Forum ouvrier

Numéro 33 - 12 mai 2020

Défendons le droit des travailleurs de l'alimentation à des conditions de travail sécuritaires

Cargill ferme son usine de transformation de la viande à Chambly au Québec

Aidons à protéger les travailleurs et les travailleuses du secteur de la transformation alimentaire! - Les Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce


Les États-Unis
La pandémie du coronavirus dans les usines de transformation de la viande aux États-Unis
Les conditions dans l'industrie de la transformation de la viande aux États-Unis
Le maintien de l'approvisionnement alimentaire des États-Unis commence avec la sécurité des travailleurs - Marc Perrone, président de l'Union internationale des travailleurs unis de l'alimentation et du commerce

Mexique
Grève pour protester contre les décès de la COVID dans les usines frontalières


Défendons le droit des travailleurs de l'alimentation à
des conditions de travail sécuritaires

Cargill ferme son usine de transformation
de la viande à Chambly au Québec

L'usine de transformation de la viande de Cargill à Chambly, dans la région de la Montérégie, à environ 35 kilomètres au sud de Montréal, ferme ses opérations, alors que 64 travailleurs, soit 13 % de tous les travailleurs de l'usine, ont contracté la COVID-19, a confirmé la compagnie dans un courriel à la Presse canadienne. La compagnie a dit qu'il s'agit d'une fermeture « temporaire ». Tous les travailleurs de l'usine vont être testés et toute la production est censée s'arrêter le mercredi 13 mai. L'usine pourrait rouvrir dès la semaine prochaine, si un nombre suffisant d'employés sont déclarés négatifs. Cargill emploie 500 travailleurs syndiqués à l'usine.

Selon la section locale 500 des Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce, qui représente les travailleurs de l'usine, le premier cas de la COVID-19 a été signalé à la fin du mois d'avril. Au mercredi 6 mai, 171 travailleurs étaient absents du travail, soit qu'ils avaient contracté le virus ou qu'ils avaient été en contact avec quelqu'un ayant des symptômes.

La compagnie a dit qu'elle fournirait 80 heures de congé payé à quiconque a besoin de s'absenter du travail à cause de la COVID-19 et qu'elle paiera les employés pendant la fermeture jusqu'à un maximum de 36 heures.

La compagnie suggère que la présence de membres d'une même famille qui travaillent à l'usine ou le fait que des travailleurs vivent avec un conjoint qui oeuvre dans le secteur de la santé peuvent expliquer comment le virus a été transmis. Les faits sont têtus cependant, et ils révèlent que les mesures nécessaires n'ont pas été prises par la compagnie pour protéger les travailleurs. En fait, le 23 mars, Cargill a augmenté le salaire horaire de 400 de ses travailleurs syndiqués à l'usine de Chambly et leur a offert un montant forfaitaire de 500 dollars après huit semaines de travail d'affilée à des heures régulières. On a donc offert un incitatif aux travailleurs, non pour prendre soin de leur santé, mais pour qu'ils continuent à travailler en dépit du fait qu'ils pourraient avoir des symptômes de la COVID-19, facilitant sa propagation.

L'usine d'abattage et de traitement d'Olymel à Yamachiche, également au Québec, à 150 kilomètres au nord-est de Montréal, a dû elle aussi fermer le 29 mars après qu'au moins neuf cas du virus ont été détectés parmi les employés. L'usine a rouvert le 14 avril.

(Photo : TUAC)

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Aidons à protéger les travailleurs et les travailleuses du secteur de la transformation alimentaire!

Les travailleurs et les travailleuses des usines de transformation de la viande du Canada travaillent dur en première ligne pour produire de la viande pour les familles de tout le pays.

Jusqu'à présent, plus de 1 400 cas de COVID 19 ont été confirmés chez des travailleur(euse)s de l'industrie alimentaire. Certain(e)s de ces derniers et ces dernières qui luttent contre la COVID-19 sont dans un état critique et certain(e)s sont mort(e)s.

En réponse à la pandémie, le gouvernement fédéral a récemment annoncé 77 millions de dollars pour les entreprises de transformation alimentaire, mais les détails de la distribution de ces fonds sont encore incertains.

Les travailleur(euse)s du secteur alimentaire doivent avoir un rôle central dans la détermination des conditions et des critères du « Fonds de traitement d'urgence ».

Faites savoir au gouvernement du Canada que l'argent des contribuables versé aux entreprises doit d'abord garantir la santé et la sécurité des travailleur(euse)s, et que les travailleur(euse)s du secteur alimentaire doivent avoir leur mot à dire dans la détermination des conditions de leurs propres santé et sécurité !

Montrez votre soutien aux travailleur(euse)s du secteur alimentaire en envoyant une lettre MAINTENANT !

Depuis plusieurs semaines, les travailleur(euse)s de l'industrie alimentaire canadienne réclament les mesures ci-dessous, recommandées par les défenseurs des travailleur(euse)s de l'industrie alimentaire du monde entier, mais n'ont reçu aucun engagement du gouvernement fédéral sur ces dispositions de base :

- Veiller à ce que les travailleur(euse)s puissent travailler à une distance de deux mètres (6,5 pieds) les un(e)s des autres tout au long de leur journée de travail. Pour ce faire, il est possible de modifier l'organisation du travail, les horaires de travail et les pauses. Il peut être nécessaire de modifier la conception des postes de travail, par exemple en installant du Perspex, du Plexiglas ou un matériau similaire pour protéger les travailleur(euse)s contre les risques d'infection mutuelle.

- Réduire la vitesse et la quantité de produits sur la chaîne de production pour assurer un espacement de deux mètres entre les travailleur(euse)s. Cela doit se faire sans supprimer de poste, et les décisions concernant les équipes, les accords de partage du travail et les heures supplémentaires doivent impliquer le syndicat.

