Le Marxiste-Léniniste

Supplément

Numéro 2422 juin 2019

D'importants anniversaires

Journée de célébrations des peuples autochtones


CALENDRIER D'ÉVÉNEMENTS

24 juin
La Fête nationale du Québec remonte à 1834

La signification d'une déclaration historique


23 juin
29e anniversaire de la défaite de l'Accord de Meech

Le renouveau démocratique demeure à l'ordre du jour


1er mai-25 juin
100e anniversaire de la Grève générale de Winnipeg

Fière histoire de résistance organisée et de défense
des droits des travailleurs canadiens

- Dougal MacDonald -


19 juin
Jour de l'émancipation aux États-Unis

Le Congrès tient des audiences sur les indemnisations

Réparation veut dire entière réparation pour 400 années
de terreur et autres crimes odieux
- La Coalition nationale des Noirs pour des réparations
en Amérique (N'COBRA) -



D'importants anniversaires
24 juin
La Fête nationale du Québec remonte à 1834

La signification d'une déclaration historique

Le 24 juin, le peuple québécois célèbre sa fête nationale inaugurée en 1834 par le patriote québécois Ludger Duvernay et les membres de la société nommée « Aide-toi, le ciel t'aidera ». Duvernay était également le rédacteur et l'éditeur du journal patriote La Minerve. Celle-ci avait été fondée le 8 mars de la même année avec comme objectif de « se doter d'un lieu de réflexion désigné pour discuter de l'état du pays » et « de ranimer le feu sacré de l'amour de la patrie, soit en éclairant la conduite de nos gouvernants, soit en accordant un juste tribut de louanges aux éloquents et braves défenseurs de nos droits ».

C'est cette société qui organisa, le 24 juin 1834, le banquet dans le jardin de l'avocat MacDonnell pour instituer la fête nationale des Canadiens de toutes origines. Aujourd'hui, nous disons des Québécois de toutes origines. Ce fut la première célébration tenue par le peuple de la nation naissante du Québec, où Duvernay, les patriotes, les députés patriotes et leur parti, le Parti patriote, reconnaissaient le peuple en tant que « source primitive de toute autorité légitime ». Ils reconnaissaient donc la souveraineté du peuple.


  Le 24 juin 1834, Ludger Duvernay et les membres de la société « Aide-toi, le ciel t'aidera » inaugurent le 24 juin aujourd'hui fête nationale du Québec. (mnq.quebec)

Cette célébration nationale inaugurée par Ludger Duvernay et les députés du Parti patriote tombait le même jour que la fête de la Saint-Jean Baptiste mais les deux événements étaient très différents. En fait, la fête de la Saint-Jean Baptiste avait été créée il y a fort longtemps par le roi de France et le haut clergé catholique dans les colonies de l'empire de la France pour s'opposer à la fête civile du solstice d'été le 21 juin, que célèbrent les nations autochtones.

Avec le Concile de Trente (1545-1563), l'Église avait tenté de christianiser cette coutume de la célébration de la lumière autour d'un grand feu de joie pour lui substituer une représentation de soumission en la personne de Saint Jean, « l'agneau de Dieu ». Dans cette même lignée, en 1702, monseigneur de Saint-Vallier, dans son Catéchisme du diocèse de Québec à l'intention des Canadiens, signalait que l'Église catholique au Nouveau Monde (entendre dans les colonies de l'empire français) dit qu'il s'agit d'une cérémonie parfaite pourvu qu'on en bannisse les danses et les superstitions, sous-entendues les croyances des nations autochtones. Et ce n'est qu'en 1908 que le pape Pie X, supportant la division du peuple canadien en soi-disant « Canadiens-français » et « Canadiens-anglais » que voulait imposer l'empire britannique, décréta saint Jean Baptiste patron des « Canadiens-français ». Enfin, ce fut lors des fêtes nationales du peuple québécois le 24 juin de 1968 et 1969, en pleine période de résurgence du mouvement pour l'indépendance du Québec et de la souveraineté du peuple, que le symbole de la division et de la soumission fut écarté de la scène et que le peuple dansa autour d'un grand feu de joie.

Il est intéressant de noter qu'aujourd'hui, le 21 juin, lors de la Journée nationale des peuples autochtones est organisé le « Solstice des Nations, une manifestation d'échange et d'amitié entre les nations qui peuplent le Québec ». À cette occasion, les nations autochtones organisent la « Cérémonie du feu pour le rapprochement des peuples vivant sur le territoire québécois » afin que « les braises de ce feu allument le feu de joie du Grand spectacle de la Fête nationale du Québec, sur les plaines d'Abraham ».

La célébration de la fête nationale du peuple du Québec inclut la célébration des patriotes qui ont lutté pour l'indépendance face à l'Angleterre au milieu du 19e siècle, les Nelson, De Lorimier, Côté, Chénier, Duvernay, O'Callaghan, et plusieurs autres, qui ont combattu pour une patrie indépendante et une république qui investit le peuple de la souveraineté. Elle inclut la célébration de tous ceux qui ont épousé la cause des patriotes du Québec et en particulier ceux qui sont résolus à élaborer un projet d'édification nationale conforme aux exigences de notre temps.

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23 juin
29e anniversaire de la défaite de l'Accord de Meech

Le renouveau démocratique demeure à l'ordre du jour

Manifestation contre l'Accord du lac Meech devant l'assemblée législative
du Manitoba le 21 juin 1999

Le 23 juin 1990 échouait l'Accord du lac Meech, un ensemble d'amendements à la Constitution du Canada négocié en 1987 derrière des portes closes par le premier ministre du Canada, Brian Mulroney, et les premiers ministres des provinces. La défaite de Meech signalait un nouvel approfondissement de la crise constitutionnelle, laquelle est maintenant devenue une crise existentielle à cause de l'intégration du Canada à l'économie de guerre et aux arrangements des États-Unis.

L'Accord de Meech avait été signé à cause de la crise qui a fait suite au référendum de 1980 au Québec sur la place du Québec dans le Canada et du refus du Québec de signer la Constitution de 1982 rapatriée par le gouvernement de Pierre Trudeau. Trudeau avait promis de rédiger une nouvelle entente constitutionnelle après la défaite du référendum du Québec et cette promesse s'est soldée deux ans plus tard par l'ajout de la Charte des droits et libertés et d'une formule d'amendement à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867. Appelées Loi du Canada, elles ont été adoptées par le parlement britannique le 29 mars 1982 et on a prétendu qu'avec cette loi la constitution du Canada était « rapatriée ». On a dit que cela mettait fin à la dépendance du Canada de la Grande-Bretagne, en réalité la Reine d'Angleterre demeure le chef d'État du Canada.

La loi constitutionnelle de Trudeau (de 1982) était l'« équivalent canadien » de l' Acte du Canada du parlement britannique et elle était incluse dans celui-ci avec une formule d'amendement et la Charte des droits et libertés. Or, elle ne reconnaissait pas le droit du Québec à l'autodétermination et par conséquent le Québec refusa d'en être signataire, ce qui causa une crise constitutionnelle. C'est pour tenter de la résoudre que le gouvernement de Brian Mulroney entama en 1985 des négociations constitutionnelles qui allaient conduire à l'Accord du lac Meech deux ans plus tard le 23 juin 1987.

Le premier ministre du Québec de l'époque, Robert Bourassa, a dit que le Québec signerait la Constitution si cinq modifications lui étaient apportées. :

- la reconnaissance constitutionnelle du Québec comme société distincte ;
- un veto constitutionnel pour le Québec sur les changements constitutionnels ;
- une voix au chapitre pour le Québec sur la nomination des juges de la Cour suprême du Canada ;
- une garantie constitutionnelle de pouvoirs accrus en matière d'immigration ;
- la limitation du pouvoir fédéral de dépenser.

Il fallait s'attaquer aux causes de la crise constitutionnelle. Il fallait notamment garantir des relations de nation à nation avec les peuples autochtones de façon à mettre fin à l'injustice coloniale et à offrir des compensations pour tous les torts commis contre eux ; il fallait mettre fin à toutes les notions de droits basées sur le privilège et les soi-disant limites raisonnables, investir le peuple du pouvoir et non une personne d'État artificielle, sans parler d'un monarque étranger et enchâsser des droits égaux pour tous les citoyens et résidents. Enfin, il fallait reconnaître le droit du peuple du Québec à l'autodétermination, y compris la sécession si telle est sa décision, ce que l'Accord du lac Meech a refusé de faire.

