Forum ouvrier

23 avril 2020

Les travailleurs assument la responsabilité des conditions
de travail pendant la pandémie

Le Jour de deuil national et la COVID-19

Les monopoles et les gouvernements sont responsables de la propagation désastreuse de la COVID-19 chez Cargill et dans les autres usines de traitement de la viande - Peggy Morton
Entrevue au sujet de l'oléoduc Keystone XL - André Vachon, travailleur d'oléoduc
Les travailleurs des mines demandent le respect des consignes de la Santé publique avec la reprise des activités minières - Entrevue avec André Racicot, président de la section locale 9291 du Syndicat des Métallos en Abitibi


Les travailleurs assument la responsabilité des conditions
de travail pendant la pandémie

Le Jour de deuil national et la COVID-19


À quelques jours du 28 avril, Jour de deuil national pour les travailleurs tués au travail, un nuage encore plus sombre pèsera sur la cérémonie lorsque nous commémorerons les travailleurs tués au cours de la dernière année.

Le monument de l'ONA à Toronto qui rend hommage aux infirmières qui sont mortes en soignant des patients atteints lors de l'épidémie du SRAS en 2003.

En raison de la pandémie de la COVID-19, il faudra ajouter à la liste de cette année les travailleurs de première ligne qui ont mis leur vie en péril pour faire en sorte que la société ne soit pas totalement paralysée. Alors que nous pensons d'abord aux médecins, aux infirmières, aux paramédics, aux pompiers et aux policiers quand il est question de la première ligne de défense, les chauffeurs d'autobus, les chauffeurs de taxi, les camionneurs, les préposés aux services de soutien à la personne, les travailleurs sociaux et les gens qui travaillent avec les itinérants sont tous des victimes potentielles du virus de la COVID-19. Même nos travailleurs d'épicerie ou la personne qui vous sert votre tasse de café matinale sont à risque d'être infectés par le virus. Il y a une multitude de héros méconnus trop nombreux pour que nous puissions tous les nommer, mais nous ne les oublierons pas lorsque nous nous arrêterons le 28 avril pour commémorer ceux et celles qui sont tombés pendant cette période de crise.

Nous avons entendu nos politiciens nous dire que nous sommes en guerre contre cette pandémie et pourtant nos soldats de première ligne ont été mal équipés pour lutter contre cet ennemi. Plusieurs d'entre nous restons à la maison en espérant que le virus ne viendra pas frapper à notre porte ou toucher un être cher tandis que certains, dans leur égoïsme, se pensent intouchables. Ce sera une dure leçon si la maladie frappe quelqu'un qui n'aura pas pris le problème au sérieux.

Cette pandémie a mis en lumière les nombreuses failles de notre infrastructure et à quel point notre système économique est fragile. Dans le cadre de leur privatisation, plusieurs de nos importants systèmes gérés publiquement ont été négligés ou déréglementés par le motif du profit qui les domine maintenant, à nos risques et périls.

Le sous-financement de notre système de santé n'a jamais été aussi évident. Un système de santé sain et mu par la compassion et non le gain et le profit devrait être l'objectif de tous les gouvernements alors que nous essayons de maîtriser cette pandémie.

Maintenant que nous tentons d'éduquer nos enfants à la maison, nous nous rendons compte à quel point les enseignants sont importants et de la nécessité d'un système d'éducation public robuste. À quoi ressemblera une salle de classe de 29 élèves dans la période post-pandémique ? Le manque de ressources disponibles pour les parents, pour même débuter l'enseignement à domicile, a été révélé lui aussi.

Les travailleurs qui vivent chaque jour de l'économie à la demande, qui ont de la difficulté à gagner un salaire décent, sont ceux qui nettoient les hôpitaux ou les banques. Tout à coup, les travailleurs étrangers qui viennent au pays cueillir nos fruits et travailler dans les fermes qui nous nourrissent sont devenus importants. Et pourtant, ils ne sont pas appréciés et ne reçoivent même pas un salaire décent. « D'abord les profits, ensuite les travailleurs » semble être la devise de l'idéologie néolibérale.

