Forum ouvrier

Numéro 39 - 9 juin 2020

Les travailleurs affirment leurs droits et les droits de tous d'un bout à l'autre du pays

La Journée 2020 des travailleurs accidentés en Ontario soulignée par des événements très animés
La lutte pour obtenir justice pour tous les travailleurs accidentés - Janice Murray
Les Femmes d'inspiration tiennent leur 15e vigile annuelle

La « réouverture » de l'économie et le droit des travailleurs à la sécurité au travail
De sérieuses préoccupations en Ontario - Steve Rutchinski

Des attaques inacceptables contre les droits des travailleurs
Le gouvernement de l'Alberta adopte la Loi 1, Loi sur la défense des infrastructures essentielles - Peggy Morton
•  Lettre à la rédaction d'un travailleur de la métallurgie de l'Abitibi 
Des manifestations militantes au Québec contre des ordonnances ministérielles inacceptables - Pierre Chénier

Des mesures concrètes sont nécessaires pour défendre les droits des plus vulnérables
Un financement adéquat des services d'aide aux femmes vulnérables - Entrevue avec Jennie-Laure Sully, de la Concertation des luttes contre
l'exploitation sexuelle (CLES)

Le droit des personnes assistées sociales à un revenu décent  - Serge Lachapelle


La Journée 2020 des travailleurs accidentés en Ontario soulignée
par des événements très animés

La lutte pour obtenir justice pour tous
les travailleurs accidentés

Lors de la Journée des travailleurs accidentés de l'Ontario, le Réseau ontarien des groupes de travailleurs accidentés a organisé deux événements en ligne, qui ont attiré un grand nombre de participants, pour célébrer leur travail et leur force collective dans la lutte pour la justice pour les travailleurs accidentés. Cette année est le 37e anniversaire de la première journée des travailleurs accidentés, le 1er juin 1983, lorsque 3 000 travailleurs accidentés et leurs alliés se sont réunis à Queen's Park pour faire connaître leurs revendications à l'occasion d'une enquête publique sur le régime d'indemnisation.

Le rassemblement en ligne de la Journée des travailleurs accidentés, le 1er juin, a réuni plus de 200 participants inscrits, tandis que d'autres se sont joints par le biais de Facebook et YouTube. La pandémie actuelle de la COVID-19 a mis en évidence la nécessité que la société tout entière lutte pour des conditions de travail sécuritaires pour tous les travailleurs et pour une indemnisation complète et en temps requis pour tous ceux qui sont blessés ou deviennent malades à cause de leur travail.

Après une introduction de Maryam Nazemi, qui a apporté un message de salutations de la part de la vigile de Femmes d'inspiration, la présidente du Réseau ontarien des groupes de travailleurs accidentés, Janet Paterson, a pris la parole. Dans les conditions de la pandémie actuelle, a-t-elle souligné, il est d'autant plus important que la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) prenne ses responsabilités envers les travailleurs accidentés qui ont accepté de renoncer à leur droit de poursuivre les employeurs pour blessures et maladies professionnelles, en échange d'une juste indemnisation qui dure aussi longtemps que persiste la blessure ou la maladie. Au lieu de cela, les cotisations des employeurs ont été réduites tandis que de moins en moins de travailleurs accidentés reçoivent l'indemnisation qui leur est due. Dans le cas de la COVID-19, au lieu de présumer que les travailleurs essentiels ont contracté la maladie au travail, la CSPAAT tranche chaque cas séparément, ce qui laisse actuellement dans les limbes plus de 4000 travailleurs ontariens qui ont déposé des demandes en attendant les décisions de la Commission. Cette situation doit cesser, a déclaré Janet.

Le projet de loi 191 d'initiative parlementaire qui vise à résoudre ce problème a passé l'étape de la première lecture à l'Assemblée législative de l'Ontario. S'il est adopté et qu'un travailleur de première ligne contracte la COVID-19, celui-ci sera présumé être atteint d'une maladie professionnelle en raison de la nature de son travail, sauf preuve du contraire.

Patty Coates, la présidente de la Fédération du travail de l'Ontario, a parlé de la situation des travailleurs de première ligne pendant la pandémie. Alors que les gouvernements ont pris l'habitude de parler des travailleurs de première ligne comme des héros, beaucoup d'entre eux ne reçoivent pas la protection dont ils ont besoin de la part de leurs employeurs, a-t-elle dit. Il incombe au ministre du Travail, a-t-elle dit, de protéger tous les travailleurs et cela ne se fait pas en abandonnant les travailleurs à leur sort.

Pendant le rassemblement, des travailleurs accidentés ont parlé de ce qu'ils vivent. Plusieurs autres ont participé à la réalisation d'une vidéo à l'occasion de la Journée 2020 des travailleurs accidentés (voir ci-dessous). Un militant de Travailleurs accidentés en action pour la justice a souligné que, bien avant l'avènement de la COVID-19, les travailleurs essentiels travaillaient de longues heures dans des conditions dangereuses et étaient confrontés à de longues attentes avant que leurs demandes d'indemnisation ne soient traitées. S'ils se voient refuser une indemnisation, les travailleurs accidentés sont laissés à eux-mêmes, sans aucun moyen de soutien. Gabriel, ancien ouvrier agricole migrant et désormais organisateur, a évoqué leur situation, devenue d'autant plus dangereuse au cours de cette pandémie. Les travailleurs agricoles migrants n'ont pas accès à l'assurance-emploi, ni à des soins de santé complets, et s'ils sont blessés ou tombent malades, ils sont rapatriés dans leur pays d'origine, a-t-il dit.

Le rassemblement a également reçu un message vidéo de salutations de Paul Healey, secrétaire du Syndicat des services communautaires et de la santé de l'Australie à Victoria, qui a célébré, le 1er juin cette année, sa première Journée des travailleurs accidentés.

