5 février 2020

Premier anniversaire de la mort tragique de trois travailleurs du rail

La demande d'une enquête indépendante se fait entendre de plus en plus

Demandes des travailleurs et travailleuses du secteur public au Québec
Entrevue avec Jennifer Genest, porte-parole de la table sectorielle pour le SQEES-FTQ
Entrevue, Benoît Taillefer, président du Syndicat des travailleurs et des travailleuses du CSSS de Bordeaux-Cartierville-Saint-Laurent (FSSS-CSN)

Luttes des travailleurs forestiers au pays
Appuyons les justes revendications des travailleurs forestiers des régions côtières qui sont en grève
Fermeture de l'usine de pâte Fortress et de la scierie Lauzon à Thurso au Québec - Pierre Soublière


Premier anniversaire de la mort tragique de trois travailleurs du rail

La demande d'une enquête indépendante se fait entendre de plus en plus


De gauche à droite : Daniel Waldenberger-Bulmer, Andrew Dockrell et Dylan Paradis. La photo provient d'une page créée par la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada pour amasser des fonds pour aider les familles de ces travailleurs.

Le 4 février 2019, le chef de train Dylan Paradis, l'ingénieur de locomotive Andrew Dockrell et le stagiaire Daniel Waldenberger-Bulmer, membres de l'équipage du Canadien Pacifique, ont été tués lorsque leur train parti à la dérive a déraillé et plongé d'un pont d'une hauteur de près de 60 mètres dans la rivière Kicking Horse en Colombie-Britannique, près de la municipalité de Field, après que son système de freins à air ait lâché. Les travailleurs venaient juste de prendre en charge le train composé de trois locomotives et de 112 voitures. Les trois travailleurs étaient basés à Calgary et étaient membres de la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada.

À l'occasion du premier anniversaire de la mort des travailleurs, la demande d'une enquête indépendante de la police sur le déraillement dans lequel ils ont perdu la vie se fait entendre de plus en plus.

Le 26 janvier, l'émission The Fifth Estate sur la chaîne CBC TV a diffusé son documentaire sur la tragédie intitulé Runaway Train. Les proches des victimes y expriment leur colère devant le fait que les Services de police du CP ont fermé leur enquête après seulement un mois et que l'enquête s'est limitée aux seules actions des membres de l'équipage avant l'accident. Il s'agit de la seule enquête policière sur la tragédie.

Le documentaire présente les allégations d'un ancien enquêteur des forces policières du CP selon qui la compagnie l'a empêché d'obtenir des témoignages clés, a dissimulé des preuves et a ordonné aux agents de garder l'enquête étroitement centrée sur l'équipage. Le CP nie toute dissimulation et qualifie cet ancien enquêteur d'« employé mécontent » et dit qu'il va attendre le rapport d'enquête du Bureau de la sécurité des transports (BST) avant de faire des commentaires sur la cause de la tragédie. Le rapport du BST ne devrait pas être terminé avant une autre année.

La mère de Dylan Paradis exige une enquête criminelle sur les décès. Le 26 janvier, Teamsters Canada s'est joint à elle pour demander une enquête indépendante de la GRC sur l'incident meurtrier. Le syndicat réitère également son appel au gouvernement fédéral d'abolir les forces de police des entreprises. Deux jours plus tard, le 28 janvier, la Fédération du travail de l'Alberta a aussi réclamé une enquête indépendante sur la mort des trois travailleurs.

« Trois de nos confrères sont morts dans ce déraillement. Si le CP n'a rien à cacher, il devrait consentir à une enquête indépendante pour le bien des familles et des personnes touchées par cette catastrophe », a déclaré François Laporte, président de Teamsters Canada.

« De plus, les forces de police des transporteurs ferroviaires n'ont pas leur place dans le monde moderne. Il est absurde qu'une entreprise puisse mener des enquêtes criminelles sur elle-même. Elles ne se déclareront jamais coupables de quoi que ce soit  », a ajouté Laporte. « Nous demandons une fois de plus au gouvernement du Canada d'abolir toute forme de police privée. »

De nombreuses raisons justifient une enquête criminelle indépendante sur la tragédie.

