Numéro 18 - 17 mars 2021
Le projet de loi 59 du gouvernement du
Québec, Loi modernisant le régime de santé
et de sécurité du travail
Défendons le droit à des conditions de travail salubres et sécuritaires!
Ne touchez pas à l'indemnisation
des travailleurs!
• Certains
des changements apportés par le projet de
loi 59 au régime de réparation des lésions
professionnelles et d'indemnisation des
travailleurs -
Entrevue avec un représentant du secteur minier du
Syndicat des Métallos
• «Le gouvernement ne peut
pas renier ce que les travailleurs ont fait
depuis 40 ans pour défendre la santé et la
sécurité au travail» - André Racicot
Un appel
urgent à arrêter l'expulsion d'un détenu à Laval
• Non aux expulsions!
Le projet de loi 59 du
gouvernement du Québec, Loi modernisant
le régime de santé et de sécurité du travail
La Commission de l'économie et du travail de
l'Assemblée nationale est en train d'étudier
article par article le projet de loi 59,
Loi modernisant le régime de santé et de
sécurité du travail. Le projet de loi, qui
comprend environ 300 articles, modifie la
Loi sur les accidents du travail et les maladies
professionnelles et la Loi sur la
santé et la sécurité du travail.
Le gouvernement affirme que le projet de loi
modernise le régime de santé et de sécurité du
travail, mais c'est faux. Le projet de loi
poursuit l'offensive néolibérale antisociale,
imposant une refonte complète du régime de santé
et de sécurité sans que les travailleurs, les
syndicats et les organisations de défense des
travailleurs accidentés, qui ont fermement dénoncé
le projet de loi, aient leur mot à dire et
exercent leur contrôle. On évalue à des centaines
de millions de dollars les montants que les
employeurs vont « épargner » chaque année par
la négation de l'indemnisation des travailleurs
accidentés ou devenus malades au travail et par la
réduction des programmes consacrés au soin des
travailleurs accidentés pour qu'ils vivent dans la
dignité et que leurs droits soient reconnus. Le
projet de loi constitue une restructuration
massive de l'État qui élimine tout espace, aussi
petit soit-il, qui a existé dans le passé pour
donner aux travailleurs et à leurs organisations
voix au chapitre sur ce que doit être le régime de
santé et de sécurité du travail.
Forum ouvrier se joint aux travailleurs
du Québec et à leurs organisations qui rejettent
ce projet de loi, s'opposent à son adoption et
s'organisent pour que ces problèmes cruciaux
soient résolus d'une manière qui bénéficie aux
travailleurs et à la société, sur la base des
revendications des travailleurs. Le fait que cette
attaque soit perpétrée en pleine pandémie de la
COVID-19, qui aggrave tous les problèmes liés à la
santé et à la sécurité des travailleurs, démontre
la criminalité du gouvernement Legault.
Dans ce numéro, nous donnons des informations sur
le projet de loi, sur l'opposition et sur les
propositions pour que les travailleurs prennent
eux-mêmes en main la solution du problème de leur
santé et de leur sécurité. Nous allons fournir
plus d'informations dans les jours et les semaines
qui viennent afin de contribuer à rendre effective
la voix des travailleurs pour mettre ce diktat en
échec, défendre leur droit de déterminer eux-mêmes
ce que constituent des conditions de travail
salubres et sécuritaires et pour garantir une
indemnisation complète pour les blessures et les
maladies professionnelles.
L'Union des travailleuses et travailleurs
accidentés ou malades (UTTAM), qui défend les
travailleurs du Québec victimes de blessures au
travail et de maladies professionnelles, a publié
des bulletins d'information sur le projet de
loi 59. On peut accéder à ces bulletins sur
le site
Web de l'UTTAM.
Nous reproduisons certains des points principaux
mis en lumière par l'UTTAM.
« En effet, la réforme prévoit des modifications
importantes à la LATMP (Loi sur les accidents
du travail et les maladies professionnelles)
qui auront pour effet, dans bien des cas, de nier
le droit des victimes à une vraie réparation de
leur lésion.
