La prison de briques jaunes

Forum ouvrier a reçu le poème suivant d'une jeune lectrice.

La prison de briques jaunes

Lorsque tous les matins,
Elle se dirigeait vers la prison de briques jaunes,
Elle enfilait son masque, sa jaquette, sa visière et ses gants
Elle prenait l'ascenseur vers les étages supérieurs
Et dans ces couloirs puants et asphyxiants bordés de cellules
Elle surveillait chaque prisonnier avec angoisse

« Non, ne sortez pas, il ne faut pas sortir,
Bientôt, bientôt, on pourra vous sortir,
Non, ne vous levez pas, vous allez tomber et vous faire mal,
Bientôt, bientôt, on viendra vous aider
Non, ne pleurez pas, il ne faut pas pleurer,
Bientôt, bientôt, on pourra vous changer »

Et lorsqu'elle nourrissait une telle résidente
Lorsqu'elle donnait à boire à un tel patient
Lorsqu'elle peignait les cheveux à une telle autre
Et lorsqu'elle offrait de l'espoir à un tel autre
Elle s'offrait ainsi à elle-même de l'espoir

Et lorsqu'elle étanchait la soif,
Elle étanchait sa propre soif
Et lorsqu'elle les soulevait,
Elle se soulevait elle-même
Ce n'était plus eux, mais elle maintenant

Lorsqu'elle crémait un corps,
C'était toujours elle,
Lorsqu'elle rassurait un patient
C'était encore elle,
Lorsqu'elle habillait un résident,
C'était rendu elle.
Elle qui était dans la cellule
Elle qu'elle regardait dans les yeux,
Elle qui ne respirait plus,
Elle qui ne pouvait sortir,
Elle qui mourra seule

Et après avoir fini son shift,
Après avoir donné ce qu'elle pensait de l'espoir,
Elle quittait enfin la prison de briques jaunes vers chez elle,
Et lorsqu'elle s'étendait dans la nuit,
Les traces du masque et de la visière gravés dans sa chair
Il ne lui restait plus que comme seul fantôme,
Les corps perdus et les promesses brisées.


Cet article est paru dans

Numéro 61 - Numéro 61 - 15 septembre 2020

Lien de l'article:
La prison de briques jaunes - Poème d'une aide-soignante temporaire dans un CHSLD de Montréal


    

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