Sur le site Web des Services de police du Canadien Pacifique, on peut lire ceci :

« Comme stipulé à l'article 2 du Code criminel du Canada, ils ont exactement les mêmes pouvoirs que tous les autres policiers au Canada. Les membres peuvent recourir à la force, arrêter et fouiller les contrevenants et les garder en détention. Ils peuvent aussi contraindre des personnes à comparaître devant le tribunal. Même si nos membres sont des employés du chemin de fer, ils sont considérés comme des fonctionnaires, au même titre que les policiers municipaux, sauf qu'ils sont mandataires de la Couronne.

« Aux États-Unis, nos membres sont des policiers à part entière dans l'État dans lequel ils travaillent et sont habilités par l'État à appliquer la loi. La portée des pouvoirs d'application de la loi des policiers ferroviaires et la définition de leurs champs de compétence varient selon les États. »

Selon l'Association des chemins de fer du Canada, les Services de police du CP ont été fondés en 1913, ce qui en fait la plus ancienne opération du genre au Canada. Les autres chemins de fer de classe 1 et voyageurs du Canada - dont le CN, VIA Rail, GO Transit et bien d'autres - ont tous des services de police privés dotés des mêmes pouvoirs que les Services de police du CP.

Selon les arrangements actuels néolibéraux de l'État, les monopoles ferroviaires s'autoréglementent déjà en ce qui concerne l'application des normes de sécurité et d'autres normes. Le fait de maintenir les Services de police du CP dans de telles conditions est une forme extrême d'autoréglementation. Les Service de police du CP peuvent déclarer qu'ils ont mené une enquête satisfaisante, qu'ils n'ont trouvé aucun motif d'enquêter sur autre chose que les actions de l'équipage, et ceci est considéré comme l'expression de l'autorité de l'État. Aucune conclusion ne doit être publiée selon la culture du secret des monopoles qui fait partie de l'autorèglementation. Selon la réponse donnée par le CP à Fifth Estate, « En vertu de la loi, la GRC a compétence dans tout le Canada, y compris sur les propriétés du CP ». C'est précisément cela, le langage de l'autorèglementation, que la GRC, ou Transports Canada et le gouvernement fédéral, ont la « compétence ». L'exercice effectif de la compétence juridique revient au CP et à ses forces de police, l'État canadien fournissant l'impunité aux décisions du CP en fermant les yeux. Le rapport du BST devrait être publié dans un an, mais le BST n'a pas le pouvoir de porter des accusations et ne peut que publier des constatations et faire des recommandations.

La décision du CP de ne pas enquêter sur autre chose que les actions de l'équipage avant l'écrasement, alors que même cette enquête partielle n'a pas été rendue publique et qu'on la mentionne seulement pour dire qu'il n'y avait pas de raison de pousser l'enquête plus loin, laisse dans l'ombre la question de pourquoi le train a commencé à aller à la dérive une fois qu'il s'était arrêté sur cette colline escarpée pour une « urgence ». On dit que le train a été immobilisé uniquement avec des freins à air une fois immobilisé. On lit dans les manuels du CP qu'en hiver, « le temps froid augmente les fuites d'air dans le système de freinage pneumatique d'un train », et que c'est un « défi majeur ». Pourquoi le CP n'a-t-il pas ordonné que les freins à main soient appliqués par ce temps extrêmement froid, une fois le train arrêté pour une prétendue « urgence » ? Lorsque l'équipe de relève qui devait prendre le contrôle du convoi est entré en action, il était déjà trop tard, le train a commencé à se déplacer tout seul, hors de contrôle. Cette zone est considérée comme l'une des plus dangereuses en Amérique du Nord pour les trains, surtout par temps extrêmement froid. Tout cela n'est pas clair, alors qu'on a besoin de réponses urgentes.

La demande d'une enquête policière indépendante ne vise pas à donner carte blanche à la GRC. Il s'agit de briser ce mur du secret et du pouvoir d'agir en toute impunité. C'est un rejet du refus de rendre des comptes aux travailleurs et au public parce que les monopoles privés sont considérés comme les créateurs de la richesse sociale, tandis que les travailleurs et le peuple sont traités comme un obstacle à l'accroissement à tout prix des profits privés des monopoles. Les gens veulent jouer un rôle actif dans la découverte de ce qui s'est passé et veulent avoir leur mot à dire dans les correctifs et la réparation, ce qui peut inclure des accusations de négligence criminelle contre l'entreprise. Sinon, parler de prévenir de futures tragédies ne veut rien dire.

