Lettres à la rédaction
Lettre d'une personne vivant dans une résidence privée pour aînés en Montérégie
Forum ouvrier a reçu cette
lettre d'une personne qui vit dans une résidence
privée pour aînés. Elle est écrite sous la forme
d'une lettre au premier ministre du Québec
François Legault.
***
Monsieur le Premier Ministre François Legault,
Au début du confinement, vous nous parliez
abondamment des travailleurs de la santé que vous
avez nommés les « Anges Gardiens », à quel
point ils étaient essentiels pour vaincre le virus
de la COVID-19 qui frappait le Québec. Nous avons
tous cru à ce moment-là que le gouvernement était
de tout coeur avec eux et qu'il allait utiliser
toutes les ressources à sa disposition pour les
aider à sortir plus fort de cette pandémie. Nous,
en tout cas, en tant que personnes âgées vivant en
résidence privée, en CHSLD ou encore dans notre
demeure familiale, comptons énormément sur le
soutien de ces gens pour nous soigner et prendre
soin de nous. C'est pourquoi nous étions heureux
que le gouvernement parle d'eux comme des Anges
Gardiens.
Malheureusement, vos paroles de premier ministre
n'ont pas été à la hauteur de vos actions et de
vos responsabilités. Tout le monde au Québec a
vécu le drame du grand nombre de décès dans les
CHSLD et les résidences de personnes âgées et
comment le virus s'est répandu parce qu'on
refusait le droit aux Anges Gardiens de décider de
la marche à suivre pour protéger les résidents et
eux-mêmes. Tout le monde est conscient maintenant
que ce qui est arrivé est le résultat de décennies
de coupures et de politiques d'austérité des
gouvernements. C'est un secret de polichinelle que
le gouvernement ne veut pas aborder.
Pendant que
vous nommiez les travailleurs de la santé des
Anges Gardiens, vous nous avez appelés les
bâtisseurs du Québec moderne. Le virus de la
COVID-19 qui a sévi dans les CHSLD et les
résidences privés prenait la vie de milliers de
bâtisseurs du Québec moderne. À ce moment-là aussi
nous avons été flattés du compliment que vous nous
faisiez, parce qu'en définitive, c'était vrai.
Nous sommes les témoins vivants de la révolution
tranquille et des grandes institutions publiques
telles Hydro-Québec qui ont façonné le Québec
jusqu'à ce jour. Nous sommes les enfants d'une
période qui a vu le Québec se moderniser sous nos
yeux, mais nous sommes aussi les parents des
enfants qui continuent à bâtir notre Québec.
Vous avez raison, monsieur le premier ministre,
nous sommes les bâtisseurs du Québec moderne.
Malheureusement, encore une fois nous avons été
déçus. Nous nous attendions à ce que ce Québec que
nous avons contribué à bâtir prenne soin de nous
comme la prunelle de ses yeux. Ce n'est pas ce qui
est arrivé. Nous avons le sentiment que la seule
utilité que nous avons maintenant est de remettre
d'énormes sommes d'argent que nous avons
accumulées toutes notre vie à des entreprises
privées pour pouvoir nous loger et nous soigner.
Nos fonds de pension et nos épargnes personnelles
ont fait la fortune d'individus qui se sont
construit des mini-empires personnels. Nous avons
l'impression que non seulement nous avons bâti le
Québec, mais qu'aujourd'hui on nous demande un
tribut pour pouvoir continuer à y vivre, comme
s'il ne nous appartenait pas, ce Québec que nous
avons bâti. En plus, ceux et celles qui parmi nous
sont les plus vulnérables et les plus malades,
vous les avez entassés dans des résidences
publiques sans prendre soin des Anges Gardiens qui
s'en occupaient. Est-ce là l'ultime récompense que
l'État québécois peut donner aux bâtisseurs du
Québec moderne ? Je ne crois pas.
Durant le confinement, vous nous avez traités
comme des enfants, comme si nous avions perdu la
capacité de réfléchir. À notre résidence, on nous
encourageait pour passer le temps à faire des
petits dessins comme si nous étions à la
maternelle au lieu de nous encourager à participer
à notre propre sécurité entre nous et en
collaboration avec nos Anges Gardiens. Ça aurait
été, à mon avis, la meilleure manière de vaincre
le virus et de sortir de cette pandémie comme des
êtres humains fiers de ce qu'ils ont accompli.
Mais une chose est sûre, monsieur le premier
ministre, il est malheureusement trop tard pour
ceux et celles qui sont décédés de la COVID-19,
mais, pour ceux qui restent, ce fut une période où
nous avons appris de grandes leçons, comme quoi il
n'est jamais trop tard pour apprendre et agir.
Cet article est paru dans
Numéro 61 - Numéro 61 - 15 septembre 2020
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