L'accord de Meech visait en fait à maintenir le statu quo en déclarant le Québec « société distincte » au sein du Canada. Il donnait un veto constitutionnel au Québec, augmentait les pouvoirs des provinces en matière d'immigration, étendait et réglementait le droit à une compensation financière raisonnable pour toute province qui se retirerait de quelque programme fédéral futur dans un domaine de juridiction exclusivement provinciale et donnait voix au chapitre aux provinces dans la nomination des sénateurs et des juges de la Cour suprême.

Puisque Meech aurait changé la formule d'amendement de la Constitution et modifié le processus de la Cour suprême, il fallait obtenir le consentement de toutes les législatures provinciales et du parlement canadien dans un délais de trois ans. Les dix premiers ministres provinciaux s'étaient tout de suite mis d'accord mais le consensus ne dura pas les trois ans requis pour obtenir le consentement des assemblées législatives. Une Conférence des premiers ministres fut convoquée vingt jours avant l'échéance pour essayer de sauver Meech et il fut convenu que Meech devait être suivi d'une autre ronde de négociations constitutionnelles. Le premier ministre de Terre-Neuve, Clyde Wells, s'attaqua au secret du processus décisionnel. Le 23 juin 1990, date limite, Elijah Harper, député de l'assemblée législative du Manitoba membre des Premières Nations, signala son refus de consentement en brandissant une plume d'aigle, rendant ainsi impossible l'unanimité requise de l'assemblée. Wells annula sa proposition de tenir un vote à l'assemblée de Terre-Neuve et l'Accord du lac Meech était officiellement mort.

Une des principales caractéristiques de l'Accord de Meech était de ne pas clarifier ce que voulait dire « société distincte » en parlant du Québec. Il affirmait que le Québec était une « société distincte » et que « la législature et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir la société distincte ». La « société distincte » est restée indéterminée dans les documents, les aspects « distincts » du Québec n'y étaient pas énumérés et il n'y avait pas de critères par lesquels les préserver et les promouvoir. Le terme « société distincte » a été le sujet de nombreuses interprétations mais celle qui a dominé les cercles politiques officiels était que le Québec est distinct en raison de la langue française uniquement. En faisant de la langue la seule question, la formulation de Meech sur la « société distincte » niait que le peuple québécois comprenait une nation ayant évolué au fil de l'histoire avec une communauté d'économie et de territoire, une langue et une culture et une psychologie portant l'empreinte de cette histoire. Qui plus est, elle niait au peuple québécois le droit à l'autodétermination. Le fait de dire à l'Assemblée nationale ce qu'elle devait faire n'a pas été bien reçu non plus.

Un autre aspect important de l'Accord de Meech est la promotion qu'il faisait de la désunion et de l'inégalité. Le fait de définir une nation uniquement par sa langue mène à la théorie que le Canada est habité par un grand nombre de « nations linguistiques », toutes susceptibles d'un statut indépendant mais dont seulement l'« anglaise » et la « française » auraient une place d'honneur.

Meech encourageait la désunion également en dévoluant certains pouvoirs fédéraux aux provinces comme s'il s'agissait de dix petites nations (les provinces) regroupées dans une grande nation (le gouvernement fédéral). Les deux territoires (le Nunavut n'existait pas encore) ne furent pas invités au lac Meech (ils ont participé par téléconférence) parce que le premier ministre considérait que leur pouvoir était insuffisant, établissant ainsi la possibilité de différents statuts selon la région. D'autre part, Meech accordait à chaque province un pouvoir de veto en matière législative et il était clair que chaque province s'en servirait pour avancer les intérêts étroits des regroupements économiques et politiques régionaux qui finançaient les gouvernements plutôt que de mettre de l'avant l'intérêt ou le but national d'ensemble.

Le troisième aspect de Meech était son refus d'affirmer ou même d'aborder le sujet des droits ancestraux des peuples autochtones, ce qui revenait à supprimer ces droits. Les droits ancestraux des peuples autochtones ne sont pas un élément périphérique, ils doivent être enchâssés dans la Constitution. Les autochtones ont le droit légitime de revendiquer les terres de leurs ancêtres et d'en disposer comme ils l'entendent. En tant que peuples souverains, ils ont le droit de décider de leurs affaires mais aussi de participer à la décision des affaires du Canada dans son ensemble. Aucune des modifications proposées par l'Accord de Meech n'abordait ces sujets. Les chefs autochtones présentèrent deux autres objections. La première concernait leur exclusion de l'ensemble des travaux de Meech. L'autre concernait le transfert possible de services fédéraux aux provinces prévu dans la clause sur le droit de retrait avec compensation, ce qui risquait d'entraîner le démantèlement de programmes essentiels pour les peuples autochtones.

Le quatrième aspect principal de Meech était le caractère antidémocratique des procédures. Toutes les consultations eurent lieu derrière des portes closes. Les gens disaient que c'était une rencontre de onze hommes blancs à cravate pour décider du sort du pays entre eux. Une fois l'accord conclu dans le secret, les onze premiers ministres tentèrent de l'imposer au peuple sans autre discussion ou délibération. Il n'y eut pas de consultation populaire, l'ordre du jour n'était pas établi suivant les désirs du peuple et les points discutés et inclus dans l'accord étaient ceux que les premiers ministres voulaient discuter et inclure.

L'extrême mécontentement de la population face aux procédés de Meech fut capté par le Forum des citoyens sur l'unité nationale de 1990, appelé Commission Spicer, que Mulroney fut forcé d'établir après la défaite de Meech, disant que son gouvernement voulait entendre les opinions des Canadiens. Le rapport de la Commission Spicer publié en 1991 permet de constater que les Canadiens étaient très conscients que quelque chose manquait dans le processus politique canadien, qu'on ne pouvait pas faire confiance aux hommes et aux femmes politiques et qu'il manquait les mécanismes nécessaires pour habiliter le peuple. Beaucoup ont réclamé la convocation d'une assemblée constituante qui permettrait au peuple de délibérer et de décider de la constitution qu'il veut.

Toutes les recommandations et propositions de la Commission Spicer ont par la suite été ignorées par le Gouvernement du Canada.
La signification de Meech aujourd'hui est qu'à l'époque actuelle les peuples veulent être les arbitres et les décideurs. C'est le travail pour le renouveau démocratique qui va ouvrir la voie au progrès de la société et non le réaménagement du statu quo au nom du changement, de la modernisation et de faire en sorte que chaque vote compte.

L'Accord de Meech a confirmé que dans la forme de pouvoir politique héritée par le Canada, le pouvoir absolu réside dans les oligarques financiers et leurs représentants politiques. La suggestion à l'effet que seul le premier ministre du pays et les dix premiers ministres des provinces seraient habilités à proposer la Constitution et que le peuple reste exclu du processus a été rejetée fermement parce qu'aujourd'hui l'histoire exige que le pouvoir soit transféré au peuple qui agit de son propre chef et dans son propre intérêt. Celui-ci veut retirer la politique des mains des intérêts en place et la mettre entre les mains de ceux qui s'attaqueront aux problèmes que le peuple veut régler, comme l'insécurité économique qui est devenue la plus grande priorité à l'heure actuelle.

L'échec de Meech a également mené à la disparition de la configuration du parlement jadis fondé sur l'existence du « parti au pouvoir » (libéraux ou conservateurs) et du « parti de l'opposition ». Le Parti conservateur a été à toute fin pratique radié de la carte à l'élection de 1993 et le Parti libéral est dans un triste état depuis le « scandale des commandites » de 1995, qui a permis de concentrer toujours plus de pouvoir dans un nombre de mains toujours plus petit. Depuis, les partis politiques siégeant à la Chambre des communes ont formé un cartel visant à maintenir le peuple sans pouvoir et les partis politiques sont élus grâce à des banques de données destinées leur permettant de microcibler des électeurs et le fossé continue de grandir entre les gouvernants et les gouvernés. Aujourd'hui, aucun gouvernement n'a le consentement des gouvernés et la nécessité d'un renouveau démocratique est plus urgente que jamais.