(Photos : CFTC, Railway Workers United)

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Demandes des travailleurs et travailleuses du secteur public au Québec

Entrevue avec Jennifer Genest, porte-parole de la table sectorielle pour le SQEES-FTQ

Forum ouvrier : Combien de membres le Syndicat québécois des employées et employés de service, affilié à la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, représente-t-il et quel travail font-ils ?

Jennifer Genest : Le SQEES représente 25 000 membres partout au Québec, majoritairement dans le secteur de la santé et des services sociaux. Il représente environ 8000 travailleurs/euses de ce secteur dans le secteur public. Plus précisément on les retrouve soit dans des établissements publics, comme les gros CISSS et CIUSSS, ou dans des établissements privés conventionnés, qui sont des établissements de santé gérés par les employeurs privés mais qui bénéficient des mêmes conditions de travail que dans le secteur public. Le SQEES est aussi le plus grand syndicat dans les résidences privées pour personnes âgées.

FO : Quelles sont les principales orientations des demandes sectorielles du SQEES ?

JG : Nous visons la rétention de la main-d'oeuvre qui est là actuellement et l'attraction des jeunes qui ne sont pas attirés du tout à venir travailler dans la santé, à juste titre j'imagine. Nos demandes visent à stabiliser les gens qui sont au travail actuellement et à attirer de la nouvelle main-d'oeuvre.

Cela se traduit par différents moyens. Nous faisons un gros travail en ce qui concerne les primes. Il y a une multitude de primes dans la convention collective mais elles sont peu efficaces et ne correspondent pas aux besoins actuels. Nous faisons un gros travail pour mettre les primes à jour et en inclure beaucoup de nouvelles.

Les primes de formation sont un exemple. Les salariés ont l'obligation de former les collègues de travail qui arrivent. Cependant, les primes de formation n'existent en ce moment-ci que pour la catégorie des travailleurs en soins infirmiers. Tout le personnel de soutien et administratif forme la relève gratuitement peut-on dire. Cela augmente son fardeau de tâche sans aucune rémunération additionnelle. Il faut s'assurer que les avantages actuels, inscrits dans la convention collective, s'appliquent, que les travailleurs y ont accès. Prenons la question des congés. La convention actuelle est correcte et même généreuse en ce qui concerne les congés mais les gens n'ont pas accès à leurs congés fériés parce qu'on n'est pas capable de les remplacer. Même chose en ce qui concerne divers congés personnels, sans solde, qui nécessitent l'accord de l'employeur. Souvent, l'employeur ne les accorde pas parce qu'on n'a pas le personnel nécessaire. Il y a des choses qui sont dans la convention qui ne se matérialisent pas.

Il existe des primes de soins critiques dans les services très spécialisés, comme les services d'urgence en psychiatrie. Ces primes sont uniquement accessibles au personnel soignant. Elles ne le sont pas pour les employés de soutien, les agents/es administratifs qui sont tout aussi susceptibles d'être frappés par des patients agressifs.

Notre autre demande principale concerne la santé et la sécurité.

Les taux de lésions physiques ou psychologiques ont explosé dans le réseau de la santé depuis la réforme de 2015, gracieuseté du ministre Barrette. C'est catastrophique. Les sommes en jeu sont astronomiques et il n'y a aucune prévention de faite de façon concrète et efficace dans le réseau de la santé. La Loi sur la santé et la sécurité du travail prévoit différents mécanismes pour imposer la prévention dans les établissements mais ceux-ci se font en fonction de l'évaluation d'un niveau de risque. Il y a six catégories d'employeurs dans la loi mais les mécanismes de prévention sont obligatoires uniquement dans les secteurs qualifiés de secteurs prioritaires. Et le réseau de la santé n'est pas un secteur prioritaire. Outre ce qui est prévu par les conventions collectives, qui n'est pas vraiment contraignant, les employeurs n'ont aucune obligation légale de faire de la prévention. Pourtant, la prévention est la clé du succès pour réduire le niveau de lésions. Il est grand temps que le réseau de la santé et des services sociaux soit reconnu comme un groupe prioritaire dans la loi. Advenant qu'il n'y ait pas de changement législatif, il faudra prévoir les mêmes mécanismes de prévention par le biais des conventions collectives.

