23 juin
29e anniversaire de la défaite de
l'Accord de Meech
Le renouveau démocratique demeure à l'ordre du jour
Manifestation contre l'Accord du lac Meech devant
l'assemblée législative
du Manitoba le 21 juin 1999
Le 23 juin 1990 échouait l'Accord du
lac Meech, un ensemble d'amendements à la Constitution du Canada
négocié en 1987 derrière des portes closes par le
premier ministre du Canada, Brian Mulroney, et les premiers ministres
des provinces. La défaite de Meech signalait un nouvel
approfondissement de la crise
constitutionnelle, laquelle est maintenant devenue une crise
existentielle à cause de l'intégration du Canada à
l'économie de guerre et aux arrangements des États-Unis.
L'Accord de Meech avait été signé
à cause de la crise qui a fait suite au référendum
de 1980 au Québec sur la place du Québec dans le
Canada et du refus du Québec de signer la Constitution
de 1982 rapatriée par le gouvernement de Pierre Trudeau.
Trudeau avait promis de rédiger une nouvelle entente
constitutionnelle après la
défaite du référendum du Québec et cette
promesse s'est soldée deux ans plus tard par l'ajout de la Charte
des
droits
et
libertés et d'une formule d'amendement
à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique
de 1867. Appelées Loi du Canada, elles ont
été adoptées par le parlement britannique
le 29 mars 1982
et on a prétendu qu'avec cette loi la constitution du Canada
était « rapatriée ». On a dit que cela
mettait fin à la dépendance du Canada de la
Grande-Bretagne, en réalité la Reine d'Angleterre demeure
le chef d'État du Canada.
La loi constitutionnelle de Trudeau
(de 1982) était l'« équivalent
canadien » de l' Acte du Canada du parlement
britannique et elle était incluse dans celui-ci avec une formule
d'amendement et la Charte des droits et libertés. Or,
elle ne reconnaissait pas le droit du Québec à
l'autodétermination et par conséquent le
Québec refusa d'en être signataire, ce qui causa une crise
constitutionnelle. C'est pour tenter de la résoudre que le
gouvernement de Brian Mulroney entama en 1985 des
négociations constitutionnelles qui allaient conduire à
l'Accord du lac Meech deux ans plus tard le 23 juin 1987.
Le premier ministre du Québec de l'époque,
Robert Bourassa, a dit que le Québec signerait la Constitution
si cinq modifications lui étaient apportées. :
- la reconnaissance constitutionnelle du Québec
comme société distincte ;
- un veto constitutionnel pour le Québec sur les
changements constitutionnels ;
- une voix au chapitre pour le Québec sur la
nomination des juges de la Cour suprême du Canada ;
- une garantie constitutionnelle de pouvoirs accrus en
matière d'immigration ;
- la limitation du pouvoir fédéral de
dépenser.
Il fallait s'attaquer aux causes de la crise
constitutionnelle. Il fallait notamment garantir des relations de
nation à nation avec les peuples autochtones de façon
à mettre fin à l'injustice coloniale et à offrir
des compensations pour tous les torts commis contre eux ; il
fallait mettre fin à toutes les notions de droits basées
sur le privilège et les
soi-disant limites raisonnables, investir le peuple du pouvoir et non
une personne d'État artificielle, sans parler d'un monarque
étranger et enchâsser des droits égaux pour tous
les citoyens et résidents. Enfin, il fallait reconnaître
le droit du peuple du Québec à
l'autodétermination, y compris la sécession si telle est
sa décision, ce que l'Accord du lac
Meech a refusé de faire.
L'accord de Meech visait en fait à maintenir le
statu quo en déclarant le Québec «
société distincte » au sein du Canada. Il
donnait un veto constitutionnel au Québec, augmentait les
pouvoirs des provinces en matière d'immigration, étendait
et réglementait le droit à une compensation
financière raisonnable pour toute province qui se
retirerait de quelque programme fédéral futur dans un
domaine de juridiction exclusivement provinciale et donnait voix au
chapitre aux provinces dans la nomination des sénateurs et des
juges de la Cour suprême.