Janice Martell, du projet McIntyre Powder, a parlé de la nécessité de changer ce régime d'indemnisation des accidents du travail qui est conçu pour ne pas rendre justice aux travailleurs accidentés, pour épuiser les travailleurs accidentés jusqu'à ce qu'ils abandonnent ou meurent (présentation vidéo ci-dessous). Pour les travailleurs de première ligne qui contractent une maladie au travail, la COVID-19 est une maladie professionnelle, a-t-elle ajouté, mais qualifier les travailleurs de première ligne de « héros » vise à dissimuler le refus du gouvernement et des employeurs de protéger adéquatement les travailleurs contre l'exposition à des substances toxiques.

Le dernier à prendre la parole a été Fred Hahn, le président du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) pour l'Ontario. Son syndicat représente de nombreux travailleurs de première ligne, en particulier dans les domaines de la santé et des soins aux aînés, et a été actif dans la lutte pour leur sécurité ainsi que celle des personnes dont ils s'occupent pendant la pandémie. Il a souligné que bien que la pandémie ne soit pas la cause des problèmes dans les services publics, elle les a mis en évidence et a créé une opinion publique favorable à prendre en main la santé et la sécurité au travail. Nous devons être en mesure d'exercer pleinement notre droit de refuser un travail dangereux, a-t-il dit.

Vidéos


 

Haut de page


Les Femmes d'inspiration tiennent
leur 15e vigile annuelle

La vigile de Femmes d'inspiration, tenue chaque année à Queen's Park à la veille de la Journée des travailleurs accidentés, a elle aussi eu lieu en ligne. Cette année est le 15e anniversaire de l'événement et la vigile a été ouverte par une de ses fondatrices, Maryam Nazemi, qui a rendu hommage à tous ceux et celles, dont les nombreux travailleurs de première ligne, qui ont perdu la vie pendant la pandémie de la COVID-19. La pandémie a révélé de nombreux problèmes sociaux dont les activistes parlent depuis des décennies, a-t-elle dit. Notre message au gouvernement, a-t-elle ajouté, est qu'une économie forte peut être bâtie seulement si la santé et la sécurité de tous est la priorité. Cela veut dire Non ! à la privatisation et à la réduction des garanties de la santé et de la sécurité des travailleurs, et que les travailleurs essentiels ne doivent pas être forcés de travailler dans des conditions dangereuses et indignes.

Le programme comprenait une chanson inspirante de Heather Cherron Von-Atzigen qui appelle les travailleurs accidentés à prendre la parole parce que leur voix est importante, et il comprenait aussi des poèmes et des interventions des travailleurs accidentés et de leurs alliés. Parmi ceux-ci, Sharnette, de Travailleurs accidentés en action pour la justice, a évoqué les difficultés grandissantes auxquelles font face les travailleurs accidentés pendant la pandémie. La Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) n'a fourni aucune aide supplémentaire aux travailleurs accidentés pour couvrir les charges financières supplémentaires auxquelles ils sont confrontés afin de demeurer en sécurité pendant cette pandémie, comme le transport vers les rendez-vous médicaux et les coûts de la livraison de l'épicerie. Sharon, également une travailleuse accidentée, a parlé de la nécessité de mettre fin à la pratique consistant à réduire les prestations des travailleurs accidentés sur la base de la présomption qu'ils occupent des emplois alors que ce n'est pas le cas.

Leila Paugh, une paramédic et représentante en santé et sécurité pour la section locale 911 du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), a parlé des défis auxquels les activistes sont confrontés en tant que travailleurs de première ligne pour protéger la sécurité de leurs membres et du public pendant la pandémie. Sa présentation a fait ressortir que ce sont les travailleurs, organisés dans leur collectif, qui assurent à la fois leur propre santé et leur sécurité et celle de chacun.

Sultana Jahangir, de l'Organisation des droits des femmes sud-asiatiques, a parlé des effets de la pandémie dans leur communauté de Scarborough. Beaucoup ont perdu leur emploi, environ 70 % des femmes, et bon nombre de celles qui étaient employées comme travailleuses temporaires et de garde ne sont pas éligibles aux programmes d'aide du gouvernement. Beaucoup de celles qui travaillent le font dans des lieux de travail dangereux qui ne respectaient pas les normes en matière de santé et de sécurité avant la pandémie et encore moins maintenant. Elles travaillent en tant que travailleuses de première ligne dans les commerces de détail, les usines de transformation des aliments et les entrepôts et introduisent dans la communauté des infections dues à la COVID-19 et ramenées des lieux de travail. La sécurité de la communauté dépend de la garantie de la sécurité au travail, a-t-elle dit.

Cynthia Ireland, de la section locale 1750 du SCFP, représentant les employés de la CSPAAT, a parlé de la campagne Cover Me (Assurer ma protection) pour étendre l'indemnisation des accidents du travail à tous les travailleurs et à tous les endroits de travail. À l'heure actuelle, en Ontario, seulement 76 % des travailleurs sont couverts, ce qui est le plus bas pourcentage de toutes les provinces. La pétition de la campagne est disponible ici.

Haut de page


La « réouverture » de l'économie et le droit des travailleurs à la sécurité au travail

De sérieuses préoccupations en Ontario

Partout au Canada, après plus de deux mois de confinement, de rester à la maison, de fermetures d'entreprises non essentielles et d'autres mesures visant à ralentir la propagation de l'infection de la COVID-19, nous en sommes maintenant à la deuxième phase —- repartir alors que nous sommes toujours en situation de pandémie.

Les avertissements appropriés sont faits de pratiquer la distanciation sociale, de bien se laver les mains, et ainsi de suite. Ces avertissements doivent bien sûr être réitérés et constamment appliqués, puisque les politiciens qui les font négligent eux-mêmes ces règles telles que la limitation du nombre de membres d'une famille qui visitent la maison d'un des leurs ou la règle rigoureuse de limiter à cinq le nombre de personnes qui se réunissent, au-delà du cercle familial.

