29 avril 2020
Les travailleurs disent leur pensée
en ce jour de deuil
• Marc
Robitaille, représentant à la prévention de la
section locale 9291 du Syndicat des métallos,
mine Westwood en Abitibi
• Simon Lévesque,
responsable de la santé et de la sécurité à la
FTQ-Construction
• Gary Howe, président de
la section locale 1005 du Syndicat des
Métallos, représentant les travailleurs de
Stelco à Hamilton
• Nathalie Savard,
présidente du Syndicat des intervenantes et des
intervenants de la santé du Nord-Est québécois
(SIISNEQ)
• Geneviève Royer,
orthopédagogue au secondaire
Les travailleurs prennent la
parole à la défense des conditions
de travail dont ils ont besoin
À la mine, nous travaillons à éviter les
accidents de travail et à assurer la sécurité des
travailleurs. Nous avons recommencé il y a un peu
plus d'une semaine à travailler dans le secteur
minier, après avoir été forcés de cesser nos
activités à la fin du mois de mars. Beaucoup de
travailleurs se questionnent, il y a beaucoup
d'inquiétude et c'est normal. Il n'y a personne
qui veut ramener ce virus à la maison. Mon rôle
est de m'assurer que l'entreprise a mis les
mesures en place en fonction des règles sanitaires
imposées par la Santé publique. Nous travaillons
pour le bien de tout le monde. Les travailleurs
réguliers de la mine, les contractuels, tous ont
le droit d'avoir un environnement de travail
sécuritaire. Même si je ne les représente pas en
tant que représentant à la prévention, ce qu'on
fait est aussi bénéfique pour les cadres. Aussitôt
que quelqu'un rentre au site, il faut s'assurer
que tout se passe de façon sécuritaire. On ne veut
pas que personne ne se blesse ou tombe malade.
Quand
tu es représentant à la prévention, tu dois avoir
en tête exclusivement la question de la santé et
de la sécurité du travailleur. Tu dois te demander
si la mesure qui est en place, si la pratique qui
est utilisée comporte un danger pour quelqu'un. Et
s'il y a un danger, il faut trouver une solution.
On ne parle pas de signe de dollar. On parle de
santé et de sécurité, on parle de moyens mis en
place pour que les travailleurs travaillent de
façon sécuritaire. Quand on participe aux comités
de révision réglementaire, notre mot d'ordre c'est
la santé et la sécurité, alors que pour
l'employeur c'est toujours la sécurité oui, mais
combien cela coûte-t-il ? Pour nous on s'en
fout combien cela coûte, la question c'est
d'éliminer le danger pour les travailleurs.
Dans notre cas, la distanciation sociale est
notre première problématique en ce moment. Avant
même qu'on soit en confinement [à cause de la
pandémie], on avait déjà traité de cette
problématique. L'employeur avait commencé à
émettre des mesures, mais elles n'étaient pas
claires au début, la distanciation sociale était
d'un à deux mètres, les programmes étaient mis en
place pour respecter le un mètre de distanciation.
Une mine c'est vaste. Il y a des goulots
d'étranglement. Le matin, tout le monde se
retrouve au même endroit pour prendre ses ordres
pour la journée ; il y a les vestiaires, il y
a la cage qui nous descend sous terre. Les
travailleurs étaient inquiets d'être collés les
uns sur les autres dans ces endroits-là.
Au début, l'employeur ne voulait pas
nécessairement mettre en place les mesures qui
étaient conformes aux directives de la Santé
publique. Mais avec le confinement, il y a eu des
directives très claires de la Santé publique, que
si vous voulez rouvrir l'entreprise, il faut
prendre telle et telle mesure. Et les mesures ont
été mises en place. Il y a aussi un côté éducation
parce que les méthodes de travail et les
comportements sont chambardés. De plus en plus,
quand les travailleurs se croisent, cela devient
instinctif de le faire en respectant le deux
mètres, sans qu'on ait besoin de sortir un ruban à
mesurer. On le voit à l'oeil. Nous sommes
présentement dans cette période-là. Le nettoyage
des mains est très important. En entrant sur le
site, il faut se laver les mains et il y a une
prise de température. Il y a des stations de
nettoyage un peu partout. Le travailleur doit
nettoyer sa machine, ses commandes avant de
commencer son quart de travail. Même chose quand
il termine son quart de travail. Pour les cages,
on a diminué de moitié le nombre de ceux qui
utilisent la cage en même temps pour descendre
sous terre. Cela implique des changements
d'horaires. C'est une réalité à laquelle autant
dans notre milieu de travail qu'en société on doit
s'adapter.
