Numéro 61 - 15 septembre 2020
Des défis sérieux dans la santé et les
services sociaux
Tous en appui aux droits et
à la voix des travailleurs
• Hôpital
du Suroît : les actions des infirmières
font ressortir la gravité de la situation
• Hôpital général du
Lakeshore à Montréal: rupture de services à
l'urgence
• Des rassemblements
partout en Ontario contre le recours du
gouvernement aux pouvoirs ministériels pour
attaquer les droits des travailleurs -
Entretien avec Michael Hurley, président du
Conseil des syndicats d'hôpitaux de l'Ontario
Lettres à la rédaction
• Lettre d'une personne
vivant dans une résidence privée pour aînés en
Montérégie
• La prison de briques
jaunes - Poème d'une aide-soignante
temporaire dans un CHSLD de Montréal
Des défis sérieux dans la santé et
les services sociaux
Chaque jour apporte son lot de nouvelles sur les
conditions de travail intenables dans la santé et
les services sociaux et les inquiétudes devant le
fait que la prestation des services est en train
d'atteindre un point de rupture. Un des traits
saillants de cette situation dramatique est la
démission d'un nombre toujours croissant
d'infirmières et d'autres travailleurs de la
santé. Cette perte aggrave la grave pénurie de
personnel qui existait déjà et qui atteint
maintenant un haut niveau à cause des maladies et
des accidents qui obligent de plus en plus de
travailleurs à s'absenter. Il y a des cas où les
infirmières ont dû organiser des actions sur le
tas telles que des occupations ou refuser de se
présenter au travail parce que les conditions sont
si dangereuses pour elles-mêmes et leurs patients.
Faire face à une deuxième vague prévue de la
pandémie de la COVID-19 dans ces conditions est un
défi considérable.
Les
conditions de travail intenables vont de pair avec
le processus intenable par lequel les exécutifs
gouvernementaux utilisent les pouvoirs
ministériels pour attaquer les droits des
travailleurs, annuler leurs conditions négociées
et nier leur expérience et leur expertise, leurs
propositions et leur voix. Les travailleurs
fournissent les services au péril de leur santé et
de leur vie et ils doivent travailler dans une
situation où le processus de prise de décision ne
provient ni d'eux ni du peuple dans son ensemble.
Ce processus nie qu'ils sont le facteur essentiel
dans la prestation des services et doivent avoir
un mot décisif à dire dans l'organisation des
soins de santé et des services sociaux. Peu
importe avec quelle fréquence et avec quel ton
emphatique on les qualifie d'« anges
gardiens », dans la réalité ils sont
considérés et traités comme un coût pour le
système, et comme des fauteurs de troubles qui
perturbent ceux qui détiennent le pouvoir exécutif
avec leurs revendications, leurs préoccupations et
leur voix. Ce mépris de leur dignité et de leurs
droits, en plus des conditions de travail
intenables, est un facteur majeur conduisant à des
démissions, à des maladies et à une anxiété accrue
parmi les travailleurs de la santé.
Forum ouvrier soutient fermement tous les
efforts et la détermination des travailleurs à
présenter des solutions susceptibles d'atténuer la
crise au bénéfice de tous. Il s'agit entre autres
de la revendication de meilleurs ratios
personnel/patients, de résoudre le problème de
l'embauche et de la rétention du personnel en
offrant des conditions de travail adéquates, de
l'opposition aux heures supplémentaires
obligatoires et au fait de forcer les travailleurs
à se déplacer d'un endroit à un autre, en
particulier des zones froides, où il n'y a pas
d'infection à la COVID-19, aux zones chaudes dans
lesquelles les personnes sont infectées par le
virus, etc. Les travailleurs de la santé ont
également notre plein appui alors qu'ils réclament
le retrait des arrêtés ministériels et des lois
dictatoriales. Cela comprend le recours devant les
tribunaux que la Fédération interprofessionnelle
de la santé du Québec (FIQ) a intenté le 13
juillet contre le renouvellement de l'arrêté
ministériel 2020-007 du 21 mars qui
bafoue les droits de ses membres et continue de
suspendre des pans entiers de leur convention
collective.