L'explosion du taux de lésions tourne autour de la pénurie de personnel. Quand on manque de personnel, il se produit une surcharge de travail et quand cela se produit, il peut y avoir deux conséquences : une conséquence psychologique parce que le fardeau est tel que les travailleurs s'en vont en burnout ; des conséquences physiques parce que les travailleurs en surcharge doivent travailler dans des conditions qui ne sont pas optimales, travailler seuls quand ils sont censés être deux, et travailler très rapidement, et cela cause des accidents.

Les employeurs ne peuvent engager le personnel nécessaire pour une question de budgets.

Avec la réforme de 2015, quand on a fusionné les établissements, les budgets dédiés aux établissements pour l'embauche de personnel ont tous été gelés. On doit faire plus avec moins. En même temps, c'est certain aussi qu'il y a beaucoup de postes qui sont affichés, qui sont disponibles, mais qu'on est incapable de combler à cause des conditions.

En plus, dans les réponses patronales à nos demandes à la table sectorielle, on s'est fait servir le discours qu'on a besoin de faire toujours plus avec moins, qu'il faut modifier les horaires de travail, ou nier le droit des gens à la conciliation famille/travail, qui est pourtant un gain arraché de haute lutte lors de la dernière négociation de convention collective.

En conclusion, la santé et la sécurité est prioritaire en ce qui concerne le SQEES. Tout aussi prioritaire est la valorisation des emplois du réseau de la santé par l'amélioration des conditions de travail, le respect des conditions de travail actuelles qui sont inscrites dans la convention collective, le maintien de ceux qui sont au travail actuellement et l'attraction de la relève pour les prochaines années.

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Entrevue, Benoît Taillefer, président du Syndicat des travailleurs et des travailleuses du CSSS de Bordeaux-Cartierville-Saint-Laurent (FSSS-CSN)

Forum ouvrier : Quelle catégorie de travailleurs et de travailleuses du secteur public représentes-tu et quelles sont leurs principales préoccupations et revendications ?

Benoît Taillefer : Au Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de Bordeaux-Cartierville-Saint-Laurent, je représente les travailleurs et les travailleuses de catégorie 2 et 3. La catégorie 2 ce sont tous les services auxiliaires, préposés aux bénéficiaires, cuisine, buanderie, salubrité, ouvriers spécialisés et ouvriers de maintenance. C'est parmi eux qu'on retrouve une grande partie des bas salariés de la santé et des services sociaux, des gens au bas de l'échelle. La catégorie 3 regroupe le personnel de bureau, les techniciens et les agents et agentes administratifs.

La première chose que je dirais au niveau de nos demandes est la question des salaires. Nos revendications sont légitimes. Depuis 2005, sous l'ère des libéraux nous avons été bafoués énormément au niveau salarial. Nous demandons un réajustement salarial par rapport au secteur privé et à nos besoins, un réajustement qui est normal. Nous sommes en train de nous appauvrir depuis au moins 2005. En priorité au niveau de la table centrale, la première année nous demandons une augmentation de trois dollars de l'heure pour tout le monde. Après cela, nous demandons 1 dollar et 1 dollar par année pour une convention de 3 ans, ou alors 3 % et 3 % par année selon ce qui est le plus avantageux. Pour les bas salariés, 1 dollar de plus de l'heure pour la deuxième et la troisième année peut être plus avantageux que 3 % alors que pour les gens qui ont des salaires plus élevés, le 3 % est plus avantageux. À la Fédération, nous sommes unanimes autour de cette revendication. Les gens qui ont des salaires plus élevés comme les professeurs et les professionnels sont d'accord pour nous appuyer. Ils sont d'accord que nous mettions la priorité sur les bas salariés avec le 3 dollars pour la première année pour tout le monde. C'est un bel exemple de solidarité dont nous sommes fiers.