Il faut continuer à insister pour que le travail
se fasse de façon sécuritaire et ne pas hésiter à
utiliser les ressources en santé et sécurité. Le
secteur minier est un secteur prioritaire selon la
Loi sur la santé et la sécurité du travail et
c'est une obligation légale de l'employeur qu'il y
ait un représentant à la prévention. Il ne faut
pas hésiter à utiliser les représentants syndicaux
pour aider les travailleurs dans leur cheminement
quand il y a des problématiques en santé et
sécurité.
Quand on est dans un milieu syndiqué, il faut
utiliser nos ressources. Quand on n'a pas de
syndicat, il faut aussi faire valoir ses droits en
tant que travailleurs. La Loi sur la santé et
la sécurité du travail est là pour tout le
monde, et c'est un minimum. Avec la COVID-19, on
est en train de prendre conscience que notre santé
c'est important, on fait attention à nous, on se
protège. Alors, protégeons-nous aussi au travail.
Gardons cet esprit-là. Il faut toujours se
questionner : est-ce que c'est dangereux le
travail que je suis en train de faire ? Il ne
faut pas hésiter à le faire et à chercher une
solution qui est sécuritaire.
Cela fait 40 ans que nous avons les mêmes
demandes au niveau de la construction. On nous
parle toujours de la prise en charge par le
milieu, mais on n'a pas les outils pour le faire.
Nous avons énormément d'accidents graves dans la
construction. On mesure la santé et la sécurité
par les décès au travail, qui sont
particulièrement élevés dans la construction, mais
on ne doit pas oublier les travailleurs qui sont
blessés gravement. Il faut que les milieux
s'organisent pour que les vies arrêtent de
basculer. Ces dernières années, la pression a
énormément augmenté parce qu'il y a beaucoup de
travail dans l'industrie de la construction et les
employeurs font des pieds et des mains pour
essayer de faciliter l'entrée dans le domaine de
la construction en faisant entrer de la
main-d'oeuvre peu formée. On coupe les formations.
Au lieu de passer par les diplômes d'études
professionnelles, on passe par les ouvertures de
bassins, souvent au sacrifice des travailleurs et
de leur santé et sécurité.
Le principal outil
que nous revendiquons, c'est le représentant en
prévention. On veut avoir des représentants en
prévention qui sont nommés par les syndicats, qui
vont travailler dans les milieux de travail,
s'impliquer au niveau de la santé et de la
sécurité et faire les suivis adéquats. Ils vont
faire appliquer les programmes de prévention et
faire modifier les programmes de prévention des
employeurs, sans se faire menacer de se faire
congédier parce qu'ils sont impliqués dans la
santé et sécurité. Nos travailleurs n'ont pas de
sécurité d'emploi même s'ils sont syndiqués. Dès
qu'ils soulèvent un problème de santé et sécurité,
ils se font congédier, sous de faux prétextes,
comme se faire dire par les employeurs qu'ils
n'ont plus de travail pour eux. Les représentants
en prévention sont nécessaires pour qu'on puisse
améliorer les bilans au niveau de la santé et
sécurité.
L'intervention sur les chantiers est difficile
parce que les travailleurs veulent être aidés,
mais ils ne veulent pas être ciblés par les
employeurs et risquer de perdre leur travail. En
plus, les représentants syndicaux ne peuvent pas
être à temps plein sur les chantiers pour faire
des suivis au niveau des méthodes de travail et de
toute l'organisation du travail.
En ce qui concerne la pandémie, notre travail
principal est au niveau de l'hygiène, de la
salubrité, des aires de repas, notamment leur
nettoyage régulier, le lavage des mains, etc.
Demander de l'eau pour se laver les mains, c'est
comme si on demandait quelque chose de luxueux.