Qu'arrivera-t-il une fois la pandémie résolue ? Allons-nous retourner à nos vies routinières et oublier les sacrifices que nous avons consentis pendant que les politiciens retournent à leurs idéologies partisanes ? Nous, les travailleurs et le peuple de cette société, devons exiger une reddition de comptes de ces politiciens et les forcer à nous écouter dans ce monde postpandémique peu importe quand il arrivera. Malheureusement, je pense que nous allons tous retourner à nos querelles partisanes sur qui détient la meilleure idéologie et sur comment avancer.

Nous ne pouvons pas laisser cela se produire et tous les partis politiques doivent repenser la société en tant qu'ensemble et non pas en fonction de quelques-uns.

Le système d'indemnisation des travailleurs doit être revu et rendu conforme à l'entente centenaire en vertu de laquelle les travailleurs ont cédé leur droit de poursuivre l'employeur lorsque blessés au travail en échange d'une indemnisation tout au long de leur période de rétablissement. Je pose la question : qu'a fait la Commission ontarienne de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) au cours de cette pandémie ? Elle s'est assurée que les employeurs aient ce qu'ils voulaient, mais a ignoré nos appels à l'aide.

Plusieurs travailleurs seront infectés par la COVID-19 et devront faire une demande d'indemnisation en raison de la maladie. Les familles des travailleurs tués par le virus de la COVID-19 doivent aussi être indemnisées et recevoir de l'aide de notre système d'indemnisation.

C'est pourquoi la Commission devrait de nouveau s'appeler la Commission d'indemnisation des travailleurs, un nom qui reflète sa véritable raison d'être. Le système doit demeurer un système public afin qu'il honore cet important mandat de veiller au bien-être des travailleurs accidentés.

À l'occasion du 28 avril, Jour de deuil national, n'oublions pas les travailleurs qui auront fait l'ultime sacrifice, ni aucun travailleur par ailleurs, puisque nous sommes tous des soldats de l'industrie et que, sans notre travail, la société s'écroulerait. Cela n'a jamais été aussi évident que pendant cette crise.

Que ceux qui sont au pouvoir pensent à la société comme étant un collectif et au fait que nous sommes tous dans le même bateau. Et lorsque nous émergerons de cette crise, travaillons ensemble à une société qui soutient les droits de tous.

(Photos : FO,OFL,ONA)

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Les monopoles et les gouvernements sont responsables de la propagation désastreuse de la COVID-19 chez Cargill et dans les autres usines de traitement de la viande

Au 22 avril, 440 travailleurs de l'usine Cargill de traitement des viandes à High River, en Alberta, au sud de Calgary, ont été déclarés infectés par la COVID-19 et un travailleur est décédé. Avec la propagation dans la communauté, y compris parmi les familles des travailleurs, il y a maintenant 580 cas liés à l'usine. Ils comprennent des cas dans des foyers de soins de longue durée où travaillent des membres des familles des travailleurs de Cargill. Le 20 avril, Cargill a finalement annoncé la fermeture temporaire de l'usine. Deux mille personnes y travaillent.

Quatre-vingt-seize cas de la COVID-19 ont également été confirmés à l'usine de transformation de la viande JBS à Brooks, en Alberta. Un travailleur est mort à JBS, et la cause de son décès n'a pas été encore confirmée. JBS refuse de fermer l'usine malgré les demandes des travailleurs et de leur syndicat. Un cas à l'usine de boeuf Harmony à Balzac, en Alberta, en mars, a été résolu. Les trois usines représentent environ les trois quarts des fournisseurs de boeuf au Canada. Également en Alberta, 32 cas ont été confirmés jusqu'à présent, qui sont liés directement au projet de sables bitumineux Imperial Oil Kearl au nord de Fort McMurray. Il s'agit d'une opération par navette aérienne où les travailleurs viennent de nombreuses régions du Canada, et des cas se sont maintenant propagés en Colombie-Britannique, en Saskatchewan et en Nouvelle-Écosse. Au total, un cas sur cinq de la COVID-19 en Alberta est lié à des éclosions dans ces deux secteurs, et ce nombre devrait augmenter selon le médecin-hygiéniste en chef.