- Mettre à disposition des postes adéquats de lavage et de désinfection des mains et augmenter le nombre de pauses afin que le lavage des mains devienne une partie intégrante du travail.

- Assurer un nettoyage et un assainissement réguliers et complets du lieu de travail, y compris des toilettes et des salles à manger. Toutes les surfaces communes, par exemple, les établis, les poignées de porte, les rampes et les claviers, doivent être nettoyées régulièrement.

- Fournir un équipement de protection individuelle (ÉPI) approprié, bien que celui-ci ne puisse se substituer à un espacement approprié entre les travailleur(euse)s.

- Prendre les dispositions nécessaires pour se rendre au lieu de travail et en revenir en toute sécurité afin de minimiser le risque d'exposition à la COVID 19.

- Afficher les protocoles adoptés sur le lieu de travail sur des panneaux d'affichage dans des langues que tous et toutes les travailleur(euse)s peuvent comprendre et maintenir une communication régulière.

La protection des travailleur(euse)s du secteur alimentaire et l'arrêt de la propagation de la COVID 19 dans les usines de fabrication de produits alimentaires au Canada nécessitent une approche cohérente guidée par les parties prenantes, les syndicats et les employeurs, et mise en oeuvre par le gouvernement.

Les travailleur(euse)s du secteur alimentaire ont besoin d'aide MAINTENANT !

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Les États-Unis

La pandémie du coronavirus dans les usines de transformation de la viande aux États-Unis

Aux États-Unis, le 8 mai, plus de cinq mille cas d'infections au coronavirus avaient été confirmés comme étant liés à l'industrie de transformation de la viande dans le pays. Ce nombre est probablement largement sous-déclaré étant donné le manque de tests de dépistage. Au moins quarante-neuf travailleurs de la transformation de la viande sont morts de la COVID-19, dans 27 usines différentes réparties dans 18 États. Quarante usines ont été forcées de fermer temporairement, soit à cause d'ordonnances de la santé publique, soit parce que tant de travailleurs étaient malades que la production était impossible.

L'administration Trump et les quatre oligopoles qui contrôlent la transformation de la viande et de la volaille aux États-Unis, Cargill, JBS, Smithfield et Tyson Foods, sont déterminés à maintenir ouvertes les usines de transformation de la viande. Le 28 avril, Trump a émis un décret présidentiel qui déclare que les usines de transformation de la viande sont une « infrastructure critique », ce qui permet aux agences fédérales d'intervenir et éventuellement d'annuler les décisions prises par les autorités locales. Alors que la pandémie s'est développée à travers les États-Unis, les géants de la transformation de la viande ont tenté de cacher l'étendue de la crise dans leurs usines. Dans certains États, les gouverneurs ont annulé les autorités sanitaires locales afin de maintenir les usines ouvertes.

Le Nebraska est un État où JBS a obtenu ce qu'il voulait et le gouverneur a agi pour bloquer la fermeture d'une usine recommandée par les autorités sanitaires locales. JBS possède des usines de viande de boeuf, de porc et de volaille dans 27 États. Dès le 31 mars, une éclosion importante a été identifiée par les médecins de l'usine de JBS à Grand Island, au Nebraska, et le directeur régional de la santé a demandé au gouverneur de prendre des mesures. Le gouverneur a dit non, citant l'ordre de Trump selon lequel la transformation de la viande est une « infrastructure critique ».[1] Les courriels obtenus par le groupe de défense ProPublica montrent que JBS avait l'intention de dissimuler la propagation de la COVID-19 dans ses usines. « Nous voulons nous assurer que les tests de dépistage sont effectués d'une manière qui ne fomente pas la peur ou la panique parmi nos employés ou la communauté », a écrit le 15 avril le responsable de l'éthique et de la conformité chez JBS, Nicholas White, aux autorités sanitaires locales.

Le virus s'est rapidement propagé au-delà de l'usine et à travers la communauté, avec plus de 1 200 cas dans la ville de 50 000 habitants, et 32 décès, dont un travailleur de JBS. Des tests limités de dépistage, restreints à ceux qui présentent des symptômes, ont permis d'identifier 260 cas à l'usine. Il y a maintenant des éclosions du coronavirus partout au Nebraska dans les villes de transformation de la viande où Tyson Foods, Smithfield Foods et Costco ont des usines. Alors que les cas atteignaient des niveaux stupéfiants et que les hôpitaux étaient débordés, les usines ont finalement été fermées pour un nettoyage à fond. Le gouverneur a annoncé que les responsables locaux de la santé ne seraient plus en mesure de communiquer les données de la COVID-19 de l'usine de transformation de la viande pour des raisons de « confidentialité »

Dans une usine après l'autre, les travailleurs ont signalé qu'ils avaient été renvoyés au travail après avoir informé les superviseurs et les infirmières qu'ils étaient malades. À l'usine de Cargill en Pennsylvanie, un travailleur, qui est décédé depuis du coronavirus, a dit à ses enfants qu'un superviseur lui avait demandé de retirer son masque facial au travail car cela provoquait une anxiété inutile parmi les autres employés. D'autres travailleurs ont déclaré que les superviseurs leur avaient dit de ne pas porter de masques, car seuls les malades devraient avoir des masques, que les professionnels de la santé en ont plus besoin et que le fait de les porter faisait peur sur le lieu de travail.


La section locale 7 des TUAC, à l'usine de viande de JBS, à Greeley, a tenu une discussion
en ligne à l'occasion du Premier Mai.

