1er mai-25 juin
100e anniversaire de la Grève
générale de Winnipeg
Fière histoire de résistance organisée et de défense des droits des travailleurs canadiens
- Dougal MacDonald -
Rassemblement au parc Victoria durant la Grève
générale de Winnipeg
Introduction
Cette année marque le 100e anniversaire de
la grève générale de
Winnipeg, qui a eu lieu du 1er mai au 25 juin 1919. La
Première Guerre
mondiale avait pris fin, mais elle n'a pas mis fin à la
cupidité des
hommes assoiffés de pouvoir qui l'avaient
déclenchée en premier lieu.
Au Canada, la guerre a été un prétexte pour
réprimer la résistance à la guerre
impérialiste et l'objection de
conscience contre la participation à cette guerre, ainsi que
pour
attaquer les syndicats et la politique révolutionnaire.
La Loi sur les mesures de guerre est
restée en vigueur
pendant plus d'une année après la fin de la guerre et a
été utilisée
contre les organisateurs de la grève générale de
Winnipeg de 1919.
Après la guerre, l'armée canadiennes et les armées
de 14 autres pays, à
l'instigation de la Grande-Bretagne et de la France, ont
également été envoyées pour envahir la
Russie soviétique dans une vaine
tentative de maintenir les privilèges du régime tsariste
renversé par la
création du premier État socialiste du monde. En
même temps, les
soldats qui avaient survécu à la guerre de
tranchées, dont beaucoup
étaient revenus invalides, avaient été
gazés par le gaz moutarde et
souffraient du stress post-traumatique, alors non-reconnu,
étaient
accablés par l'inflation et le chômage
d'après-guerre. La grippe
espagnole a également causé des millions de morts.
Dans cette conjoncture, les ouvriers de l'industrie de
la
construction et de la métallurgie de Winnipeg sont entrés
en grève ;
ils exigeaient des salaires plus élevés et la
réduction des heures de
travail. Ils ont été rejoints par des travailleurs du fer
qui luttaient
pour la reconnaissance de leur syndicat, le Conseil des métiers
de la
métallurgie.
Le 15 mai, avec l'appui massif de ses 12 000 membres, le
Conseil des
métiers et du travail de Winnipeg déclenche la
grève générale. Trente
mille travailleurs syndiqués et non syndiqués
débrayent. Les
téléphonistes de la ville ont été parmi les
premières à entrer en grève.
Winnipeg a été privé de service
téléphonique pendant une
semaine. Des grèves de solidarité ont été
organisées à Edmonton et à
Calgary pour appuyer la grève générale de Winnipeg.
Le contexte de cette grève était la grave
crise économique dans
laquelle la Grande-Bretagne et, par extension, le Canada étaient
plongés après la Première Guerre mondiale, ainsi
que le traitement des
travailleurs à leur retour de la guerre de tranchées au
cours de
laquelle, abreuvés par l'euphorie pour l'empire, des millions
ont servi
de chair à
canon. La guerre a détruit rapidement cette euphorie
et mis le Canada à la croisée des chemins, car l'ancienne
base de son
économie avait été brisée par la guerre
ainsi que son but qui reposait
sur l'édification d'empire. L'asservissement des gouvernements
aux
intérêts étrangers et aux molochs du capital auquel
les travailleurs ne
s'identifiaient absolument pas pesait lourdement sur la capacité
des
gouvernements à maintenir la paix sociale.
Grand rassemblement au parc Victoria pendant la grève
générale de Winnipeg
Le gouvernement du Canada ainsi que le gouvernement
provincial
craignaient clairement une révolution semblable à celle
qui venait
d'avoir lieu en Russie. Ils ont répandu le mensonge que les
«
immigrants » étaient à l'origine de la
grève.