Différents niveaux de gouvernement ne cessent de nous rassurer que la « réouverture » se fait selon les meilleurs conseils de la science et de la santé publique. Mais ce n'est tout simplement pas le cas. Et les mesures revendiquées par les travailleurs en première ligne et leurs organisations sur ce qui est requis en ce moment pour aller de l'avant ne sont pas prises au sérieux. Elles sont marginalisées, mises de côté, discutées un moment puis écartées.

Par exemple, le 19 mai, l'Ontario a officiellement entrepris des mesures de « déconfinement ». Le gouvernement ontarien décrit, dans « Un cadre visant le déconfinement de la province », comment il compte repartir l'économie, tout en tenant compte, selon lui, des recommandations de la santé publique.

En fait, la décision de commencer le « déconfinement » de l'Ontario n'était pas conforme aux critères minimaux établis par le premier ministre lui-même il y quelques semaines à peine, soit de faire en sorte de constamment « aplanir la courbe » des nouvelles infections de la COVID-19. Ceci était absent de l'annonce du premier ministre sur la « réouverture » et, dix jours plus tard, l'Ontario annonçait toujours de 300 à 400 nouveaux cas par jour ! L'Ontario est toujours loin d'avoir atteint sa capacité de dépistage pour l'infection de la COVID-19 et, par décision, ne teste même pas les personnes asymptomatiques. Un spécialiste des maladies infectieuses, Zain Chagla, du Centre de santé St-Joseph à Hamilton et professeur associé à l'Université McMaster, a dit récemment que pour que l'Ontario puisse émuler la Corée du Sud, elle devrait faire des investissements supplémentaires « de l'ordre de dizaines de millions de dollars pour atteindre une même capacité de dépistage par tests ».

Il en va de même au niveau national. Le président de l'Association médicale canadienne (AMC), le docteur Sandy Buchman, a dit récemment que le pays n'est pas prêt à faire face à la possibilité d'une deuxième vague de la COVID-19. « À mon avis », a-t-il dit, « le système de santé publique est à un point de rupture à cause des pénuries d'équipement de protection individuelle (ÉPI) et de l'épuisement des médecins, et les conséquences pourraient être catastrophiques s'il y avait une recrudescence de cas de la COVID-19 à l'automne ». Buchman a dit qu'il y avait un « besoin urgent » de consolider la capacité du système de santé public de faire davantage de tests et de traçage de contacts.

Les organisations d'infirmières ont averti les autorités provinciales dès janvier que le système de santé public était très mal préparé à une recrudescence de la demande qu'une pandémie de la COVID-19 pouvait créer. Elles ont souligné les pénuries de personnel dans les établissements de soins de longue durée, la nécessité d'équipement de protection individuelle dans les hôpitaux et les résidences de soins de longue durée. Ces travailleuses de première ligne n'ont toujours pas l'ÉPI dont elles ont besoin.

La deuxième phase n'est pas différente. À la conférence de presse sur la « réouverture », la ministre du Transport de l'Ontario Caroline Mulroney a parlé à tort et à travers en prétendant que le transport en commun était « crucial pour appuyer l'économie... alors que la province commence à repartir » et que « la santé et le bien-être de tous les travailleurs du transport en commun sont une priorité absolue ». Mais à quoi riment ces phrases creuses en l'absence de mesures concrètes pour protéger la santé publique et la sécurité dans l'utilisation du transport en commun ?

Par exemple, Carlos Santos, le président de la section locale 113 du Syndicat uni du transport (SUT) qui représente les travailleurs du transport en commun de la région de Toronto et de York, a dit regretter que le gouvernement provincial n'ait pas traité de la nécessité d'investissements sociaux requis pour préserver la sécurité du transport en commun pendant la deuxième phase. Il a demandé : « Comment les municipalités vont-elles payer pour les mesures supplémentaires pour protéger les travailleurs et les passagers du transport en commun ? Sans fonds d'urgence de la province ni du gouvernement fédéral, il sera tout à fait impossible de maintenir les niveaux de services requis à la Société des transports de Toronto (TTC) dans le transport en commun pour répondre à l'augmentation des passagers et pour assurer la distanciation sociale. À Toronto, près de 1200 travailleurs du transport en commun ont été mis à pied et le service a été réduit pendant le confinement. « Toronto doit pouvoir compter sur le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral pour qu'ils interviennent et soutiennent le transport en commun avec des fonds d'urgence », a dit Santos.

Donc, prêt pas prêt, la deuxième phase de la lutte contre la pandémie de la COVID-19 est en cours. La science n'est pas le guide à l'action en ce qui concerne les preneurs de décisions. La classe ouvrière est marginalisée face à la prise de décision. Il faut créer les conditions pour l'activation du facteur humain/conscience sociale, faire en sorte que la classe ouvrière soit à la tête du travail pour élaborer comment les problèmes de sortir du confinement se posent, comment élaborer et mettre en oeuvre des mesures qui permettent à la société d'avancer, en protégeant la santé et le bien-être du peuple, de son économie et de sa société. Ces enjeux sont à l'ordre du jour et c'est ce qui nous permet d'aller au-delà de la « vieille normalité » que la pandémie a révélée comme étant un désastre total.

Haut de page


Des attaques inacceptables contre les droits des travailleurs

Le gouvernement de l'Alberta adopte la Loi 1, Loi sur la défense des infrastructures essentielles

Le premier point à l'ordre du jour du gouvernement Kenney, lorsque la législature albertaine a repris ses travaux le 27 mai, était le projet de loi 1, la Loi sur la défense des infrastructures essentielles. La Loi a été adoptée le jour suivant.

La Loi donne au gouvernement et aux pouvoirs de police arbitraires le pouvoir d'attaquer les femmes, les jeunes, les aînés, les autochtones et tous ceux qui affirment leurs droits et mettent de l'avant leurs réclamations. La Loi 1 érige en infraction le fait d'« obstruer, interrompre ou entraver de manière délibérée, sans droit, justification ou excuse légaux, la construction, l'entretien, l'utilisation ou l'exploitation de toute infrastructure essentielle d'une façon qui rend cette infrastructure dangereuse, inutile, inopérante ou inefficace ».