Dans le sectoriel, une des questions les plus importantes est celle de la privatisation, de la centralisation et de la sous-traitance. Nous sommes très visés par cela, surtout les gens qui sont les ouvriers spécialisés. On fait appel au privé pour faire des choses comme le déneigement ce qui n'a pas de sens, où pour des travaux en électricité que nos électriciens sont tout à fait capables de faire. C'est peut-être avantageux pour l'employeur d'engager des ouvriers par le biais de firmes privées, parce qu'ils ne sont pas syndiqués, n'ont pas les mêmes conditions, pas de lien d'emploi, pas d'assurances ou de fonds de pension. On fait de plus en plus appel à des firmes privées alors que nos gens sont capables de faire le travail et souvent à moindre coût. Il appartient au syndicat d'en faire la démonstration. Nous sommes capables de faire cette démonstration mais cela prend énormément de temps alors que l'employeur a tous les effectifs pour le faire et devrait le faire Un gestionnaire qui est efficace devrait prioriser son monde, surtout si cela coûte moins cher. Nos ouvriers ont les mêmes cartes de compétence que ceux qui viennent du privé. Si jamais il manque de monde, que la demande est plus forte que l'offre, alors qu'on engage des ouvriers. C'est certain aussi qu'au niveau des ouvriers spécialisés on n'est pas attirant par rapport au privé au niveau des salaires et des conditions. Il faut améliorer les conditions pour améliorer l'attraction et la rétention.

Au niveau de la santé et de la sécurité, on demande d'être considéré comme un groupe prioritaire dans le cadre de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Ce n'est pas le cas à l'heure actuelle. Un de nos problèmes majeurs est celui de la détresse psychologique. Aux dernières statistiques on en était, au niveau de la Fédération, à 54 % des membres que nous représentons qui souffrent de détresse psychologique. Dans le réseau, c'est majeur. On a beaucoup de problèmes aussi en ce qui concerne la violence, verbale et physique, en l'occurrence contre ceux qui fournissent des services à domicile. Il y a beaucoup de complexification des cas, et beaucoup de banalisation aussi de ce qui arrive aux préposés. De plus en plus, nous recevons des gens psychiatrisés. Des unités psychiatriques sont ouvertes et l'employeur décrète simplement qu'elles sont ouvertes mais nos gens ne sont pas formés pour faire face à ces situations. La détresse psychologique est causée par la surcharge de travail, le manque de valorisation, le manque d'autonomie. Les bas salariés au bas de l'échelle ne reçoivent pas la reconnaissance et la valorisation qui leur revient. Nous avons besoin d'aide, d'avoir plus de personnel, d'avoir des plans de travail qui sont efficients et qui comprennent les ressources nécessaires et qui sont respectés. Dans la situation actuelle, comme les gens sont en surcharge de travail, ils sont entièrement consacrés à l'accomplissement de la tâche à tout prix, quitte à y lésiner sur notre santé et sécurité. Il y a beaucoup de problèmes physiques aussi, de gens qui se blessent.

Dans tout cela, ce qui vient en tête en priorité, ce sont les salaires. Avec les conditions de misère qu'on a, avoir des salaires plus adéquats est nécessaire. Avoir plus de reconnaissance, salariale bien sûr, et reconnaissance tout court. Ça n'est pas parce qu'on n'est pas des diplômés, les préposés aux bénéficiaires que nous ne sommes pas bons, que nous sommes des sous-fifres ou une sous-classe. Nous devons être entendus, et pas seulement pour l'apparence, mais vraiment entendus., sur toutes les instances.

FO : Que veux-tu dire en conclusion ?

BT : Les gouvernements néolibéraux font beaucoup de désinformation à notre sujet, que nous sommes les gras durs du système. Ce n'est pas vrai. Nous méritons la reconnaissance du public. Nous devons informer les gens, les sensibiliser. Nous demandons seulement ce qui nous est dû. Je crois que de plus en plus le public le reconnaît. Nos revendications sont légitimes. Nous avons beaucoup de gens qui sont très dévoués, et qui endurent en silence, et qui sont moins revendicateurs que des gens comme moi. Ils ont droit à une reconnaissance salariale et à une reconnaissance dans tous les aspects de leur travail. Ne serait-ce que pour eux, cela vaut la peine de revendiquer et de lutter.

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Luttes des travailleurs forestiers au pays

Appuyons les justes revendications des travailleurs forestiers des régions côtières qui sont en grève


Rassemblement des travailleurs de WFP en grève à Nanaimo, le 6 novembre 2019

Les travailleurs forestiers des régions côtières, membres de la section locale 1-1937 du Syndicat des Métallos, entameront bientôt leur huitième mois de grève contre Western Forest Products (WFP). Vers la fin de décembre, le comité de négociation a rencontré les membres locaux à port Alberni, Ladysmith, Powell River, Campbell River et Port McNeill pour discuter de l'état de la négociation et de la médiation. La discussion a aussi porté sur la pression exercée sur les travailleurs par des déclarations et des actions de certains dirigeants des communautés locales et entrepreneurs en exploitation forestière. Invoquant les conditions très difficiles vécues par ces communautés à cause de l'arrêt des opérations forestières, ils ont demandé que le gouvernement provincial intervienne et impose un règlement par arbitrage.