Le gouvernement du Canada a modifié la Loi
sur l'immigration pour
que même les immigrants nés en Grande-Bretagne qui,
à l'époque, avaient
automatiquement des droits de citoyenneté puissent être
expulsés. Le
gouvernement a mobilisé les forces de police contre les
grévistes et a
eu recours à la violence pour écraser la grève. La
réaction du gouvernement à la situation terrible dans
laquelle se
trouvaient les travailleurs à l'époque et la
répression des luttes des
travailleurs qui avaient fait tant de sacrifices dans la guerre des
tranchées de la Première Guerre mondiale a montré
clairement le rôle de
l'État.
En juin, les autorités fédérales
ont officiellement recouru aux
menaces de déportation pour réprimer la politique de la
classe
ouvrière, bien qu'elles aient tenté de tromper le public
en évitant le
mot « politique » dans leurs accusations. Les
amendements à
l'article 41 de la Loi sur l'immigration
définissaient un «
immigrant
interdit » comme « toute personne
intéressée à renverser un
gouvernement organisé soit dans l'Empire (au niveau provincial
également au Canada) ou en général, soit par la
destruction de biens ou
par la promotion d'émeute ou de désordre publics, ou
qui est membre
d'une organisation secrète qui tente de contrôler des
personnes par la
menace ou le chantage. » [1]
Après presque un mois de grève, le maire
de Winnipeg a demandé
l'intervention de gendarmes spéciaux dont la présence a
attisé la
résistance des grévistes. Les dirigeants de la
grève ont été arrêtés.
La Police à cheval du Nord-Ouest (qui est devenue la Gendarmerie
royale
du Canada en 1920) et les gendarmes spéciaux ont
tiré sur les
travailleurs, tuant deux hommes. Trente-quatre autres personnes ont
été
blessées et 80 arrêtées. Quelques jours plus
tard, le 21 juin, la grève
a pris fin par une marche de protestation organisée par les
anciens
combattants.
Un des dirigeants de la grève, Roger Bray, s'adresse à
une foule de grévistes au parc Victoria.
La grève générale de Winnipeg est
devenue la plus grande révolte
sociale de l'histoire du Canada. Elle fait l'objet de nombreuses
études
concernant non seulement le rôle du gouvernement et des forces de
police, mais aussi celui des syndicats, des communistes, des
socialistes et des partis politiques traditionnels. La grève
reste
d'une grande
importance pour le développement ultérieur du mouvement
émancipateur de
la classe ouvrière canadienne.
Protestation de la Fête du travail de 1919 contre les
procès des dirigeants de la grève
de Winnipeg arrêtés le 16 juin 1919
Les ouvrières ont eu un rôle important dans
la grève. Elles sont
entrées en grève et ont appuyé les autres
travailleurs en grève. Elles
ont créé des cuisines populaires tout en prenant soins de
leurs
familles. Les téléphonistes en grève ont
débranché les lignes
téléphoniques, sont descendues dans les rues pendant les
manifestations
et ont affronté les
briseurs de grève. Des femmes étaient membres du
Comité central de
grève ainsi que de la Ligue ouvrière des femmes.
Le 20 mai, le Western Labour News
a annoncé une réunion d'organisation d'une journée
pour toutes les
travailleuses. En fait, le 15 mai 1919, les femmes ont
entamé une grève
générale de solidarité
avec les travailleurs des métiers de la métallurgie et de
la
construction, qui étaient déjà en grève.
Lorsque 500 téléphonistes,
dont 90 % étaient des femmes, ont quitté
à la fin de leur quart de
travail à 7 heures du matin, aucun travailleur n'est venu
les remplacer.
Notes pertinentes
Les causes de la grève générale de
Winnipeg étaient multiples. Le premier ministre Wilfrid
Laurier avait déclaré aux Canadiens que le XXe
siècle « appartiendrait
au Canada ». De 1898 à 1912, la croissance
économique a été rapide et
l'Ouest canadien a connu une
croissance démographique. Il y avait un air d'optimisme et la
classe
dirigeante entretenait l'euphorie autour de l'empire. Winnipeg
était un
important centre industriel au coeur du Canada, le dépôt
de trois
grandes compagnies ferroviaires, le Canadien Pacifique, le
Canadien-Nord et le Grand Tronc du Pacifique. Le transport ferroviaire
des nouveaux
immigrants d'Est en Ouest et du grain d'Ouest en Est créait
beaucoup de
richesse pour les détenteurs de capitaux.