Elle érige aussi en infraction le fait d'aider, de conseiller ou d'ordonner à une autre personne de commettre une infraction en vertu de cette loi, que l'autre personne commette l'infraction ou non. Il est aussi considéré comme une infraction d'entrer dans une infrastructure essentielle en ayant obtenu la permission de le faire sur la base de prétextes. Tout ceci crée une infraction qui est si vaste qu'elle peut comprendre à peu près n'importe quoi, et c'est d'ailleurs là son intention.

En plus d'une longue liste d'« infrastructures essentielles » qui comprennent les pipelines, les raffineries et les sites de production et d'exploitation des produits gaziers et pétroliers, les mines, les installations énergétiques, les autoroutes, les chemins de fer, les télécommunications, les sites agricoles, et le territoire sur lequel l'infrastructure est située, la Loi définit aussi l' « infrastructure essentielle » comme « un édifice, une structure, un équipement, ou toute autre chose prescrite par réglementation ». Les règlements sont mis en place en vertu des pouvoirs de prérogative ou de police de l'exécutif et peuvent être changés en tout temps par une décision exécutive. Autrement dit, l'« infrastructure essentielle » est tout ce que le gouvernement déclare être une infrastructure essentielle, et cela comprend l'espace public. En vertu de cette loi, la police peut procéder à des arrestations sans obtenir un mandat ou une injonction.

La Loi 1 prévoit des amendes s'élevant jusqu'à 10 000 $ pour une première infraction, puis 25 000 $ pour des infractions conséquentes, plus une peine de prison pouvant atteindre six mois, et des amendes s'élevant jusqu'à 200 000 $ pour « des entreprises qui aident ou dirigent les intrus ». Chaque jour qu'il y a « contravention » constitue une nouvelle infraction.

La Loi a suscité de nombreuses critiques de la part des peuples autochtones, des travailleurs et de leurs organisations, des organisations des droits humains, des experts juridiques et de plusieurs autres personnes, et la prétention du gouvernement qu'il « défend la loi et l'ordre » a été reçue avec le mépris qu'elle mérite.

Le projet de loi 1 avait été présenté le 25 février, tout de suite après le discours du Trône, et le gouvernement avait attaqué ceux qui appuyaient les Wet'suwet'en et les avait blâmés pour tous les problèmes de l'économie albertaine. Le premier ministre Kenney et d'autres ont qualifié les défenseurs de la terre de « voyous » et d'« écoterroristes » à un moment donné, et d'« enfants gâtés » et de « protestataires professionnels » à un autre moment.

En présentant le projet de loi en février, le ministre de la Justice de l'Alberta, Doug Schweitzer, avait dit : « Ces dernières semaines, nous avons été témoins d'un non-respect de la loi croissant au pays, qui a paralysé nos lignes de chemin de fer. C'est totalement inacceptable. Cela tourne en dérision notre pays fondé démocratiquement. Nous entrons maintenant en action d'une façon décisive en réponse à cette situation. »

Aucune déclaration de cette nature n'a été faite au sujet de la négligence du CN et du CP et du nombre croissant d'accidents ferroviaires au Canada, 1 170 accidents uniquement en 2018, ce qui a causé non seulement des perturbations temporaires du système ferroviaire, mais également la mort de travailleurs du rail. La loi et l'ordre ne s'appliquent pas aux oligarques de l'énergie quand il est question d'atténuer les dommages qu'ils causent à l'environnement. La pandémie est même devenue un prétexte à la suspension de l'ensemble du régime réglementaire qui gouverne les opérations des entreprises de pétrole et de gaz. L'état de droit n'existe pas lorsque les gouvernements agissent comme si le droit autochtone a été éteint, violent les traités par lesquels les peuples autochtones ont accepté de partager le territoire sur une base de nation à nation et refusent de reconnaître les obligations du Canada en vertu du droit international.


Manifestation des travailleurs du secteur public de l'Alberta, le 20 novembre 2019, contre le saccage néolibéral par le gouvernement des services publics

La Loi 1 vise aussi les travailleurs qui défendent leurs droits en faisant la grève et elle vise la résistance contre l'offensive antisociale et la position unie et le Non ! des travailleurs du secteur public que le gouvernement qualifie aujourd'hui de héros et qu'il va jeter à la rue plus tard. La Loi vise les travailleurs qui défendent leurs lignes de piquetage, lesquelles sont déjà limitées par des injonctions et d'autres moyens pour les rendre inefficaces. La Loi 1 augmente l'arsenal qui est utilisé pour imposer de lourdes amendes aux syndicats qui soutiennent le droit des travailleurs de déterminer les salaires et les conditions de travail qu'ils jugent acceptables.

Les ressources qui sont à la disposition de l'État proviennent de la valeur que créent les travailleurs. Au lieu d'être utilisées d'une façon qui bénéficie au peuple, elles sont utilisées pour imposer le diktat des riches. La nation crie du lac Beaver (BLCN) est devant les tribunaux une fois de plus parce que les gouvernements fédéral et albertain ont interjeté appel d'une décision d'une cour inférieure de verser des fonds à la BLCN pour lui permettre de poursuivre son action en justice visant à faire reconnaître que les instances réglementaires doivent tenir compte des impacts cumulatifs du développement sur leurs territoires traditionnels. Cela fait 12 ans que la BLCN a intenté son action en justice et les gouvernements ont essayé depuis le début de la bloquer et d'épuiser ses ressources financières. Des amendes s'élevant à des centaines de milliers de dollars sont imposées aux syndicats qui défendent le droit de leurs membres de déterminer les salaires et les conditions de travail qu'ils jugent acceptables, et des lois injustes sont utilisées qui criminalisent les actions collectives des travailleurs. La Loi 1 illustre ce que le gouvernement veut dire lorsqu'il déclare qu'il fera « tout ce qui est nécessaire » pour défendre les intérêts des oligarques de l'énergie et elle démontre que le gouvernement a perdu toute prétention à la légitimité. Tout ce qui reste de l'autorité publique, c'est le recours aux pouvoirs de police pour mettre en oeuvre le diktat des riches, peu importe les conséquences.