À Greely, au Colorado, l'usine JBS a finalement été fermée, longtemps après que les responsables de la santé publique ont signalé le 1er avril qu'un grand nombre de travailleurs de JBS se présentaient aux services d'urgence. Les responsables locaux de la santé ont exhorté JBS à faire du dépistage et de la distanciation sociale à l'usine sinon celle-ci serait fermée, ont-ils déclaré. JBS a repoussé l'appel, affirmant que le gouverneur n'était pas en faveur de la fermeture. L'usine a finalement été fermée, mais trop tard pour arrêter la propagation. Toujours avec des tests limités, 280 travailleurs ont été déclarés positifs et sept d'entre eux sont décédés.

Les travailleurs de chaque usine ont mentionné des cas similaires d'ordres de revenir au travail après un test positif et de « ne pas l'ébruiter » sous peine d'être licencié ; on a dit aux travailleurs de retourner au travail avant la fin de la quarantaine de 14 jours même s'ils se sentaient malades ; les travailleurs manifestement malades au travail se sont vu refuser l'autorisation de rentrer chez eux. Les travailleurs des usines JBS et Cargill en Alberta ont dit la même chose.

Ces propos ont été confirmés par les propriétaires selon lesquels le problème n'était pas les usines elles-mêmes, mais les « pratiques culturelles » des travailleurs. Les travailleurs sont blâmés de vivre dans des conditions de logements surpeuplés, des conditions qui sont imposées par les bas salaires de l'industrie, et dans des ménages multigénérationnels.

Les travailleurs ont pris la parole pour briser le silence sur leurs conditions de vie et de travail, y compris les travailleurs non syndiqués qui trouvent des moyens de défendre leurs droits. À Milan, dans le Missouri, un travailleur et la Rural Workers Community Alliance ont intenté une action en justice contre Smithfield en raison de son refus de protéger les travailleurs contre l'infection par le coronavirus. La plainte indique que les travailleurs doivent généralement se tenir presque coude à coude, le plus souvent pendant des heures sans pouvoir se nettoyer ou se désinfecter les mains, et ils ont du mal à prendre un congé de maladie. La poursuite en cour a également souligné que les travailleurs de l'usine reçoivent un point de pénalité s'ils prennent un jour de congé, ce qui peut éventuellement conduire à un licenciement. Un juge fédéral a rejeté la poursuite le 5 mai, déclarant que Smithfield avait pris « des mesures importantes pour réduire le risque d'une éclosion à l'usine ». En fait, l'usine avait pris un certain nombre de mesures pour fournir un équipement de protection et accroître la distanciation sociale, mais seulement après le dépôt de la poursuite.

Une autre mesure utilisée par les entreprises consistait à offrir des augmentations temporaires de salaire et des primes aux travailleurs qui venaient travailler à chaque quart de travail. C'était également le cas au Canada, bien que les entreprises aient prétendu plus tard que les travailleurs mis en quarantaine recevraient également la prime. JBS USA a offert une prime de 600 $ et une augmentation de salaire de 4 $ l'heure à ses employés qui travaillaient à chaque quart de travail. Ceux qui devaient se mettre en quarantaine ou s'isoler recevaient soit un salaire régulier, soit une prestation d'invalidité de courte durée, selon l'entreprise. C'était clairement une incitation à venir travailler quoi qu'il arrive, un geste inadmissible de pression sur les travailleurs pour qu'ils viennent travailler même s'ils présentaient des symptômes liés au coronavirus.

Les preuves provenant de travailleurs à travers les États-Unis ne laissent aucun doute sur le fait que la pression exercée sur les travailleurs pour qu'ils restent au travail en cas de maladie ou après une exposition à la COVID-19 était délibérée, généralisée et à l'échelle de l'industrie. Elle a été faite avec le soutien et la collusion des gouvernements des deux États et du fédéral. Face à ce mépris absolu envers leur bien-être, les travailleurs, qui sont issus des couches les plus marginalisées et vulnérables de la classe ouvrière américaine, ont montré leur courage et leur détermination à défendre leurs droits, et que le statu quo n'est pas une option.

Note

1. Le même jour, le 31 mars, le premier ministre de l'Alberta, Jason Kenney, a dit qu'il avait parlé au gouverneur du Nebraska au sujet du début de la construction de l'oléoduc Keystone XL et que le gouverneur lui avait assuré que toutes les mesures seraient en place pour mener à bien la construction, de manière sécuritaire pendant la pandémie. Ont-ils également parlé de maintenir les usines de transformation ouvertes ?

(Sources : ProPublica, New York Times, Bloomberg News, vox.com. Photos : Section locale 7 des TUAC, Food Chain Workers)

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Les conditions dans l'industrie de la transformation
de la viande aux États-Unis


Une photo sur la page Facebook du Premier Mai 2020 de l'Alliance des travailleurs de la chaîne alimentaire demande que tous les travailleurs de l'alimentation soient protégés.

La COVID-19 a mis en lumière les conditions brutales, dangereuses et pénibles des travailleurs de l'industrie de la transformation de la viande et de la volaille aux États-Unis. Elle a également mis en lumière le contrôle des oligopoles de la transformation des viandes sur l'ensemble du secteur, avec toutes ses conséquences négatives. La taille et la productivité massives de ces usines rendent les propriétaires d'autant plus déterminés à les garder ouvertes à tout prix, et, dans ce contexte, les autorités fédérales et étatiques ont été leurs serviteurs consentants. Les travailleurs et leurs syndicats parlent ouvertement des conditions qui ont provoqué de grandes éclosions du coronavirus dans les usines de viande et de volaille.