Les
travailleurs ont également besoin d'un espace et
de temps pour échanger leurs points de vue sur la
situation, parler en leur propre nom et évaluer ce
qui peut être fait pour bloquer les attaques
contre les travailleurs et le public, et pour
donner une nouvelle direction au système de soins
de santé, à tous les aspects de la prestation des
services et à l'économie dans son ensemble afin de
bâtir une société faite pour l'être humain. Forum
ouvrier s'emploie activement à faciliter
l'échange de vues et la discussion entre les
travailleurs de la santé et d'autres secteurs, et
à contribuer à l'organisation d'autres types de
forums dans lesquels les travailleurs s'expriment
sur leur situation et les défis auxquels ils sont
confrontés.
Dans ce numéro, Forum ouvrier publie des
articles sur les conditions dans le secteur et le
combat que mènent les travailleurs québécois et
ontariens de la santé et des services sociaux,
ainsi que deux contributions qu'il a reçues ;
une lettre d'une personne âgée vivant dans une
résidence privée pour aînés et un poème écrit par
une jeune qui a travaillé comme préposé aux
bénéficiaires temporaire dans un établissement de
soins de longue durée de Montréal.
Les infirmières de l'Hôpital du Suroît dans la
Montérégie-Ouest au Québec déclarent ne plus
pouvoir garantir la sécurité des soins. Le manque
de personnel à l'urgence est particulièrement
dramatique, disent-elles. Elles parlent d'un taux
d'occupation à l'urgence de plus
de 170 % alors que la moitié seulement
du personnel nécessaire est en poste. Évoquant le
danger pour la population, des infirmières ont
refusé de travailler dans la nuit du 9
au 10 septembre.
« Quand des professionnelles en soins refusent de
commencer leur quart de travail, ce n'est pas par
caprice, mais bien parce qu'elles ont peur pour
leur sécurité et surtout celle de leurs patients.
Le manque de personnel à l'urgence est plus que
criant », a dit la présidente par intérim du
Syndicat des professionnelles en soins de la
Montérégie-Ouest, Vanessa Léger.
Face au refus de la direction du Centre
intégré de santé et de services sociaux de la
Montérégie-Ouest (CISSSMO) et du ministère de la
Santé d'assurer la sécurité des patients et du
personnel, le syndicat a demandé d'urgence au
Tribunal administratif du travail (TAT)
d'intervenir pour que des mesures soient prises
pour que les soins puissent être donnés en toute
sécurité. Le TAT a refusé d'intervenir, déclarant
qu'il n'en a pas l'autorité en vertu du Code du
travail. Les infirmières se souviennent pourtant
que le TAT était intervenu en avril dernier en
statuant que les infirmières devraient faire du
temps supplémentaire obligatoire en cas d'urgence
ou en situation exceptionnelle lors de leur
journée sans travail supplémentaire obligatoire
le 8 avril dernier.
« Le tribunal a décidé de ne rien faire. Il peut
intervenir contre le syndicat et ses membres, mais
pas contre un employeur malgré une situation
urgente qui menace la santé et la sécurité des
patients », a dit Vanessa Léger. Le syndicat
évalue à ce stade tous les recours possibles.
Le syndicat rappelle qu'il a proposé plusieurs
solutions dont la mise sur pied d'un comité
paritaire de redressement de la situation, des
incitatifs pour retenir et attirer le personnel
infirmier et la création de postes adaptés à la
réalité du taux d'occupation. Ces solutions n'ont
pas été retenues par les autorités.
« Les professionnelles en soins ont des
solutions. Des mesures incitatives concrètes
doivent immédiatement être mises en place pour
sortir de cette crise majeure qui sévit à
l'Hôpital du Suroît. À cet effet, le Syndicat des
professionnelles en soins de la Montérégie-Ouest
estime la situation extrêmement critique et
réclame ces incitatifs de manière urgente »,
écrit la présidente du syndicat.
