La prison de briques jaunes
- Poème d'une aide-soignante
temporaire dans un CHSLD de Montréal -
Forum ouvrier a reçu le poème suivant
d'une jeune lectrice.
La
prison
de briques jaunes
Lorsque tous les
matins,
Elle se dirigeait vers la prison de briques
jaunes,
Elle enfilait son masque, sa jaquette, sa visière
et ses gants
Elle prenait l'ascenseur vers les étages
supérieurs
Et dans ces couloirs puants et asphyxiants bordés
de cellules
Elle surveillait chaque prisonnier avec angoisse
« Non, ne sortez pas,
il ne faut pas sortir,
Bientôt, bientôt, on pourra vous sortir,
Non, ne vous levez pas, vous allez tomber et vous
faire mal,
Bientôt, bientôt, on viendra vous aider
Non, ne pleurez pas, il ne faut pas pleurer,
Bientôt, bientôt, on pourra vous changer »
Et lorsqu'elle
nourrissait une telle résidente
Lorsqu'elle donnait à boire à un tel patient
Lorsqu'elle peignait les cheveux à une telle autre
Et lorsqu'elle offrait de l'espoir à un tel autre
Elle s'offrait ainsi à elle-même de l'espoir
Et lorsqu'elle
étanchait la soif,
Elle étanchait sa propre soif
Et lorsqu'elle les soulevait,
Elle se soulevait elle-même
Ce n'était plus eux, mais elle maintenant
Lorsqu'elle crémait
un corps,
C'était toujours elle,
Lorsqu'elle rassurait un patient
C'était encore elle,
Lorsqu'elle habillait un résident,
C'était rendu elle.
Elle qui était dans la cellule
Elle qu'elle regardait dans les yeux,
Elle qui ne respirait plus,
Elle qui ne pouvait sortir,
Elle qui mourra seule
Et après avoir fini
son shift,
Après avoir donné ce qu'elle pensait de l'espoir,
Elle quittait enfin la prison de briques jaunes
vers chez elle,
Et lorsqu'elle s'étendait dans la nuit,
Les traces du masque et de la visière gravés dans
sa chair
Il ne lui restait plus que comme seul fantôme,
Les corps perdus et les promesses brisées.
Cet article est paru dans
Numéro 61 - Numéro 61 - 15 septembre 2020
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La prison de briques jaunes - Poème d'une aide-soignante
temporaire dans un CHSLD de Montréal
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