Le traitement de la viande est un travail dangereux, éreintant et sous-payé effectué par des travailleurs qui sont dans de nombreux cas extrêmement vulnérables, notamment des travailleurs sans-papiers, des réfugiés et d'autres immigrants récents. Au début des années 1980 et même avant, l'industrie s'est relocalisée des grandes villes vers les zones rurales. Avec l'aide de l'administration Reagan, les oligarques de la viande ont entrepris de détruire les syndicats.

La transformation de la viande est concentrée dans les États des grandes plaines, notamment le Dakota du Sud, l'Iowa, le Kansas et le Missouri, ainsi qu'au Colorado et au Texas. Les États du sud des États-Unis ont également une production de volaille importante. Il n'y avait pas suffisamment de travailleurs dans les zones rurales pour ces usines massives, en particulier compte tenu du taux de roulement élevé en raison des terribles conditions de travail. Les entreprises ont plutôt fonctionné en recrutant les travailleurs les plus vulnérables et marginalisés, notamment les réfugiés d'Asie du Sud-Est et d'Afrique, et plus récemment d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud. On estime que près d'un tiers de la main-d'oeuvre est composée d'immigrants récents et qu'un travailleur sur quatre est sans papiers. Des raids périodiques menés par le Service de l'immigration et des contrôles douaniers (ICE) sont utilisés pour renforcer cette vulnérabilité et servir d'avertissement que les tentatives de défendre leurs droits peuvent avoir des conséquences désastreuses.

La brutalité des employeurs et de l'État à leur service n'a pas de limites. The Atlantic a fait un reportage sur un raid en août 2019 effectué dans sept usines de volaille au Mississippi. Six cents agents de l'ICE, armés de fusils et de gilets pare-balles, ont arrêté 680 travailleurs principalement latinos. The Atlantic rapporte que leurs enfants se sont rassemblés à l'extérieur de l'usine, regardant leurs parents se faire emmener. Le raid a illustré le racisme organisé par l'État, s'étant lui-même produit trois semaines après la tuerie terroriste de 22 personnes à El Paso au Texas, où le tireur avait ciblé des clients mexicains dans un Walmart par désir d'arrêter « l'invasion hispanique du Texas ».

Cette force de travail vulnérable fait face à un danger constant, travaillant à une vitesse vertigineuse avec des couteaux et des scies, des milliers de travailleurs oeuvrant coude à coude dans une usine. Les sols sont glissants et saturés en eau et en sang. Selon les accidents signalés, les travailleurs de la viande aux États-Unis sont trois fois plus susceptibles d'être blessés que le travailleur moyen au pays et sept fois plus susceptibles de subir plusieurs fois une blessure au travail. Chaque semaine, il y a des amputations, des fractures, des brûlures graves, des traumatismes crâniens et d'autres blessures graves. Dans les usines de volaille, l'utilisation de produits chimiques provoque des maladies respiratoires et d'autres maladies.

Les cadences sur les lignes de production aux États-Unis sont le double de celles en Europe, et la vitesse est vertigineuse. Aux États-Unis, les moyennes de l'industrie varient de 1000 porcs à l'heure à plus de 8000 poulets à l'heure. Il n'y a aucun moyen pour les travailleurs de suivre des directives telles que se couvrir la bouche en éternuant. Les travailleurs de nombreuses usines s'exposent à des mesures disciplinaires s'ils ratent même un seul morceau de viande ou de volaille qui arrivent sur la ligne à la vitesse de l'éclair. En octobre 2019, l'administration Trump a supprimé les limites de vitesse des chaînes de production dans les usines de transformation du porc. Même si la pandémie faisait rage, le département de l'Agriculture a accordé des dérogations autorisant 15 usines de volaille à augmenter la cadence de leurs chaînes jusqu'à 175 oiseaux par minute. Les statistiques sur le taux de blessures, qui sont probablement largement sous-déclarées, ont été compilées avant la suppression des restrictions de vitesse.

Certaines parties d'une usine de transformation de la viande, comme le département des mises à mort, sont très chaudes, tandis que d'autres sections sont semblables au travail dans un réfrigérateur. Le froid est considéré comme un facteur qui permet de prolonger la durée de survie d'un virus à l'extérieur d'un hôte, ce qui augmente le risque de transmission du coronavirus. Cela contribue également à l'incidence élevée de l'arthrite chez les travailleurs des usines de transformation.

Les éclosions, qui ont imposé un lourd tribut aux travailleurs des usines de transformation, à leurs familles et à leurs communautés sont le résultat direct de la cupidité et de la recherche du profit maximum des oligarques et du fait que l'autorité publique qui pourrait les restreindre n'existe plus. Cela montre la nécessité d'une nouvelle direction où les droits des travailleurs sont respectés dans une industrie agricole et alimentaire moderne et durable dans le but de fournir des aliments sains et salubres pour tous. Les travailleurs qui parlent en leur propre nom et dénoncent la négligence criminelle des oligarques défendent leurs droits et les droits de tous à la sécurité et la salubrité alimentaires.

(Sources : The Atlantic, Human Rights Watch, the New York Times)

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Le maintien de l'approvisionnement alimentaire des États-Unis commence avec la sécurité des travailleurs

L'approvisionnement alimentaire de notre pays fait face à la menace sans précédent de l'éclosion du coronavirus et des centaines de milliers de travailleurs américains dans les usines de transformation de la viande et alimentaire sont témoins de nouveaux cas qui sont signalés chaque semaine. En tant que le plus grand syndicat de l'alimentation et du détail des États-Unis, nous entendons nos 250 000 membres des usines de transformation de la viande nous dire à chaque jour à quel point ils sont préoccupés par leur sécurité et le danger auquel notre chaîne d'approvisionnement alimentaire fait face.

Qu'on ne s'y trompe pas ! La menace qui pèse sur ces travailleurs et la chaîne d'approvisionnement est réelle, et, si on ne donne pas la priorité à la sécurité des travailleurs, cette menace collective ne fera que s'aggraver.