Le Syndicat des professionnelles en soins de
santé de l'Ouest-de-l'Île-de-Montréal (SPSSODIM) a
déclaré que les infirmières de l'urgence de
l'Hôpital général du Lakeshore à Pointe-Claire sur
l'île de Montréal ne peuvent plus répondre aux
besoins de la population à cause du manque criant
de personnel. Le taux d'occupation de l'urgence
est à 129 % présentement, mais il manque
régulièrement un grand nombre d'infirmières et
d'infirmières auxiliaires sur certains quarts de
travail.
Le syndicat explique qu'un des problèmes criants
est le fait que plusieurs infirmières sont
absentes ou partent en congé de maladie et qu'on
n'arrive pas à recruter le personnel nécessaire
tant les conditions de travail sont intenables. Il
rapporte qu'il a mis de l'avant plusieurs demandes
depuis 2018 pour mettre fin à la surcharge de
travail et au manque de personnel à l'urgence.
« On ne compte plus les démarches que nous avons
entreprises pour corriger la situation et nous
avons rapidement mis en place des plans d'action.
Les professionnelles en soins à l'urgence ont
signé une pétition en mars 2019, même si
l'employeur a déployé des efforts pour corriger la
situation, il ne parvient pas à attirer et à
retenir le personnel à l'urgence », a dit
Johanne Riendeau, la présidente du syndicat.
Dans ces conditions, le syndicat lance l'appel
directement au gouvernement à assumer sa
responsabilité pour dénouer la crise d'une manière
qui répond aux besoins des infirmières et du
public.
« Les conditions de travail ne sont pas
suffisamment attrayantes et les professionnelles
partent en maladie en raison de l'épuisement.
Notre dernière demande est de rémunérer à taux
double les infirmières et les infirmières
auxiliaires, mais cette demande a été refusée.
Nous nous adressons directement au ministre de la
Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, et
au premier ministre, François Legault qui, pour
l'instant, portent peu d'attention à l'équipe des
soins et à l'ensemble des professionnelles en
soins qui la compose. Le gouvernement doit agir
concrètement et rapidement pour améliorer les
conditions de travail et rendre attractifs les
postes des professionnelles en soins de
santé », a ajouté la présidente du syndicat.
(Photo: FIQ)
- Entretien avec Michael Hurley,
président du Conseil
des syndicats d'hôpitaux de l'Ontario -
Kenora, 27 août 2020
Forum ouvrier : Le Conseil
des syndicats d'hôpitaux de l'Ontario est au coeur
d'une campagne d'actions de masse pour forcer le
gouvernement de l'Ontario à abroger les arrêtés
ministériels qu'il a adoptés et qui bafouent avec
impunité les droits des travailleurs. Peux-tu nous
en dire plus sur cette campagne ?
Michael Hurley : Je veux dire
d'emblée que la crise de la COVID a frappé de
plein fouet les travailleurs de la santé et des
services sociaux en Ontario. Seize personnes sont
décédées et, en date
d'aujourd'hui, 6 752 personnes ont été
infectées de la COVID à leur travail. Lorsque nous
nous comparons à d'autres pays, la Chine par
exemple, nous voyons qu'avec une population cent
fois plus élevée que celle du Canada, la Chine n'a
connu que deux fois plus de décès de travailleurs.
Ce pays a agi de manière beaucoup plus
consciencieuse en ce qui concerne la protection de
ses travailleurs de la santé que les gouvernements
de l'Ontario et du Canada.
Pour comble, une des façons que le gouvernement
de l'Ontario a traité de la crise de la COVID a
été de se donner, à lui-même et aux employeurs, le
pouvoir de déroger à plusieurs aspects importants
des droits fondamentaux des travailleurs à
l'endroit de travail. Ces droits qui sont bafoués
comprennent le droit d'avoir un quart de travail
fixe, le droit de ne pas être réassigné sans avis
et le droit de ne pas voir son emploi aboli sans
avis. Les employeurs peuvent aussi faire entrer
des sous-traitants, et les vacances et les congés
parentaux peuvent être annulés dans plusieurs
titres d'emploi.