On qualifie peut-être ceci d'« état de droit » mais il n'en est rien. Il y a déjà une série de contestations de la Loi 1 pour la déclarer illégale et une violation de la Charte ou du droit civil de liberté d'expression et de liberté d'association. Elle sera certainement contestée par ceux qui sont en action pour défendre leurs droits humains et leurs droits civils. Lorsque les lois ne reconnaissent pas les droits qui appartiennent aux personnes en vertu de leur être, y compris les droits souverains des peuples autochtones et les droits des travailleurs en tant que producteurs de toute valeur sociale, cela crée un sérieux problème. Ce refus crée un conflit entre l'autorité et les conditions modernes. Il s'agit-là d'un sérieux problème auquel le peuple et la société font face, auquel on doit s'attaquer et qu'il faut résoudre. Ce problème ne peut pas être résolu par le recours à la force et la violence au nom de la « loi et l'ordre ».

Il est possible que cette loi soit déclarée inconstitutionnelle, et elle est certainement une violation du concept moderne de l'objectif d'une loi, qui est de servir la cause de la justice. Lorsqu'une loi n'est pas considérée comme étant juste et qu'elle est imposée au moyen de pouvoirs arbitraires dans le but de menacer, d'intimider et de criminaliser ceux qui défendent leurs droits et les droits de tous, elle ne peut pas être déclarée une expression de l'état de droit.

Le besoin du renouveau démocratique pour donner au peuple son mot décisif dans la gouvernance et pour des relations de nation à nation entre le Canada et les peuples autochtones n'a jamais été aussi urgent. La Loi 1 doit être abrogée !

Notre sécurité est dans la lutte pour les droits de tous !

Haut de page


Lettre à la rédaction d'un travailleur
de la métallurgie de l'Abitibi

Je pense que le gouvernement et les employeurs profitent de la crise de la COVID-19 pour essayer d'affaiblir le mouvement syndical. On le voit avec les infirmières et tout le personnel de la santé. C'est désolant de voir que le gouvernement se donne le droit d'annuler leurs conventions collectives et de changer unilatéralement leurs conditions de travail. Je sympathise beaucoup avec eux. La situation des infirmières est très difficile, elles travaillent d'arrache-pied, elles nous protègent, elles font un travail remarquable et pourtant le gouvernement ne prend pas leur situation au sérieux. Le temps supplémentaire obligatoire en 2020, c'est impensable. C'est impensable aussi que ceux qui font le travail n'ont pas leur mot à dire sur les conditions de travail qui doivent exister et reçoivent des avis disciplinaires quand ils dénoncent des situations dangereuses. Il y a des cas où une planification d'avance a été faite et des ententes ont été faites avec les infirmières pour respecter leurs droits et leurs conditions et lutter contre la pandémie. Donc c'est possible. Le gouvernement les appelle des anges gardiens, comme si elles étaient bénies et protégées des maladies et des tragédies qui peuvent survenir, mais ce n'est pas le cas. Ce sont des travailleurs et des travailleuses en chair et en os qui doivent être respectés.

Quand le gouvernement fait ses conférences quotidiennes sur la pandémie, il dit que les choses vont bien, que la situation est sous contrôle, que tout le monde a les équipements de protection individuelle nécessaires, mais la réalité sur le terrain est bien différente, et pas seulement dans le domaine de la santé. Le gouvernement est déconnecté des conditions de travail réelles. Les conditions de travail ont été gagnées par les travailleurs à la sueur de leur front et il y en a qui ont donné leur vie pour nous donner les conditions que nous avons maintenant. Ce sont nos parents et nos grands-parents qui nous ont donné ces conditions. On n'a pas oublié que pendant le lockout des travailleurs d'ABI, le premier ministre Legault ne s'est pas mêlé de ses affaires et a publiquement accusé les travailleurs d'ABI d'être des enfants gâtés pour appuyer les attaques contre leurs conditions de travail.

Cette situation n'existe pas seulement dans le domaine de la santé. À l'heure actuelle, le gouvernement et des employeurs de la construction essaient de reporter les vacances des travailleurs de la construction. Il y a eu une levée de boucliers là-dessus par les travailleurs de la construction et la situation n'est pas encore réglée à ce que je sache. Il faut que tous les travailleurs veillent au grain parce que sinon des choses encore plus inacceptables vont être faites contre nous.

En terminant, je veux dire que vos articles qui défendent les droits des travailleurs sont très utiles parce qu'ils donnent une information crédible. On n'est pas gêné de partager ces articles avec d'autres. Ils se basent sur ce qui se passe sur le terrain et sur ce que les travailleurs qui sont au front vivent. C'est au front qu'on trouve la vérité.

Haut de page


Des manifestations militantes au Québec contre des ordonnances ministérielles inacceptables


La FIQ organise un camp devant l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal le 2 juin 2020.

Les travailleurs et les travailleuses de la santé et des services sociaux continuent de tenir des manifestations contre les arrêtés ministériels de l'exécutif gouvernemental au Québec qui donnent plein pouvoir à la ministre et aux administrations d'annuler les conventions collectives négociées et de modifier unilatéralement les conditions de travail dans le secteur. L'outrage de qualifier les membres du personnel d'« anges gardiens », tout en niant leurs droits et en les considérant comme une sorte de chair à canon qui doit simplement obéir et peut-être même mourir en vertu d'ordres au sujet desquels ils n'ont pas voix au chapitre, est un sujet de grande préoccupation pour tous les travailleurs.

En ce moment, les manifestations se concentrent beaucoup sur la question des vacances alors que l'été approche, que les travailleurs du secteur sont épuisés, qu'on entend beaucoup parler d'une possible deuxième vague de la COVID-19 dans les mois qui viennent et que les administrations exercent des pressions multiples pour annuler et reporter des vacances et des congés.