Jusqu'à maintenant, il y a eu 21 décès tragiques de nos membres dans les usines de transformation de la viande et 5 000 travailleurs ont été infectés ou exposés. Comme nous l'avons tous vu, plus de 20 usines ont fermé dans un effort pour freiner la propagation du virus au Dakota du Sud, au Wisconsin, en Iowa, en Pennsylvanie, au Missouri, en Indiana et au Minnesota.

Les dirigeants élus à l'échelle du pays, républicains et démocrates, n'ont pas agi avec la vitesse requise pour traiter des enjeux urgents de sécurité auxquels ces usines font face et ils ont mis en péril ces travailleurs et notre approvisionnement alimentaire.

Le nouveau décret présidentiel du président Trump invoque la Loi sur la production de défense pour garder ouvertes toutes les usines de transformation de la viande et prévenir d'autres pénuries d'approvisionnement alimentaire. Cependant, la nouvelle politique de la Maison-Blanche ne rend obligatoire aucune des normes robustes de sécurité des travailleurs qui sont requises pour protéger ces usines et les employés de nouvelles éclosions du virus.

Ce que le président et beaucoup trop de nos dirigeants élus ne sont pas capables de reconnaître, c'est que ces usines sont organisées de façon telle que des centaines de travailleurs se tiennent très près les uns des autres pendant de longues heures, ce qui rend presque impossible la distanciation physique. En l'absence de mesures et de protections de sécurité robustes et mises en oeuvre, ces usines sont comme des navires de croisière immobiles, faisant face aux mêmes problèmes de sécurité et tout aussi susceptibles de devenir des foyers du coronavirus.

Clairement, personne ne souhaite fermer des usines. Les fermetures d'usines de transformation de la viande ont déjà causé une réduction de 25 % de la capacité d'abattage du porc et de 10 % de celle du boeuf. Nos travailleurs de l'industrie de la transformation de la viande veulent travailler, mais nous ne pouvons pas ignorer les enjeux sérieux de sécurité qui existent.

Le geste le plus important qui doit être posé pour protéger l'approvisionnement alimentaire des États-Unis est de donner la première place à la sécurité de ces travailleurs et de ces usines.

Les gouverneurs des États disent partager notre préoccupation pour l'approvisionnement alimentaire et la sécurité des travailleurs de notre pays. Chaque État doit mettre en pratique son engagement envers la sécurité en adoptant des décrets qui définissent les normes de sécurité des travailleurs qui sont claires et qui doivent être mises en application dans chaque usine de transformation de la viande de notre pays.

Une action robuste de l'État pour accroître la sécurité des usines de transformation de la viande doit comprendre la mise en oeuvre la plus large possible d'une distanciation sociale et physique de deux mètres et l'accès des travailleurs au plus haut niveau possible d'équipement de protection individuelle (ÉPI) lorsque la distanciation physique est impossible.

Les États doivent faire en sorte qu'un test de dépistage quotidien est disponible pour les travailleurs et leurs familles, et les employeurs doivent fournir tous les congés de maladie nécessaires afin que les travailleurs malades puissent demeurer à la maison et n'aient jamais à choisir entre leur santé et un chèque de paie. Les États doivent s'assurer de l'application des guides récents des Centres de contrôle et de prévention des maladies sur la transformation de la viande et travailler avec les inspecteurs fédéraux pour faire une surveillance constante de ces usines afin de garantir que les mesures de sécurité soient mises en place immédiatement.

Face à cette crise de santé publique sans précédent, les dirigeants d'affaires et élus doivent intervenir et travailler avec les Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce et nos sections locales dans tout le pays pour garantir que ces travailleurs essentiels ont les protections essentielles dont ils ont besoin. Les décrets présidentiels qui ne donnent pas la priorité à la sécurité des travailleurs ne protégeront pas l'approvisionnement alimentaire de notre pays au moment où nous en avons le plus besoin.

Nous sommes déjà témoins de pénuries de boeuf dans les chaînes de restauration rapide et de limites placées sur les achats de viande dans les épiceries. Forcer les usines de transformation de la viande à rouvrir sans que soient mises en place des garanties robustes va se retourner contre nous et aggraver la crise à laquelle notre pays fait face.

Les Américains ont besoin d'une action rapide et forte de la part des dirigeants de notre pays pour que la sécurité prime dans les usines de transformation de la viande. La protection véritable de notre approvisionnement alimentaire commence et se termine par la protection des travailleurs de notre pays. C'est la seule façon d'affronter cette tempête et de garantir que les Américains vont avoir la nourriture dont ils ont besoin pendant cette crise mortelle.

(thehill.com, 10 mai 2020 - Traduction : LML)

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Mexique

Grève pour protester contre les décès de la COVID dans les usines frontalières


Les logis des travailleurs des maquiladoras dans un quartier mexicain

Forum ouvrier reproduit ci-dessous un article de David Bacon publié à l'origine par TruthOut le 5 mai.

***

À Washington, le président Trump fait tout ce qu'il peut pour rouvrir des usines de transformation de la viande présentement fermées, alors que les travailleurs continuent de contracter le virus de la COVID-19 et de mourir. À Tijuana, au Mexique, où les travailleurs meurent dans des usines appartenant principalement à des compagnies américaines (les maquiladoras) qui produisent et exportent des marchandises vers les États-Unis, le gouverneur de l'État de la Basse-Californie, ancien fidèle du Parti républicain de la Californie, fait la même chose.

Jaime Bonilla Valdez a été élu en 2018 dans la vague qui a porté au pouvoir le président Andrés Manuel Lopez Obrador. Et au début, en tant que membre dirigeant du parti MORENA de Lopez Obrador, il a été une voix forte en faveur de la suspension de la production aux usines à la frontière.