Des droits fondamentaux
remportés au cours de plusieurs décennies ont été
éliminés. Rappelons que dans la plupart de ces
endroits de travail — dans la majorité des
endroits de travail en santé et dans les services
sociaux ainsi que dans la plupart des endroits de
travail municipaux en Ontario où ces droits sont
bafoués — il n'y a pas de cas de COVID. Il n'y en
a jamais eu. Il n'y en a pas dans ces endroits de
travail et il n'y en a pas dans la plupart de ces
communautés. Voilà la réalité.
Nous avons entrepris une campagne, conjointement
avec d'autres syndicats membres de la Fédération
du Travail de l'Ontario, pour organiser des
rassemblements afin de sensibiliser les gens et
d'exprimer notre opposition aux actions du
gouvernement. Ces rassemblements ont été un franc
succès et ils grandissent en force, ce qui nous
encourage à en tenir d'autres et à doubler le
nombre de participants lors de la prochaine série
d'actions. Nous comptons poursuivre la
mobilisation des membres jusqu'à ce que nos droits
fondamentaux aux endroits de travail soient
rétablis. Nous avons trente rassemblements
planifiés d'ici la fin d'octobre et nous allons
tenir une deuxième série d'actions en novembre et
en décembre. Ces rassemblements sont en train
d'être organisés partout en Ontario. Nous en avons
tenu à Kenora, à la frontière avec le Manitoba, à
Fort Frances, Thunder Bay, Sault-Ste-Marie,
Sudbury, North Bay, Ottawa, Pembroke, Renfrew,
Cornwall, Brockville et nous commençons maintenant
à en organiser dans le sud de l'Ontario.
Les gens appuient fortement nos actions lorsque
nous expliquons ce qui se passe. Je ne crois pas
que la population de l'Ontario sait que ces droits
ont été enlevés aux travailleurs de la santé et
des services sociaux. Ces rassemblements visent
aussi à mobiliser l'opinion publique parce que
nous croyons fermement que le public est
reconnaissant envers ces travailleurs pour l'aide
qu'ils ont apportée pendant cette crise. Je ne
pense pas que les gens s'attendent à ce que le
gouvernement, qui appelle ces travailleurs des
héros, leur retire du même coup certains de leurs
droits aux endroits de travail les plus
fondamentaux.
Nous devons aussi informer le public de la
signification de ces changements. Par exemple,
85 % de cette main-d'oeuvre est constituée de
femmes et 40 %, de personnes
monoparentales. Une travailleuse peut avoir
attendu jusqu'à 20 ans pour obtenir un quart
de travail de jour pour s'occuper de ses jeunes
enfants, et voilà que l'employeur peut lui dire
qu'à partir de demain elle travaille de nuit de
façon permanente, ou qu'elle est assignée à
travailler dans une autre communauté qui n'a pas
de transport en commun. On leur dit que leur
problème de transport ou de garderie ne concerne
pas l'employeur, au moment même où les garderies
sont fermées et où les services de garderie pour
les travailleurs de première ligne sont très
limités et les bulles familiales restreintes.
C'est un grave problème pour elles. Nous tentons
d'expliquer l'impact de tout cela au public. Nous
sommes confiants que le public sera dégoûté de
cette situation et qu'il y aura une pression
accrue sur le gouvernement.
FO : Quelles revendications
sont mises de l'avant dans ces
rassemblements ?
MH : Nous en avons plusieurs.
Nous demandons au gouvernement d'abroger le décret
qui annule les conventions collectives de
ces 600 000 travailleurs de la santé et
des services sociaux. C'est possible de le faire
par une simple réunion du Cabinet. Le décret fait
partie de la Loi 195 qui a été adoptée en
juillet, mais la Loi stipule que le gouvernement
peut en tout temps amender ou modifier ou abroger
n'importe quel de ces décrets. Donc nous disons
qu'ils doivent se servir de leurs pouvoirs pour le
faire.
Ces mesures
ont été mises en oeuvre d'abord par un décret
d'urgence en mars au tout début de la COVID-19. Ce
décret a été prolongé mois après mois et, en
juillet, le gouvernement a adopté une nouvelle
loi, la Loi de 2020 sur la réouverture de
l'Ontario. Selon cette loi, la crise de la
COVID est sous contrôle, nous rouvrons l'Ontario
et, cependant, elle prolonge la dérogation aux
droits contenus dans les conventions collectives
pour une période d'au moins un an et possiblement
jusqu'à trois ans. C'est ce qui s'est produit en
juillet. Le projet de loi a été présenté et adopté
en 10 jours. Aucun amendement de l'opposition
n'a été accepté. Il n'a pas été renvoyé aux
comités. On n'a offert aucune possibilité aux
syndicats de présenter leurs points de vue à son
sujet. Il été adopté au bâillon.