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1er mai-25 juin
100e anniversaire de la Grève générale de Winnipeg

Fière histoire de résistance organisée et de défense des droits des travailleurs canadiens


Rassemblement au parc Victoria durant la Grève générale de Winnipeg

Introduction

Cette année marque le 100e anniversaire de la grève générale de Winnipeg, qui a eu lieu du 1er mai au 25 juin 1919. La Première Guerre mondiale avait pris fin, mais elle n'a pas mis fin à la cupidité des hommes assoiffés de pouvoir qui l'avaient déclenchée en premier lieu. Au Canada, la guerre a été un prétexte pour réprimer la résistance à la guerre impérialiste et l'objection de conscience contre la participation à cette guerre, ainsi que pour attaquer les syndicats et la politique révolutionnaire.

La Loi sur les mesures de guerre est restée en vigueur pendant plus d'une année après la fin de la guerre et a été utilisée contre les organisateurs de la grève générale de Winnipeg de 1919. Après la guerre, l'armée canadiennes et les armées de 14 autres pays, à l'instigation de la Grande-Bretagne et de la France, ont également été envoyées pour envahir la Russie soviétique dans une vaine tentative de maintenir les privilèges du régime tsariste renversé par la création du premier État socialiste du monde. En même temps, les soldats qui avaient survécu à la guerre de tranchées, dont beaucoup étaient revenus invalides, avaient été gazés par le gaz moutarde et souffraient du stress post-traumatique, alors non-reconnu, étaient accablés par l'inflation et le chômage d'après-guerre. La grippe espagnole a également causé des millions de morts.

Dans cette conjoncture, les ouvriers de l'industrie de la construction et de la métallurgie de Winnipeg sont entrés en grève ; ils exigeaient des salaires plus élevés et la réduction des heures de travail. Ils ont été rejoints par des travailleurs du fer qui luttaient pour la reconnaissance de leur syndicat, le Conseil des métiers de la métallurgie. Le 15 mai, avec l'appui massif de ses 12 000 membres, le Conseil des métiers et du travail de Winnipeg déclenche la grève générale. Trente mille travailleurs syndiqués et non syndiqués débrayent. Les téléphonistes de la ville ont été parmi les premières à entrer en grève. Winnipeg a été privé de service téléphonique pendant une semaine. Des grèves de solidarité ont été organisées à Edmonton et à Calgary pour appuyer la grève générale de Winnipeg.

Le contexte de cette grève était la grave crise économique dans laquelle la Grande-Bretagne et, par extension, le Canada étaient plongés après la Première Guerre mondiale, ainsi que le traitement des travailleurs à leur retour de la guerre de tranchées au cours de laquelle, abreuvés par l'euphorie pour l'empire, des millions ont servi de chair à canon. La guerre a détruit rapidement cette euphorie et mis le Canada à la croisée des chemins, car l'ancienne base de son économie avait été brisée par la guerre ainsi que son but qui reposait sur l'édification d'empire. L'asservissement des gouvernements aux intérêts étrangers et aux molochs du capital auquel les travailleurs ne s'identifiaient absolument pas pesait lourdement sur la capacité des gouvernements à maintenir la paix sociale.


Grand rassemblement au parc Victoria pendant la grève générale de Winnipeg

Le gouvernement du Canada ainsi que le gouvernement provincial craignaient clairement une révolution semblable à celle qui venait d'avoir lieu en Russie. Ils ont répandu le mensonge que les « immigrants » étaient à l'origine de la grève.

Le gouvernement du Canada a modifié la Loi sur l'immigration pour que même les immigrants nés en Grande-Bretagne qui, à l'époque, avaient automatiquement des droits de citoyenneté puissent être expulsés. Le gouvernement a mobilisé les forces de police contre les grévistes et a eu recours à la violence pour écraser la grève. La réaction du gouvernement à la situation terrible dans laquelle se trouvaient les travailleurs à l'époque et la répression des luttes des travailleurs qui avaient fait tant de sacrifices dans la guerre des tranchées de la Première Guerre mondiale a montré clairement le rôle de l'État.

En juin, les autorités fédérales ont officiellement recouru aux menaces de déportation pour réprimer la politique de la classe ouvrière, bien qu'elles aient tenté de tromper le public en évitant le mot « politique » dans leurs accusations. Les amendements à l'article 41 de la Loi sur l'immigration définissaient un « immigrant interdit » comme « toute personne intéressée à renverser un gouvernement organisé soit dans l'Empire (au niveau provincial également au Canada) ou en général, soit par la destruction de biens ou par la promotion d'émeute ou de désordre publics, ou qui est membre d'une organisation secrète qui tente de contrôler des personnes par la menace ou le chantage. » [1]

Après presque un mois de grève, le maire de Winnipeg a demandé l'intervention de gendarmes spéciaux dont la présence a attisé la résistance des grévistes. Les dirigeants de la grève ont été arrêtés. La Police à cheval du Nord-Ouest (qui est devenue la Gendarmerie royale du Canada en 1920) et les gendarmes spéciaux ont tiré sur les travailleurs, tuant deux hommes. Trente-quatre autres personnes ont été blessées et 80 arrêtées. Quelques jours plus tard, le 21 juin, la grève a pris fin par une marche de protestation organisée par les anciens combattants.


Un des dirigeants de la grève, Roger Bray, s'adresse à une foule de grévistes au parc Victoria.

La grève générale de Winnipeg est devenue la plus grande révolte sociale de l'histoire du Canada. Elle fait l'objet de nombreuses études concernant non seulement le rôle du gouvernement et des forces de police, mais aussi celui des syndicats, des communistes, des socialistes et des partis politiques traditionnels. La grève reste d'une grande importance pour le développement ultérieur du mouvement émancipateur de la classe ouvrière canadienne.


Protestation de la Fête du travail de 1919 contre les procès des dirigeants de la grève
de Winnipeg arrêtés le 16 juin 1919

Les ouvrières ont eu un rôle important dans la grève. Elles sont entrées en grève et ont appuyé les autres travailleurs en grève. Elles ont créé des cuisines populaires tout en prenant soins de leurs familles. Les téléphonistes en grève ont débranché les lignes téléphoniques, sont descendues dans les rues pendant les manifestations et ont affronté les briseurs de grève. Des femmes étaient membres du Comité central de grève ainsi que de la Ligue ouvrière des femmes. Le 20 mai, le Western Labour News a annoncé une réunion d'organisation d'une journée pour toutes les travailleuses. En fait, le 15 mai 1919, les femmes ont entamé une grève générale de solidarité avec les travailleurs des métiers de la métallurgie et de la construction, qui étaient déjà en grève. Lorsque 500 téléphonistes, dont 90 % étaient des femmes, ont quitté à la fin de leur quart de travail à 7 heures du matin, aucun travailleur n'est venu les remplacer.

Notes pertinentes

Les causes de la grève générale de Winnipeg étaient multiples. Le premier ministre Wilfrid Laurier avait déclaré aux Canadiens que le XXe siècle « appartiendrait au Canada ». De 1898 à 1912, la croissance économique a été rapide et l'Ouest canadien a connu une croissance démographique. Il y avait un air d'optimisme et la classe dirigeante entretenait l'euphorie autour de l'empire. Winnipeg était un important centre industriel au coeur du Canada, le dépôt de trois grandes compagnies ferroviaires, le Canadien Pacifique, le Canadien-Nord et le Grand Tronc du Pacifique. Le transport ferroviaire des nouveaux immigrants d'Est en Ouest et du grain d'Ouest en Est créait beaucoup de richesse pour les détenteurs de capitaux.

Les cheminots de Winnipeg ont commencé à créer leur organisation dans les années 1890. Les machinistes et les outilleurs ont été les premiers à s'organiser et d'autres travailleurs ont suivi. Un Conseil des métiers et du travail a été créé pour unifier les travailleurs, un journal à vocation syndicale, le Western Labour News, a été fondé et un candidat travailliste a été élu à l'assemblée législative. Les cheminots ont mené plusieurs grèves militantes au cours desquelles ils ont fait face aux mitrailleuses et aux briseurs de grève amenés de l'extérieur. Cependant, l'économie locale continuait sa croissance et le chômage était bas en raison du grand nombre d'emplois disponibles, en particulier dans la construction.

La situation a changé lorsque la Grande-Bretagne a commencé à fermer certaines de ses installations de production. Quand la Première Guerre mondiale a été déclarée en 1914, Winnipeg était plongé dans la récession et un grand nombre de chômeurs étaient à la rue. Ceux qui avaient un emploi travaillaient de longues heures pour de bas salaires dans de mauvaises conditions de travail et l'inflation était galopante.