Lopez Obrador a lui-même été critiqué pour ne pas avoir agi assez rapidement contre la pandémie. Mais à la fin du mois de mars, face à l'augmentation du nombre de décès de la COVID-19 au Mexique, il a finalement déclaré l'état d'urgence sanitaire. On a ordonné aux entreprises non essentielles de fermer leurs portes et de continuer de verser les salaires des travailleurs jusqu'au 30 avril.

Le secrétaire du Travail de Bonilla, Sergio Martinez, a appliqué la règle du gouvernement fédéral aux usines étrangères à la frontière, où sont produites des marchandises pour le marché américain, à l'exception, encore une fois, des entreprises essentielles.

Lorsque la nouvelle s'est répandue que de nombreuses usines défiaient l'ordre de fermeture, Bonilla les a dénoncées. « Les employeurs ne veulent pas arrêter de faire de l'argent, a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse à la mi-avril. Ils cherchent essentiellement à sacrifier leurs employés. » Mais maintenant, un mois plus tard, il autorise la réouverture de nombreuses usines non essentielles.

La volte-face s'explique par deux sources de pression opposées. Dans un premier temps, les travailleurs des usines ont pris des mesures pour fermer ces dernières, une décision largement soutenue dans les villes frontalières. Mais les propriétaires ont résisté et ont obtenu l'aide du gouvernement américain. L'administration Trump a exercé une pression énorme sur le gouvernement et l'économie du Mexique, vulnérables en raison de leur dépendance envers le marché américain.

Maintenant que les usines rouvrent, les morts continuent d'augmenter.

Début des grèves à Mexicali

Bien que la Basse-Californie soit beaucoup moins densément peuplée que les autres États du Mexique, elle est désormais troisième pour le nombre de cas de COVID-19, avec 1 660 personnes infectées. Quelque 261 personnes sont mortes dans tout l'État et 164 à Tijuana seulement. C'est plus de décès que les 131 de San Diego, une métropole beaucoup plus grande. Quinze pour cent des personnes atteintes de la COVID-19 à Tijuana meurent, comparé à seulement 3,5 % à San Diego. Comme c'est le cas partout, en l'absence de dépistage sur une grande échelle, personne ne sait vraiment combien sont malades.

« Vous pouvez imaginer à quel point nous sommes désemparés, car nous sommes pauvres et la loi ne nous protège pas. Ici, si vous n'avez pas d'argent, le gouvernement ne fera pas appliquer la loi. Nous avons vraiment de très bonnes lois au Mexique, mais un très mauvais gouvernement. » Ce sont les paroles de Veronica Vasquez, prononcées au milieu d'une rue poussiéreuse de Tijuana. « Les entreprises viennent au Mexique pour faire de l'argent. Elles pensent qu'elles peuvent faire tout ce qu'elles veulent avec nous parce que nous sommes Mexicains. Eh bien, c'est notre pays, même si nous sommes pauvres. Pas le leur. »

À Tijuana, la plupart des personnes décédées sont en âge de travailler. Étant donné qu'un dixième des 2,1 millions d'habitants de la ville travaillent dans plus de 900 maquiladoras, et bien d'autres encore dépendent de ces emplois d'usine, la propagation du virus parmi ces travailleurs est très menaçante.

L'alarme s'est déclenchée lorsque deux employés sont décédés début avril chez Plantronics, où 3 300 travailleurs fabriquent des casques téléphoniques. Schneider Electric a fermé ses portes lorsqu'un travailleur est décédé et 11 autres sont tombés malades. Skyworks, un fabricant de pièces d'équipement de communication avec 5 500 travailleurs, a admis que certains avaient été infectés.

Dans un climat de peur grandissant, les travailleurs ont commencé à arrêter de travailler. À Mexicali, la capitale de l'État de la Basse-Californie, des travailleurs ont fait la grève le 9 avril dans trois usines américaines : Eaton, Spectrum et LG. Les grévistes ont déclaré que les entreprises forçaient les gens à venir travailler sous la menace d'un licenciement permanent. Elles ont refusé de payer les salaires tel que l'ordonne le gouvernement et de fournir des masques à leurs employés. Les usines ont été contraintes de fermer par le gouvernement de l'État.

Le travail s'est ensuite arrêté dans trois autres usines : Jonathan, SL et MTS. Ces entreprises offraient des primes de 20 à 40 % aux employés qui continuaient de travailler, mais l'offre a été rejetée par l'ensemble des travailleurs. Daniel, un gréviste, a déclaré à un journaliste du quotidien mexicain La Jornada : « Nous voulons la santé - nous ne voulons pas d'argent, ni de primes ni même un salaire double. Nous voulons juste qu'ils se conforment à l'ordonnance présidentielle de fermer les usines non essentielles et de nous verser nos pleins salaires. » Jonathan fabrique des rails métalliques pour mitrailleuses et chars pour des entreprises américaines. Les travailleurs ont démenti les allégations de l'entreprise selon lesquelles elle fabrique des équipements de télécommunications « essentiels », une affirmation courante des usines qui veulent rester ouvertes.

L'Organisation des travailleurs et des peuples, un groupe radical parmi les travailleurs des maquiladoras de la Basse-Californie, a signalé une semaine d'arrêt de travail chez Skyworks et une grève chez Gulfstream le 10 avril. Chez Honeywell Aerospace, les travailleurs ont commencé à arrêter la production le 6 avril. « L'entreprise a ensuite licencié 100 personnes sans salaire et en a congédié quatre autres », explique Jesus Casillas, travailleur et activiste de Mexicali. Honeywell a fermé pendant une semaine, puis a rouvert.