Forum ouvrier exprime ses sincères condoléances à la famille, aux amis et aux collègues de travail des  travailleurs décédés et ses meilleurs voeux de bon rétablissement à ceux qui sont malades. Cette tragédie était évitable. Elle s'est produite parce que ces gigantesques monopoles mondiaux sont autorisés à faire ce qu'ils veulent et à mener leurs activités comme si de rien n'était, conformément à leurs définitions intéressées de la santé et de la sécurité. Cela s'est produit parce que le droit des travailleurs à avoir le dernier mot sur les conditions de travail sécuritaires pendant la pandémie leur a été refusé et les propositions du syndicat ont été ignorées. Cela s'est produit aussi parce que plusieurs travailleurs sont des travailleurs philippins contractuels qui sont vulnérables et considérés comme aisément remplaçables. Tout ceci révèle l'inhumanité de ceux qui ont usurpé les positions de pouvoir, et à quel point ils sont détachés des problèmes des travailleurs dont ils ne connaissent tien. En outre, cela révèle l'absence d'une autorité publique qui assume ses responsabilités, ainsi que la cupidité débridée de ce gigantesque monopole mondial qui ne reconnaît pas que les travailleurs sont des êtres humains et les traite comme des choses.

Ces secteurs ont été considérés comme des « services essentiels » par le gouvernement de l'Alberta et, sur cette base, les employeurs ont autorisé « un retour à la normale » des activités par le biais de définitions intéressées de « ce qui est possible ». Cela montre un système brisé dans lequel l'État a été restructuré de sorte qu'il ne reste aucun vestige d'une autorité publique.

L'ampleur croissante des éclosions à l'usine de High River Cargill et de Brooks JBS et à l'installation de sables bitumineux de Kearl Lake montre que les travailleurs et les Canadiens ne peuvent pas faire confiance à ces gigantesques monopoles mondiaux pour leur santé et leur sécurité. Les travailleurs savent ce qui est nécessaire et ont proposé les actions requises, mais le facteur humain/conscience sociale a été bloqué par la cupidité et l'intérêt étroit des propriétaires.

Les propositions pour assurer la sécurité chez Cargill ont été écartées

« C'est une tragédie. Nous avons demandé pendant plusieurs jours que l'usine de Cargill soit fermée temporairement pendant deux semaines, de renvoyer tous les travailleurs chez eux pour qu'ils s'isolent. C'est alors que nous avons eu connaissance de 38 cas. C'était avant qu'ils mettent en place un poste de dépistage dans la région. Nous ne saurons jamais à quel point ce nombre aurait pu être inférieur », a déclaré le 17 avril le président de la section locale 401 du Syndicat des travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce, Tom Hesse.

Le 20 mars, le syndicat a réclamé des mesures concrètes pour protéger les travailleurs et le droit des Canadiens à un approvisionnement alimentaire sécuritaire. Le syndicat a présenté un plan de reconfiguration du lieu de travail, qui met plus de distance entre les travailleurs. Il a proposé de prolonger la semaine de travail pour permettre à la ligne de production de ralentir, aux travailleurs de se distancier socialement et de mettre en place des mesures sécuritaires rigoureuses. Le syndicat a également demandé des mesures d'hébergement pour les travailleurs à risque accru s'ils contractent la COVID-19, pour les travailleurs touchés par les fermetures d'écoles et de garderies, des heures supplémentaires volontaires et la suppression des exigences relatives aux notes de médecin.

Cargill n'a pas pris la peine de répondre aux propositions de distanciation sociale sur le lieu de travail. Au lieu de cela, l'entreprise a déclaré avec arrogance : « Nous avons pris plusieurs décisions dans l'optique d'accorder la priorité aux gens alors que nous essayons de minimiser les difficultés financières auxquelles nos employés sont confrontés. » Elle a ensuite appelé le syndicat à exhorter les gens à venir travailler. « Minimiser les difficultés financières » signifiait apparemment garder les lignes de production en marche à pleine vitesse à tout prix.