La production de matériel de guerre et de munitions a commencé à Winnipeg en 1915, mais le volume était relativement petit. Beaucoup de travailleurs s'opposaient à la conscription, car ils considéraient la guerre principalement comme un stratagème pour envoyer des travailleurs à leur mort pour augmenter les profits des capitalistes. C'était un fait bien connu que certaines personnes réalisaient des profits énormes en fournissant du matériel de guerre. Les agriculteurs étaient confrontés à des tarifs élevés et à la chute du prix des céréales. Lorsque la guerre a pris fin, les soldats sont rentrés chez eux, non pas dans un monde « sûr pour la démocratie », mais dans un monde en proie au chômage, à la pauvreté et à l'abandon.

Pendant la guerre, le nombre de travailleurs syndiqués à Winnipeg a augmenté d'un tiers. Le foyer principal de l'action syndicale était le Conseil des métiers de la métallurgie, créé en 1918 pour représenter les machinistes et les outilleurs. Les travailleurs des trois ateliers appartenant à des compagnies ferroviaires travaillaient pour un salaire. Les ateliers commerciaux où travaillaient des ouvriers non syndiqués appartenaient à Manitoba Bridge (Deacon), Vulcan (les frères Barrett) et à Dominion Bridge (des capitalistes montréalais). Ces entreprises payaient leurs travailleurs moins que les travailleurs des ateliers de chemin de fer en utilisant un système de travail à la pièce. L'un des principaux objectifs du Conseil des métiers de la métallurgie était de faire respecter la parité salariale dans les six ateliers. À l'origine de la grève générale de Winnipeg se trouve la grève du syndicat des métiers de la construction du 1er mai et la grève des ouvriers des métiers de la métallurgie du 2 mai dans les trois ateliers commerciaux La grève générale a duré 41 jours et plus de 25 000 ouvriers ont été en grève.

Fortement inspiré par la victoire de la Révolution bolchevique de 1917, un éditorial du 22 mai 1919 du Western Labour News disait : « La lutte est engagée. Elle a renversé le gouvernement en Russie, en Autriche, en Allemagne, etc. » À Winnipeg, un des dirigeants de la grève, William Pritchard, dans sa plaidoirie de défense au tribunal a souligné avec militantisme les contributions de Marx et d'Engels au mouvement ouvrier. De l'autre côté, le « Comité des 1000 », le comité contre la grève des capitalistes locaux et nationaux, dont étaient membres l'Association des manufacturiers canadiens, l'Association des banquiers et Imperial Oil, a déclaré que la grève était un début de révolution bolchevique au Canada et que tous les travailleurs étaient de dangereux radicaux décidés à détruire les institutions en place et à instaurer un gouvernement soviétique.

Les grévistes remplissent les rues le 4 juin 1919, devant le quartier général
du « Comité des 1000 » antigrève.

Le 22 juin 1918, le premier ministre Borden avait approuvé l'envoi d'un corps expéditionnaire de soldats canadiens en Sibérie pour se joindre à la vaine croisade réactionnaire des 14 États qui voulaient écraser la révolution bolchevique. Le 22 décembre 1918, une assemblée de masse s'est tenue à Winnipeg pour condamner cette intervention.

Les conditions au moment de la grève

La Première Guerre mondiale et la crise de l'après-guerre avaient fortement affaibli la position de monopole de la Grande-Bretagne parmi les États capitalistes. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les grandes puissances luttaient pour s'emparer d'une plus grande part de marché, principalement aux détriments de la Grande-Bretagne. La guerre avait ébranlé les relations d'avant-guerre et de nouvelles forces avaient surgi sur le marché. Ces forces comprenaient non seulement les États-Unis, mais l'Allemagne, le Japon et d'autres pays, ainsi que les dominions et les colonies britanniques, dont le Canada, qui avaient réussi à développer davantage leur propre économie pendant la guerre. À cause de cette nouvelle concurrence et de la perte de parts de marché, il était plus difficile pour la Grande-Bretagne d'extraire des profits du pillage des marchés et des sources de matières premières, y compris de ceux du Canada. En réaction, les capitalistes britanniques s'efforçaient de limiter la production ou, en tout cas, de ne pas l'élargir aveuglément.

Ces pertes de profits de la Grande-Bretagne et de ses colonies et la diminution encore plus grande des quelques miettes que recevait la classe ouvrière se sont accompagnées de l'intensification des luttes directes des travailleurs contre le capital. Le Canada était encore principalement dominé par la Grande-Bretagne. Réaliser le profit maximum de l'exploitation du travail, sans tenir compte des besoins des travailleurs et de la société, était le but de la Grande-Bretagne et de l'élite capitaliste au pouvoir au Canada, au Manitoba et à Winnipeg même. Dans les conditions de la guerre et de l'après-guerre, une telle exploitation intense entraîna inévitablement la résistance des ouvriers et de leurs luttes, pour des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail, entre autres.


Une foule en colère contre les attaques contre les grévistes à Winnipeg le 21 juin 1919
renverse partiellement un tramway.

Contrairement au mythe selon lequel la grève générale de Winnipeg était une « anomalie » parce que le mouvement de la classe ouvrière au Canada s'est « bien conduit » tout au long de son histoire, un examen même sommaire de l'histoire du mouvement ouvrier confirme que les travailleurs ont mené de nombreuses luttes organisées et de nombreuses grèves contre le capital au cours des décennies.

En Nouvelle-Écosse, il y a eu la grève générale de Halifax et d'autres luttes. Juste avant la grève générale de Winnipeg, les employés municipaux de Winnipeg, appuyés par d'autres syndicats des services publics, avaient remporté leur grève.

La grève générale a été une des nombreuses grèves de ce genre, bien qu'elle soit l'une des plus importantes, des plus longues et qu'elle marque une étape importante pour l'avancée de la lutte pour les droits des travailleurs et de leurs réclamations à la société qui leur appartiennent de droit. Les travailleurs ont affronté héroïquement l'intransigeance des propriétaires, dont le mépris pour les travailleurs, la brutalité et le recours à l'État pour protéger leurs intérêts étaient sans limites.

Les efforts continus des capitalistes pour réduire les coûts de production dans leur secteur étaient une partie intégrante de l'expansion du capitalisme canadien. Que les métallurgistes aient été la cible principale n'était pas un fait du hasard. C'étaien des travailleurs qualifiés qui avaient un haut niveau de savoir-faire et d'expérience et qui connaissaient leur valeur dans le processus de production. Leur travail produisait d'importants profits pour les capitalistes des chemins de fer, l'un des groupes de détenteurs du capital les plus puissants au Canada. De plus, parce que les métallurgistes avaient été les premiers et le plus grand groupe de travailleurs à se syndiquer à Winnipeg, ces ouvriers étaient un détachement avancé de la classe ouvrière. La stratégie de l'élite dirigeante était de les écraser afin d'abaisser leurs salaires, allonger leur journée de travail et ainsi s'assurer de la soumission et de la docilité du reste de la classe ouvrière. Tout le monde doit rentrer dans le rang. Mais c'est le contraire qui s'est produit. Loin d'être intimidés, des milliers de travailleurs de Winnipeg et d'autres villes du Canada, notamment à Toronto, Vancouver, Regina, Edmonton et Calgary, ont soutenu avec militantisme les métallurgistes en déclenchant des grèves.

En 1919, c'était le gouvernement du Parti conservateur de Robert Borden qui était au pouvoir et s'est révélé être un ennemi impitoyable. En juin 1918, le premier ministre Borden a participé à la rédaction d'une résolution britannique demandant une « assistance armée alliée immédiate à la Russie » dans le but d'écraser la révolution ouvrière en Russie. Deux mois plus tard, Borden ordonnait l'envoi de troupes canadiennes en Sibérie. Pendant la grève générale de Winnipeg, Robert Borden a violemment attaqué les grévistes et leurs alliés, en même temps que la presse monopolisée au service des détenteurs du capital accusait les immigrants et les bolcheviks d'avoir fomenté la grève.


Réunion « Ne touchez pas à la Russie » à Victoria en 1918 pour dénoncer l'envoi de troupes canadiennes en Sibérie

Comme le montre le déroulement de la grève, les capitalistes canadiens et le gouvernement du Parti conservateur se sont montrés plus expérimentés, mieux organisés et donc plus forts que les travailleurs de Winnipeg et leurs dirigeants. Ils sont entrés dans le conflit lourdement armés et prêts à écraser les travailleurs.