Alors que les grèves progressaient, les travailleurs ont signalé la mort de deux personnes dans les deux usines de Clover Wireless où sont réparés des téléphones portables. Elles ont été fermées pour un quart de travail, puis ont redémarré. Enfin, le 14 avril, une grève générale a été déclenchée par les travailleurs des maquiladoras de Mexicali, soutenus par la section nationale de la Nouvelle Centrale syndicale, une fédération syndicale créée par le Syndicat des électriciens du Mexique.

Les usines ne ferment pas vraiment

Les entreprises qui ont déclaré qu'elles fermaient leurs portes ne l'ont jamais vraiment fait, accusent les travailleurs. « Elles ferment la porte d'entrée et mettent une chaîne, explique Casillas. Ensuite, elles font entrer les travailleurs par la porte arrière. Elles font venir les travailleurs à l'usine et leur disent que s'ils ne retournent pas au travail, ils perdront leur emploi de façon permanente. »

Ailleurs à la frontière, les travailleurs disent être également contraints de travailler. Il y a même des brasseries parmi les entreprises qui ne respectent pas la loi. Dans le reste du Mexique, la bière a commencé à disparaître des rayons des magasins à la suite de l'ordonnance de Lopez Obrador fermant les brasseries puisque la production d'alcool n'est pas jugée « essentielle ». Modelo et Heineken, deux énormes producteurs, ont obéi. Les deux énormes brasseries de Constellation Brands à Coahuila, qui fabriquent la Corona et la Modelo pour le marché américain, ne l'ont pas fait.

Le 1er mai, on a même pu voir sur Facebook des travailleurs de l'usine de verre de Piedras Negras où sont fabriquées les bouteilles des marques Constellation, sur les chaînes d'assemblage sans masque. Alejandro Lopez, un travailleur de l'usine, écrit : « Nous demandons des masques et ils nous les refusent, comme ils refusent aussi de fournir le gel [pour se laver les mains], qu'ils ne nous donnent qu'à l'entrée [de la brasserie] et c'est tout. » La directrice des relations humaines de l'usine, Sofia Bucio, répond en disant que l'entreprise fait tout ce qui est nécessaire, puis poursuit en réprimandant le travailleur : « Nous ne sommes pas allés vous sortir de votre maison et vous forcer à travailler avec nous, pas vrai ? Si vous n'aimez pas les mesures prises par IVC [la société verrière], les portes sont grandes ouvertes pour vous laisser entrer quand vous venez et aussi pour vous laisser sortir. »

Dans les villes frontalières de l'autre côté du Rio Grande, face au Texas, d'autres usines qui voulaient rester ouvertes ont déclaré qu'elles laisseraient les travailleurs inquiets rester à la maison, mais avec seulement 50 % de leur salaire normal. « Les gens ne peuvent pas vivre avec cela, proteste Julia Quiñones, directrice du Comité des travailleurs frontaliers. Depuis que Lopez Obrador a ordonné une augmentation il y a un an, le salaire minimum à la frontière est de 185,56 pesos (7,63 $) par jour. Cinquante pour cent de cela, à Nuevo Laredo, achèterait à peine un gallon de lait (80 pesos). »

« Il n'y a pas d'autre travail que les femmes peuvent faire en ville, explique Quiñones. Dans le passé, certaines travailleuses traversaient la frontière pour gagner de l'argent supplémentaire en faisant un don de sang. Mais la frontière est maintenant fermée, même pour ceux qui ont un visa. Elles ne peuvent pas vendre des choses dans la rue à cause du confinement. La seule option est de travailler. »

Une travailleuse lui a dit : « Il vaut mieux travailler à 100 %, même si nous risquons nos vies, que d'être à la maison avec 50 %. »

Pendant ce temps, les arrêts de travail se sont étendus à d'autres villes frontalières, et le nombre de morts augmente. Lear Corporation, qui emploie 24 000 personnes dans la fabrication de sièges d'auto à Ciudad Juarez, y a fermé ses 12 usines le 1er avril. Lear a enregistré plus de décès de la COVID-19 que n'importe quelle entreprise à la frontière. Elle ne cite pas de chiffres et dit n'avoir appris le premier décès que le 3 avril. Or, à la fin avril, 16 employés de Lear étaient morts du virus, 13 dans la seule usine de Rio Bravo.

Alors que d'autres usines poursuivaient leurs activités malgré un nombre important de morts, des grèves ont éclaté. Le 17 avril, les travailleurs ont déclenché la grève dans six maquiladoras pour exiger que les entreprises cessent leurs activités et versent les salaires selon l'ordonnance du gouvernement. Vingt personnes dans la ville étaient mortes à ce moment-là, dont deux travailleurs de Regal Beloit (un fabricant de cercueils) et deux de Syncreon, selon des manifestants. À Honeywell, 70 grévistes ont déclaré que l'entreprise n'avait pas fourni de masques et avait forcé des personnes souffrant d'hypertension et de diabète à se présenter au travail.

L'usine d'Electrolux a cessé ses opérations le 24 avril après la mort de deux employées, Gregoria Gonzalez et Sandra Perea. Deux semaines plus tôt, les travailleurs de l'usine avaient protesté contre le manque de protection. Lorsqu'ils ont finalement cessé de travailler, l'entreprise les a enfermés à l'intérieur et a par la suite licencié 20 personnes. L'une d'elles a déclaré au journaliste Kau Sirenio : « L'entreprise ne nous a rien dit, même si nous savions tous que nous travaillions au risque d'être infectés. Ils ont attendu jusqu'à ce que deux meurent avant de fermer et ont licencié ceux qui protestaient contre le manque de conditions de sécurité. Ils disent toujours que leur opération est essentielle, mais vous pouvez voir à quel point ils se soucient peu de la vie des travailleurs. »

À Juarez, le maire a fermé les restaurants de la ville, mais a permis aux maquiladoras de continuer de fonctionner. Lorsque les travailleurs de TPI Composites ont commencé leur protestation, la police de la ville a même été appelée pour mater l'opposition. Néanmoins, en avril les travailleurs de Juarez et d'autres villes frontalières ont réussi à forcer le gouvernement à exiger que les entreprises se conforment à la loi.