Les cheminots de Winnipeg ont commencé à
créer leur organisation
dans les années 1890. Les machinistes et les outilleurs ont
été les
premiers à s'organiser et d'autres travailleurs ont suivi. Un
Conseil
des métiers et du travail a été créé
pour unifier les travailleurs, un
journal à vocation syndicale, le Western Labour News, a
été
fondé et un candidat travailliste a été élu
à l'assemblée législative.
Les cheminots ont mené plusieurs grèves militantes au
cours desquelles
ils ont fait face aux mitrailleuses et aux briseurs de grève
amenés de
l'extérieur. Cependant, l'économie locale continuait sa
croissance et
le chômage était bas en raison du grand nombre d'emplois
disponibles,
en particulier dans la construction.
La situation a changé lorsque la Grande-Bretagne
a commencé à fermer
certaines de ses installations de production. Quand la Première
Guerre
mondiale a été déclarée en 1914,
Winnipeg était plongé dans la
récession et un grand nombre de chômeurs étaient
à la rue. Ceux qui
avaient un emploi travaillaient de longues heures pour de bas
salaires dans de mauvaises conditions de travail et l'inflation
était
galopante.
La production de matériel de guerre et de
munitions a commencé à
Winnipeg en 1915, mais le volume était relativement petit.
Beaucoup de
travailleurs s'opposaient à la conscription, car ils
considéraient la
guerre principalement comme un stratagème pour envoyer des
travailleurs
à leur mort pour augmenter les profits des capitalistes.
C'était un fait bien connu que certaines personnes
réalisaient des
profits énormes en fournissant du matériel de guerre. Les
agriculteurs
étaient confrontés à des tarifs
élevés et à la chute du prix des
céréales. Lorsque la guerre a pris fin, les soldats sont
rentrés chez
eux, non pas dans un monde « sûr pour la
démocratie », mais dans un
monde
en proie au chômage, à la pauvreté et à
l'abandon.
Pendant la guerre, le nombre de travailleurs
syndiqués à Winnipeg a
augmenté d'un tiers. Le foyer principal de l'action syndicale
était le
Conseil des métiers de la métallurgie, créé
en 1918 pour représenter
les machinistes et les outilleurs. Les travailleurs des trois ateliers
appartenant à des compagnies ferroviaires travaillaient pour un
salaire.
Les ateliers commerciaux où travaillaient des ouvriers non
syndiqués
appartenaient à Manitoba Bridge (Deacon), Vulcan (les
frères Barrett)
et à Dominion Bridge (des capitalistes montréalais). Ces
entreprises
payaient leurs travailleurs moins que les travailleurs des ateliers de
chemin de fer en utilisant un système de travail à la
pièce. L'un des
principaux objectifs du Conseil des métiers de la
métallurgie était de
faire respecter la parité salariale dans les six ateliers.
À l'origine
de la grève générale de Winnipeg se trouve la
grève du syndicat des
métiers de la construction du 1er mai et la grève
des ouvriers des
métiers de la métallurgie du 2 mai dans les trois
ateliers
commerciaux La grève générale a
duré 41 jours et plus de 25 000
ouvriers ont été en grève.
Fortement inspiré par la victoire de la
Révolution bolchevique de 1917, un éditorial
du 22 mai 1919 du Western Labour News disait :
« La lutte est engagée. Elle a renversé le
gouvernement en Russie, en
Autriche, en Allemagne, etc. » À Winnipeg, un des
dirigeants de la
grève, William Pritchard, dans sa
plaidoirie de défense au tribunal a souligné avec
militantisme les
contributions de Marx et d'Engels au mouvement ouvrier. De l'autre
côté, le « Comité des 1000 »,
le comité contre la grève des
capitalistes locaux et nationaux, dont étaient membres
l'Association
des manufacturiers canadiens, l'Association des banquiers et Imperial
Oil,
a déclaré que la grève était un
début de révolution bolchevique au
Canada et que tous les travailleurs étaient de dangereux
radicaux
décidés à détruire les institutions en
place et à instaurer un
gouvernement soviétique.