Bien qu'en grève depuis plusieurs mois, les travailleurs insistent pour obtenir une convention collective négociée qui protège leur droit à des conditions de travail sécuritaires, à la sécurité d'emploi et à la dignité au travail. WFP refuse présentement de participer à la médiation avec deux médiateurs nommés par le gouvernement, Vince Ready et Amanda Rogers.

Les principaux points en litige sont le droit contractuel de l'employeur (imposé par arbitrage exécutoire en 2004) d'imposer unilatéralement des quarts de travail prolongés, des journées de congé qui ne se suivent pas et d'autres conditions qui non seulement sont dangereuses mais sont également inférieures aux normes minimales de la Loi sur les normes d'emploi en Colombie-Britannique. Le recours de la compagnie à la sous-traitance et sa politique antiouvrière sur la drogue et l'alcool sont aussi des points en litige.

Afin d'inciter l'employeur à participer aux pourparlers en présence des médiateurs, le syndicat a révisé sa proposition pour des horaires de quarts de travail alternatifs pendant le temps des Fêtes et l'a présentée aux médiateurs le 9 janvier. Après avoir présenté cette nouvelle position à WFP, les médiateurs ont fait rapport au comité de négociation du syndicat, l'informant que la compagnie ne commenterait pas la proposition syndicale et ne retournerait pas à la médiation tant que le syndicat n'accepterait pas de faire des concessions sur la sous-traitance. WFP veut répartir les activités en forêt entre différents entrepreneurs qui se verraient confier différentes tâches, comme l'abattage, le débardage, le transport par camion, la construction de routes, le triage des grumes sur terre ferme. Comme cela se fait déjà pour d'autres opérations contractuelles, les entrepreneurs compétitionneraient pour les contrats, soumissionneraient à la baisse, et, afin de garantir leurs profits, couperaient les coins ronds et priveraient les travailleurs de leurs avantages sociaux, de leur temps supplémentaire, de leur temps de déplacement, etc. Les travailleurs se retrouveraient alors isolés les uns des autres et privés de leur force collective pour défendre leurs droits.

Le comité de négociation, dans son bulletin du 10 janvier, explique qu'il s'agit d'une proposition visant à briser le syndicat et que c'est ce que la compagnie essaie de faire depuis 1986. « Notre syndicat a fait une grève de quatre mois et demi en 1986 et à ce moment-là nous avons obtenu la protection face à la sous-traitance que nous avons aujourd'hui (Article 25). Le WFP a proposé d'attaquer les droits de nos membres en ayant recours à la sous-traitance lors des négociations en 2014, mais elle a retiré cette demande et a signé une entente qui a résulté en des profits exceptionnels et consolidé la situation financière de la compagnie. Maintenant, dans les négociations de 2019/2020, ils demandent à nouveau que les emplois des membres soient offerts en sous-traitance. »

Pour répondre aux maires et aux membres des conseils dans les communautés touchées qui demandent au gouvernement d'intervenir pour mettre fin à la grève, le syndicat a entrepris une série de réunions avec les élus en question pour leur expliquer la nature du litige et pourquoi une entente négociée et non un contrat imposé est dans l'intérêt des travailleurs et des communautés. Au sujet des conditions imposées par le gouvernement libéral de la Colombie-Britannique en 2004, le comité de négociation dit : « L'arbitre désigné avait dépouillé les membres du Syndicat des Métallos de leur droit à des conditions de travail sécuritaires alors que les compagnies ont résilié le droit des travailleurs à une journée de travail de huit (8) heures et imposé des heures prolongées et des horaires de travail instables, les forçant à travailler dans des conditions dangereuses exacerbées par la fatigue et d'autres sources de stress. L'arbitre a aussi autorisé la sous-traitance à grande échelle dans l'industrie côtière lorsque les entrepreneurs forestiers y ont été introduits. Cette action honteuse de 2004 a préparé le terrain pour les conditions dangereuses et inéquitables auxquelles les travailleurs sont confrontés aujourd'hui. » C'est l'intervention gouvernementale en 2004 qui a mené à l'imposition de conditions de travail qui ne respectent pas les normes minimales qui existent pour tous les travailleurs de la Colombie-Britannique.