Le 22 mai, le gouvernement fédéral a envoyé des bataillons de soldats armés de mitrailleuses à Winnipeg. Le 6 juin, le gouvernement a modifié la Loi sur l'immigration pour permettre l'expulsion d'immigrants accusés de « sédition ». Le 10 juin, les « gendarmes spéciaux » recrutés parmi les briseurs de grève et les voyous ont attaqué une manifestation pacifique. Le 16 juin, plusieurs dirigeants de la grève ont été arrêtés, emprisonnés et menacés d'expulsion du Canada. Ensuite, le « Comité des 1000 » s'est arrangé pour que des dirigeants syndicaux dociles à sa solde entrent en scène pour combler le vide laissé par ces arrestations et sapent la grève.

Le 21 juin est passé dans l'histoire comme le « samedi sanglant ». Des membres de la Police à cheval du Nord-Ouest et des soldats armés ont violemment attaqué une manifestation pacifique des travailleurs non armés et ont tué deux grévistes et fait 30 blessés. Les dirigeants syndicaux semblent avoir été pris au dépourvu et désorganisés face à cette violence. Moins d'une semaine avant la grève, ces dirigeants se déclaraient convaincus qu'elle ne serait pas nécessaire.


La Police montée du Nord-Ouest charge la foule, le 21 juin 1919, à Winnipeg, connu sous le nom du Samedi sanglant.

Le 23 juin, le président du Congrès des métiers et du travail du Canada a annoncé que la grève était « officiellement terminée « et qu'il était temps que les travailleurs investissent leurs énergies à ragner des sièges au conseil municipal par les élections. En réalité, le comité de grève avait déjà prévu de maintenir les services essentiels au niveau municipal, témoignant de la capacité de la classe ouvrière d'organiser la société selon ses besoins.

J.S. Woodsworth, le futur dirigeant de la Fédération du commonwealth coopératif, le précurseur du Nouveau Parti démocratique, a pris le contrôle du Western Labour News, l'organe des travailleurs, lorsque son rédacteur a été arrêté. Ses discours et ses éditoriaux étaient remplis d'illusions réformistes et de la promotion de la voie parlementaire pacifique comme voie de la victoire pour les travailleurs.

Plusieurs dirigeants de la Grève générale de Winnipeg avaient été formés en tant que dirigeants syndicaux en Grande-Bretagne, au cours de cette période lorsque le capital britannique amassait des super profits et pouvait offrir des avantages aux dirigeants syndicaux et s'en servir pour obtenir des compromis auprès de la classe ouvrière britannique. Plusieurs de ces dirigeants s'étaient laissé séduire par le capitalisme et s'étaient éloignés des travailleurs. Plutôt que de se battre pour les travailleurs, ils ont adopté l'idéologie capitaliste et se sont fixés comme objectif leur propre avancement. Engels disait de ces dirigeants qu'ils étaient embourgeoisés. Ramsay MacDonald, le premier politicien travailliste à devenir premier ministre, en est un exemple. Après 1931, MacDonald a systématiquement été dénoncé par le mouvement ouvrier britannique pour avoir trahi leur cause, bien que certains de ces individus eux-mêmes n'étaient pas des grands modèles de leadership ouvrier.

Le Parti conservateur dirigé par Borden s'est rendu compte que la grève générale de Winnipeg était un événement politique majeur, et qu'une telle grève ne pouvait être combattue que par un ensemble de mesures politiques, telles que les changements à la législation sur les immigrants, et par des mesures militaires, comme la mobilisation de la police et de troupes pour écraser les travailleurs. Le comité de grève n'avait pas l'expérience voulue pour reconnaître l'importance politique de la grève générale et a mené l'action uniquement dans le cadre de revendications économiques, la lutte pour de meilleurs salaires, de meilleures conditions de travail et une journée de travail plus courte.

L'état-major des capitalistes a compris qu'un large appui syndical à la grève générale de Winnipeg serait dangereux pour eux, ce qui n'a pas tardé à alimenter la propagande anticommuniste et antiimmigrante. Le ministre fédéral du Travail, lui-même un ancien vice-président du Syndicat des typographes, a fait une agitation féroce contre les travailleurs et a appelé à la détention de ses dirigeants. Le One Big Union, qu'on appelait les Wobblies, a appuyé la grève mais n'a rien fait pour l'organiser ou pour la diriger. D'autres dirigeants de syndicats internationaux se sont ouvertement opposés à la grève sous prétexte que son véritable ordre du jour n'était pas de faire progresser la cause des travailleurs mais de mettre fin au syndicalisme international.

Il y a même eu des déclarations publiques à l'effet que les grévistes n'avaient pas l'intention de transformer la lutte en une lutte politique et que le comité de grève n'avait aucune intention de soulever la question du pouvoir politique. Comme l'histoire l'a démontré, une grève générale qui n'est pas transformée en lutte politique va laisser la classe ouvrière sans préparation dans sa confrontation avec le pouvoir politique organisé de la classe capitaliste.[2]


Une foule rassemblée devant l'hôtel de ville de Winnipeg pendant la grève générale

La situation à laquelle les capitalistes et leur gouvernement était confrontés était aussi aggravée par le fait que plusieurs soldats qui étaient de retour de la guerre ont joué un rôle important dans la grève. Pour résoudre ce problème, le gouvernement et les médias capitalistes en ont appelé à la loyauté des soldats pour diviser leurs rangs. Ainsi, l'exécutif de l'Association des vétérans de la Grande Guerre (GWVA) a tenté d'inciter le racisme en répandant que tandis que les soldats combattaient outremer, des travailleurs « étrangers », autrement dit les immigrants, avaient volé leurs emplois et que ce sont ces « étrangers « qui avaient déclenché la grève. De son côté, le Western Labour News, dans un éditorial du 20 mai, exhortait les travailleurs qui étaient des vétérans à contribuer à renverser l'exécutif réactionnaire de la GWGA. De façon générale, les soldats qui étaient aussi des travailleurs appuyaient la grève, tandis que d'autres étaient soit indifférents ou s'y opposaient. Les soldats favorables à la grève étaient les principaux organisateurs de ce qu'ils appelaient les « parades « qui amenaient les travailleurs dans la rue pour manifester. Les soldats qui étaient contre la grève organisaient des contre-manifestations.

Plusieurs organisations ouvrières qui étaient actives à cette époque comme le Parti travailliste indépendant (Winnipeg, 1895), le Parti socialiste du Canada (1904), le Parti du travail du Manitoba (1910) et le Parti social-démocrate (1911) ont organisé des réunions et des conférences dont la grande Conférence du travail de l'Ouest du Canada qui a eu lieu à Calgary en mars 1919. Cette conférence a adopté des résolutions fermes en appui au socialisme et à la défense de la Russie soviétique et déclarant même « l'acceptation entière du principe de la dictature du prolétariat ». Le Parti communiste du Canada a été fondé deux ans plus tard et a tenu son premier congrès les 18 et 19 juin 1921 à Guelph en Ontario.

Certaines leçons à tirer

L'expérience directe de la grève a enseigné aux travailleurs que le principal obstacle à ce que les travailleurs réalisent leurs objectifs était le pouvoir politique des capitalistes, qui à ce moment-là était exercé par le gouvernement du Parti conservateur. Tandis que le Congrès des métiers et du travail du Canada semblait craindre de reconnaître le lien inséparable entre la lutte économique et la lutte politique, les travailleurs, par leur lutte, ont saisi de plus en plus la question fondamentale qui est quelle classe détient le pouvoir politique et que l'État n'est pas neutre dans la lutte entre le capital et le travail. La grève a arraché le voile du pouvoir politique, montrant que celui-ci est indivisible et que la lutte des travailleurs doit viser ce pouvoir pour qu'ils puissent déployer la force de leur nombre et de leur organisation en leur faveur pour contrecarrer ceux qui se servent de ce pouvoir contre les travailleurs.

La conduite de la grève et son résultat ont montré aux travailleurs l'inaptitude de ces dirigeants syndicaux qui étaient infectés par des ambitions bourgeoises de richesse personnelle, de pouvoir et de privilège. La grève a démontré que ces dirigeants doivent être remplacés par des dirigeants révolutionnaires qui n'ont pas ces ambitions. La grève a aussi démontré aux travailleurs de Winnipeg et d'ailleurs au Canada à quel point il était vital que toute la classe ouvrière appuie les grèves individuelles afin de garantir leur succès. La grève a enseigné aux travailleurs à quel point cette leçon importante est vraie.