« Pour ne nommer que quelques-unes de ces
attaques, mentionnons :
- l'abolition de la liste des maladies
professionnelles dans la loi pour la remplacer par
un règlement que la CNÉSST (Commission des normes,
de l'équité, de la santé et de la sécurité du
travail) pourra modifier à sa guise, ce qui rendra
plus difficile l'indemnisation des maladies
professionnelles;
- l'introduction de critères supplémentaires
concernant certaines maladies professionnelles
courantes, notamment les tendinites et la surdité,
réduisant l'admissibilité au régime
d'indemnisation;
- l'abolition du droit à la réadaptation
physique, programme qui a pour but d'éliminer ou
d'atténuer l'incapacité physique;
- la
possibilité pour la CNÉSST d'imposer des mesures
de réadaptation professionnelle en période de
traitements médicaux (avant la consolidation) qui
ne seraient pas contestables, ni par la
travailleuse ou le travailleur, ni par son médecin
traitant[1];
- l'affaiblissement du rôle prépondérant du
médecin traitant, notamment en donnant préséance à
l'opinion du médecin de la CNÉSST lorsque le
Bureau d'évaluation médicale (BÉM) ne respecte pas
les délais prévus par la loi;
- des restrictions au droit à l'assistance
médicale (médicaments, orthèses, prothèses,
traitements) et la possibilité de faire payer une
partie des traitements par les victimes de lésions
professionnelles;
- l'abolition des présomptions d'invalidité des
travailleuses et travailleurs âgés de 55 ans
et plus au moment d'une maladie professionnelle ou
de 60 ans et plus au moment d'un accident du
travail, qu'on pourrait désormais obliger à
chercher un emploi malgré leur incapacité à
refaire leur emploi;
- la limitation du pouvoir des tribunaux sur la
notion d'emploi convenable afin d'éviter qu'ils
donnent raison aux travailleuses et aux
travailleurs qui contestent une décision de la
CNÉSST à ce sujet;
- le maintien de mesures discriminatoires envers
les travailleuses domestiques.
« De plus, ce projet de loi contient plusieurs
mesures complexifiant encore plus les démarches
que doivent faire les travailleuses et les
travailleurs (procédures de réclamations, délais,
etc.). Tout dans ce projet de loi vise
essentiellement à rendre plus difficile l'accès au
régime et à l'indemnisation.
« Face à un projet de loi qui risque d'élargir le
contrôle des employeurs sur la santé et la
sécurité du travail et qui propose une réduction
importante des droits des travailleuses et des
travailleurs accidentés ou malades, il faut
réagir.
« Dans les prochaines semaines, il faudra dire
haut et fort au ministre du Travail que si c'est
vraiment ça pour lui la 'modernisation' du régime
de santé et de sécurité du travail, pour nous, la
réponse, c'est non ! ».
Note
1. Dans son
mémoire soumis à l'occasion des consultations
particulières et auditions publiques sur le
projet de loi no 59, l'UTTAM écrit :
« Le projet de loi 59 prévoit, à son article 27,
la création d'une nouvelle période pendant
laquelle elle pourra mettre en place des
'mesures de réadaptation avant la
consolidation'. La CNÉSST disposerait alors du
pouvoir d'imposer à la travailleuse ou au
travailleur des mesures de réadaptation pour
'favoriser sa réinsertion professionnelle'
pendant que la travailleuse ou le travailleur
est en suivi médical et reçoit des traitements
pour sa lésion.
« Parmi les mesures que la CNÉSST pourrait
imposer, on retrouve notamment le retour
progressif au travail pour que la travailleuse
ou le travailleur puisse développer sa capacité
à reprendre graduellement les tâches que
comporte son emploi. Une fois que la Commission
aurait décidé d'une telle mesure, la
travailleuse ou le travailleur serait forcé d'y
participer, sous peine de suspension de ses
indemnités. »
Entrevue avec un représentant du
secteur minier du Syndicat des Métallos
- André Racicot -
André Racicot est le président de la section
locale 9291 du Syndicat des Métallos, qui
représente notamment les travailleurs de la mine
Westwood de la minière Iamgold, à Preissac en
Abitibi-Témiscamingue.
Forum ouvrier : Comment évalues-tu le
projet de loi 59 par rapport au droit des
travailleurs de travailler dans des conditions
salubres et sécuritaires ?
André Racicot : Il faut comprendre
que la Loi actuelle, la Loi sur la santé et
la sécurité du travail, définit quatre
mécanismes de prévention : le programme de
santé, le programme de prévention, le comité de
santé-sécurité et le représentant à la prévention.
Le projet de loi les étend à presque tous les
secteurs de l'économie, alors qu'à l'heure
actuelle plus de 80 % des travailleurs
n'ont pas droit à ces programmes, mais le
gouvernement les affaiblit du point de vue du
pouvoir décisionnel des travailleurs. Il augmente
directement le pouvoir des employeurs.
Par exemple, le programme de santé spécifique qui
est établi pour les établissements est même aboli
et incorporé au programme de prévention. Ce
programme vise par exemple à prévenir les
accidents de travail et les maladies
professionnelles dans un établissement donné. À
l'heure actuelle, le syndicat doit donner son
accord au programme de santé par le biais de sa
participation au comité mixte de santé-sécurité,
et les médecins du Réseau de la santé publique et
de la santé au travail (RSPSAT) doivent aussi
l'adopter. Dorénavant, avec le projet de
loi 59, les employeurs détiendront tous les
pouvoirs pour déterminer le contenu du programme
de prévention et du programme de santé, sans aucun
avis médical, parce que les médecins spécialisés
du RSPSAT sont également écartés du processus.