Le président de la section locale 6717 du Syndicat des Métallos a voyagé de la Saskatchewan  jusqu'à l'île de Vancouver à la fin de 2019 pour apporter un message de solidarité et
donner un appui financier aux travailleurs forestiers en grève.

Dans les communautés touchées, les activités de levées de fonds et d'autres formes d'appui aux travailleurs forestiers vont bon train, comme en témoigne le récent barbecue du 25 janvier à Campbell River organisé par Loonies for Loggers, qui a amassé près de 12 000 $. Dans son plus récent bulletin de négociation, le comité de négociation dit que dans leurs rencontres avec les maires et les conseillers dans les communautés touchées, les travailleurs des communautés ont bien expliqué l'importance d'une entente négociée qui protège leur sécurité d'emploi, leur sécurité au travail et leur dignité, et que leurs interventions ont été bien accueillies.


Le vaste appui de la communauté pour les travailleurs en grève a été illustré par la visite
de leurs lignes de piquetage par les étudiants de l'école secondaire Port Hardy, qui ont
fait des biscuits pour les grévistes. Une classe d'étudiants du primaire a aussi visité
  les lignes en décembre 2019 et interprété des chants de Noël pour les grévistes.

(Photos : section locale 1-1937 des Métallos)

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Fermeture de l'usine de pâte Fortress et de la scierie Lauzon à Thurso au Québec

La ville de Thurso au Québec, qui longe la rivière Ottawa à environ 45 km de Gatineau, vient d'être frappée par deux fermetures majeures d'installations forestières. L'usine de pâte Fortress a d'abord mis à pied 273 de ses 323 travailleurs au début d'octobre 2019 alors que Fortress était à la recherche d'un acheteur. Le 12 décembre 2019, la compagnie a annoncé qu'elle avait été incapable de trouver un acheteur et qu'elle fermerait l'usine de façon permanente. Cette fermeture affecte 76 producteurs de bois de l'Outaouais et des Laurentides qui attendent toujours leurs paiements pour l'équivalent de 800 000 dollars, selon des associations de producteurs de bois de la région. Les producteurs ont indiqué que Fortress Global a cessé de payer les livraisons de bois depuis le mois d'octobre. Une fermeture permanente de Fortress aurait ainsi un impact sur environ 1 000 travailleurs oeuvrant dans divers domaines de la foresterie.

En octobre 2019, la scierie Lauzon a elle aussi annoncé qu'elle cessait ses activités, mettant à pied une centaine de travailleurs. La fermeture de cette scierie productrice de planchers en bois franc a aussi des répercussions directes sur les165 travailleurs forestiers qui approvisionnent la scierie en bois.

En 2010, la société Fortress Cellulose Spécialisée a acquis l'usine de pâte Kraft au coût de 3 millions de dollars. Celle-ci était alors fermée et Fortress projetait de la convertir à la production de pâte dissolvante utilisée dans la fabrication de textiles et d'autres produits. La conversion comprenait l'addition d'une usine de cogénération de 24 mégawatts.

Le gouvernement du Québec a participé au financement de ce projet en consentant un prêt de 102 millions de dollars sur un coût total projeté de 175 millions de dollars. Le coût final du projet a atteint 300 millions de dollars. En décembre 2014, le gouvernement du Québec a reporté en 2026 la date de remboursement de l'emprunt fait à Fortress alors que l'échéancier premier était le 30 avril 2020.

En septembre dernier, le gouvernement Legault a fait un prêt de 5 millions pour aider la compagnie à « maintenir les activités de son usine de Thurso et les 323 emplois qui y sont liés ». Puis, le 8 octobre, il a octroyé un autre prêt de 8 millions de dollars pour permettre « la mise en place d'un processus afin de trouver un investisseur stratégique pour son usine de Thurso ». Il n'a pas encore été question d'exiger que la compagnie rembourse les 800 000 dollars qu'elle doit aux 76 entrepreneurs forestiers.

