Réparation veut dire entière réparation pour 400 années de terreur et autres crimes odieux

L'année 2019 représente le 400e anniversaire de l'arrivée des premiers Africains sur les rives de la colonie de Virginie en 1619. C'est le début de la période américaine de l'esclavage des Africains et de leurs descendants. La Coalition nationale des Noirs pour des réparations en Amérique (N'COBRA) a choisi comme thème de cet anniversaire : 400 ans de terreur : une dette jamais remboursée.

Dès le début, la terreur ou le traumatisme psychique était la réalité pour ces quelque trois douzaines d'Africains volés. Non seulement le « Passage du milieu » était une expérience terrifiante, mais l'histoire nous apprend que le navire qui a amené ces Africains ici n'était pas le navire dans lequel ils avaient été embarqués. Et ce ne sont pas 36 d'entre eux qui ont quitté l'Afrique pour ce voyage. Ils étaient 350.

En route vers sa destination, Vera Cruz, au Mexique, le navire original - le San Juan Bautista - a été intercepté dans le golfe du Mexique par non pas un, mais deux navires pirates - le Lion blanc et le Trésorier. À la fin de l'attaque, le Lion Blanc a livré toute sa cargaison saisie lors de l'attaque soit « une vingtaine d'Africains », et le Trésorier, « une demi-douzaine » des 40 Africains dont il s'était emparé avant de quitter vers les Bermudes.

Comment une soixantaine d'Africains ont-ils réussi à se retrouver sur ces navires pirates, alors que le San Juan Batista avait été détruit lors de l'attaque ? Ont-ils été tirés de la mer ? Ont-ils été forcés par une arme à feu ou à la pointe d'une épée ? Ont-ils choisi un navire autre que celui qui coulait et qui leur offrait une mort certaine ? Plus important encore, que sont devenus les 300 autres qui se trouvaient sur le San Juan Bautista ? Étaient-ils toujours enchaînés dans la mort comme ils l'avaient été dans les derniers mois effroyables de leur vie durant l'horrible Passage du milieu ?

C'est ainsi qu'a débuté notre existence dans ce qui allait devenir l'Amérique - une terreur qui n'a pas encore cessé et qui n'a pas encore été rectifiée. Cette scène a été suivie de 256 années d'esclavage brutal des Africains et de leurs descendants. [...]

La période d'esclavage a été suivie par 100 ans d'apartheid légal, appelé ségrégation Jim Crow - une séparation sociale soutenue par une force énorme, des lois injustes et une violence meurtrière. Après la Guerre civile, d'anciens soldats de l'armée confédérée, des officiers et leurs enfants ont créé des groupes terroristes hautement organisés qui se sont multipliés. Leur influence s'étendait jusqu'à la Maison-Blanche. Ces groupes - le Ku Klux Klan, les Chevaliers du Camélia blanc, le Conseil des citoyens blancs et leurs sosies sont responsables de milliers de meurtres et d'assassinats, de l'emprisonnement injuste de dizaines de milliers de personnes, du vol continu de main-d'oeuvre, du vol de millions d'acres de terres achetés par les Noirs après l'émancipation et d'au moins 4 743 lynchages confirmés. Ceci, en plus de la destruction de nombreuses villes et communautés noires et du bannissement (nettoyage racial) de leurs habitants. En quelques heures, ces villes et communautés, dont certaines comptaient des milliers d'habitants, ont complètement disparu. [...]

Après 1965 et l'adoption de lois sur les droits civils, bien que la « ségrégation » ait pris fin, les actes d'intimidation violents et les restrictions imposées de force à la communauté noire n'ont pas cessé.

Bien que les actions de foules blanches déchaînées aient diminué, la violence raciale meurtrière de la police est demeurée régulière et sans merci. La « brutalité policière », comme on l'a appelée, a engendré la création du Parti des Black Panthers pour l'auto-défense et d'autres groupes nationalistes noirs. Ces groupes se sont soulevés pour lutter contre le comportement criminel du terrorisme policier, ainsi que contre la domination et le contrôle social, politique et économique appliqués par la police. Après la répression illégale et inconstitutionnelle des Panthers et d'autres organisations, les services de police comme le service de police de Chicago ont obtenu ce qui revenait à un champ libre pour terroriser les descendants d'Africains par la torture, les aveux forcés et le meurtre d'hommes et de femmes innocents. Ces exécutions sommaires se poursuivent encore aux États-Unis : Ayana Stanley-Jones, Tamir Rice, Oscar Grant, Sandra Bland, Rekia Boyd, Mike Brown, Philando Castile et Laquan McDonald ne sont que quelques-unes des milliers de personnes qui ont connu ce sort après 1965.