Le projet de loi introduit aussi le concept de
multiétablissement. Selon le projet de loi, il
sera possible maintenant pour les employeurs qui
ont plusieurs établissements de mettre en place un
seul programme de prévention, un seul comité de
santé et sécurité et un seul représentant à la
prévention pour l'ensemble de leurs
établissements. Par exemple, dans le secteur de la
santé, il peut y avoir des dizaines
d'établissements de santé dans une même région. Le
représentant en prévention pourrait avoir à
couvrir tous les établissements, couvrir de
longues distances, au lieu que chaque
établissement ait son propre mécanisme. En plus,
le projet de loi coupe les heures consacrées à la
prévention. S'il n'y a pas d'entente entre
l'employeur et le syndicat, l'employeur décide des
heures et nous n'avons pas de recours pour
contester cela. C'est évident que la seule raison
pour laquelle le projet de loi coupe les heures
c'est pour sauver de l'argent pour les employeurs
au lieu de sauver des vies.
Même chose en ce qui concerne les programmes de
prévention, selon le projet de loi, s'il n'y a pas
d'entente entre les syndicats et l'employeur à
leur sujet, c'est l'employeur seul qui va décider
du programme de prévention.
Au niveau des comités mixtes de santé-sécurité,
les travailleurs n'auront plus accès à
l'information à laquelle nous avons accès en ce
moemnt, par exemple sur les produits dangereux
utilisés dans l'entreprise. Cette information sera
maintenant entre les mains de l'employeur. Ce sont
les employeurs qui ont demandé cela.
Le gouvernement a déposé un amendement au projet
de loi 59 par lequel il a enlevé la question
des risques assignés à différents secteurs de
manière arbitraire, qui faisait en sorte que les
mécanismes de prévention s'appliquaient selon le
niveau de risques[1].
Les mécanismes de prévention sont élargis à la
plupart des secteurs, mais le problème de la
réduction des heures des représentants en
prévention et des comités de santé/sécurité
demeure et la décision ultime est entre les mains
des employeurs.
FO : Compte tenu de tout ce
que tu viens de dire, comment caractérises-tu ce
projet de loi du gouvernement Legault ?
AR : À mon avis, ce projet de loi
constitue un recul majeur dans toutes nos
conditions. C'est du jamais vu en ce qui me
concerne en matière de santé et de sécurité. Si je
prends l'expérience de mon secteur, le secteur
minier, les chiffres montrent que les décès ont
très fortement baissé depuis les 40 dernières
années et plus à cause des interventions que les
travailleurs ont faites par lesquelles ils ont été
capables d'amener les employeurs à adopter des
mesures pour améliorer la santé et la sécurité aux
endroits de travail. Un décès c'est un décès de
trop, mais on ne peut pas nier que nos
interventions ont porté fruit. Avec ce projet de
loi, il sera de plus en plus difficile de faire
des interventions, cela va amener plus d'accidents
y inclus des accidents mortels.
Le principal souci du gouvernement avec ce projet
de loi, c'est de baisser les coûts des employeurs,
de sauver des millions de dollars sur le dos des
travailleurs. C'est inacceptable et cela ne doit
pas passer.
Le gouvernement ne peut pas décider à la place
des travailleurs, renier tout ce qui a été fait
depuis 40 ans et ne montrer aucun respect
pour nos efforts.
Note
1.
Initialement, le projet de loi no 59 créait
trois niveaux de risques, faible, moyen ou
élevé. Le nombre de rencontres du comité de
santé et sécurité et le nombre d'heures de
libération du représentant à la prévention
variait selon le niveau de risque. Ces trois
niveaux de risque étaient calculés à partir du
coût représenté par les lésions professionnelles
d'un secteur d'activité donné, réparti sur dix
ans. Le projet de loi appelait cela un débours
de la part de la CNESST (Commission des normes,
de l'équité, de la santé et de la sécurité du
travail). C'était totalement arbitraire parce
qu'entre autres cela ne tenait pas compte des
accidents qui ne sont pas rapportés, ni de la
contestation systématique par les compagnies des
réclamations des travailleurs pour lésions
professionnelles. Dans des cas où les
interventions des travailleurs et de leurs
syndicats avaient occasionné une baisse des
lésions professionnelles, un secteur dangereux,
le secteur minier par exemple, aurait pu être
déclaré à risque faible et les mesures de
sécurité auraient été réduites. Le 10 mars
dernier, le gouvernement du Québec a déposé un
amendement qui éliminera cette disposition sur
les niveaux de risque.