Le 2 juin, la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec - FIQ a inauguré un camping de deux jours devant l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal pour protester contre les employeurs de la santé qui s'appuient sur l'ordonnance ministérielle du gouvernement pour refuser de reconnaître aux professionnelles en soins leur droit aux vacances tel que prévu dans leur convention collective. Le thème de l'action est « Camping forcé : c'est ici qu'on passe l'été ».

Les membres de la FIQ demandent aux employeurs de s'entendre avec leur syndicat local sur les modalités des vacances. En entrevue le 2 juin, Nancy Bédard, la présidente de la FIQ, a dit que sept CISSS ou CIUSSS au Québec ne se sont toujours pas entendus avec leur syndicat respectif de la FIQ sur la prise de vacances.

« Les professionnelles doivent avoir du repos partout au Québec, c'est une priorité pour soigner nos patient-e-s et pour continuer de lutter contre la pandémie de COVID-19. Il est plus que temps que ces employeurs récalcitrants se mettent en action ! Quand on prend le temps de s'asseoir, on trouve des solutions sans avoir recours aux arrêtés ministériels. Les professionnelles en soins, qui sont au combat depuis près de trois mois, doivent avoir ce moment de répit, car il en va de leur santé physique et mentale. Ce repos sera bénéfique autant pour elles que pour l'ensemble des patient-e-s », a dit Nancy Bédard dans le communiqué de presse du 2 juin de la FIQ.

Le 28 mai, les plus de 6 200 travailleurs et travailleuses du CISSS des Laurentides, membres du Syndicat des travailleuses et des travailleurs des Laurentides en santé et services sociaux - CSN ont entrepris des manifestations quotidiennes devant les différents établissements du CISSS pour exiger une confirmation que leurs vacances vont être respectées.

Dans son communiqué de presse du 28 mai, le syndicat indique que la direction du CISSS utilise l'arrêté ministériel imposé par le gouvernement Legault, le 21 mars dernier, pour restreindre l'accès aux congés et aux vacances. Selon le syndicat, les administrateurs utilisent l'arrêté pour reporter et monnayer une partie des congés et des vacances du personnel. Il met en garde le CISSS contre cette pratique et demande à la présidente-directrice générale de donner le signal que les vacances seront respectées.

« Alors que le personnel était déjà épuisé avant l'arrivée de la pandémie, il faut tout faire pour éviter que les travailleuses et travailleurs tombent au combat. Nous invitons la population de la région à appuyer les anges gardiens et à montrer leur appui dans les prochains jours en klaxonnant. Votre appui peut faire la différence », écrit Dominic Presseault, le président du STTLSSS - CSN.

Également le 28 mai, les quatre syndicats du CISSS de la Montérégie-Ouest (CISSSMO) ont organisé une manifestation afin de réclamer du répit et une normalisation de leurs conditions de travail. Dans un communiqué de presse, les syndicats écrivent que pour le personnel du CISSSMO, la crise de la COVID-19 « sape dangereusement un édifice déjà gravement fragilisé par des années de compressions et de restructuration ». 

Les quatre syndicats sont la section locale 3247 du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), l'exécutif local de l'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), la FIQ-Syndicat des professionnelles en soins de Montérégie-Ouest et le Syndicat des travailleuses et travailleurs du CISSSMO-Estrie-CSN.

La manifestation a pris la forme d'un convoi de voitures qui a emprunté plusieurs grandes artères couvertes par le CISSS.

« Depuis le mois de mars, les arrêtés ministériels et les gestionnaires ont, notamment, chamboulé les horaires et les assignations, allongé les heures de travail et les déplacements pour se rendre au travail, déplacé du personnel dans des résidences et des CHSLD privés complètement désorganisés, annulé des vacances et des congés, etc. », lit-on dans le communiqué. « Ces difficultés se sont conjuguées à de grands défis comme la garde des enfants et l'application des mesures de protection sanitaire. Pour pouvoir tenir le coup d'ici à la prochaine vague de contamination, les travailleuses et travailleurs réclament du répit. »

Le communiqué souligne que les travailleurs et travailleuses du CISSSMO réclament que les gestionnaires collaborent avec eux pour évaluer les besoins réels en personnel, trouver des solutions et alléger le fardeau et qu'ils écoutent leur voix au lieu de se faire l'instrument du diktat ministériel.

Haut de page


Des mesures concrètes sont nécessaires pour défendre les droits
des plus vulnérables

Un financement adéquat des services d'aide
aux femmes vulnérables

Les organismes communautaires qui oeuvrent auprès des femmes démunies et violentées sont confrontés à de nombreux obstacles pour répondre à leurs besoins dans ce temps de pandémie. Ils veulent rompre avec la position de quémandeurs dans laquelle le gouvernement les place et demandent des fonds récurrents en cette période et en tout temps.

Depuis plusieurs semaines, le gouvernement diffuse régulièrement des annonces à la télévision pour dire que les femmes ne doivent pas accepter la violence et qu'il y a de l'aide possible. C'est un double discours quand on regarde les difficultés des groupes d'aide qui manquent de ressources. Forum ouvrier a interviewé Jennie-Laure Sully qui oeuvre au sein de la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle (CLES) pour briser le silence sur leurs conditions de travail pour assurer de répondre aux besoins des femmes qu'elle dessert.

Forum ouvrier : Peux-tu nous parler de votre organisme et des défis rencontrés avec la pandémie ?

Jennie-Laure Sully : Le travail de la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle (CLES) a trois principaux volets : les services aux femmes qui ont un vécu dans l'industrie du sexe et leurs proches, la sensibilisation et la formation, et l'action politique.

Au début de la pandémie, nous avons écrit au ministère de la Santé et des Services sociaux pour que notre organisme soit reconnu comme service essentiel. C'était important pour nous cette reconnaissance comme service essentiel, car les besoins des femmes en situation de prostitution et la nécessité d'y répondre se sont amplifiées. En effet, les femmes exploitées sexuellement avaient déjà des difficultés à se trouver un logement sécuritaire, de l'aide alimentaire, des soins de santé mentale et physique avant la pandémie, et cela a empiré.