Le 12 avril, 250 travailleurs ont signé une lettre adressée au maire de High River, l'invitant à appuyer leur appel à fermer l'usine pendant deux semaines, a rapporté CBC le 19 avril. Le 13 avril, le président de la section locale 401 des TUAC, Tom Hesse, a également demandé publiquement un arrêt temporaire de deux semaines de l'usine pour procéder à une évaluation complète de sa sécurité, avec une indemnisation complète versée à chaque travailleur. Le syndicat a également exigé « une réunion immédiate avec les responsables syndicaux, les experts et les responsables gouvernementaux de compétence et de juridiction adéquates pour élaborer des règles claires et applicables en matière de santé et de sécurité sur votre lieu de travail ». À ce moment-là, Hesse a souligné que 30 membres des TUAC sont morts en Amérique du Nord et qu'il est temps d'agir et de protéger des vies.

Le 14 avril, Cargill a temporairement supprimé un quart de travail et licencié 1 000 travailleurs, ont rapporté les TUAC. Plusieurs jours plus tard, toute activité a été suspendue sur le « plancher de mise à mort » tandis que le boeuf continuait d'être transformé. L'usine traite normalement environ 4 000 têtes de bétail par jour et est l'un des deux principaux fournisseurs de boeuf de McDonald's Canada.

Bien que les travailleurs et leur syndicat aient été très actifs pour revendiquer ce qui doit être fait, ni Cargill ni le gouvernement de l'Alberta n'ont assumé la moindre responsabilité quant aux conséquences de leurs décisions de refuser d'accepter les décisions éclairées des travailleurs sur ce qui était nécessaire. Cela dément les affirmations selon lesquelles « nous sommes tous dans le même bateau ».

Depuis le début, le ministre de l'Agriculture de l'Alberta, Devin Dreeshen, a soutenu que les agences gouvernementales avaient travaillé pour garder les services essentiels ouverts « et pour s'assurer que les protocoles soient en place en cas de maladie des travailleurs » et a dit qu'il est convaincu que l'usine est sécuritaire. Il a répété l'affirmation selon laquelle l'usine est « sécuritaire » lors d'une téléconférence avec les travailleurs le 18 avril.

Les autorités tentent maintenant de détourner l'attention des problèmes soulevés en ce qui a trait aux conditions de travail et blâment plutôt les travailleurs et leurs conditions de vie, suggérant que la propagation ne s'est pas passée au travail mais dans le covoiturage et les ménages où il est impossible de s'isoler à cause des conditions de vie exiguës. Elles insinuent ainsi que leur logement n'a aucun rapport avec les bas salaires des travailleurs et essaient de masquer que Cargill est en fait responsable de l'organisation du logement pour les travailleurs étrangers temporaires qui travaillent pour lui.

Les travailleurs et leur syndicat ont à plusieurs reprises dénoncé cette mascarade comme étant frauduleuse. Les conditions dans l'usine rendent la distanciation sociale impossible car les travailleurs sont « coude à coude » sur la ligne de production. Les travailleurs ont déclaré à la CBC qu'ils avaient subi des pressions pour retourner au travail après avoir été déclarés positifs. De plus, Cargill a ajouté des primes et des augmentations de salaire horaire, auxquelles les travailleurs n'étaient admissibles que s'ils étaient présents à chaque quart de travail. Punir ceux qui tombent malades avec la COVID-19 ou qui se conforment aux mesures d'isolement est méprisable au plus haut point.

Le système est brisé lorsque personne n'en prend la responsabilité. Cargill et le gouvernement provincial savaient tous deux que le virus se propageait depuis le début d'avril. Le gouvernement fédéral est responsable de l'inspection des installations d'emballage de la viande et aurait certainement dû mandater des inspecteurs pour prendre des mesures. Mais personne n'accepte quelque responsabilité pour cette situation.

Ce qui est révélé, ce n'est pas seulement la brutalité de ces monopoles qui ont pris le contrôle de l'approvisionnement alimentaire du Canada, mais qu'on ne peut faire confiance ni au gouvernement ni aux monopoles pour défendre quoi que ce soit, sauf si ce n'est que leur propre intérêt et le contrôle de la prise de décision au service de l'oligarchie financière. Les travailleurs ont le droit de décider si les conditions de travail sont sécuritaires et acceptables pour eux. En se défendant, les travailleurs se sont également battus pour empêcher la propagation de la COVID, pour laquelle Cargill et les gouvernements à son service doivent assumer l'entière responsabilité. Il faut fermer l'usine de JBS maintenant, et mener une enquête publique pleine et entière sur les actions et la négligence de ces monopoles, le gouvernement de l'Alberta et les Services de santé de l'Alberta. Les travailleurs doivent avoir le dernier mot, et les usines ne doivent rouvrir que lorsque les travailleurs considèrent que les conditions mises en place sont acceptables.