Les grévistes remplissent les rues le 4
juin 1919, devant le quartier général
du « Comité des 1000 » antigrève.
Le 22 juin 1918, le premier ministre Borden
avait approuvé l'envoi
d'un corps expéditionnaire de soldats canadiens en
Sibérie pour se
joindre à la vaine croisade réactionnaire des 14
États qui voulaient
écraser la révolution bolchevique. Le 22
décembre 1918, une assemblée
de masse s'est tenue à Winnipeg pour
condamner cette intervention.
Les conditions au moment de la grève
La Première Guerre mondiale et la crise de
l'après-guerre
avaient fortement affaibli la position de monopole de la
Grande-Bretagne parmi les États capitalistes. Au lendemain de la
Première Guerre mondiale, les grandes puissances luttaient pour
s'emparer d'une plus grande part de marché, principalement aux
détriments de la Grande-Bretagne.
La guerre avait ébranlé les relations d'avant-guerre et
de nouvelles
forces avaient surgi sur le marché. Ces forces comprenaient non
seulement les États-Unis, mais l'Allemagne, le Japon et d'autres
pays,
ainsi que les dominions et les colonies britanniques, dont le Canada,
qui avaient réussi à développer davantage leur
propre économie pendant
la
guerre. À cause de cette nouvelle concurrence et de la perte de
parts
de marché, il était plus difficile pour la
Grande-Bretagne d'extraire
des profits du pillage des marchés et des sources de
matières
premières, y compris de ceux du Canada. En réaction, les
capitalistes
britanniques s'efforçaient de limiter la production ou, en tout
cas, de
ne pas
l'élargir aveuglément.
Ces pertes de profits de la Grande-Bretagne et de ses
colonies et la
diminution encore plus grande des quelques miettes que recevait la
classe ouvrière se sont accompagnées de l'intensification
des luttes
directes des travailleurs contre le capital. Le Canada était
encore
principalement dominé par la Grande-Bretagne. Réaliser le
profit
maximum de
l'exploitation du travail, sans tenir compte des besoins des
travailleurs et de la société, était le but de la
Grande-Bretagne et de
l'élite capitaliste au pouvoir au Canada, au Manitoba et
à Winnipeg
même. Dans les conditions de la guerre et de
l'après-guerre, une telle
exploitation intense entraîna inévitablement la
résistance des ouvriers
et de leurs
luttes, pour des salaires plus élevés et de meilleures
conditions de
travail, entre autres.
Une foule en colère contre les attaques contre les
grévistes à Winnipeg le 21 juin 1919
renverse partiellement un tramway.
Contrairement au mythe selon lequel la grève
générale de Winnipeg
était une « anomalie » parce que le mouvement
de la classe ouvrière au
Canada s'est « bien conduit » tout au long de son
histoire, un examen
même sommaire de l'histoire du mouvement ouvrier confirme que les
travailleurs ont mené de nombreuses luttes
organisées et de nombreuses grèves contre le capital au
cours des
décennies.
En Nouvelle-Écosse, il y a eu la grève
générale de Halifax et
d'autres luttes. Juste avant la grève générale de
Winnipeg, les
employés municipaux de Winnipeg, appuyés par d'autres
syndicats des
services publics, avaient remporté leur grève.
La grève générale a
été une des nombreuses grèves de ce genre, bien
qu'elle soit l'une des plus importantes, des plus longues et qu'elle
marque une
étape importante pour l'avancée de la lutte pour les
droits des
travailleurs et de leurs réclamations à la
société qui leur
appartiennent de droit. Les travailleurs ont affronté
héroïquement
l'intransigeance des
propriétaires, dont le mépris pour les travailleurs, la
brutalité et le
recours à l'État pour protéger leurs
intérêts étaient sans limites.