Le 13 décembre 2019, Fortress Global Enterprises Inc. a annoncé que ses « prêteurs prioritaires » allaient entreprendre « la restructuration de la compagnie et de certaines de ses filiales en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) ». Investissement Québec participe au recours en tant que codemandeur/créancier garanti et Fiera Private Debt. Inc. est l'autre codemandeur/créancier garanti. Fortress Global Enterprises, trois de ses filiales et une compagnie à numéro sont au nombre des débiteurs.

Les travailleurs d'autres secteurs comme l'acier ont déjà révélé à quel point est frauduleuse la restructuration en vertu de la « protection de l'insolvabilité » de la LACC dans laquelle les compagnies actives au Canada agissent au service d'empires mondiaux et les travailleurs sont traités comme une force jetable. La situation à laquelle les travailleurs font face requiert de trouver comment empêcher ces entreprises de procéder à leur saccage.

La région de l'Outaouais a été bâtie sur l'industrie du bois et les industries connexes telles les pâtes et papiers et les scieries. La production a d'abord été destinée à répondre aux besoins des Britanniques pour la construction de leur flotte marine, et, plus tard, aux besoins de quotidiens américains en papier-journal. En d'autres mots, dès le départ, le développement de cette industrie s'est fait non pas en fonction d'un effort national coordonné ayant comme objectif une économie s'appuyant sur ses propres forces mais a toujours été et est encore dépendant d'investisseurs et de marchés étrangers pour répondre aux besoins des oligarques financiers, surtout américains. Cependant, les besoins des marchés ont beaucoup changé, et le papier-journal par exemple n'est plus aussi en demande à cause des publications en ligne.

La situation précaire du secteur est encore exacerbée par l'offensive antisociale néolibérale et les arrangements néolibéraux comme l'accord Canada-États-Unis-Mexique qui concentrent la prise de décision entre les mains des oligarques financiers dans le cadre des États-Unis des monopoles de l'Amérique du Nord. Ces arrangements permettent aux investisseurs de s'enfuir avec la richesse sociale produite par les travailleurs et de ne pas assumer leurs responsabilités sociales envers les travailleurs et leurs communautés.

Comme Forum ouvrier l'a expliqué en 2019 au sujet de fermetures similaires qui affectent les travailleurs forestiers de la Colombie-Britannique et leurs communautés, l'ordre du jour commercial agressif des impérialistes américains en collusion avec les grandes entreprises au Canada comprend le recours aux tarifs américains sur le bois-d'oeuvre pour faire monter les prix et les profits aux États-Unis et éliminer les concurrents plus petits. L'article indique aussi que « la situation au Canada s'est aggravée du fait que les grandes entreprises utilisent la richesse sociale que produisent les travailleurs pour éliminer les travailleurs par des changements technologiques et pour étendre leurs activités forestières aux États-Unis. » [1]

Les appels provenant de divers milieux pour que le gouvernement soit proactif au lieu d'intervenir seulement lorsque le mal est fait ne contribueront pas à résoudre le problème d'une manière qui avantage les travailleurs. Les institutions démocratiques anachroniques ne permettent pas aux travailleurs d'avoir leur mot à dire sur la direction de l'économie. Les gouvernements néolibéraux agissent pour le compte des intérêts privés en mettant à la disposition de ces compagnies une « aide financière » et d'autres manoeuvres pour payer les riches. Lorsque ces mêmes compagnies imposent brutalement des fermetures, comme cela s'est produit pour Lowe's et plusieurs autres, ces gouvernements prétendent qu'ils ne peuvent rien faire sous prétexte qu'il s'agit de décisions d'affaires privées sur lesquelles ils n'exercent aucun contrôle.

Il est impossible de résoudre la crise dans le secteur forestier et dans les autres secteurs des ressources sans prendre du recul et adopter une approche holistique permettant de revoir la direction de l'économie pour qu'elle tienne compte des conditions de travail des travailleurs, des exigences de la protection de l'environnement et du respect des terres ancestrales des Premières Nations. Cela ne peut se faire qu'avec l'apport de tous ceux qui sont concernés, en particulier celui des producteurs eux-mêmes. La situation à laquelle les travailleurs sont confrontés à l'échelle du pays exige que les arrangements sociaux, politiques et économiques soient renouvelés et qu'on mette fin à la marginalisation des travailleurs.

Note

1. « L'industrie forestière de la Colombie-Britannique : Le besoin de résoudre la crise d'une manière qui avantage le peuple », Numéro du 13 juin 2019 de Forum ouvrier

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