Pendant toute cette période de 400 ans, les Africains et leurs descendants ont lutté contre cette inhumanité et ont exigé que ces crimes soient redressés sous forme de réparations garantissant la liberté, la terre, le rapatriement, les pensions, l'indemnisation et la restitution.

À la fin du XXe siècle, des accusations internationales de génocide ont été portées deux fois par des Noirs auprès de la Commission des droits de l'homme des Nations unies - une fois en 1957 et l'autre fois en 1997. (En 2014 et 2016, une nouvelle génération d'activistes a déposé de nouvelles mises en accusation). En 1969, James Foreman a présenté son manifeste noir à la communauté blanche de l'Église demandant des ressources pour le développement économique et divers actes de restitution structurels et institutionnels. Les organisations de masse se sont multipliées dans les années 1980 pour créer une demande à la base pour des réparations. La Coalition nationale des Noirs pour les réparations en Amérique comptait à une époque des milliers de membres.

Au début du XXIe siècle, avec l'aide de N'COBRA, le Mouvement du 12 décembre - D-12 et le Front national noir uni - NBUF - ont amené près de 400 délégués à Durban, en Afrique du Sud, à la Conférence mondiale de 2001 contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée. Plus de 14 000 participants ont participé à la conférence, y compris des délégations gouvernementales de 195 pays. Pour la délégation dirigée par la D-12 et la NBUF, les réparations étaient au centre de leurs préoccupations.

La conclusion de la conférence a réaffirmé certains droits fondamentaux des personnes d'ascendance africaine, notamment le droit d'être dédommagées à la suite d'actes criminels et préjudiciables commis par leur propre gouvernement. Dans le document final de la Conférence, les délégués gouvernementaux ont déclaré que la traite d'esclaves transatlantique, l'esclavage, l'apartheid et le colonialisme étaient des crimes contre l'humanité. En outre, il y avait une base économique à ces crimes - comme cela est évident aujourd'hui - les nations qui en ont lésé d'autres sont riches et « les effets et la persistance de ces structures et pratiques ont été parmi les facteurs contribuant aux inégalités sociales et économiques durables [pauvreté, sous-développement, marginalisation, exclusion sociale] dans de nombreuses régions du monde aujourd'hui ». Et même plus loin, il y a une obligation de la part des nations qui ont été enrichies par ces crimes d'offrir des dédommagements pour les inégalités existantes et les blessures infligées.

Cette victoire historique des membres du mouvement mondial des réparations a été une nouvelle phase et un nouveau mode de lutte pour les réparations pour les personnes d'ascendance africaine. Partout, ceux d'entre nous engagés dans la lutte pour obtenir des réparations ont commencé à parler le même langage, à savoir que la traite transatlantique des esclaves, l'esclavage, le colonialisme et l'apartheid ne constituaient pas simplement des actes répréhensibles ou immoraux, mais bien des crimes contre l'humanité, « les crimes les plus odieux qu'un gouvernement puisse commettre ou permettre de commettre contre une population civile ».

À l'échelle mondiale, nous avons pris conscience que les crimes contre l'humanité n'avaient pas de délai de prescription de nature juridictionnel. Nous nous sommes rendus compte que l'énorme vol économique continue d'accumuler de la valeur pour les pays et les entreprises qui ont usurpé le rendement productif de nos ancêtres ; nous avons également compris que la richesse qui figure dans les comptes de nombreux occidentaux blancs extrêmement riches était aussi une richesse transmise de génération en génération par les usurpateurs criminels originels ; nous avons tous clairement pris conscience que les dysfonctionnements constatés parmi les populations africaines et de descendance africaine à l'échelle mondiale ont leur cause première dans les crimes commis contre l'humanité de leurs ancêtres et sont aggravés par les actes préjudiciables perpétrés aujourd'hui. Depuis Durban, nous avons tous pris conscience que le principal problème mondial des Africains et des peuples d'ascendance africaine dans le monde entier est la réparation pour des siècles de vols, d'abus, de terreur et de mensonges ciblant notre humanité et nos contributions fondamentales et substantielles à la famille humaine bien avant l'avènement de l'Occident.