Les efforts continus des capitalistes pour
réduire les coûts de
production dans leur secteur étaient une partie
intégrante de
l'expansion du capitalisme canadien. Que les métallurgistes
aient été
la cible principale n'était pas un fait du hasard.
C'étaien des
travailleurs qualifiés qui avaient un haut niveau de
savoir-faire et
d'expérience et qui
connaissaient leur valeur dans le processus de production. Leur travail
produisait d'importants profits pour les capitalistes des chemins de
fer, l'un des groupes de détenteurs du capital les plus
puissants au
Canada. De plus, parce que les métallurgistes avaient
été les premiers
et le plus grand groupe de travailleurs à se syndiquer à
Winnipeg, ces
ouvriers étaient un détachement avancé de la
classe ouvrière. La
stratégie de l'élite dirigeante était de les
écraser afin d'abaisser
leurs salaires, allonger leur journée de travail et ainsi
s'assurer de
la soumission et de la docilité du reste de la classe
ouvrière. Tout le
monde doit rentrer dans le rang. Mais c'est le contraire qui s'est
produit. Loin d'être
intimidés, des milliers de travailleurs de Winnipeg et d'autres
villes
du Canada, notamment à Toronto, Vancouver, Regina, Edmonton et
Calgary,
ont soutenu avec militantisme les métallurgistes en
déclenchant des
grèves.
En 1919, c'était le gouvernement du Parti
conservateur de Robert
Borden qui était au pouvoir et s'est révélé
être un ennemi impitoyable.
En juin 1918, le premier ministre Borden a participé
à la rédaction
d'une résolution britannique demandant une « assistance
armée alliée
immédiate à la Russie » dans le but
d'écraser la
révolution ouvrière en Russie. Deux mois plus tard,
Borden ordonnait
l'envoi de troupes canadiennes en Sibérie. Pendant la
grève générale de
Winnipeg, Robert Borden a violemment attaqué les
grévistes et leurs
alliés, en même temps que la presse monopolisée au
service des détenteurs du
capital accusait les immigrants et les bolcheviks d'avoir
fomenté
la grève.
Réunion « Ne touchez pas à la Russie »
à Victoria en 1918 pour dénoncer l'envoi de troupes
canadiennes en Sibérie
Comme le montre le déroulement de la
grève, les capitalistes
canadiens et le gouvernement du Parti conservateur se sont
montrés plus
expérimentés, mieux organisés et donc plus forts
que les travailleurs
de Winnipeg et leurs dirigeants. Ils sont entrés dans le conflit
lourdement armés et prêts à écraser les
travailleurs.
Le 22 mai, le
gouvernement fédéral a envoyé des bataillons de
soldats armés de mitrailleuses à Winnipeg. Le 6
juin, le gouvernement a
modifié la Loi sur l'immigration pour permettre
l'expulsion
d'immigrants accusés de « sédition ».
Le 10 juin, les « gendarmes
spéciaux » recrutés parmi les briseurs de
grève et les voyous ont attaqué une manifestation
pacifique. Le 16
juin, plusieurs dirigeants de la grève ont été
arrêtés, emprisonnés et
menacés d'expulsion du Canada. Ensuite, le « Comité
des 1000 » s'est
arrangé pour que des dirigeants syndicaux dociles à sa
solde entrent en
scène pour combler le vide laissé par ces
arrestations et sapent la grève.
Le 21 juin est passé dans l'histoire comme
le « samedi sanglant ».
Des membres de la Police à cheval du Nord-Ouest et des soldats
armés
ont violemment attaqué une manifestation pacifique des
travailleurs non
armés et ont tué deux grévistes et fait 30
blessés. Les dirigeants
syndicaux semblent avoir été pris au dépourvu et
désorganisés face à cette violence. Moins d'une
semaine avant la grève,
ces dirigeants se déclaraient convaincus qu'elle ne serait pas
nécessaire.