C'était toujours présenté comme quelque chose
d'impossible. Et pourtant, dans les travaux où on
a besoin de l'eau pour faire le travail, on en a
trouvé des moyens pour fournir des toilettes
adéquates où nos travailleurs peuvent se laver les
mains avec du savon. Il y a d'autres cas, comme un
entrepreneur qui a installé un poste de lavage de
mains, avec un chauffe-eau, une cuve de lavage,
une installation portative adéquate. C'est donc
possible ! Chose certaine, il ne faut pas
lâcher ! C'est une revendication de base et
elle doit être satisfaite !
Le mot d'ordre du 28 avril est « Pleurer les
morts, lutter pour les vivants ». Nos membres
et nos retraités ont été soumis à des conditions
dangereuses et à des substances désignées, comme
l'amiante et les émissions des fours à coke.
Plusieurs de nos travailleurs sont morts,
plusieurs de mes amis sont morts dans la
cinquantaine après avoir travaillé avec des
substances désignées.
Selon
moi et la section locale 1005, la COVID-19
est une autre substance dangereuse à laquelle nous
les travailleurs, pas juste la section locale mais
tous les travailleurs, devons faire face. Cela
vient s'ajouter à tout le reste dont nous devons
traiter. La COVID-19 est différente au sens où
pour plusieurs personnes, les symptômes sont
beaucoup plus aigus, les résultats sont beaucoup
plus immédiats, alors qu'avec des substances comme
l'amiante, cela prend beaucoup plus de temps avant
qu'un cancer ne se développe. Cela peut
prendre 20 ou même 30 ans.
La COVID-19 est une autre substance dangereuse à
l'endroit de travail et c'est pourquoi c'est si
important de reconnaître les travailleurs qui font
face à cette substance en ce moment, soit tous les
travailleurs essentiels dont ceux de la santé.
Cela fait plus de 20 ans qu'on parle de ces
travailleurs, des problèmes auxquels ils font
face, que ce soit les travailleurs d'hôpitaux ou
les autres qui oeuvrent dans la santé. C'est
pourquoi, selon moi, la Journée de commémoration
cette année est d'une importance vitale. Il faut
prendre les mesures qui s'imposent au sujet de la
COVID-19. On doit mettre en place des lois et des
règlements pour protéger les travailleurs et
améliorer les conditions pour tous dans le système
de santé. L'ensemble du système de santé doit être
révisé. En plus, il y a la question du droit de
refuser un travail dangereux. Il faut renforcer la
capacité des travailleurs d'exercer un droit de
refus effectif. On n'a pas besoin d'un droit de
refus ou le ministère envoie quelqu'un sur les
lieux et ne fait rien. Le droit doit être
effectif.
À l'usine, c'est difficile pour les travailleurs
qui travaillent côte à côte de respecter la
distanciation sociale. C'est une des mesures que
nous essayons d'appliquer mais c'est un défi.
Comme présidente du syndicat, et par ce que je
vois sur le terrain, mes préoccupations sont
toujours pour la santé et la sécurité de nos
membres et des travailleurs de la santé dans
l'ensemble. J'ai l'impression que les décisions
sont prises parfois en vertu du matériel
disponible et selon les inventaires et non selon
les besoins. Les consignes de protection de divers
matériel changent constamment. Récemment, nous
avons eu une directive nouvelle dans la matinée
concernant les jaquettes jetables de notre
employeur et, dans l'après-midi, la ministre de la
Santé a dit qu'on était en pénurie. On voit en ce
moment comment le gouvernement ne réussit pas à
protéger la santé et la sécurité des gens. Il y a
plus de 4000 personnes dans le réseau de la
santé au Québec qui sont infectées par le
coronavirus. Il y a une grande différence entre le
discours du gouvernement et ce qui se passe sur le
terrain.
En ce qui nous
concerne, sous sommes passés d'anges gardiens à
une situation où on doit simplement obéir. Parce
qu'on est en situation de guerre, on oblige nos
membres à augmenter leurs disponibilités, on
change leurs quarts de travail, on ne les respecte
pas. Pourtant, ce sont des soldats qui doivent
être motivés. On doit s'assurer que les troupes
soient là, mais on fait tout pour les dégoûter et
même les pousser à démissionner. On peut dire que
depuis l'arrêt ministériel du mois de mars du
gouvernement du Québec, qui permet de changer nos
conditions de travail unilatéralement, que les
employeurs ne sont plus en recherche de solution.