Les États-Unis interviennent

Fin avril, le gouvernement américain est intervenu au nom des propriétaires des usines forcées de fermer. L'administration Trump est déterminée à faire respecter le nouvel accord États-Unis-Mexique-Canada qui entre en vigueur le 1er juillet. Bien que l'accord comporte des mesures formelles de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, on ne prévoit pas que celles-ci soient invoquées pour garantir que les usines restent fermées jusqu'à ce que le danger de la COVID-19 se résorbe. L'objectif de l'accord est plutôt de protéger les chaînes d'approvisionnement et d'investissement entre le Mexique et les États-Unis, notamment en ce qui concerne les usines à la frontière.

L'ordonnance de Lopez Obrador classe comme « essentielles » uniquement les entreprises directement engagées dans des industries critiques telles que la santé, la production alimentaire ou l'énergie, et n'inclut pas les entreprises qui fournissent des matériaux aux usines de ces industries. Mais depuis le début, de nombreuses maquiladoras se sont déclarées « essentielles » de toute façon parce qu'elles approvisionnent d'autres usines aux États-Unis. Luis Hernandez, un cadre d'une association d'exportateurs de Tijuana, a admis : « Les entreprises ont voulu utiliser les classifications étasuniennes pour déterminer ce qui est ‘essentiel'. »

Le complexe militaro-industriel a des intérêts importants et grandissants dans les usines frontalières, qui ont exporté 1,3 milliard de dollars de produits aérospatiaux et d'armement aux États-Unis en 2004, pour atteindre 9,6 milliards de dollars l'année dernière. Pour défendre cet énorme enjeu, Luis Lizcano, directeur général de la Fédération mexicaine des industries aérospatiales, a déclaré au gouvernement mexicain qu'il devait donner à l'industrie de la défense mexicaine le statut d'« essentielle » dont elle jouit aux États-Unis et au Canada.

La sous-secrétaire d'État à la Défense pour les acquisitions et le soutien du Pentagone, Ellen Lord, a annoncé qu'elle rencontrait le ministre mexicain des Affaires étrangères, Marcelo Ebrard, pour l'exhorter à laisser les sociétés de défense américaines reprendre la production dans leurs maquiladoras. « Le Mexique est actuellement quelque peu problématique pour nous, mais nous travaillons par le biais de notre ambassade », a-t-elle déclaré. Elle a ensuite annoncé que sa visite avait été un succès.

Utilisant le langage de l'administration Trump, l'ambassadeur américain Christopher Landau a minimisé le risque posé pour les travailleurs. « Il y a des risques partout, mais nous ne restons pas tous à la maison par crainte d'avoir un accident de voiture, écrit-il dans un tweet. La destruction économique menace également la santé ... Des deux côtés de la frontière, investissement = emploi = prospérité. »

Enfin, le 28 avril, le gouverneur de Baja Bonilla a cédé à la pression et ordonné la réouverture de 40 maquiladoras « fermées ». Selon le secrétaire au Développement économique Mario Escobedo Carignan, elles sont désormais considérées comme faisant partie de la chaîne d'approvisionnement des produits essentiels. « Nous ne cherchons pas à suspendre vos opérations, a-t-il dit aux propriétaires, mais à travailler avec vous pour continuer de créer des emplois et de générer de la richesse dans cet État. »

Étant donné que de nombreuses usines « fermées » fonctionnaient déjà, Julia Quiñones a déclaré amèrement : « C'est ce qui se passe toujours ici, à la frontière. Les entreprises enfreignent la loi, puis la loi est modifiée pour légaliser leur action. Et le gouvernement fédéral du Mexique lui-même a également commencé à reculer, annonçant trois jours après une demande américaine qu'il autoriserait les nombreuses énormes usines automobiles du Mexique à redémarrer leurs chaînes d'assemblage une fois que les constructeurs automobiles les auraient redémarrées au nord de la frontière.

Les annonces ne précisent pas si le Mexique a aplani la courbe d'infection du coronavirus ou si les usines sont désormais des lieux sûrs. En 24 heures, du 29 au 30 avril, le nombre de cas par million de personnes est passé de 138 à 149. Un million de personnes travaillent dans plus de 3 000 usines à la frontière. Le virus a déjà fait de nombreux morts parmi elles et si toutes les usines reprennent la production alors que la pandémie fait encore rage, le nombre de décès va sûrement augmenter.

Luis Hernandez Navarro, rédacteur en chef du quotidien de gauche La Jornada (aucun lien avec l'homme d'affaires de Tijuana), a rappelé à ses lecteurs que la propagation catastrophique du virus en Italie était due au fonctionnement continu des usines en Lombardie jusqu'à ce qu'il soit trop tard.

« L'industrie des maquiladoras ne s'est jamais souciée de la santé de ses travailleurs, elle ne se soucie que de ses profits, écrit-il. Leurs chaînes de production ne doivent pas s'arrêter, et dans la meilleure tradition coloniale, Oncle Sam a fait pression sur le Mexique pour que les usines d'assemblage continuent de fonctionner. L'obstination des maquiladoras fait que le cas italien se répétera probablement ici. »

(Traduit de l'anglais par LML)

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