(Sources : CBC, CTV, Global News. Graphiques : TUAC)

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Entrevue au sujet de l'oléoduc Keystone XL

Le 30 mars, le premier ministre de l'Alberta. Jason Kenney, a annoncé que les « pelles étaient à l'oeuvre » dès 6 heures du matin pour l'oléoduc Keystone XL. TC Énergie (anciennement TransCanada Pipelines), a dit Kenney, a décidé d'aller de l'avant avec le projet après que le gouvernement provincial a accepté d'acheter pour 1,5 milliard de dollars de participation en capital dans le projet, en plus d'offrir un prêt garanti de 6 milliards de dollars. Cette décision a été prise après qu'aucun investisseur n'ait été trouvé pour un projet aussi risqué.[1] L'Alberta va vendre sa participation en capital à TC Énergie une fois que et si le pétrole se met à couler dans l'oléoduc. C'est ce qu'on sait mais les termes et les conditions sont confidentiels. Les Albertains ne savent pas quel est le contenu exact de l'entente mais les médias ont mentionné que la participation en capital couvrira les coûts de construction de l'année 2020.

Kenney a affirmé que 520 kilomètres d'oléoduc en deux tronçons canadiens vont être construits en 2020, en plus de plusieurs tronçons aux États-Unis. « Plusieurs travailleurs qui ont été mis à pied dans le secteur du pétrole vont avoir la chance de travailler pour TC Énergie et ses entrepreneurs. Les petits hôtels et certains des restaurants qui peuvent être ouverts le long de la route vont faire des affaires ... »

Forum ouvrier s'est entretenu avec le travailleur d'oléoduc André Vachon à propos de l'annonce.

Forum ouvrier: Que penses-tu de l'annonce de Jason Kenney sur la construction du Keystone XL ?

André Vachon : L'idée d'avoir « tant de monde » qui va travailler sur un nouvel oléoduc en pleine pandémie est outrageante et démontre l'absence d'égard pour notre santé et sécurité. Nous voyons aussi les conséquences de décisions comme celles-là à l'usine de transformation de la viande de Cargill et dans le projet de sables bitumineux de Kearl Lake. C'est pratiquement impossible de pratiquer la distanciation sociale dans le travail d'oléoduc. Tout au plus, on peut faire de la préparation de terrain. Il faut prévoir l'hébergement des travailleurs par la location de chambres dans les maisons, les hôtels et les motels, ce qui enfreint la distanciation sociale, et les travailleurs devront se rendre au site par autobus.

En fait, l'annonce est tout aussi frauduleuse qu'indifférente envers notre bien-être. Les pipelineurs ont tout de suite contesté la déclaration que la construction avait commencé parce qu'il n'y a eu aucun affichage de poste pour l'oléoduc et les entrepreneurs n'engagent personne. En plus, chaque travailleur de l'industrie pétrolière et gazière sait que la construction d'oléoducs s'arrête pendant le dégel printanier parce que les routes sont interdites, ce qui rend impossible le transport de l'équipement lourd. Il n'y a pratiquement pas de construction d'oléoduc pendant le printemps en Alberta parce que le sol est encore trop mouillé. Mon syndicat, l'Union des opérateurs ingénieurs, a immédiatement indiqué que la construction de la section de l'oléoduc en Saskatchewan ne va pas commencer avant 2021. J'ai vu que quelques jours après son annonce, Kenney a « clarifié » qu'environ 100 travailleurs sont en train de faire du travail préliminaire au Montana. Même cela est faux parce qu'un juge du Montana a statué le 15 avril que le Corps des ingénieurs de l'armée américaine n'a pas considéré de manière adéquate les effets de l'oléoduc Keystone sur les espèces menacées par sa traversée des rivières et des ruisseaux. TC Énergie n'a donc plus de permis d'aller de l'avant au Montana.