Aujourd'hui, il y a de plus en plus de personnalités publiques et d'autres personnalités qui reconnaissent soit le besoin de réparations, soit la justesse des réparations, ou les deux. C'est de bon augure.

C'est le cas en particulier, des candidats à l'élection présidentielle 2020, Marianne Williams, les sénateurs Elizabeth Warren, Corey Booker, Kamala Harris et Bernie Sanders, ainsi que de l'ancien membre du cabinet de la Maison-Blanche, Julian Castro. Même la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, qui aurait bloqué la discussion au Congrès sur les réparations au cours de la présidence Obama, a offert son soutien à une étude sur les réparations.

Là où quelques-uns errent cependant, c'est dans leur tentative de dire à nous, descendants d'Africains réduits en esclavage aux États-Unis (DAEUS), sous quelle forme et dans quelle mesure réparations se font et ce qu'elles devraient être. Ils devraient appuyer la demande de réparations. En outre, ils devraient chercher à comprendre toute l'étendue des crimes d'esclavage, l'Amérique de Jim Crow et l'après Jim Crow, et comment ces crimes ont profité aux États-Unis. [...]

Les formes et l'ampleur de ces mesure seront déterminées par nous. Cela a déjà commencé, en partie, avec le Manifeste de réparation du XXIe siècle de N'COBRA et les Cinq catégories de blessures. [Celles-ci incluent le système pénal ; l'éducation ; la richesse et la pauvreté ; les concepts de peuple et nation ; la santé]. Cela a également commencé avec une série d'assemblées publiques à l'échelle nationale déjà organisées, et d'autres à venir, pour présenter, évaluer et débattre le programme de réparation en 10 points élaboré par la Commission nationale afro-américaine des réparations (NAARC). [Les dix points comprennent : 1. Des excuses officielles et la création d'un Institut de l'Holocauste africain/Maafa ; 2. Le droit de rapatriement et la création d'un programme du savoir africain ; 3. Le droit à la terre pour le développement social et économique ; 4. Fonds pour les entreprises coopératives et le développement entrepreneurial socialement responsable ; 5. Ressources pour la santé, le bien-être et la guérison des familles et des communautés noires ; 6. Programmes éducatifs pour le développement et l'habilitation des communautés ; 7. Logement abordable dans le cadre des programmes pour des communautés noires en santé et la création de richesse ; 8. renforcement de l'infrastructure d'information et de communication de l'Amérique noire ; 9. Préservation des sites et des monuments sacrés dédiés aux noirs ; 10. Réparation des dommages pour ceux à qui des torts ont été causés par le « système d'injustice pénale »] [...]

C'est le travail effectué après Durban qui a créé un climat qui exige que ces candidats à la présidence (et d'autres) fassent de telles déclarations. Après Durban, c'est N'COBRA qui a maintenu cette question vivante après l'attaque des tours jumelles de New York qui a eu pour effet de faire taire l'élan du mouvement de réparation qui avait été créé à Durban. Il y avait ensuite des dirigeants politiques des Caraïbes par l'intermédiaire de leur groupe - la Communauté des États des Caraïbes (CARICOM) - qui a créé la Commission des réparations de la CARICOM (CAR). La CAR a entamé le processus visant à porter devant la Cour pénale internationale un cas de crimes contre l'humanité dirigé contre les nations européennes qui ont participé à la traite d'esclaves et à l'esclavage dans les Caraïbes. Les chefs d'accusation : génocide commis contre les autochtones et réduction à l'esclavage d'Africains et de descendants d'Africains dans les îles des Caraïbes.

En outre, la CAR a été à l'origine de la création de la Commission nationale de réparation afro-américaine. En 2015, la NAARC a organisé à New York un sommet international réunissant de nombreux commissaires et délégués de 17 pays. La NAARC a incité plusieurs de ces groupes à établir des commissions de réparation dans les pays où ils résidaient.