Ils nous disent que si nous avons un problème, ils
vont utiliser l'arrêté ministériel et qu'ils ont
le droit de faire ce qu'ils veulent.
Nous disons depuis le début que cela prend des
gens sur le terrain. On ne voit plus les
gestionnaires, on ne sait pas où ils sont. Si les
gestionnaires n'ont pas le temps, qu'ils mettent
des personnes responsables qui vont s'occuper de
la santé et de la sécurité au travail. Pendant la
dernière négociation, nous avons demandé d'avoir
des agents de santé et sécurité au travail qui
sont des salariés et sont sur le terrain pour
s'occuper de ce qui se passe. L'agent serait
libéré à temps plein, il ferait le tour des
établissements, il aurait le pouvoir de dire que
ceci ne marche pas et exiger que telle ou telle
mesure soit appliquée. On voit en ce moment la
grande lacune en ce qui concerne la prévention
dans nos réseaux. On voit la faiblesse de notre
réseau. Depuis la crise du COVID, les comités
mixtes de santé/sécurité ne fonctionnent plus. On
ne voit jamais la CNESST non plus.
Il faut qu'on arrête de traiter les travailleurs
et les travailleuses de la santé comme des anges
gardiens, mais qu'on les traite comme des êtres
humains qui viennent donner des soins. Il faut
qu'on leur donne de bonnes conditions de travail
et des moyens de se protéger.
Le principal problème de santé auquel les
enseignantes et enseignants sont aux prises est
celui de l'anxiété. Cela se traduit, entre autres,
par une augmentation année après année du nombre
d'enseignants devant prendre des congés prolongés.
À titre d'exemple, entre 2013 et 2018,
alors qu'il y a eu une augmentation
de 4 % d'enseignants dans la profession,
ce sont 13 % de plus d'enseignants qui
ont dû prendre ce type de congé.
Il
est clair pour nous que ce sont nos conditions de
travail qui génèrent cette maladie. La
contradiction entre les besoins de nos élèves
(tant sur le plan pédagogique que sur le plan
humain) et notre capacité d'y répondre vu le
manque de ressources est intenable. Les écoles
sont des lieux de relations sociales complexes où
tous les problèmes de la société se retrouvent,
jour après jour. Nous devons intervenir auprès de
jeunes aux prises eux-mêmes avec des maladies
mentales ou physiques, ou des membres de leur
famille qui en souffrent eux aussi, des jeunes
vivant de l'insécurité financière, ou ayant des
problèmes d'apprentissage. Nous refusons la
pression exercée selon laquelle notre surmenage
est dû à un problème de comportement individuel, à
une « mauvaise » façon de gérer nos classes.
Regardons ce qui se passe maintenant. Le
gouvernement parle de rouvrir les écoles depuis le
10 avril et pas une fois les mesures qu'il compte
prendre n'ont été présentées aux enseignants et à
leur organisation pour qu'on les accepte. C'est
extrêmement anxiogène pour les travailleurs de
l'éducation, leur famille et les familles de nos
élèves ! Alors on échange entre nous pour
mettre de l'avant nos critères, en tant qu'experts
de la vie dans les écoles. On voit d'autant plus
la justesse de notre demande, qui date de plus
de 20 ans, de diminuer le ratio
élèves/enseignants et d'avoir une présence en
nombre d'heures suffisantes, de professionnels et
d'éducateurs spécialisés pour nous assister. Les
choses ne peuvent plus retourner comme avant.
Un autre exemple est l'entretien, c'est-à-dire le
nettoyage et l'assainissement des écoles. Le
nombre d'heures y étant allouées a diminué de
façon telle depuis des années que le calendrier
d'entretien proposé dans les écoles primaires et
secondaires, publié en 2015 par le ministère
de la Santé et des Services sociaux, n'est
absolument pas respecté. Nous ne voulons pas
retourner dans nos écoles où les bureaux des
élèves sont nettoyés une fois par année !
C'est pourquoi nous sommes en train de discuter
entre nous et avec nos syndicats de comment nous
allons nous-mêmes organiser le retour en classe.
Cela donne déjà un sentiment de sécurité en
opposition à la façon dont le gouvernement traite
de la question de la réouverture des écoles.
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