La Police montée du Nord-Ouest charge la foule, le 21
juin 1919, à Winnipeg, connu sous le nom du Samedi
sanglant.
Le 23 juin, le président du Congrès
des métiers et du travail du
Canada a annoncé que la grève était «
officiellement terminée « et
qu'il était temps que les travailleurs investissent leurs
énergies à ragner des sièges au conseil municipal
par
les élections.
En réalité, le comité de grève avait
déjà prévu de maintenir les
services
essentiels au niveau municipal, témoignant de la capacité
de la classe
ouvrière d'organiser la société selon ses besoins.
J.S. Woodsworth, le futur dirigeant de la
Fédération du commonwealth
coopératif, le précurseur du Nouveau Parti
démocratique, a pris le
contrôle du Western Labour News, l'organe des
travailleurs,
lorsque son rédacteur a été arrêté.
Ses discours et ses éditoriaux
étaient remplis d'illusions réformistes et de la
promotion de la voie
parlementaire pacifique comme voie de la victoire pour les travailleurs.
Plusieurs dirigeants de la Grève
générale de Winnipeg avaient été
formés en tant que dirigeants syndicaux en Grande-Bretagne, au
cours de
cette période lorsque le capital britannique amassait des super
profits
et pouvait offrir des avantages aux dirigeants syndicaux et s'en servir
pour obtenir des compromis auprès de la classe ouvrière
britannique. Plusieurs de ces dirigeants s'étaient laissé
séduire par
le capitalisme et s'étaient éloignés des
travailleurs. Plutôt que de se
battre pour les travailleurs, ils ont adopté l'idéologie
capitaliste et
se sont fixés comme objectif leur propre avancement. Engels
disait de
ces dirigeants qu'ils étaient embourgeoisés. Ramsay
MacDonald, le
premier
politicien travailliste à devenir premier ministre, en est un
exemple.
Après 1931, MacDonald a systématiquement
été dénoncé par le mouvement
ouvrier britannique pour avoir trahi leur cause, bien que certains de
ces individus eux-mêmes n'étaient pas des grands
modèles de leadership
ouvrier.
Le Parti conservateur dirigé par Borden s'est
rendu compte que la
grève générale de Winnipeg était un
événement politique majeur, et
qu'une telle grève ne pouvait être combattue que par un
ensemble de
mesures politiques, telles que les changements à la
législation sur les
immigrants, et par des mesures militaires, comme la mobilisation de la
police et de troupes pour écraser les travailleurs. Le
comité de grève
n'avait pas l'expérience voulue pour reconnaître
l'importance politique
de la grève générale et a mené l'action
uniquement dans le cadre de
revendications économiques, la lutte pour de meilleurs salaires,
de
meilleures conditions de travail et une journée de travail plus
courte.
L'état-major des capitalistes a compris qu'un
large appui syndical à
la grève générale de Winnipeg serait dangereux
pour eux, ce qui n'a pas
tardé à alimenter la propagande anticommuniste et
antiimmigrante. Le
ministre fédéral du Travail, lui-même un ancien
vice-président du
Syndicat des typographes, a fait une agitation féroce contre les
travailleurs et a appelé à la détention de ses
dirigeants. Le One Big
Union, qu'on appelait les Wobblies, a appuyé la grève
mais n'a rien
fait pour l'organiser ou pour la diriger. D'autres dirigeants de
syndicats internationaux se sont ouvertement opposés à la
grève sous
prétexte que son véritable ordre du jour n'était
pas de faire
progresser la cause
des travailleurs mais de mettre fin au syndicalisme international.
