Les États-Unis

La pandémie du coronavirus dans les usines de transformation de la viande aux États-Unis

Aux États-Unis, le 8 mai, plus de cinq mille cas d'infections au coronavirus avaient été confirmés comme étant liés à l'industrie de transformation de la viande dans le pays. Ce nombre est probablement largement sous-déclaré étant donné le manque de tests de dépistage. Au moins quarante-neuf travailleurs de la transformation de la viande sont morts de la COVID-19, dans 27 usines différentes réparties dans 18 États. Quarante usines ont été forcées de fermer temporairement, soit à cause d'ordonnances de la santé publique, soit parce que tant de travailleurs étaient malades que la production était impossible.

L'administration Trump et les quatre oligopoles qui contrôlent la transformation de la viande et de la volaille aux États-Unis, Cargill, JBS, Smithfield et Tyson Foods, sont déterminés à maintenir ouvertes les usines de transformation de la viande. Le 28 avril, Trump a émis un décret présidentiel qui déclare que les usines de transformation de la viande sont une « infrastructure critique », ce qui permet aux agences fédérales d'intervenir et éventuellement d'annuler les décisions prises par les autorités locales. Alors que la pandémie s'est développée à travers les États-Unis, les géants de la transformation de la viande ont tenté de cacher l'étendue de la crise dans leurs usines. Dans certains États, les gouverneurs ont annulé les autorités sanitaires locales afin de maintenir les usines ouvertes.

Le Nebraska est un État où JBS a obtenu ce qu'il voulait et le gouverneur a agi pour bloquer la fermeture d'une usine recommandée par les autorités sanitaires locales. JBS possède des usines de viande de boeuf, de porc et de volaille dans 27 États. Dès le 31 mars, une éclosion importante a été identifiée par les médecins de l'usine de JBS à Grand Island, au Nebraska, et le directeur régional de la santé a demandé au gouverneur de prendre des mesures. Le gouverneur a dit non, citant l'ordre de Trump selon lequel la transformation de la viande est une « infrastructure critique ».[1] Les courriels obtenus par le groupe de défense ProPublica montrent que JBS avait l'intention de dissimuler la propagation de la COVID-19 dans ses usines. « Nous voulons nous assurer que les tests de dépistage sont effectués d'une manière qui ne fomente pas la peur ou la panique parmi nos employés ou la communauté », a écrit le 15 avril le responsable de l'éthique et de la conformité chez JBS, Nicholas White, aux autorités sanitaires locales.

Le virus s'est rapidement propagé au-delà de l'usine et à travers la communauté, avec plus de 1 200 cas dans la ville de 50 000 habitants, et 32 décès, dont un travailleur de JBS. Des tests limités de dépistage, restreints à ceux qui présentent des symptômes, ont permis d'identifier 260 cas à l'usine. Il y a maintenant des éclosions du coronavirus partout au Nebraska dans les villes de transformation de la viande où Tyson Foods, Smithfield Foods et Costco ont des usines. Alors que les cas atteignaient des niveaux stupéfiants et que les hôpitaux étaient débordés, les usines ont finalement été fermées pour un nettoyage à fond. Le gouverneur a annoncé que les responsables locaux de la santé ne seraient plus en mesure de communiquer les données de la COVID-19 de l'usine de transformation de la viande pour des raisons de « confidentialité »

Dans une usine après l'autre, les travailleurs ont signalé qu'ils avaient été renvoyés au travail après avoir informé les superviseurs et les infirmières qu'ils étaient malades. À l'usine de Cargill en Pennsylvanie, un travailleur, qui est décédé depuis du coronavirus, a dit à ses enfants qu'un superviseur lui avait demandé de retirer son masque facial au travail car cela provoquait une anxiété inutile parmi les autres employés. D'autres travailleurs ont déclaré que les superviseurs leur avaient dit de ne pas porter de masques, car seuls les malades devraient avoir des masques, que les professionnels de la santé en ont plus besoin et que le fait de les porter faisait peur sur le lieu de travail.


La section locale 7 des TUAC, à l'usine de viande de JBS, à Greeley, a tenu une discussion
en ligne à l'occasion du Premier Mai.