Enfin, et chose très importante, la grève a enseigné aux travailleurs, surtout aux moments les plus difficiles, que les partis existants n'étaient pas capables de soutenir de façon audacieuse et ferme les intérêts de la classe ouvrière et que celle-ci a besoin de son propre parti politique qui exprime sa politique, ses tactiques et ses revendications indépendantes. La formation, peu après, du Parti communiste du Canada en 1921 visait à fournir une solution à ce problème. Elle l'a fait jusqu'à ce que ce parti perde pied au début des années 1950, en pleine guerre froide, et se mette à créer des illusions sur la démocratie bourgeoise.

La situation a changé, cependant, depuis le 31 mars 1970, lorsque le Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste) a été fondé sur la base des principes organisationnels léninistes pour mener à bien les tâches requises pour ouvrir la voie au progrès de la société. Dans ce travail, le PCC(M-L) accomplit sans relâche toutes les tâches politiques et idéologiques sur la base du travail organisationnel qui est au service de la tâche fondamentale de faire avancer la cause d'investir le peuple du pouvoir.

Le 31 mars 2018, à l'occasion du 48e anniversaire de la fondation du Parti, il a encore une fois, de manière succincte, exprimé sa mission et comment la réaliser : « Toutes les activités que le PCC(M-L) a menées depuis près de 50 ans ont ceci en commun : elles participent au développement du rôle dirigeant de la classe ouvrière dans la société. La force du PCC(M-L) est dans sa théorie révolutionnaire, dans sa ligne politique et dans le fait que ses organisations à tous les niveaux portent une attention particulière à la réalisation des tâches qui permettent d'ouvrir la voie au progrès de la société. Le tranchant de l'intervention dans la période actuelle est la lutte idéologique et la mobilisation dans le travail politique pour définir la politique pratique requise pour bâtir le mouvement politique contre la destruction nationale. La politique pratique est requise pour mobiliser les travailleurs, les jeunes et les étudiants dans un projet d'édification nationale sur une base moderne.

« L'accent sur le travail d'organisation est pour activer le facteur humain/conscience sociale pour assumer ensemble la responsabilité de transformer la situation. En bâtissant les comités qui prennent des positions politiques indépendantes, les travailleurs, les jeunes et les étudiants peuvent faire des percées importantes. Ces comités doivent être établis dans les endroits de travail, dans les maisons d'enseignement et dans les quartiers ainsi que parmi les personnes âgées, où leurs membres assument la responsabilité de leurs décisions et des actions de leurs pairs. Ils peuvent donner suite à leurs préoccupations et à celles de la société et de l'humanité. En développant la politique indépendante de la classe ouvrière, ils se donnent l'outil décisif pour priver les oligarques financiers internationaux et les gouvernements à leur service du pouvoir de priver le peuple, qui dépend de la société pour son bien-être, de ce qui lui appartient de droit. » [3]

Notes

1. Barbara Roberts, Whence They Came : Deportation from Canada (Ottawa : Presse de l'Université d'Ottawa, 1988), p. 84.

2. Un exemple frappant est la grève générale de 1926 en Grande-Bretagne qui a mobilisé 1,7 million de travailleurs et a duré 9 jours, mais n'a pas produit de gains permanents en fait de pouvoir pour les ouvriers.

3. Le Marxiste-Léniniste, numéro du 31 mars 2018

(Photos : Archives du Canada et du Manitoba)

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19 juin
Jour de l'émancipation aux États-Unis

Le Congrès tient des audiences
sur les indemnisations

Le 19 juin 1865 est célébré à travers les États-Unis comme le jour où toutes les personnes encore asservies à la fin de la guerre civile ont gagné leur liberté. Le système d'esclavage était tel que, tandis que des centaines de milliers de personnes asservies se rebellaient contre l'esclavage et combattaient pendant la guerre civile pour mettre fin au système, beaucoup restaient esclaves même après la fin de la guerre civile. Le 19 juin, il y a 154 ans, des soldats de l'Union sont arrivés à Galveston, au Texas, pour informer toutes les personnes encore asservies que le système d'esclaves était vaincu. Depuis lors, de nombreux Afro-Américains considèrent ce jour comme le jour de l'émancipation. Des personnes de toutes les nationalités se joignent à eux pour célébrer cette journée, également connue sous le nom de Juneteenth.

Cette année, au Juneteenth, le sous-comité du Comité de la justice de la Chambre chargé de la Constitution, des droits civils et des libertés civiles a tenu une audience dans le but proclamé « d'examiner, par le biais d'échanges ouvertes et constructifs, l'héritage de la traite d'esclaves transatlantique, son impact continu sur la communauté et le chemin de la justice réparatrice ».

Les audiences du Congrès n'ont pas eu lieu depuis 2007. C'est malgré les efforts du représentant John Conyers du Michigan, parrain de longue date de la résolution 40 de la Chambre, qui avait proposé la mesure en 1989 d'appeler à une étude sur les indemnisations, en présentant le projet de loi à chaque session jusqu'à sa démission en 2017.

La représentante du Texas, Sheila Jackson Lee, la nouvelle marraine de la résolution, l'a présentée plus tôt cette année et a demandé la tenue d'une audience. Cela est dû en partie au fait que diverses organisations afro-américaines se sont battues sur la question, notamment en organisant des assemblées publiques. En outre, en 2016, l'ONU a appelé les États-Unis à verser des réparations pour l'esclavage. Son rapport soulignait qu'« une indemnisation est nécessaire pour lutter contre les désavantages causés par 245 ans d'autorisation légale à vendre des personnes en fonction de la couleur de leur peau ». Il a averti que les États-Unis n'avaient pas fait face à leur héritage de « terrorisme racial ». Le rapport précise également que les réparations peuvent prendre diverses formes, notamment un accès à une meilleure éducation, un soutien psychologique, l'annulation des dettes et des excuses officielles.

La question des réparations fait désormais partie intégrante de la course à la présidence de 2020, plusieurs des 20 candidats principaux à la présidence démocrate ayant manifesté leur soutien à l'indemnisation des descendants d'esclaves, mais pas au sens traditionnel de paiements directs aux Afro-Américains. La plupart sont restés vagues sur la question, comme cela a longtemps été le cas avec les élus.

Il reste à voir si l'un des candidats à la présidence ou l'un des membres du Congrès présentera des propositions concrètes de réparations. Cela n'a pas été le cas jusqu'à présent, même si les organisations afro-américaines actives dans ce domaine ont présenté des demandes détaillées en matière de réparations.

À titre d'information

Juneteenth est la plus ancienne célébration connue commémorant la fin de l'esclavage aux États-Unis. Le 19 juin 1865, des soldats de l'Union dirigés par le major général Gordon Granger débarquent à Galveston, au Texas, avec l'annonce de la fin de la guerre civile et de la libération des esclaves.

Le général Granger a lu au peuple du Texas l'ordre général numéro 3 qui commençait ainsi :

« Le peuple du Texas est informé que, conformément à une proclamation de l'exécutif des États-Unis, tous les esclaves sont libres. Cela implique une égalité absolue de droits et de droits de propriété entre les anciens maîtres et esclaves, et le lien qui existait auparavant entre eux devient celui entre un employeur et un travailleur libre. »

C'était deux ans et demi après la proclamation d'émancipation du président Lincoln, officiellement entrée en vigueur le 1er janvier 1863. La proclamation d'émancipation n'avait que peu d'impact sur les Texans, en partie à cause du nombre réduit de soldats de l'Union chargés d'appliquer le nouvel ordre exécutif. Cependant, avec la reddition du général Lee en avril 1865 et l'arrivée du régiment du général Granger le 19 juin de la même année, les forces sont finalement assez puissantes pour influencer et vaincre la résistance.

Des tentatives ultérieures pour expliquer ce retard de deux ans et demi dans la réception de cette nouvelle importante ont donné lieu à plusieurs versions qui ont été transmises au fil des ans. On raconte souvent l'histoire d'un messager qui a été assassiné alors qu'il se rendait au Texas avec la nouvelle de la liberté. Une autre est que les esclavagistes ont délibérément retenu la nouvelle pour maintenir la main-d'oeuvre dans les plantations. Une autre histoire encore est que les troupes fédérales ont en fait attendu que les propriétaires d'esclaves récoltent les fruits d'une dernière récolte de coton avant de se rendre au Texas pour faire respecter la Proclamation de l'émancipation. Certes, l'autorité du président Lincoln sur les États rebelles était en cause. Quelles que soient les raisons, les conditions au Texas n'ont pas changé bien au-delà de ce qui était déjà considéré statutaire.