FO : Kenney a aussi dit qu'il espère que l'économie va reprendre d'ici la fin du mois de mai.

AV : C'est à peu près à ce moment-là que l'interdiction des routes est levée dans une année normale. Mais nous avons déjà dépassé la mi-avril et le dégel printanier ne s'est pas produit encore, alors la reprise sera beaucoup plus tard. De toute façon, il n'y a pas de construction d'oléoducs dans cette période de l'année, surtout que cette année a été particulièrement froide. C'est clair qu'il veut agir « comme si de rien n'était » au lieu de donner la première place à notre santé.

FO : Kenney a aussi dit qu'il a parlé aux gouverneurs du Montana, du Dakota du Sud et du Nebraska, et que, comme l'a fait TC Énergie, ils l'ont assuré qu'ils vont prendre toutes les précautions nécessaires pour protéger les travailleurs et les communautés.

AV : C'est vraiment poussé comme déclaration quand on sait que le Dakota du Sud et le Nebraska sont parmi les derniers récalcitrants, qui se sont opposés à tout confinement, ont continué d'agir comme si de rien n'était et n'ont pris aucune précaution pour protéger leur population contre la COVID-19. Suggérer qu'ils vont prendre soin des travailleurs est frauduleux. Il semble que le gouvernement albertain s'apprête à payer TC Énergie pour construire l'oléoduc à travers les États-Unis cette année. Ce sont ces emplois dont il parle, ce qui met en péril les travailleurs américains.

FO : Selon TC Énergie, la construction de l'oléoduc va créer 1 400 emplois au Canada. Qu'en est -il selon toi ?

AV : Ce chiffre semble réaliste. Mais c'est important de savoir ce qu'on entend par « emploi ». Cela ne veut pas dire deux années de travail. Les entrepreneurs font une soumission pour compléter une section de l'oléoduc qu'on appelle un « tronçon ». Compléter un tronçon prend habituellement un maximum de trois mois, pendant lesquels nous travaillons six et parfois sept jours par semaine, 10 ou 11 heures par jour. Cela est suivi d'une longue période de chômage. Ce discours ronflant sur les bienfaits de la construction d'oléoducs du point de vue de l'emploi est très exagéré. L'emploi fait partie des cycles d'expansion et de contraction qui caractérisent l'industrie. C'est insensé de la part de Kenney de vanter la construction d'oléoducs comme une source de prospérité pour les Albertains.

L'Alberta doit cesser de dépendre de l'expédition du pétrole pour alimenter l'économie et la machine de guerre des États-Unis. Nous voulons faire du Canada une zone de paix alors nous avons besoin d'une nouvelle direction. Bien sûr, on ne nous demande jamais notre avis. Pourquoi les travailleurs devraient-ils être soumis à un chantage : ou bien appuyer cette direction, dont nous savons qu'elle n'apporte pas la sécurité, ou alors rien, pas de travail ? En plus de cela, des milliards de dollars sont versés à TC Energy, qui a même retiré le mot Canada de son nom « pour refléter l'expansion de son activité commerciale par- delà le Canada, aux États-Unis ».

En tant que travailleurs des métiers de la construction, nos compétences ne sont pas limitées à la construction d'oléoducs. On peut imaginer l'entreprise publique que pourraient générer 6,5 milliards de dollars afin de donner une nouvelle direction à l'économie, au lieu de donner ce montant à un monopole mondial pour une aventure risquée. Les alternatives existent. Par exemple, l'Alberta pourrait investir dans une entreprise publique qui fabrique des masques N95, qui ne sont pas produits au Canada bien qu'ils soient faits de polypropylène, qui est un produit pétrochimique. Ou encore le laboratoire public si nécessaire que le gouvernement Kenney a annulé. Nous pourrions construire une entreprise publique qui produit des vaccins. Une entreprise publique qui fabriquerait ces produits assurerait la sécurité de l'approvisionnement pour le Canada et serait une source de revenus pour le trésor public. Un besoin urgent, peut-être le plus urgent, est celui de logements modernes qui respectent les cultures autochtones sur les réserves, de même que dans les zones urbaines pour la population autochtone urbaine, car la situation du logement y est effroyable. On pourrait faire tant de choses avec cette participation en capital et cette garantie de prêt de 7,5 milliards de dollars si c'est le peuple qui décide de la façon de le dépenser. Nous pourrions bâtir ces entreprises au bénéfice des Canadiens, au lieu d'un oléoduc qui profite à TC Energy, à la machine de guerre des États-Unis et qui contribue à détruire les économies des pays qui ne se soumettent pas aux États-Unis.

