Le gouvernement du Québec commande des études de marché pour justifier la hausse de la norme d'émission de nickel dans l'air
On apprend que, suite au lobbying des sociétés minières telles que Glencore pour justifier une augmentation de cinq fois plus que la norme limite d'émission de nickel dans l'air, le Parti libéral du Québec au pouvoir en 2018 avait demandé à SNC-Lavalin et la firme Deloitte de « réaliser une analyse comparative de l'encadrement réglementaire [du nickel] et conseiller » le gouvernement.
Selon le rapport de la firme Deloitte qui a demeuré confidentiel jusqu'en décembre 2021, au moment de la publication de la nouvelle réglementation sur le nickel dans l'air, un des « constats clés de l'étude » est qu'« une norme nickel plus contraignante qu'ailleurs dans le monde et dans le reste du Canada pourrait réduire l'attractivité d'investissements additionnels au Québec dans le secteur du nickel alors que le contexte mondial semble propice au développement de nouveaux projets. L'Ontario, Terre-Neuve-et-Labrador et l'Australie pourraient notamment constituer des alternatives potentielles[1]. ». Cet argument « d'attractivité d'investissements » est servi alors même que le prix du nickel est passé de 7 000 dollars US la tonne en 2016 à plus de 22 000 dollars US la tonne, le 24 février dernier, début du conflit en Ukraine.
Ce que craignent en fait ces oligopoles miniers est que leurs profits déjà faramineux soient menacés par les mouvements d'opposition des peuples et des nations autochtones au pillage des ressources naturelles de la Terre Mère et de la pollution de l'environnement naturel. C'est ce qu'exprime un autre constat repris dans le rapport de Deloitte :
« La combinaison des exigences quant au seuil et à la fréquence de mesure de la norme nickel du Québec expose les sociétés minières de nickel à des dépassements à répétition. La publication de ces résultats pourrait susciter des inquiétudes au sein des populations environnantes et des communautés autochtones et même remettre en cause l'acceptabilité sociale des projets. Les communautés pourraient demander une réouverture de leur entente de répercussions et avantages afin d'être compensées pour cette perception de risque pour leur milieu et leur santé et les résidents autour des nouveaux sites miniers pourraient aller jusqu'à émettre des pressions pour la cessation des activités des mines ou du moins pour des investissements potentiellement substantiels en mesures de mitigation additionnelles[2]. »
En d'autres mots, la publication régulière rendue publique des taux d'émission de nickel dans l'air font justement craindre aux oligopoles miniers que les « populations environnantes et des communautés autochtones [vont] remettre en cause l'acceptabilité sociale des projets » lorsqu'elles vont constater que ces compagnies minières dépassent à répétition les normes scientifiquement rigoureuses en vigueur pour la présence du nickel dans l'air. Ces mêmes populations et communautés vont exiger avec raison de ces compagnies minières qu'elles mettent en place des mesures d'atténuation des sources de pollution (mitigation) qui vont réduire la présence du sulfure de nickel dans l'air, mais qui vont compromettre leurs profits faramineux.
C'est justement cette crainte à laquelle le rapport de Deloitte fait allusion lorsqu'il est question de porter un « regard sur les impacts potentiels de la norme nickel en vigueur au Québec ». Le rapport déclare que « La norme nickel actuelle pourrait remettre en cause l'acceptabilité sociale des projets, nuire à leur compétitivité et mettre à risque des retombées économiques significatives pour le Québec[3]. »
Pour préparer le terrain à ce qu'il y ait une « acceptabilité sociale » de la nouvelle norme, un porte-parole du ministère de l'Économie et de l'Innovation du Québec a répondu ceci le 27 décembre 2021 en entrevue avec un journaliste de Radio-Canada : « La mise en place de mesures de mitigation additionnelles [pour minimiser les émissions de nickel] en réponse à de potentiels dépassements de la norme réduirait la compétitivité mondiale des minières de nickel au Québec et pourrait éventuellement les amener à ralentir leurs activités de manière temporaire ou même permanente ». En d'autres mots, ce qui a priorité pour le gouvernement Legault, c'est la quête des sociétés minières pour de nouveaux marchés de leurs produits à l'échelle internationale et la poursuite du profit maximum pour ces grands intérêts privés, et non la santé des résidents de Limoilou et des communautés minières et autochtones qui deviennent des « dommages collatéraux ».
Ainsi pour satisfaire les exigences de ces oligopoles mondiaux qui considèrent que la Terre leur appartient, le gouvernement du Québec a rendu cinq fois moins sévère la norme de nickel dans l'air plutôt que d'exiger de ces riches oligarques qu'ils mettent en place des mesures de mitigation qui existent déjà d'un point de vue technologique. De telles mesures sont même mentionnées dans le rapport de Deloitte telles qu'un bâtiment fermé pour entreposer le concentré de nickel, un système de captage des poussières et dépoussiérage, un épurateur humide, un rideau de contrôle entourant l'aire de chute du matériel pour contrôler les projections de poussières, arrosage du matériel suffisamment pour prévenir les émissions de poussières, nettoyage et arrosage régulier des zones de chargement, etc. De telles mesures de mitigation permettraient de capter à la source la poussière de sulfure de nickel qui sinon s'échapperait dans l'air.
Pour le gouvernement Legault, le nickel est « une composante clé pour l'électrification des transports » et pour sa stratégie de développement de la filière de batteries au lithium pour les véhicules électriques. Par contre pas un mot est dit sur le nickel dont l'usage est répandu dans les applications liées à l'industrie aérospatiale dont la composante militaire prend de plus en plus d'importance. Voici ce que le United States Geological Survey (USGS) mentionne à propos du nickel et de son usage :
« Environ 65 % du nickel consommé dans le monde occidental est utilisé pour fabriquer de l'acier inoxydable austénitique [acier contenant du chrome, du nickel et d'autres éléments tels que le molybdène, le titane et le niobium ; note de la rédaction]. Un autre 12 % est utilisé dans les superalliages (par exemple, l'Inconel 600) ou les alliages non ferreux (par exemple, le cupronickel). Ces deux familles d'alliages sont largement utilisées en raison de leur résistance à la corrosion. L'industrie aérospatiale est l'un des principaux consommateurs de superalliages à base de nickel. Les aubes de turbines, les disques et d'autres pièces critiques des moteurs à réaction sont fabriqués à partir de superalliages. Les superalliages à base de nickel sont également utilisés dans les turbines à combustion terrestres, comme celles que l'on trouve dans les centrales électriques [4]. »
Notes
1. Deloitte,
Rapport final : Évaluation des impacts économiques de la norme et de
l'industrie du nickel au Québec, 3 décembre 2018, p.37.
2. Ibid, p.37.
3. Ibid, p.29.
4. USGS, Nickel Statistics and Information,
(Radio-Canada, MELCC, Direction de la santé pubique du Québec, Monlimoilou, Journal de Montréal, USGS)
Cet article est paru dans
Volume 52 Numéro 11 - 23 juillet 2022
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