À Greely, au Colorado, l'usine JBS a finalement été fermée, longtemps après que les responsables de la santé publique ont signalé le 1er avril qu'un grand nombre de travailleurs de JBS se présentaient aux services d'urgence. Les responsables locaux de la santé ont exhorté JBS à faire du dépistage et de la distanciation sociale à l'usine sinon celle-ci serait fermée, ont-ils déclaré. JBS a repoussé l'appel, affirmant que le gouverneur n'était pas en faveur de la fermeture. L'usine a finalement été fermée, mais trop tard pour arrêter la propagation. Toujours avec des tests limités, 280 travailleurs ont été déclarés positifs et sept d'entre eux sont décédés.

Les travailleurs de chaque usine ont mentionné des cas similaires d'ordres de revenir au travail après un test positif et de « ne pas l'ébruiter » sous peine d'être licencié ; on a dit aux travailleurs de retourner au travail avant la fin de la quarantaine de 14 jours même s'ils se sentaient malades ; les travailleurs manifestement malades au travail se sont vu refuser l'autorisation de rentrer chez eux. Les travailleurs des usines JBS et Cargill en Alberta ont dit la même chose.

Ces propos ont été confirmés par les propriétaires selon lesquels le problème n'était pas les usines elles-mêmes, mais les « pratiques culturelles » des travailleurs. Les travailleurs sont blâmés de vivre dans des conditions de logements surpeuplés, des conditions qui sont imposées par les bas salaires de l'industrie, et dans des ménages multigénérationnels.

Les travailleurs ont pris la parole pour briser le silence sur leurs conditions de vie et de travail, y compris les travailleurs non syndiqués qui trouvent des moyens de défendre leurs droits. À Milan, dans le Missouri, un travailleur et la Rural Workers Community Alliance ont intenté une action en justice contre Smithfield en raison de son refus de protéger les travailleurs contre l'infection par le coronavirus. La plainte indique que les travailleurs doivent généralement se tenir presque coude à coude, le plus souvent pendant des heures sans pouvoir se nettoyer ou se désinfecter les mains, et ils ont du mal à prendre un congé de maladie. La poursuite en cour a également souligné que les travailleurs de l'usine reçoivent un point de pénalité s'ils prennent un jour de congé, ce qui peut éventuellement conduire à un licenciement. Un juge fédéral a rejeté la poursuite le 5 mai, déclarant que Smithfield avait pris « des mesures importantes pour réduire le risque d'une éclosion à l'usine ». En fait, l'usine avait pris un certain nombre de mesures pour fournir un équipement de protection et accroître la distanciation sociale, mais seulement après le dépôt de la poursuite.

Une autre mesure utilisée par les entreprises consistait à offrir des augmentations temporaires de salaire et des primes aux travailleurs qui venaient travailler à chaque quart de travail. C'était également le cas au Canada, bien que les entreprises aient prétendu plus tard que les travailleurs mis en quarantaine recevraient également la prime. JBS USA a offert une prime de 600 $ et une augmentation de salaire de 4 $ l'heure à ses employés qui travaillaient à chaque quart de travail. Ceux qui devaient se mettre en quarantaine ou s'isoler recevaient soit un salaire régulier, soit une prestation d'invalidité de courte durée, selon l'entreprise. C'était clairement une incitation à venir travailler quoi qu'il arrive, un geste inadmissible de pression sur les travailleurs pour qu'ils viennent travailler même s'ils présentaient des symptômes liés au coronavirus.

Les preuves provenant de travailleurs à travers les États-Unis ne laissent aucun doute sur le fait que la pression exercée sur les travailleurs pour qu'ils restent au travail en cas de maladie ou après une exposition à la COVID-19 était délibérée, généralisée et à l'échelle de l'industrie. Elle a été faite avec le soutien et la collusion des gouvernements des deux États et du fédéral. Face à ce mépris absolu envers leur bien-être, les travailleurs, qui sont issus des couches les plus marginalisées et vulnérables de la classe ouvrière américaine, ont montré leur courage et leur détermination à défendre leurs droits, et que le statu quo n'est pas une option.

Note

1. Le même jour, le 31 mars, le premier ministre de l'Alberta, Jason Kenney, a dit qu'il avait parlé au gouverneur du Nebraska au sujet du début de la construction de l'oléoduc Keystone XL et que le gouverneur lui avait assuré que toutes les mesures seraient en place pour mener à bien la construction, de manière sécuritaire pendant la pandémie. Ont-ils également parlé de maintenir les usines de transformation ouvertes ?

(Sources : ProPublica, New York Times, Bloomberg News, vox.com. Photos : Section locale 7 des TUAC, Food Chain Workers)


Cet article est paru dans

Numéro 33 - Numéro 33 - 12 mai 2020

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