Au niveau du travail à faire, on fait souvent la liaison entre les femmes et les services gouvernementaux comme l'aide sociale. On aide les femmes à obtenir l'aide financière ou les indemnisations auxquelles elles ont droit en tant que victimes d'actes criminels.

La CLES est basée à Montréal, et on a des organisations membres dont une majorité sont les centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) et il y en a partout au Québec. Alors nous sommes reconnus comme un organisme national. Ce sont des organismes qui interviennent en matière de violence envers les femmes : agression sexuelle, inceste, exploitation sexuelle, violence conjugale. Cela fait partie du continuum des violences. Par exemple, une jeune fille qui a vécu l'inceste dans son enfance a plus de chance d'être victime d'exploitation sexuelle à son adolescence.

En parlant avec les CALACS au Québec, on a appris que les groupes devraient recevoir entre 30 000 à 45 000 $ comme montants d'urgence. Il y avait une crainte du point de vue du gouvernement que ces femmes se retrouvent à la rue et donc que le confinement ne soit pas respecté. Par exemple, si vous ne trouvez pas de place en hébergement pour des femmes, pas de place au Y des femmes, dans les refuges, alors les fonds reçus peuvent servir à lui payer l'hôtel. On regarde toutes les options pour s'assurer qu'elles ne se retrouvent pas à la rue.

Les femmes sans statut sont particulièrement touchées par toutes les formes d'exploitation, y compris l'exploitation sexuelle. Un exemple récent auquel nous avons eu à faire face à la CLES : une femme sans statut qui s'est retrouvée dans une situation de traite. Ces cas-là ne sont généralement pas signalés. On a des personnes qui fuient leur pays d'origine à cause de nos politiques internationales et qui se retrouvent ici sans statut et à risque d'être exploitées. Il faut reconnaître que parmi les personnes qui ont fait des demandes d'asile, les besoins sont encore plus criants en temps de pandémie.

Avant la pandémie, on organisait des groupes de soutien, des femmes venaient dans nos locaux. On pouvait accueillir 8-10 femmes à la fois. Et cela était très important pour briser l'isolement. Un des besoins numéro 1 qu'elles nomment, c'est justement le besoin de briser leur isolement, de surmonter la stigmatisation, ne plus se sentir seule au monde. Maintenant, on ne peut plus les accueillir et c'est un problème majeur. On a organisé des groupes de soutien virtuels par des vidéos sur Messenger, Face Time, Zoom et Skype. On a tout essayé pour garder ce contact visuel, pour leur faire savoir qu'elles ne sont pas seules, qu'il y a d'autres femmes qui vivent des difficultés et qu'ensemble on va s'en sortir. Mais là ce qui nous est dit par les femmes avec qui nous sommes en contact ou par téléphone, ou par Skype, c'est qu'elles vivent encore plus de précarité.

FO : Peux-tu nous parler du financement et des difficultés que vous rencontrez actuellement ?

JLS : En fait, comme d'autres organismes communautaires, nous sommes déjà sous financés. Il y a le Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) qui déjà est en deçà de ce qu'il nous faut pour fonctionner de manière à réellement aider les femmes à se sortir de leur situation. Ce qu'ils font généralement, c'est éparpiller les subventions sur l'ensemble des organismes communautaires sans tenir compte de la mission de chaque organisme. Souvent, cela nous met dans une situation où nous devons répondre à des appels de projet pour obtenir la subvention et cela nous met pratiquement en concurrence avec d'autres organismes.

La revendication de tous les organismes communautaires est d'avoir des montants récurrents, un financement à but non lucratif. Chaque année, nous sommes obligés de demander que le financement du PSOC soit augmenté parce qu'en faisant le budget, nous constatons que le montant reçu ne couvre que notre loyer. Nous sommes toujours obligées de quémander, de prouver note raison d'être.

FO : Vous avez, avec tous vos efforts, réussi à obtenir des fonds spécifiques du gouvernement durant la pandémie. Peux-tu nous en parler ?

JLS : Pour faire pression, on s'est mis à envoyer des courriels, à faire des appels afin d'insister notamment sur l'importance d'un programme pour sortir de la prostitution. Nous avons parlé avec le Secrétariat à la condition féminine du Québec, avec Condition féminine Canada, et contacté Centraide, nos différents paliers de gouvernement, et là nous avons senti une volonté et, tout à coup, il y a eu de l'argent ! Au début avril, il y a des sommes d'argent qui ont été débloquées pour l'aide d'urgence aux femmes. C'est ce qui nous a permis d'acheter des cartes d'épicerie, de pharmacie, des cartes visas et Mastercard prépayées pour donner aux femmes. Cela leur permet de payer l'épicerie et toutes sortes de dépenses.

Plusieurs femmes qui sont encore dans l'industrie du sexe ont moins d'entrées d'argent ou vivent des risques accrus pour conserver les mêmes entrées d'argent ; plusieurs qui étaient en train de s'en sortir et avaient trouvé des emplois dans des petits commerces comme des restaurants ou des boutiques ont perdu leur emploi ; il y en a beaucoup qui n'ont pas droit à l'aide sociale et aux autres mesures de dernier recours. Le gouvernement a dit qu'il allait débloquer des milliers de dollars pour les maisons d'hébergement pour femmes parce qu'il y a des situations de violence conjugale accrue.

L'argent reçu doit vraiment aller à l'aide d'urgence pour les femmes, mais ce n'est pas suffisant. Nous avons dû fait un appel aux dons. Mais ce qu'on dit c'est que - et cela n'est pas juste lié à la période de la pandémie - nous on veut que les femmes aient des alternatives, à court, moyen et long terme. Il faut donc qu'il y ait des programmes pour sortir les femmes de la prostitution. C'est cela le plus important et cela doit être en tout temps, pas juste à cause de la pandémie. Nous demandons des programmes pour les femmes qui veulent sortir de la prostitution, pour de l'aide au logement, l'aide pour un retour à l'école, l'aide au niveau de la santé physique et mentale. C'est tout cela.

