Les ramifications du pillage des minéraux critiques et des terres rares

Le Canada se joint à la dangereuse chaîne d'approvisionnement en minéraux critiques des États-Unis

– Fernand Deschamps –

Piquet de Sudbury, le 6 septembre 2018, contre le développement prévu du Cercle de feu, sans le consentement des peuples autochtones. L'extraction de minéraux critiques constitue une part
importante de l'exploitation minière prévue dans la région.

Le 14 juin, le département d'État des États-Unis a annoncé la création du « Partenariat pour la sécurité des minéraux » (MSP) qui regroupe l'Australie, le Canada, la Finlande, la France, l'Allemagne, le Japon, la République de Corée, la Suède, le Royaume-Uni et l'UE. Ces pays « se sont engagés à mettre en place des chaînes d'approvisionnement en minerais critiques solides et responsables pour favoriser la prospérité économique et la réalisation des objectifs en matière climatique ».

Le département d'État des États-Unis informe que cette annonce a été faite à Toronto « lors du congrès de l'Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs, la plus grande manifestation du monde dans le secteur minier ». Le département d'État poursuit en affirmant que :

« L'objectif du MSP est de garantir que les minéraux critiques sont produits, traités et recyclés de sorte à aider les pays à tirer pleinement parti de leurs atouts géologiques dans une perspective de développement économique. La demande en minéraux critiques essentiels pour l'énergie propre et d'autres technologies devrait augmenter considérablement au cours des prochaines décennies. Le MSP contribuera à catalyser les investissements des gouvernements et du secteur privé pour tirer parti des opportunités stratégiques, dans l'ensemble de la chaîne de valeur, dans le respect des normes environnementales, sociales et de gouvernance les plus rigoureuses. »

Le Global Times qualifie le MSP de signal dangereux de la volonté américaine de dissocier la Chine des chaînes d'approvisionnement en minéraux. Le journal cite un expert en sécurité internationale basé à Pékin qui a requis l'anonymat, disant : « Les actes ou les appels à pousser le découplage avec la Chine viennent de prouver que les États-Unis ne vont pas réparer les liens avec la Chine ou la Russie pour le bien de la paix mondiale, mais qu'ils vont maintenir leurs mouvements hostiles pour faire pression sur la Chine et la Russie afin de servir leur concurrence stratégique qui vise à protéger leur hégémonie. »

Dans le même ordre d'idées, le 22 février, deux jours avant l'intervention militaire russe en Ukraine, la Maison-Blanche a publié une déclaration intitulée « Sécurisation d'une chaîne d'approvisionnement en minéraux critiques fabriquée en Amérique » dans le cadre de ce qu'elle a appelé la « rupture de la dépendance à l'égard de la Chine ». La déclaration ajoute que « En juin (2021), l'administration Biden-Harris a publié une évaluation de la chaîne d'approvisionnement, la première en son genre, qui a révélé que notre dépendance excessive à l'égard de sources étrangères pour les minéraux et les matières critiques provenant de pays hostiles constituait une menace pour la sécurité nationale et économique. » À la fin de cette déclaration, il est mentionné que « En octobre (2021), le président Biden a rationalisé la réserve de la Défense nationale en signant le décret 14051 pour déléguer l'autorité [pour] la distribution de matériel stratégique et essentiel au sous-secrétaire à la Défense pour l'acquisition et le maintien. »

Le Décret 14051 sur la désignation d'exercer l'autorité sur la réserve de la Défense nationale, « confère l'autorité de libérer du matériel stratégique et essentiel de la réserve de la Défense nationale afin d'améliorer les efforts du gouvernement fédéral en matière de stockage à des fins de défense nationale. » La section 3 – Exécution et consultation, précise ce qui suit : « Dans l'exécution de l'autorité conférée par le présent ordre, le sous-secrétaire [de la Défense] peut libérer du matériel stratégique et essentiel de la réserve de la Défense nationale pour utilisation, vente ou autre disposition uniquement lorsque cela est nécessaire pour l'utilisation, la fabrication, ou la production à des fins de défense nationale. Aucune libération n'est autorisée à des fins économiques ou budgétaires. »