Il y a même eu des déclarations publiques
à l'effet que les
grévistes n'avaient pas l'intention de transformer la lutte en
une
lutte politique et que le comité de grève n'avait aucune
intention de
soulever la question du pouvoir politique. Comme l'histoire l'a
démontré, une grève générale qui
n'est pas transformée en lutte
politique va laisser la
classe ouvrière sans préparation dans sa confrontation
avec le pouvoir
politique organisé de la classe capitaliste.[2]
Une foule rassemblée devant l'hôtel de ville de Winnipeg
pendant la grève générale
La situation à laquelle les capitalistes et leur
gouvernement était
confrontés était aussi aggravée par le fait que
plusieurs soldats qui
étaient de retour de la guerre ont joué un rôle
important dans la
grève. Pour résoudre ce problème, le gouvernement
et les médias
capitalistes en ont appelé à la loyauté des
soldats pour diviser leurs
rangs. Ainsi,
l'exécutif de l'Association des vétérans de la
Grande Guerre (GWVA) a
tenté d'inciter le racisme en répandant que tandis que
les soldats
combattaient outremer, des travailleurs «
étrangers », autrement dit
les immigrants, avaient volé leurs emplois et que ce sont ces
«
étrangers « qui avaient déclenché la
grève. De son côté, le Western
Labour News,
dans un éditorial du 20 mai, exhortait les travailleurs qui
étaient des
vétérans à contribuer à renverser
l'exécutif réactionnaire de la
GWGA. De façon générale, les soldats qui
étaient aussi des travailleurs
appuyaient la grève, tandis que d'autres étaient soit
indifférents ou
s'y opposaient. Les soldats favorables à la grève
étaient les principaux organisateurs de ce qu'ils appelaient les
«
parades « qui amenaient les travailleurs dans la rue pour
manifester.
Les soldats qui étaient contre la grève organisaient des
contre-manifestations.
Plusieurs organisations ouvrières qui
étaient actives à cette époque
comme le Parti travailliste indépendant (Winnipeg, 1895),
le Parti
socialiste du Canada (1904), le Parti du travail du Manitoba (1910) et
le Parti social-démocrate (1911) ont organisé des
réunions et des
conférences dont la grande Conférence du travail de
l'Ouest du
Canada qui a eu lieu à Calgary en mars 1919. Cette
conférence a adopté
des résolutions fermes en appui au socialisme et à la
défense de la
Russie soviétique et déclarant même «
l'acceptation entière du principe
de la dictature du prolétariat ». Le Parti communiste
du Canada a été
fondé deux ans plus tard et a tenu son premier congrès
les 18 et 19 juin 1921 à Guelph en Ontario.
Certaines leçons à tirer
L'expérience directe de la grève a
enseigné aux travailleurs que
le principal obstacle à ce que les travailleurs réalisent
leurs
objectifs était le pouvoir politique des capitalistes, qui
à ce
moment-là était exercé par le gouvernement du
Parti conservateur.
Tandis que le Congrès des métiers et du travail du Canada
semblait
craindre de reconnaître le
lien inséparable entre la lutte économique et la lutte
politique, les
travailleurs, par leur lutte, ont saisi de plus en plus la question
fondamentale qui est quelle classe détient le pouvoir politique
et que
l'État n'est pas neutre dans la lutte entre le capital et le
travail.
La grève a arraché le voile du pouvoir politique,
montrant que celui-ci
est indivisible et
que la lutte des travailleurs doit viser ce pouvoir pour qu'ils
puissent déployer la force de leur nombre et de leur
organisation en
leur faveur pour contrecarrer ceux qui se servent de ce pouvoir contre
les travailleurs.
La conduite de la grève et son résultat
ont montré aux travailleurs
l'inaptitude de ces dirigeants syndicaux qui étaient
infectés par des
ambitions bourgeoises de richesse personnelle, de pouvoir et de
privilège. La grève a démontré que ces
dirigeants doivent être
remplacés par des dirigeants révolutionnaires qui n'ont
pas ces
ambitions. La grève a
aussi démontré aux travailleurs de Winnipeg et d'ailleurs
au Canada à
quel point il était vital que toute la classe ouvrière
appuie les grèves
individuelles afin de garantir leur succès. La grève a
enseigné aux
travailleurs à quel point cette leçon importante est
vraie.