Ce n'est pas acceptable et nous travaillons à
augmenter la pression sur le gouvernement pour
qu'il abandonne ces mesures contre les
travailleurs de santé et des services sociaux.
Nous lui demandons aussi de reconnaître qu'il
s'agit d'un virus aéroporté et que les
travailleurs dans ces environnements doivent être
protégés en conséquence. Jusqu'à ce jour, ils ne
l'ont pas été, ni en ce qui concerne les
directives qu'eux et leurs employeurs reçoivent du
gouvernement sur comment gérer le virus et les
mesures à prendre, ni en ce qui a trait à
l'équipement de protection fourni.
Ce sont nos deux principales revendications.
Ottawa, 9 septembre 2020
Kingston, 8 septembre 2020
North Bay, 4 septembre 2020
Sudbury, 3 septembre 2020
Sault-Sainte-Marie, 2 septembre 2020
Thunder Bay, 1er septembre 2020
(Photos: CSHO)
Lettres à la rédaction
Forum ouvrier a reçu cette
lettre d'une personne qui vit dans une résidence
privée pour aînés. Elle est écrite sous la forme
d'une lettre au premier ministre du Québec
François Legault.
***
Monsieur le Premier Ministre François Legault,
Au début du confinement, vous nous parliez
abondamment des travailleurs de la santé que vous
avez nommés les « Anges Gardiens », à quel
point ils étaient essentiels pour vaincre le virus
de la COVID-19 qui frappait le Québec. Nous avons
tous cru à ce moment-là que le gouvernement était
de tout coeur avec eux et qu'il allait utiliser
toutes les ressources à sa disposition pour les
aider à sortir plus fort de cette pandémie. Nous,
en tout cas, en tant que personnes âgées vivant en
résidence privée, en CHSLD ou encore dans notre
demeure familiale, comptons énormément sur le
soutien de ces gens pour nous soigner et prendre
soin de nous. C'est pourquoi nous étions heureux
que le gouvernement parle d'eux comme des Anges
Gardiens.
Malheureusement, vos paroles de premier ministre
n'ont pas été à la hauteur de vos actions et de
vos responsabilités. Tout le monde au Québec a
vécu le drame du grand nombre de décès dans les
CHSLD et les résidences de personnes âgées et
comment le virus s'est répandu parce qu'on
refusait le droit aux Anges Gardiens de décider de
la marche à suivre pour protéger les résidents et
eux-mêmes. Tout le monde est conscient maintenant
que ce qui est arrivé est le résultat de décennies
de coupures et de politiques d'austérité des
gouvernements. C'est un secret de polichinelle que
le gouvernement ne veut pas aborder.
Pendant que
vous nommiez les travailleurs de la santé des
Anges Gardiens, vous nous avez appelés les
bâtisseurs du Québec moderne. Le virus de la
COVID-19 qui a sévi dans les CHSLD et les
résidences privés prenait la vie de milliers de
bâtisseurs du Québec moderne. À ce moment-là aussi
nous avons été flattés du compliment que vous nous
faisiez, parce qu'en définitive, c'était vrai.
Nous sommes les témoins vivants de la révolution
tranquille et des grandes institutions publiques
telles Hydro-Québec qui ont façonné le Québec
jusqu'à ce jour. Nous sommes les enfants d'une
période qui a vu le Québec se moderniser sous nos
yeux, mais nous sommes aussi les parents des
enfants qui continuent à bâtir notre Québec.
Vous avez raison, monsieur le premier ministre,
nous sommes les bâtisseurs du Québec moderne.
