Fermeture de l'usine de pâte Fortress et de la scierie Lauzon à Thurso au Québec

La ville de Thurso au Québec, qui longe la rivière Ottawa à environ 45 km de Gatineau, vient d'être frappée par deux fermetures majeures d'installations forestières. L'usine de pâte Fortress a d'abord mis à pied 273 de ses 323 travailleurs au début d'octobre 2019 alors que Fortress était à la recherche d'un acheteur. Le 12 décembre 2019, la compagnie a annoncé qu'elle avait été incapable de trouver un acheteur et qu'elle fermerait l'usine de façon permanente. Cette fermeture affecte 76 producteurs de bois de l'Outaouais et des Laurentides qui attendent toujours leurs paiements pour l'équivalent de 800 000 dollars, selon des associations de producteurs de bois de la région. Les producteurs ont indiqué que Fortress Global a cessé de payer les livraisons de bois depuis le mois d'octobre. Une fermeture permanente de Fortress aurait ainsi un impact sur environ 1 000 travailleurs oeuvrant dans divers domaines de la foresterie.

En octobre 2019, la scierie Lauzon a elle aussi annoncé qu'elle cessait ses activités, mettant à pied une centaine de travailleurs. La fermeture de cette scierie productrice de planchers en bois franc a aussi des répercussions directes sur les165 travailleurs forestiers qui approvisionnent la scierie en bois.

En 2010, la société Fortress Cellulose Spécialisée a acquis l'usine de pâte Kraft au coût de 3 millions de dollars. Celle-ci était alors fermée et Fortress projetait de la convertir à la production de pâte dissolvante utilisée dans la fabrication de textiles et d'autres produits. La conversion comprenait l'addition d'une usine de cogénération de 24 mégawatts.

Le gouvernement du Québec a participé au financement de ce projet en consentant un prêt de 102 millions de dollars sur un coût total projeté de 175 millions de dollars. Le coût final du projet a atteint 300 millions de dollars. En décembre 2014, le gouvernement du Québec a reporté en 2026 la date de remboursement de l'emprunt fait à Fortress alors que l'échéancier premier était le 30 avril 2020.

En septembre dernier, le gouvernement Legault a fait un prêt de 5 millions pour aider la compagnie à « maintenir les activités de son usine de Thurso et les 323 emplois qui y sont liés ». Puis, le 8 octobre, il a octroyé un autre prêt de 8 millions de dollars pour permettre « la mise en place d'un processus afin de trouver un investisseur stratégique pour son usine de Thurso ». Il n'a pas encore été question d'exiger que la compagnie rembourse les 800 000 dollars qu'elle doit aux 76 entrepreneurs forestiers.

Le 13 décembre 2019, Fortress Global Enterprises Inc. a annoncé que ses « prêteurs prioritaires » allaient entreprendre « la restructuration de la compagnie et de certaines de ses filiales en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) ». Investissement Québec participe au recours en tant que codemandeur/créancier garanti et Fiera Private Debt. Inc. est l'autre codemandeur/créancier garanti. Fortress Global Enterprises, trois de ses filiales et une compagnie à numéro sont au nombre des débiteurs.

Les travailleurs d'autres secteurs comme l'acier ont déjà révélé à quel point est frauduleuse la restructuration en vertu de la « protection de l'insolvabilité » de la LACC dans laquelle les compagnies actives au Canada agissent au service d'empires mondiaux et les travailleurs sont traités comme une force jetable. La situation à laquelle les travailleurs font face requiert de trouver comment empêcher ces entreprises de procéder à leur saccage.

La région de l'Outaouais a été bâtie sur l'industrie du bois et les industries connexes telles les pâtes et papiers et les scieries. La production a d'abord été destinée à répondre aux besoins des Britanniques pour la construction de leur flotte marine, et, plus tard, aux besoins de quotidiens américains en papier-journal. En d'autres mots, dès le départ, le développement de cette industrie s'est fait non pas en fonction d'un effort national coordonné ayant comme objectif une économie s'appuyant sur ses propres forces mais a toujours été et est encore dépendant d'investisseurs et de marchés étrangers pour répondre aux besoins des oligarques financiers, surtout américains. Cependant, les besoins des marchés ont beaucoup changé, et le papier-journal par exemple n'est plus aussi en demande à cause des publications en ligne.

La situation précaire du secteur est encore exacerbée par l'offensive antisociale néolibérale et les arrangements néolibéraux comme l'accord Canada-États-Unis-Mexique qui concentrent la prise de décision entre les mains des oligarques financiers dans le cadre des États-Unis des monopoles de l'Amérique du Nord. Ces arrangements permettent aux investisseurs de s'enfuir avec la richesse sociale produite par les travailleurs et de ne pas assumer leurs responsabilités sociales envers les travailleurs et leurs communautés.

Comme Forum ouvrier l'a expliqué en 2019 au sujet de fermetures similaires qui affectent les travailleurs forestiers de la Colombie-Britannique et leurs communautés, l'ordre du jour commercial agressif des impérialistes américains en collusion avec les grandes entreprises au Canada comprend le recours aux tarifs américains sur le bois-d'oeuvre pour faire monter les prix et les profits aux États-Unis et éliminer les concurrents plus petits. L'article indique aussi que « la situation au Canada s'est aggravée du fait que les grandes entreprises utilisent la richesse sociale que produisent les travailleurs pour éliminer les travailleurs par des changements technologiques et pour étendre leurs activités forestières aux États-Unis. » [1]

Les appels provenant de divers milieux pour que le gouvernement soit proactif au lieu d'intervenir seulement lorsque le mal est fait ne contribueront pas à résoudre le problème d'une manière qui avantage les travailleurs. Les institutions démocratiques anachroniques ne permettent pas aux travailleurs d'avoir leur mot à dire sur la direction de l'économie. Les gouvernements néolibéraux agissent pour le compte des intérêts privés en mettant à la disposition de ces compagnies une « aide financière » et d'autres manoeuvres pour payer les riches. Lorsque ces mêmes compagnies imposent brutalement des fermetures, comme cela s'est produit pour Lowe's et plusieurs autres, ces gouvernements prétendent qu'ils ne peuvent rien faire sous prétexte qu'il s'agit de décisions d'affaires privées sur lesquelles ils n'exercent aucun contrôle.

Il est impossible de résoudre la crise dans le secteur forestier et dans les autres secteurs des ressources sans prendre du recul et adopter une approche holistique permettant de revoir la direction de l'économie pour qu'elle tienne compte des conditions de travail des travailleurs, des exigences de la protection de l'environnement et du respect des terres ancestrales des Premières Nations. Cela ne peut se faire qu'avec l'apport de tous ceux qui sont concernés, en particulier celui des producteurs eux-mêmes. La situation à laquelle les travailleurs sont confrontés à l'échelle du pays exige que les arrangements sociaux, politiques et économiques soient renouvelés et qu'on mette fin à la marginalisation des travailleurs.

Note

1. « L'industrie forestière de la Colombie-Britannique : Le besoin de résoudre la crise d'une manière qui avantage le peuple », Numéro du 13 juin 2019 de Forum ouvrier


Cet article est paru dans

Numéro 4 - 5 février 2020

Lien de l'article:
Fermeture de l'usine de pâte Fortress et de la scierie Lauzon à Thurso au Québec - Pierre Soublière


    

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