Black People Against Police Torture (BPAPT) a appelé à une campagne de réparation pour les victimes de torture par la police à Chicago. Ce succès a amené une nouvelle génération à demander réparation, aboutissant à ce que Movement for Black Lives ajoute les réparations comme un élément politique majeur de sa plateforme. L'essai de Ta-Nehisi Coates, A Case for Reparations, a joué un rôle majeur pour créer un climat propice à cela. Enfin, nous n'oublierons jamais la persévérance de longue date du membre du Congrès John Conyers pour rendre le gouvernement redevable, avec le projet de loi HR 40, The Commission to Study Reparations Proposals for African Americans Act, qu'il a révisé à la suggestion de la NAARC et de N'COBRA, avant son départ du Congrès.

Encore une fois, c'est grâce à toutes ces actions et à bien d'autres que ceux qui prennent la parole maintenant ont ce qu'il faut pour le faire. Mais la plupart d'entre eux le font à partir d'une base de connaissances et d'actions extrêmement limitée sur ce que constitue ce mouvement et sur sa base d'appui. Après Durban, nous nous tournons vers les organismes internationaux et le droit international pour comprendre ce que sont les réparations et pour structurer notre réclamation.

Pour nous, qui sommes dans le mouvement, nous comprenons que réparation, en vertu des standards et du droit international, signifie « réparation intégrale ». [...]

La Cour permanente de justice internationale a énoncé la « règle générale et fondamentale » en matière de réparation dans l'affaire de l'usine de Chorzow de 1928. Dans cet arrêt, la Cour a déclaré « la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l'état qui aurait vraisemblablement existé si le dit acte n'avait pas été commis ».

L'ampleur de « toutes les conséquences » a été précisée dans le Projet d'articles sur la responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite élaboré par la Commission du droit international (2001). On lit à l'article 31 : « l'État responsable est tenu de réparer intégralement le préjudice causé par le fait internationalement illicite ».

La Commission du droit international et d'autres instances internationales établies définissent ce qui est considéré comme une réparation intégrale. Celle-ci inclut :

Cessation, assurances et garanties de non-répétition - un État responsable d'avoir causé un préjudice injustifié à un peuple « est tenu : a) d'y mettre fin si ce fait continue, b) d'offrir des assurances et des garanties de non-répétition appropriées ».

Restitution et rapatriement - « le rétablissement de la situation qui existait avant que le fait illicite ne soit commis » Rétablir la victime dans la situation initiale avant que des violations graves du droit international ne s'est produit. Le comment inclut le rétablissement de la liberté, de la reconnaissance de l'humanité, de l'identité, de la culture, du rapatriement, des moyens de subsistance et de la richesse.

Indemnisation - L'État fautif est tenu d'indemniser pour le dommage causé par ce fait dans la mesure où ce dommage n'est pas réparé par la restitution. L'indemnisation couvre « tout dommage susceptible d'évaluation financière ». Une indemnisation adéquate est telle qu'elle est « appropriée et proportionnée à la gravité de la violation et aux circonstances ».

Satisfaction - « en tant que » signifie « pour obtenir réparation d'un préjudice moral, tel qu'un préjudice émotionnel, une souffrance mentale et une atteinte à la réputation ».

Rééducation - la rééducation consiste en une guérison de l'esprit, du corps, des émotions et des esprits - des effets durables des traumatismes de l'esclavage et de la ségrégation.

C'est en utilisant cette structure qu'en 2017 le membre de la Chambre des représentants du Congrès John Conyers a présenté une version révisée du HR 40 lors de la 115e séance du Congrès, qui a appelé à la création d'une commission chargée d'élaborer des programmes, des politiques et des pratiques intégrant ces éléments et les aboutissements attendus -- The Commission to Study and Develop Reparations Proposals for African Americans Act. La membre de la Chambre des représentants Sheila Jackson Lee l'a présenté à la 116e séance du Congrès. Lorsque l'on examine le Manifeste de N'COBRA - et la plateforme de réparation en 10 points de la NAARC - en détail, ces aboutissements sont précisés. [...]

(16 mars 2019. Traduction: LML)


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 24 - 22 juin 2019

Lien de l'article:
Réparation veut dire entière réparation pour 400 années de terreur et autres crimes odieux - La Coalition nationale des Noirs pour des réparations en Amérique (N'COBRA)


    

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