, les pelouses, les parcs, les rues et les voitures du quartier de Limoilou.

Tentant de justifier cette décision, le ministre de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) Benoit Charette a dit le 18 janvier : « On a voulu bien faire les choses et on s'en est remis aux scientifiques et aux spécialistes qui, aujourd'hui, nous disent que de façon très sécuritaire on peut revoir cette norme ». Lorsqu'on lui a demandé d'expliquer cette affirmation il a ajouté : « Les normes du Québec s'avéraient contraires à l'esprit de plusieurs autres à l'international ». Il a donné les exemples des normes en vigueur en Ontario et en Europe qui sont des normes moins sévères que celle en vigueur au Québec de 2013 jusqu'en 2022, au moment où le gouvernement Legault a fait modifier la norme. Ce que le ministre ne dit pas est que les normes en Europe sont pour des formes de concentrés de nickel qui sont différentes de celles qu'on retrouve au Québec. Cette différence avait même été soulignée par une des organisations qui avait présenté un mémoire lors des « consultations » publiques pour justifier une modification à la réglementation sur la norme du nickel dans l'air qui serait nuisible à la santé de la population.

Une étude scientifique en appui aux préoccupations légitimes des résidents de Limoilou, que le gouvernement a ignoré

L'Association québécoise des médecins pour l'environnement (AQME) a déposé un mémoire de 47 pages dans le cadre des consultations publiques organisées par le ministère de l'Environnement du Québec sur le projet de règlement controversé.

Dans les fiches techniques sur lesquelles se base le gouvernement Legault pour quintupler la norme actuelle, on peut lire « qu'aucune donnée sur la spéciation [la recherche de la sorte précise] du nickel dans l'air ambiant au Québec ou dans les émissions des sources n'est disponible » alors qu'en réalité le gouvernement ignore ses propres études.

Or, l'AQME a récemment découvert qu'une étude scientifique à ce sujet existe bel et bien. Publiée en 2013, elle s'intitule « Origine des concentrations élevées de nickel dans l'air ambiant à Limoilou »[1] et est disponible sur le site web du ministère de l'Environnement.

Selon Johanne Elsener, médecin vétérinaire et porte-parole de l'AQME, « l'étude [de 2013] démontre que l'air de la ville de Québec contient une composition de nickel totalement différente de l'air européen ».

Dans le mémoire que l'AQME a présenté, on y dit :

« Nous avons découvert une erreur scientifique fondamentale. La norme européenne annuelle de 20 ng/m3 repose sur les effets respiratoires du sulfate de nickel, un composé présent en fortes proportions dans l'air européen, plutôt que sur les effets cancérigènes du sous-sulfure de nickel (Ni3S2), un composé présent à moins de 10 % dans l'air européen. Le MELCC propose d'adopter la norme européenne en se basant sur l'hypothèse que la composition de l'air québécois est comparable à celle de l'Europe. Or, une étude menée en 2013 par ce même ministère révèle que le nickel présent dans l'air de la ville de Québec est totalement différent de la composition de l'air européen. Il s'agit essentiellement de pentlandite, un sulfure de nickel et de fer (Ni9Fe9S8) pouvant être associé à une augmentation de cancers pulmonaires dans la littérature scientifique », explique Dre Claudel Pétrin-Desrosiers, présidente de l'AQME.

« 'Par principe de précaution, l'AQME recommande d'adopter comme norme annuelle la valeur guide de 3 ng/m3 dans les PM10 de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) basée sur les effets cancérigènes du sous-sulfure de nickel. C'est cette norme que l'Australie de l'Ouest, un autre grand producteur de pentlandite, a adoptée », poursuit Dr Frédéric Tupinier-Martin, résident en santé publique et membre de l'AQME. « La science médicale doit mener ce dossier en se basant sur des données réelles et non pas sur des hypothèses invalides ; c'est de la santé de gens dont il est question ici[2].' » Invitée à réagir à cette erreur, l'attachée de presse du ministre de l'Environnement a soutenu « qu'on ne commentera pas une à une toutes les recommandations reçues ».

Dans le cadre des consultations pour changer la réglementation, la Ville de Québec a aussi présenté un mémoire rendu public, dans laquelle elle réclame « une exception » afin d'être « exclue » de l'application de la nouvelle norme. Le gouvernement du Québec a refusé cette demande, tout comme il a refusé de répondre aux revendications légitimes de l'organisme L'Initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec, un regroupement de citoyens qui s'est donné comme mission depuis au moins 2013, de colliger et diffuser l'information sur les impacts environnementaux des activités industrielles au Port de Québec. Cet organisme s'est entouré d'experts ou les a formés afin de faire valoir que les lois et règlements existants à la défense de l'environnement naturel et social doivent être respectés par les différents paliers d'autorité, en commençant par les autorités portuaires de Québec et le Ministère de l'Environnement du Québec.

Notes

1. Pierre Walsh et Jean-François Brière, « Origine des concentrations élevées de nickel dans l'air ambiant à Limoilou », ministère de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Québec, 2013, 21 pages.
2. Association canadienne des médecins pour l'environnement, « Norme nickel : Une erreur scientifique fondamentale dénoncée par l'Association québécoise des médecins pour l'environnement (AQME) », 23 février 2022.

(Radio-Canada, MELCC, AQME, Direction de la santé publique du Québec, Monlimoilou, Journal de Montréal. Photos : Initiative citoyenne de vigilance du port de Québec)


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Volume 52 Numéro 11 - 23 juillet 2022

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