FO : Quels autres problèmes confrontez-vous ?

JLS : La situation est qu'il n'y a pas suffisamment de place et de ressources pour combattre ce problème de la violence. Ce sont les mêmes revendications partout : accès à la santé, au logement, etc. Une autre chose qu'ils font, c'est de négliger tout l'aspect de la santé mentale. C'est très problématique. On a appris qu'il y a un groupe de psychologues qui se sont regroupés pour offrir de l'aide dans le cadre de la pandémie et le gouvernement l'a refusé. C'est une vision fragmentée de la santé et ce n'est pas efficace.

De l'argent sera donné aux entreprises. Mais sur quelle base ? Est-ce acceptable que de vastes sommes d'argent venant des contribuables soient données à toutes les entreprises sans exception ? Les contribuables sont-ils d'accord pour renflouer le secteur financier, l'industrie de l'armement et d'autres industries non essentielles ou carrément nocives ? Par exemple, en temps normal, la Banque de développement canadienne ne fait pas de prêt à l'industrie du sexe ni au secteur du jeu et des alcools. Mais là, en temps de pandémie, l'industrie du sexe peut recevoir des prêts sans intérêt. Cela inclut les agences d'escorte, des sites où il y a de la traite, toutes ces entreprises sont considérées éligibles en ce moment alors que des organismes communautaires se font couper leurs subventions destinées à aider les femmes exploitées sexuellement à sortir de l'industrie du sexe. Est-ce le choix de société que nous voulons faire ? La prostitution n'est pas un filet social ! En tant que société, nous devons cesser d'entériner le droit des hommes à acheter l'accès aux corps et à la sexualité des femmes. Il faut résolument affirmer que toute personne a le droit de ne pas être prostituée pour vivre.

Haut de page


Le droit des personnes assistées sociales
à un revenu décent

Les personnes assistées sociales sont parmi les plus vulnérables de la société et elles mènent depuis près de 50 ans une lutte inlassable pour la pleine reconnaissance de leurs droits. Plus de 272 680 ménages sont prestataires des programmes d'assistance sociale au Québec et ceux-ci doivent composer avec la brutalité de l'offensive antisociale.

La situation s'est aggravée avec la pandémie et le confinement recommandé par les autorités publiques. Le confinement relève de l'utopie pour les personnes à faible revenu qui doivent se rendre dans les banques alimentaires encore ouvertes et faire la course aux spéciaux dans plusieurs épiceries différentes pour se nourrir. Les déplacements essentiels se multiplient quand on ne peut pas stocker la nourriture. Les gens se mettent malgré eux en danger d'attraper la COVID-19 et de la propager, alors qu'elles font partie d'une population à risque. Ils doivent se déplacer davantage, prendre l'autobus. C'est ainsi qu'est la vie sur l'assistance sociale.

Quatre-vingt groupes de la société civile ont joint leur voix au Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ) pour demander un soutien suffisant pour aider les personnes sans emploi à faire face à la crise et plus spécifiquement en cette période austère et critique de pandémie. Avec la tenue de la 47e Semaine de la dignité des personnes assistées sociales au Québec qui s'est tenue du 4 au 8 mai 2020, ces demandes ont été réitérées. Ils ont organisé des activités en ligne, lancé une vidéo dénonçant la situation, préparé des vignettes de témoignages, panels et bien d'autres activités.

Les personnes assistées sociales reçoivent un revenu de survie avec 690 $ par mois, alors que le gouvernement fédéral fixe le montant nécessaire pour bien se protéger à 2000 $ par mois. Le gouvernement a remis des fonds aux banques alimentaires, mais cela ne règle en rien la situation d'extrême pauvreté vécue par les personnes assistées sociales. Selon la Mesure du panier de consommation (MPC), le montant nécessaire pour couvrir minimalement ses besoins de base a été fixé, pour une personne seule habitant à Montréal en 2019, à 18 424 $ par année. Le 690 $ que reçoivent les personnes assistées sociales est bien en dessous de cela.

À Montréal, le taux de résidents vivants sous le seuil de la pauvreté est de 29 %, selon les chiffres avancés par la ville de Montréal en 2019. Ce nombre est plus élevé que dans les autres villes canadiennes, devant Vancouver (27 %), Toronto (25 %) et Calgary (14 %). Ainsi, 16,2 % de la population montréalaise de plus de 12 ans est aux prises avec l'insécurité alimentaire. Qui plus est, les jeunes de 12 à 39 ans sont les plus touchés, et particulièrement les 30 à 39 ans. En conséquence, un nombre sans cesse grandissant de gens ont recours aux banques alimentaires.

La dernière attaque est venue du gouvernement libéral de Philippe Couillard avec le programme Objectif emploi mis de l'avant le 1er avril 2018 et qui incite les nouveaux prestataires de l'aide sociale à entreprendre des démarches pour se trouver un emploi. Ceux qui acceptent d'y participer sont récompensés par une hausse de leur prestation de 240 $ par mois, alors que des pénalités pouvant atteindre 224 $ sont prévues pour ceux qui refusent de s'engager. Le programme controversé a été dénoncé dès son lancement par les prestataires, les groupes communautaires ainsi que les fonctionnaires.

Jusqu'à maintenant, le gouvernement Legault n'a annoncé aucune aide pour les personnes assistées sociales, ce qui est inacceptable. Maintenant que le déconfinement est à l'horizon, loin de se laisser abattre, les personnes assistées sociales regroupées dans leur collectif poursuivent leur lutte pour la pleine reconnaissance de leurs droits.

Un revenu décent pour tous et toutes !

Haut de page


(Pour voir les articles individuellement, cliquer sur le titre de l'article.)

PDF

NUMÉROS PRÉCÉDENTS | ACCUEIL

Site web:  www.pccml.ca   Courriel: forumouvrier@cpcml.ca