Puisque Meech aurait changé la formule
d'amendement de la Constitution et modifié le processus de la
Cour suprême, il fallait obtenir le consentement de toutes les
législatures provinciales et du parlement canadien dans un
délais de trois ans. Les dix premiers ministres provinciaux
s'étaient tout de suite mis d'accord mais le consensus ne dura
pas les trois ans requis pour obtenir le consentement des
assemblées législatives. Une Conférence des
premiers ministres fut convoquée vingt jours avant
l'échéance pour essayer de sauver Meech et il fut convenu
que Meech devait être suivi d'une autre ronde de
négociations constitutionnelles. Le premier ministre de
Terre-Neuve, Clyde Wells,
s'attaqua au secret du processus décisionnel. Le 23
juin 1990, date limite, Elijah Harper, député de
l'assemblée législative du Manitoba membre des
Premières Nations, signala son refus de consentement en
brandissant une plume d'aigle, rendant ainsi impossible
l'unanimité requise de l'assemblée. Wells annula sa
proposition de tenir un
vote à l'assemblée de Terre-Neuve et l'Accord du lac
Meech était officiellement mort.
Une des principales caractéristiques de l'Accord
de Meech était de ne pas clarifier ce que voulait dire «
société distincte » en parlant du
Québec. Il affirmait que le Québec était une
« société distincte » et que « la
législature et le gouvernement du Québec ont le
rôle de protéger et de promouvoir la société
distincte ». La «
société distincte » est restée
indéterminée dans les documents, les aspects «
distincts » du Québec n'y étaient pas
énumérés et il n'y avait pas de critères
par lesquels les préserver et les promouvoir. Le terme «
société distincte » a été le
sujet de nombreuses interprétations mais celle qui a
dominé les cercles politiques officiels était
que le Québec est distinct en raison de la langue
française uniquement. En faisant de la langue la seule question,
la formulation de Meech sur la « société
distincte » niait que le peuple québécois
comprenait une nation ayant évolué au fil de l'histoire
avec une communauté d'économie et de territoire, une
langue et une culture et une
psychologie portant l'empreinte de cette histoire. Qui plus est, elle
niait au peuple québécois le droit à
l'autodétermination. Le fait de dire à l'Assemblée
nationale ce qu'elle devait faire n'a pas été bien
reçu non plus.
Un autre aspect important de l'Accord de Meech est la
promotion qu'il faisait de la désunion et de
l'inégalité. Le fait de définir une nation
uniquement par sa langue mène à la théorie que le
Canada est habité par un grand nombre de « nations
linguistiques », toutes susceptibles d'un statut
indépendant mais dont seulement l'«
anglaise » et la « française »
auraient une place d'honneur.
Meech encourageait la désunion également
en dévoluant certains pouvoirs fédéraux aux
provinces comme s'il s'agissait de dix petites nations (les provinces)
regroupées dans une grande nation (le gouvernement
fédéral). Les deux territoires (le Nunavut n'existait pas
encore) ne furent pas invités au lac Meech (ils ont
participé par téléconférence)
parce que le premier ministre considérait que leur pouvoir
était insuffisant, établissant ainsi la
possibilité de différents statuts selon la région.
D'autre part, Meech accordait à chaque province un pouvoir de
veto en matière législative et il était clair que
chaque province s'en servirait pour avancer les intérêts
étroits des regroupements économiques et
politiques régionaux qui finançaient les gouvernements
plutôt que de mettre de l'avant l'intérêt ou le but
national d'ensemble.
Le troisième aspect de Meech
était son refus d'affirmer ou même d'aborder le sujet des
droits ancestraux des peuples autochtones, ce qui revenait à
supprimer ces droits. Les droits ancestraux des peuples autochtones ne
sont pas un élément périphérique, ils
doivent être enchâssés dans la Constitution. Les
autochtones ont le droit légitime de
revendiquer les terres de leurs ancêtres et d'en disposer comme
ils l'entendent. En tant que peuples souverains, ils ont le droit de
décider de leurs affaires mais aussi de participer à la
décision des affaires du Canada dans son ensemble. Aucune des
modifications proposées par l'Accord de Meech n'abordait ces
sujets. Les chefs autochtones
présentèrent deux autres objections. La première
concernait leur exclusion de l'ensemble des travaux de Meech. L'autre
concernait le transfert possible de services fédéraux aux
provinces prévu dans la clause sur le droit de retrait avec
compensation, ce qui risquait d'entraîner le
démantèlement de programmes essentiels pour les peuples
autochtones.