FO : Merci beaucoup

Note

1. Lire le numéro du 21 avril 2020 du Marxiste-Léniniste, Manoeuvre de l'Alberta pour payer 7,5 milliards de dollars aux riches oligarques financiers

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Les travailleurs des mines demandent le respect des consignes de la Santé publique avec la reprise des activités minières

Le 13 avril dernier, le gouvernement du Québec a annoncé que les activités minières, qui avaient été arrêtées à l'échelle du Québec le 25 mars dernier dans le cadre de la crise de la pandémie de la COVID-19, reprennent progressivement à partir du 15 avril. Forum ouvrier s'est entretenu récemment avec André Racicot, le président de la section locale 9291 du Syndicat des Métallos, qui représente notamment les travailleurs de la Mine Westwood de la minière Iamgold, à Preissac en Abitibi-Témiscamingue, sur les conditions dans lesquelles se fera la reprise et sur le rôle des travailleurs pour faire en sorte que celle-ci se fasse en toute sécurité pour les travailleurs miniers. André est un spécialiste des questions de santé et sécurité dans le secteur minier.

Forum ouvrier : Comment se déroulent les préparatifs pour la reprise des activités minières à la mine Westwood?

André Racicot : En ce qui concerne la reprise des travaux dans le secteur minier, on a travaillé fortement avec l'employeur pour trouver les meilleures normes sanitaires pour les travailleurs, pour s'assurer de leur prévention face au danger d'être infectés par le virus. On a mis en place plusieurs protocoles concernant le nettoyage, l'action en milieu de travail, notamment le respect des deux mètres de distance entre les travailleurs. Il y a eu une problématique à régler en ce qui a trait au transporteur sous terre, ce qu'on appelle la cage. On a mis des séparateurs dans la cage. On a limité le nombre de personnes. Avant on pouvait descendre 25 personnes dans la cage, maintenant on réduit le nombre de moitié. Les travailleurs n'ont pas le droit de parler dans la cage, ils font face au mur, et chaque place est séparée avec un rideau. À chaque quart de travail, les rideaux et la cage sont totalement désinfectés.

En ce qui concerne le transport avec les véhicules dans la mine, ceux-ci sont nettoyés et désinfectés régulièrement et on ne peut pas transporter plus de deux travailleurs à la fois. Le conducteur est au poste de commande, tandis que l'autre travailleur est assis du côté droit, sur la banquette arrière. Dans les camionnettes qui transportent les personnes, on s'assure que le deux mètres est respecté entre les travailleurs.

En ce qui concerne les refuges sous terre, les salles à manger par exemple, elles ont été désinfectées et pour chaque repas, le personnel a été augmenté pour nettoyer la place. Les horaires de repas sont organisés pour qu'il n'y ait pas trop de monde en même temps dans les salles à manger et qu'on respecte le deux mètres de distance. Les horaires de travail ont été modifiés pour permettre une entrée graduelle à la mine, pas tout le monde ensemble. Les travailleurs doivent se laver les mains pendant 20 secondes sur une base régulière. On s'assure de respecter les directives de la Santé publique.

Chaque département a développé des protocoles pour les cas où il n'est pas capable de respecter le deux mètres de distanciation. Par exemple, dans le cas des mécaniciens, quand ils ont une tâche comme réparer une pompe, cela prend deux travailleurs pour faire la tâche. Ils vont devoir porter des masques pour empêcher la propagation du virus par gouttelettes parmi leurs collègues.