Un appel urgent à arrêter
l'expulsion d'un détenu à Laval
Le lundi 15 mars, Solidarité sans frontières
a écrit : « Un mois après être devenu le
premier de plusieurs détenus à avoir été testé
positif au COVID-19, Marlon [le pseudonyme choisi
pour protéger son identité], un migrant détenu au
Centre de détention des immigrants de Laval, fait
face à une expulsion imminente vers son pays
d'origine. Marlon n'a pas encore reçu de résultat
négatif au test COVID-19 et présente toujours des
symptômes, tels que la fatigue et des difficultés
respiratoires. Malgré cela, le gouvernement
canadien procède à son ordre d'expulsion avec un
préavis inhabituellement court : il a été
informé tard le jeudi 11 mars qu'il serait
expulsé le mardi 16 mars. » En date
du 17 mars, il n'a pas été expulsé, mais la
menace demeure. Solidarité sans frontières
organise un rassemblement « Libérez-les
tou-te-s ! » pour libérer tous les
détenus du centre de Laval, le samedi 20 mars
à 11 h. L'endroit sera annoncé bientôt, voir
la page Facebook.
Solidarité sans frontières écrit : « Marlon
a contracté le COVID-19 au Centre de détention des
immigrants de Laval, ayant reçu un résultat
positif le 15 février. Il a immédiatement
entamé une grève de la faim pour dénoncer les
conditions de détention des migrant-e-s, propices
à la propagation du virus parmi les détenu-e-s et
le personnel. La distanciation sociale est souvent
impossible et il y a du va-et-vient au sein des
surveillant-e-s et des employé-e-s du centre qui
sont en rotation au quotidien. Comme stratégie
pour freiner la propagation du virus, l'Agence des
services frontaliers du Canada (ASFC) a placé les
détenu-e-s dans des conditions d'isolement
cellulaire, une pratique qui est dénoncée comme
une forme de torture. En réponse, un groupe de
sept détenus a entamé une courageuse grève de la
faim de cinq jours pour exiger leur libération
immédiate. »
« Si l'expulsion de Marlon a lieu, il
sera séparé de sa femme et de son enfant à
Montréal, qui ont entamé le processus pour
accéder au statut de réfugié après avoir fui la
violence dans leur pays d'origine. »
Au sujet de la situation de Marlon
Tanya Rowell Katzemba, porte-parole de Solidarité
sans frontières, a dit au journal Le Devoir que
« les voies légales sont malheureusement épuisées.
On est choqué d'avoir appris l'intention de l'ASFC
de procéder à son expulsion avec seulement
quelques jours d'anticipation. Nous pensions
demander une autre audience de révision de
détention, mais tout à coup nous avons reçu la
nouvelle. On ne comprend pas l'urgence. »
Rejoint par
téléphone, le détenu a indiqué au Devoir
qu'il présente toujours des symptômes de la
COVID-19 et a confirmé être en attente du résultat
d'un test effectué le 15 mars. « J'ai encore
des maux de tête fréquents, mal aux yeux et de la
difficulté à respirer, notamment lorsque je
dors », a-t-il dit au Devoir. Il a
ajouté : « On ne m'a pas donné de médicament,
moi et les autres détenus qui ont été infectés
avons été simplement mis en isolement
pendant 14 jours dans des conditions
déplorables. »
« On aimerait que le Canada respecte ses
engagements envers le public pour garder tout le
monde en santé et en sécurité. C'est déplorable
que dans le contexte actuel de pandémie, on
continue de renvoyer des personnes qui ont fui
leur pays en raison de la violence, c'est
complètement inhumain », a dit Tanya Rowell
Katzemba au Devoir, ajoutant : «
Ils vont mettre Marlon dans un avion avec d'autres
personnes même s'il a encore des symptômes de
COVID-19; cela va à l'encontre des consignes de la
santé publique. »
Marlon, sa conjointe et ses enfants sont arrivés
au Canada sans identification légale, ayant fui
leur pays d'origine en novembre 2019. Marlon
a dit au Devoir qu'il avait été menacé
et que des membres de sa famille ont été tués, «
alors nous avons décidé de fuir le pays,
souhaitant commencer une nouvelle vie au
Canada ».
Solidarité sans frontières lance l'appel suivant
à tout le monde :
« Mettez la pression sur Bill Blair et les
élu-e-s pour exiger la libération immédiate de
Marlon et l'arrêt de sa déportation, ainsi que la
libération de tou-te-s les détenu-e-s ! Vous
pouvez diriger vos appels téléphoniques et vos
courriels à :
« 1) Bill Blair, ministre fédéral de la
Sécurité publique
Bill.Blair@parl.gc.ca
Téléphone : 613-995-0284
Fax : 613-996-6309
« 2) Votre membre du Parlement, vous pouvez
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