Le quatrième aspect principal de Meech
était le caractère antidémocratique des
procédures. Toutes les consultations eurent lieu derrière
des portes closes. Les gens disaient que c'était une rencontre
de onze hommes blancs à cravate pour décider du sort du
pays entre eux. Une fois l'accord conclu dans le secret, les onze
premiers ministres
tentèrent de l'imposer au peuple sans autre discussion ou
délibération. Il n'y eut pas de consultation populaire,
l'ordre du jour n'était pas établi suivant les
désirs du peuple et les points discutés et inclus dans
l'accord étaient ceux que les premiers ministres voulaient
discuter et inclure.
L'extrême mécontentement de la population
face aux procédés de Meech fut capté par le Forum
des citoyens sur l'unité nationale de 1990, appelé
Commission Spicer, que Mulroney fut forcé d'établir
après la défaite de Meech, disant que son gouvernement
voulait entendre les opinions des Canadiens. Le rapport de la
Commission Spicer
publié en 1991 permet de constater que les Canadiens
étaient très conscients que quelque chose manquait dans
le processus politique canadien, qu'on ne pouvait pas faire confiance
aux hommes et aux femmes politiques et qu'il manquait les
mécanismes nécessaires pour habiliter le peuple. Beaucoup
ont réclamé la convocation d'une
assemblée constituante qui permettrait au peuple de
délibérer et de décider de la constitution qu'il
veut.
Toutes les recommandations et propositions de la
Commission Spicer ont par la suite été ignorées
par le Gouvernement du Canada.
La signification de Meech aujourd'hui est qu'à l'époque
actuelle les peuples veulent être les arbitres et les
décideurs. C'est le travail pour le renouveau
démocratique qui va ouvrir la voie au progrès de la
société et non le réaménagement du statu
quo au nom du changement, de la modernisation et de faire en sorte que
chaque vote compte.
L'Accord de Meech a confirmé que dans la forme de
pouvoir politique héritée par le Canada, le pouvoir
absolu réside dans les oligarques financiers et leurs
représentants politiques. La suggestion à l'effet que
seul le premier ministre du pays et les dix premiers ministres des
provinces seraient habilités à proposer la Constitution
et que le peuple
reste exclu du processus a été rejetée fermement
parce qu'aujourd'hui l'histoire exige que le pouvoir soit
transféré au peuple qui agit de son propre chef et dans
son propre intérêt. Celui-ci veut retirer la politique des
mains des intérêts en place et la mettre entre les mains
de ceux qui s'attaqueront aux problèmes que le peuple veut
régler, comme
l'insécurité économique qui est devenue la plus
grande priorité à l'heure actuelle.
L'échec de Meech a également mené
à la disparition de la configuration du parlement jadis
fondé sur
l'existence du « parti au pouvoir » (libéraux
ou conservateurs) et du « parti de l'opposition ». Le
Parti conservateur a été à toute fin pratique
radié de la carte à l'élection de 1993 et le
Parti libéral est dans un triste état depuis le «
scandale
des commandites » de 1995, qui a permis de concentrer
toujours plus de pouvoir dans un nombre de mains toujours plus petit.
Depuis, les partis politiques siégeant à la Chambre des
communes ont formé un cartel visant à maintenir le peuple
sans pouvoir et les partis politiques sont élus grâce
à des banques de données destinées leur
permettant de microcibler des électeurs et le fossé
continue de grandir entre les gouvernants et les gouvernés.
Aujourd'hui, aucun gouvernement n'a le consentement des
gouvernés et la nécessité d'un renouveau
démocratique est plus urgente que jamais.
Cet article est paru dans
Volume 49 Numéro 24 - 22 juin 2019
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23 juin: Le renouveau démocratique demeure à l'ordre du jour
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