Malheureusement, encore une fois nous avons été
déçus. Nous nous attendions à ce que ce Québec que
nous avons contribué à bâtir prenne soin de nous
comme la prunelle de ses yeux. Ce n'est pas ce qui
est arrivé. Nous avons le sentiment que la seule
utilité que nous avons maintenant est de remettre
d'énormes sommes d'argent que nous avons
accumulées toutes notre vie à des entreprises
privées pour pouvoir nous loger et nous soigner.
Nos fonds de pension et nos épargnes personnelles
ont fait la fortune d'individus qui se sont
construit des mini-empires personnels. Nous avons
l'impression que non seulement nous avons bâti le
Québec, mais qu'aujourd'hui on nous demande un
tribut pour pouvoir continuer à y vivre, comme
s'il ne nous appartenait pas, ce Québec que nous
avons bâti. En plus, ceux et celles qui parmi nous
sont les plus vulnérables et les plus malades,
vous les avez entassés dans des résidences
publiques sans prendre soin des Anges Gardiens qui
s'en occupaient. Est-ce là l'ultime récompense que
l'État québécois peut donner aux bâtisseurs du
Québec moderne ? Je ne crois pas.
Durant le confinement, vous nous avez traités
comme des enfants, comme si nous avions perdu la
capacité de réfléchir. À notre résidence, on nous
encourageait pour passer le temps à faire des
petits dessins comme si nous étions à la
maternelle au lieu de nous encourager à participer
à notre propre sécurité entre nous et en
collaboration avec nos Anges Gardiens. Ça aurait
été, à mon avis, la meilleure manière de vaincre
le virus et de sortir de cette pandémie comme des
êtres humains fiers de ce qu'ils ont accompli.
Mais une chose est sûre, monsieur le premier
ministre, il est malheureusement trop tard pour
ceux et celles qui sont décédés de la COVID-19,
mais, pour ceux qui restent, ce fut une période où
nous avons appris de grandes leçons, comme quoi il
n'est jamais trop tard pour apprendre et agir.
- Poème d'une aide-soignante
temporaire dans un CHSLD de Montréal -
Forum ouvrier a reçu le poème suivant
d'une jeune lectrice.
La
prison
de briques jaunes
Lorsque tous les
matins,
Elle se dirigeait vers la prison de briques
jaunes,
Elle enfilait son masque, sa jaquette, sa visière
et ses gants
Elle prenait l'ascenseur vers les étages
supérieurs
Et dans ces couloirs puants et asphyxiants bordés
de cellules
Elle surveillait chaque prisonnier avec angoisse
« Non, ne sortez pas,
il ne faut pas sortir,
Bientôt, bientôt, on pourra vous sortir,
Non, ne vous levez pas, vous allez tomber et vous
faire mal,
Bientôt, bientôt, on viendra vous aider
Non, ne pleurez pas, il ne faut pas pleurer,
Bientôt, bientôt, on pourra vous changer »
Et lorsqu'elle
nourrissait une telle résidente
Lorsqu'elle donnait à boire à un tel patient
Lorsqu'elle peignait les cheveux à une telle autre
Et lorsqu'elle offrait de l'espoir à un tel autre
Elle s'offrait ainsi à elle-même de l'espoir
Et lorsqu'elle
étanchait la soif,
Elle étanchait sa propre soif
Et lorsqu'elle les soulevait,
Elle se soulevait elle-même
Ce n'était plus eux, mais elle maintenant
Lorsqu'elle crémait
un corps,
C'était toujours elle,
Lorsqu'elle rassurait un patient
C'était encore elle,
Lorsqu'elle habillait un résident,
C'était rendu elle.
Elle qui était dans la cellule
Elle qu'elle regardait dans les yeux,
Elle qui ne respirait plus,
Elle qui ne pouvait sortir,
Elle qui mourra seule
Et après avoir fini
son shift,
Après avoir donné ce qu'elle pensait de l'espoir,
Elle quittait enfin la prison de briques jaunes
vers chez elle,
Et lorsqu'elle s'étendait dans la nuit,
Les traces du masque et de la visière gravés dans
sa chair
Il ne lui restait plus que comme seul fantôme,
Les corps perdus et les promesses brisées.
(Pour voir les articles
individuellement, cliquer sur le titre de
l'article.)
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