Le Council on Foreign Relations, une « organisation indépendante et non partisane » et un groupe de réflexion qui compte parmi ses membres Condoleeza Rice, ancienne secrétaire d'État des États-Unis sous l'administration Bush, avait ceci à dire au sujet du stockage de matériel essentiel : « Le département de la Défense aurait stocké des minéraux de terres rares, qui sont utilisés pour fabriquer des armes de pointe, et du lithium, un intrant essentiel pour les batteries de pointe, afin de réduire sa dépendance des sources chinoises. Le Pentagone possède également une réserve de divers métaux d'une valeur d'environ 1,1 milliard de dollars. »

L'Agence logistique de défense (DLA) du Pentagone, « l'agence nationale de soutien logistique au combat », indique sur son site Web que « la DLA Strategic Materials stocke 42 produits d'une valeur marchande actuelle de plus de 1,1 milliard de dollars à six endroits aux États-Unis. Les produits vont des métaux de base comme le zinc, le cobalt et le chrome aux métaux plus précieux comme le platine, le palladium et l'iridium. Il n'existe aucune entreprise du secteur privé dans le monde qui vende une gamme aussi large de produits de base et de matériaux ». Autrement dit, le gouvernement des États-Unis fournit à la chaîne d'approvisionnement du pays les minéraux essentiels nécessaires à la production d'armes par les entrepreneurs militaires, tant en temps de paix qu'en temps de guerre. Le Canada joue également un rôle important dans cette chaîne d'approvisionnement.

Le lieu, le moment et la nature de l'annonce du MSP sont révélateurs du diktat américain et de l'intégration du Canada dans l'économie et la machine de guerre des États-Unis et soulèvent de graves questions sur ce qui se passe.

Un communiqué de presse publié le 15 juin sur le site Web du gouvernement du Canada indique que Jonathan Wilkinson, ministre des Ressources naturelles, a participé au congrès de l'Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs (ACPE) où il a expliqué le développement du MSP. Le ministre paraphrase le communiqué de presse du département d'État des États-Unis. Aucune autre information n'est fournie, comme un document d'information, à l'exception d'un lien vers le communiqué de presse du département d'État.

Lors du congrès de l'ACPE, le ministre Wilkinson a également rendu public un document de travail sur l'élaboration de la stratégie canadienne sur les minéraux critiques qui « sollicite les commentaires des provinces et territoires, des peuples autochtones, de l'industrie et d'autres intervenants sur le document de travail de la stratégie ». Les consultations sur ce document se dérouleront du 14 juin au 15 septembre, les soumissions devant être faites par courriel.

Le document de travail est intitulé : « Possibilités de l'exploration au recyclage : alimenter l'économie verte et numérique du Canada et du monde entier ».

Dans l'avant-propos du ministre, Jonathan Wilkinson parle par euphémisme de la guerre économique entre les États-Unis et la Chine en ce qui concerne les minéraux critiques : « Parallèlement à ces projections d'augmentation de la demande, l'incertitude géopolitique a exacerbé la précarité des sources actuelles de minéraux et de métaux.

« Les États du monde entier ont commencé à évaluer leur vulnérabilité aux chocs d'offre pour les matières premières qu'ils ne peuvent pas se procurer en quantités suffisantes à l'intérieur de leurs frontières, mais dont dépendent leurs économies. »

Le ministre souligne également que le Canada « compte près de la moitié des sociétés d'exploitation et d'exploration minières cotées en bourse dans le monde. Ces sociétés ont des activités dans plus de 100 pays et une capitalisation boursière globale de 520 milliards de dollars. »

Les sociétés minières canadiennes sont mondialement connues pour leur exploitation des peuples et de l'environnement naturel dans les pays où elles exercent leurs activités. Au Canada, les peuples autochtones connaissent déjà les consultations bidons qui, en pratique, sont utilisées pour nier leurs droits ancestraux et issus de traités d'exercer un contrôle sur leurs territoires.

Les plus grands monopoles miniers du monde, comme Glencore (dont le siège social se trouve au Royaume-Uni et en Suisse) et Rio Tinto (Royaume-Uni, Australie), sont déjà bien connus des travailleurs au Canada et ailleurs pour leurs pratiques anti-ouvrières.

En plus d'attiser le conflit avec la Chine, le MSP dirigé par les États-Unis et le document de discussion sur la stratégie canadienne sur les minéraux critiques indiquent les dangers qui guettent les travailleurs et les peuples du monde au nom de la soi-disant économie verte.


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Volume 52 Numéro 11 - 23 juillet 2022

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