Enfin, et chose très importante, la grève
a enseigné aux
travailleurs, surtout aux moments les plus difficiles, que les partis
existants n'étaient pas capables de soutenir de façon
audacieuse et
ferme les intérêts de la classe ouvrière et que
celle-ci a besoin de
son propre parti politique qui exprime sa politique, ses tactiques et
ses revendications
indépendantes. La formation, peu après, du Parti
communiste du Canada
en 1921 visait à fournir une solution à ce
problème. Elle l'a fait
jusqu'à ce que ce parti perde pied au début des
années 1950, en pleine
guerre froide, et se mette à créer des illusions sur la
démocratie
bourgeoise.
La situation a changé, cependant, depuis le 31
mars 1970, lorsque le Parti communiste du Canada
(marxiste-léniniste) a été fondé sur la
base des principes organisationnels léninistes pour mener
à bien les tâches requises pour ouvrir la voie au
progrès de la société. Dans ce travail, le
PCC(M-L) accomplit sans relâche toutes les tâches
politiques et idéologiques sur la base du travail
organisationnel qui est au service de la tâche fondamentale de
faire avancer la cause d'investir le peuple du pouvoir.
Le 31 mars 2018, à l'occasion
du 48e anniversaire de la fondation du
Parti, il a encore une fois, de manière succincte,
exprimé
sa mission et
comment la réaliser : « Toutes les activités
que le PCC(M-L) a menées
depuis près de 50 ans ont ceci en commun : elles
participent au
développement du rôle
dirigeant de la classe ouvrière dans la société.
La force du PCC(M-L)
est dans sa théorie révolutionnaire, dans sa ligne
politique et dans le
fait que ses organisations à tous les niveaux portent une
attention
particulière à la réalisation des tâches qui
permettent d'ouvrir la
voie au progrès de la société. Le tranchant de
l'intervention dans la
période
actuelle est la lutte idéologique et la mobilisation dans le
travail
politique pour définir la politique pratique requise pour
bâtir le
mouvement politique contre la destruction nationale. La politique
pratique est requise pour mobiliser les travailleurs, les jeunes et les
étudiants dans un projet d'édification nationale sur une
base moderne.
« L'accent sur le travail d'organisation est pour
activer le facteur
humain/conscience sociale pour assumer ensemble la
responsabilité de
transformer la situation. En bâtissant les comités qui
prennent des
positions politiques indépendantes, les travailleurs, les jeunes
et les
étudiants peuvent faire des percées importantes. Ces
comités doivent
être
établis dans les endroits de travail, dans les maisons
d'enseignement
et dans les quartiers ainsi que parmi les personnes âgées,
où leurs
membres assument la responsabilité de leurs décisions et
des actions de
leurs pairs. Ils peuvent donner suite à leurs
préoccupations et à
celles de la société et de l'humanité. En
développant la politique
indépendante
de la classe ouvrière, ils se donnent l'outil décisif
pour priver les
oligarques financiers internationaux et les gouvernements à leur
service du pouvoir de priver le peuple, qui dépend de la
société pour
son bien-être, de ce qui lui appartient de droit. » [3]
Notes
1. Barbara Roberts, Whence They
Came : Deportation from Canada (Ottawa : Presse de
l'Université d'Ottawa, 1988), p. 84.
2. Un exemple frappant est la
grève générale
de 1926 en Grande-Bretagne qui a mobilisé 1,7 million de
travailleurs
et a duré 9 jours, mais n'a pas produit de gains permanents
en fait de
pouvoir pour les ouvriers.
3. Le
Marxiste-Léniniste, numéro du 31 mars 2018
Cet article est paru dans
Volume 49 Numéro 24 - 22 juin 2019
Lien de l'article:
1er mai-25 juin: Fière histoire de résistance organisée et de défense des droits des travailleurs canadiens - Dougal MacDonald
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