(Voice of Revolution. Traduction: LML)

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Réparation veut dire entière réparation pour 400 années de terreur et autres crimes odieux

L'année 2019 représente le 400e anniversaire de l'arrivée des premiers Africains sur les rives de la colonie de Virginie en 1619. C'est le début de la période américaine de l'esclavage des Africains et de leurs descendants. La Coalition nationale des Noirs pour des réparations en Amérique (N'COBRA) a choisi comme thème de cet anniversaire : 400 ans de terreur : une dette jamais remboursée.

Dès le début, la terreur ou le traumatisme psychique était la réalité pour ces quelque trois douzaines d'Africains volés. Non seulement le « Passage du milieu » était une expérience terrifiante, mais l'histoire nous apprend que le navire qui a amené ces Africains ici n'était pas le navire dans lequel ils avaient été embarqués. Et ce ne sont pas 36 d'entre eux qui ont quitté l'Afrique pour ce voyage. Ils étaient 350.

En route vers sa destination, Vera Cruz, au Mexique, le navire original - le San Juan Bautista - a été intercepté dans le golfe du Mexique par non pas un, mais deux navires pirates - le Lion blanc et le Trésorier. À la fin de l'attaque, le Lion Blanc a livré toute sa cargaison saisie lors de l'attaque soit « une vingtaine d'Africains », et le Trésorier, « une demi-douzaine » des 40 Africains dont il s'était emparé avant de quitter vers les Bermudes.

Comment une soixantaine d'Africains ont-ils réussi à se retrouver sur ces navires pirates, alors que le San Juan Batista avait été détruit lors de l'attaque ? Ont-ils été tirés de la mer ? Ont-ils été forcés par une arme à feu ou à la pointe d'une épée ? Ont-ils choisi un navire autre que celui qui coulait et qui leur offrait une mort certaine ? Plus important encore, que sont devenus les 300 autres qui se trouvaient sur le San Juan Bautista ? Étaient-ils toujours enchaînés dans la mort comme ils l'avaient été dans les derniers mois effroyables de leur vie durant l'horrible Passage du milieu ?

C'est ainsi qu'a débuté notre existence dans ce qui allait devenir l'Amérique - une terreur qui n'a pas encore cessé et qui n'a pas encore été rectifiée. Cette scène a été suivie de 256 années d'esclavage brutal des Africains et de leurs descendants. [...]

La période d'esclavage a été suivie par 100 ans d'apartheid légal, appelé ségrégation Jim Crow - une séparation sociale soutenue par une force énorme, des lois injustes et une violence meurtrière. Après la Guerre civile, d'anciens soldats de l'armée confédérée, des officiers et leurs enfants ont créé des groupes terroristes hautement organisés qui se sont multipliés. Leur influence s'étendait jusqu'à la Maison-Blanche. Ces groupes - le Ku Klux Klan, les Chevaliers du Camélia blanc, le Conseil des citoyens blancs et leurs sosies sont responsables de milliers de meurtres et d'assassinats, de l'emprisonnement injuste de dizaines de milliers de personnes, du vol continu de main-d'oeuvre, du vol de millions d'acres de terres achetés par les Noirs après l'émancipation et d'au moins 4 743 lynchages confirmés. Ceci, en plus de la destruction de nombreuses villes et communautés noires et du bannissement (nettoyage racial) de leurs habitants. En quelques heures, ces villes et communautés, dont certaines comptaient des milliers d'habitants, ont complètement disparu. [...]

Après 1965 et l'adoption de lois sur les droits civils, bien que la « ségrégation » ait pris fin, les actes d'intimidation violents et les restrictions imposées de force à la communauté noire n'ont pas cessé.

Bien que les actions de foules blanches déchaînées aient diminué, la violence raciale meurtrière de la police est demeurée régulière et sans merci. La « brutalité policière », comme on l'a appelée, a engendré la création du Parti des Black Panthers pour l'auto-défense et d'autres groupes nationalistes noirs. Ces groupes se sont soulevés pour lutter contre le comportement criminel du terrorisme policier, ainsi que contre la domination et le contrôle social, politique et économique appliqués par la police. Après la répression illégale et inconstitutionnelle des Panthers et d'autres organisations, les services de police comme le service de police de Chicago ont obtenu ce qui revenait à un champ libre pour terroriser les descendants d'Africains par la torture, les aveux forcés et le meurtre d'hommes et de femmes innocents. Ces exécutions sommaires se poursuivent encore aux États-Unis : Ayana Stanley-Jones, Tamir Rice, Oscar Grant, Sandra Bland, Rekia Boyd, Mike Brown, Philando Castile et Laquan McDonald ne sont que quelques-unes des milliers de personnes qui ont connu ce sort après 1965.

Pendant toute cette période de 400 ans, les Africains et leurs descendants ont lutté contre cette inhumanité et ont exigé que ces crimes soient redressés sous forme de réparations garantissant la liberté, la terre, le rapatriement, les pensions, l'indemnisation et la restitution.

À la fin du XXe siècle, des accusations internationales de génocide ont été portées deux fois par des Noirs auprès de la Commission des droits de l'homme des Nations unies - une fois en 1957 et l'autre fois en 1997. (En 2014 et 2016, une nouvelle génération d'activistes a déposé de nouvelles mises en accusation). En 1969, James Foreman a présenté son manifeste noir à la communauté blanche de l'Église demandant des ressources pour le développement économique et divers actes de restitution structurels et institutionnels. Les organisations de masse se sont multipliées dans les années 1980 pour créer une demande à la base pour des réparations. La Coalition nationale des Noirs pour les réparations en Amérique comptait à une époque des milliers de membres.

Au début du XXIe siècle, avec l'aide de N'COBRA, le Mouvement du 12 décembre - D-12 et le Front national noir uni - NBUF - ont amené près de 400 délégués à Durban, en Afrique du Sud, à la Conférence mondiale de 2001 contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée. Plus de 14 000 participants ont participé à la conférence, y compris des délégations gouvernementales de 195 pays. Pour la délégation dirigée par la D-12 et la NBUF, les réparations étaient au centre de leurs préoccupations.

La conclusion de la conférence a réaffirmé certains droits fondamentaux des personnes d'ascendance africaine, notamment le droit d'être dédommagées à la suite d'actes criminels et préjudiciables commis par leur propre gouvernement. Dans le document final de la Conférence, les délégués gouvernementaux ont déclaré que la traite d'esclaves transatlantique, l'esclavage, l'apartheid et le colonialisme étaient des crimes contre l'humanité. En outre, il y avait une base économique à ces crimes - comme cela est évident aujourd'hui - les nations qui en ont lésé d'autres sont riches et « les effets et la persistance de ces structures et pratiques ont été parmi les facteurs contribuant aux inégalités sociales et économiques durables [pauvreté, sous-développement, marginalisation, exclusion sociale] dans de nombreuses régions du monde aujourd'hui ». Et même plus loin, il y a une obligation de la part des nations qui ont été enrichies par ces crimes d'offrir des dédommagements pour les inégalités existantes et les blessures infligées.

Cette victoire historique des membres du mouvement mondial des réparations a été une nouvelle phase et un nouveau mode de lutte pour les réparations pour les personnes d'ascendance africaine. Partout, ceux d'entre nous engagés dans la lutte pour obtenir des réparations ont commencé à parler le même langage, à savoir que la traite transatlantique des esclaves, l'esclavage, le colonialisme et l'apartheid ne constituaient pas simplement des actes répréhensibles ou immoraux, mais bien des crimes contre l'humanité, « les crimes les plus odieux qu'un gouvernement puisse commettre ou permettre de commettre contre une population civile ».

À l'échelle mondiale, nous avons pris conscience que les crimes contre l'humanité n'avaient pas de délai de prescription de nature juridictionnel. Nous nous sommes rendus compte que l'énorme vol économique continue d'accumuler de la valeur pour les pays et les entreprises qui ont usurpé le rendement productif de nos ancêtres ; nous avons également compris que la richesse qui figure dans les comptes de nombreux occidentaux blancs extrêmement riches était aussi une richesse transmise de génération en génération par les usurpateurs criminels originels ; nous avons tous clairement pris conscience que les dysfonctionnements constatés parmi les populations africaines et de descendance africaine à l'échelle mondiale ont leur cause première dans les crimes commis contre l'humanité de leurs ancêtres et sont aggravés par les actes préjudiciables perpétrés aujourd'hui. Depuis Durban, nous avons tous pris conscience que le principal problème mondial des Africains et des peuples d'ascendance africaine dans le monde entier est la réparation pour des siècles de vols, d'abus, de terreur et de mensonges ciblant notre humanité et nos contributions fondamentales et substantielles à la famille humaine bien avant l'avènement de l'Occident.