Nous aurons des masques N95, des masques chirurgicaux et nous utiliserons aussi des masques qu'on utilise normalement sous terre, qui sont eux aussi efficaces à empêcher la propagation des gouttelettes. Nous avons fait l'inventaire au comité d'urgence sanitaire afin de nous assurer qu'il n'y aura pas de pénurie de masques.

Il y a un véritable changement qui a été fait pour faire en sorte que les horaires de travail et le protocole de retour du travail permettent de mettre les normes sanitaires en place. Cela n'a pas été facile mais on voit qu'il y a une volonté réelle de tout le monde de se prendre en main.

FO : Est-ce que l'extraction minière a repris ?

AR : Elle est en voie de reprise. Les premiers qui ont été rappelés sont les mécaniciens à l'usine pour travailler sur un broyeur. À ce que je sache, il y a des équipes de mécaniciens mobiles qui commencent à rentrer au travail. Les opérations comme telles de minage vont commencer vers le 25 avril je crois. Pour le rappel, chaque personne va être appelée et va suivre une séance d'instruction sur les normes sanitaires parce que c'est un changement à 180 degrés. Pour assimiler cette information et la mettre en application, il va falloir que tout le monde s'y mette. Pour être certain que l'extraction du minerai va vraiment fonctionner comme il se doit, je pense que cela va prendre jusqu'à la fin-avril début mai.

FO : Est-ce que les consignes dont tu parles seront les mêmes dans tout le secteur minier au Québec ?

AR : À ce que je sache, avec ce que j'ai comme information, il semble que ces consignes vont s'appliquer dans tout le Québec. Comment cela fonctionne, c'est que l'Association minière du Québec (AMQ) donne les consignes à ses membres. Généralement, les membres suivent ces directives, il y a de petites variations, mais dans l'ensemble les mêmes consignes sont suivies dans tout le Québec.

FO  : Comment vois-tu le rôle des travailleurs dans tout ce processus de reprise ?

AR : Notre rôle est d'assurer que les normes de sécurité et les normes sanitaires soient mises en application. Nous avons un rôle à jouer pour identifier, contrôler et éliminer les risques. Notre rôle est de prévenir la propagation de cette maladie. On ne veut pas que le travailleur soit infecté, que la pandémie pénètre dans l'entreprise. Nous avons le souci de nos familles et de nos proches, le souci de ne pas les contaminer. Nous pensons que non seulement c'est dangereux pour les membres, mais que c'est mauvais pour l'industrie parce que la Santé publique peut arrêter l'activité d'une mine si les normes ne sont pas respectées. J'apprécie la volonté de l'entreprise de mettre sur pied des directives qui sont bonnes, mais il reste à voir comment cela va être appliqué sur le terrain. C'est là que tout va se jouer. On va concentrer tous nos efforts pour surveiller et identifier les problèmes. Nous devons nous assurer que les directives sont respectées, car elles peuvent ne pas l'être pour toutes sortes de raisons, il peut y avoir des pressions administratives, ou une question d'adaptation au changement, des consignes non respectées, on va veiller au grain.


Nous mettons en action notre structure syndicale. En ce qui me concerne, je suis assigné au télé-travail et il y a des officiers du syndicat qui travaillent à la mine pour faire des comptes-rendus sur l'application des normes de sécurité et des normes sanitaires. Le représentant en prévention est dépêché par moi pour vérifier comment cela marche à la mine réellement. Il a été formé pour cela et il a des directives claires pour faire son rapport à chaque jour. Il est libéré 40 heures par semaine pour s'occuper de prévention, pour vérifier tous les aspects de la santé et de la sécurité et les normes sanitaires, y compris celles provenant de la CNEEST (Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail).

Je suis allé à deux reprises à la mine, j'ai fait une simulation sur comment va se faire la rentrée au travail. J'ai vu certaines lacunes, surtout en ce qui concerne le lavage des mains, pour laquelle on doit s'assurer que le travailleur utilise les 20 secondes nécessaires pour se laver les mains comme il faut.

FO : Tu veux dire quelque chose en conclusion ?

AR : On est d'accord de rentrer au travail mais pas à n'importe quel prix. On veut s'assurer que nos travailleurs soient bien protégés pour protéger leurs familles et leurs proches. Nous avons tout intérêt à suivre les consignes sanitaires de la Santé publique.

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