Aujourd'hui, il y a de plus en plus de personnalités publiques et d'autres personnalités qui reconnaissent soit le besoin de réparations, soit la justesse des réparations, ou les deux. C'est de bon augure.

C'est le cas en particulier, des candidats à l'élection présidentielle 2020, Marianne Williams, les sénateurs Elizabeth Warren, Corey Booker, Kamala Harris et Bernie Sanders, ainsi que de l'ancien membre du cabinet de la Maison-Blanche, Julian Castro. Même la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, qui aurait bloqué la discussion au Congrès sur les réparations au cours de la présidence Obama, a offert son soutien à une étude sur les réparations.

Là où quelques-uns errent cependant, c'est dans leur tentative de dire à nous, descendants d'Africains réduits en esclavage aux États-Unis (DAEUS), sous quelle forme et dans quelle mesure réparations se font et ce qu'elles devraient être. Ils devraient appuyer la demande de réparations. En outre, ils devraient chercher à comprendre toute l'étendue des crimes d'esclavage, l'Amérique de Jim Crow et l'après Jim Crow, et comment ces crimes ont profité aux États-Unis. [...]

Les formes et l'ampleur de ces mesure seront déterminées par nous. Cela a déjà commencé, en partie, avec le Manifeste de réparation du XXIe siècle de N'COBRA et les Cinq catégories de blessures. [Celles-ci incluent le système pénal ; l'éducation ; la richesse et la pauvreté ; les concepts de peuple et nation ; la santé]. Cela a également commencé avec une série d'assemblées publiques à l'échelle nationale déjà organisées, et d'autres à venir, pour présenter, évaluer et débattre le programme de réparation en 10 points élaboré par la Commission nationale afro-américaine des réparations (NAARC). [Les dix points comprennent : 1. Des excuses officielles et la création d'un Institut de l'Holocauste africain/Maafa ; 2. Le droit de rapatriement et la création d'un programme du savoir africain ; 3. Le droit à la terre pour le développement social et économique ; 4. Fonds pour les entreprises coopératives et le développement entrepreneurial socialement responsable ; 5. Ressources pour la santé, le bien-être et la guérison des familles et des communautés noires ; 6. Programmes éducatifs pour le développement et l'habilitation des communautés ; 7. Logement abordable dans le cadre des programmes pour des communautés noires en santé et la création de richesse ; 8. renforcement de l'infrastructure d'information et de communication de l'Amérique noire ; 9. Préservation des sites et des monuments sacrés dédiés aux noirs ; 10. Réparation des dommages pour ceux à qui des torts ont été causés par le « système d'injustice pénale »] [...]

C'est le travail effectué après Durban qui a créé un climat qui exige que ces candidats à la présidence (et d'autres) fassent de telles déclarations. Après Durban, c'est N'COBRA qui a maintenu cette question vivante après l'attaque des tours jumelles de New York qui a eu pour effet de faire taire l'élan du mouvement de réparation qui avait été créé à Durban. Il y avait ensuite des dirigeants politiques des Caraïbes par l'intermédiaire de leur groupe - la Communauté des États des Caraïbes (CARICOM) - qui a créé la Commission des réparations de la CARICOM (CAR). La CAR a entamé le processus visant à porter devant la Cour pénale internationale un cas de crimes contre l'humanité dirigé contre les nations européennes qui ont participé à la traite d'esclaves et à l'esclavage dans les Caraïbes. Les chefs d'accusation : génocide commis contre les autochtones et réduction à l'esclavage d'Africains et de descendants d'Africains dans les îles des Caraïbes.

En outre, la CAR a été à l'origine de la création de la Commission nationale de réparation afro-américaine. En 2015, la NAARC a organisé à New York un sommet international réunissant de nombreux commissaires et délégués de 17 pays. La NAARC a incité plusieurs de ces groupes à établir des commissions de réparation dans les pays où ils résidaient.

Black People Against Police Torture (BPAPT) a appelé à une campagne de réparation pour les victimes de torture par la police à Chicago. Ce succès a amené une nouvelle génération à demander réparation, aboutissant à ce que Movement for Black Lives ajoute les réparations comme un élément politique majeur de sa plateforme. L'essai de Ta-Nehisi Coates, A Case for Reparations, a joué un rôle majeur pour créer un climat propice à cela. Enfin, nous n'oublierons jamais la persévérance de longue date du membre du Congrès John Conyers pour rendre le gouvernement redevable, avec le projet de loi HR 40, The Commission to Study Reparations Proposals for African Americans Act, qu'il a révisé à la suggestion de la NAARC et de N'COBRA, avant son départ du Congrès.

Encore une fois, c'est grâce à toutes ces actions et à bien d'autres que ceux qui prennent la parole maintenant ont ce qu'il faut pour le faire. Mais la plupart d'entre eux le font à partir d'une base de connaissances et d'actions extrêmement limitée sur ce que constitue ce mouvement et sur sa base d'appui. Après Durban, nous nous tournons vers les organismes internationaux et le droit international pour comprendre ce que sont les réparations et pour structurer notre réclamation.

Pour nous, qui sommes dans le mouvement, nous comprenons que réparation, en vertu des standards et du droit international, signifie « réparation intégrale ». [...]

La Cour permanente de justice internationale a énoncé la « règle générale et fondamentale » en matière de réparation dans l'affaire de l'usine de Chorzow de 1928. Dans cet arrêt, la Cour a déclaré « la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l'état qui aurait vraisemblablement existé si le dit acte n'avait pas été commis ».

L'ampleur de « toutes les conséquences » a été précisée dans le Projet d'articles sur la responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite élaboré par la Commission du droit international (2001). On lit à l'article 31 : « l'État responsable est tenu de réparer intégralement le préjudice causé par le fait internationalement illicite ».

La Commission du droit international et d'autres instances internationales établies définissent ce qui est considéré comme une réparation intégrale. Celle-ci inclut :

Cessation, assurances et garanties de non-répétition - un État responsable d'avoir causé un préjudice injustifié à un peuple « est tenu : a) d'y mettre fin si ce fait continue, b) d'offrir des assurances et des garanties de non-répétition appropriées ».

Restitution et rapatriement - « le rétablissement de la situation qui existait avant que le fait illicite ne soit commis » Rétablir la victime dans la situation initiale avant que des violations graves du droit international ne s'est produit. Le comment inclut le rétablissement de la liberté, de la reconnaissance de l'humanité, de l'identité, de la culture, du rapatriement, des moyens de subsistance et de la richesse.

Indemnisation - L'État fautif est tenu d'indemniser pour le dommage causé par ce fait dans la mesure où ce dommage n'est pas réparé par la restitution. L'indemnisation couvre « tout dommage susceptible d'évaluation financière ». Une indemnisation adéquate est telle qu'elle est « appropriée et proportionnée à la gravité de la violation et aux circonstances ».

Satisfaction - « en tant que » signifie « pour obtenir réparation d'un préjudice moral, tel qu'un préjudice émotionnel, une souffrance mentale et une atteinte à la réputation ».

Rééducation - la rééducation consiste en une guérison de l'esprit, du corps, des émotions et des esprits - des effets durables des traumatismes de l'esclavage et de la ségrégation.

C'est en utilisant cette structure qu'en 2017 le membre de la Chambre des représentants du Congrès John Conyers a présenté une version révisée du HR 40 lors de la 115e séance du Congrès, qui a appelé à la création d'une commission chargée d'élaborer des programmes, des politiques et des pratiques intégrant ces éléments et les aboutissements attendus -- The Commission to Study and Develop Reparations Proposals for African Americans Act. La membre de la Chambre des représentants Sheila Jackson Lee l'a présenté à la 116e séance du Congrès. Lorsque l'on examine le Manifeste de N'COBRA - et la plateforme de réparation en 10 points de la NAARC - en détail, ces aboutissements sont précisés. [...]

(16 mars 2019. Traduction: LML)

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