Entrevue avec un représentant du secteur minier du Syndicat des Métallos

«Le gouvernement ne peut pas renier ce que les travailleurs ont fait depuis 40 ans pour défendre la santé et la sécurité au travail»


André Racicot est le président de la section locale 9291 du Syndicat des Métallos, qui représente notamment les travailleurs de la mine Westwood de la minière Iamgold, à Preissac en Abitibi-Témiscamingue.

Forum ouvrier : Comment évalues-tu le projet de loi 59 par rapport au droit des travailleurs de travailler dans des conditions salubres et sécuritaires ?

André Racicot : Il faut comprendre que la Loi actuelle, la Loi sur la santé et la sécurité du travail, définit quatre mécanismes de prévention : le programme de santé, le programme de prévention, le comité de santé-sécurité et le représentant à la prévention. Le projet de loi les étend à presque tous les secteurs de l'économie, alors qu'à l'heure actuelle plus de 80 % des travailleurs n'ont pas droit à ces programmes, mais le gouvernement les affaiblit du point de vue du pouvoir décisionnel des travailleurs. Il augmente directement le pouvoir des employeurs.

Par exemple, le programme de santé spécifique qui est établi pour les établissements est même aboli et incorporé au programme de prévention. Ce programme vise par exemple à prévenir les accidents de travail et les maladies professionnelles dans un établissement donné. À l'heure actuelle, le syndicat doit donner son accord au programme de santé par le biais de sa participation au comité mixte de santé-sécurité, et les médecins du Réseau de la santé publique et de la santé au travail (RSPSAT) doivent aussi l'adopter. Dorénavant, avec le projet de loi 59, les employeurs détiendront tous les pouvoirs pour déterminer le contenu du programme de prévention et du programme de santé, sans aucun avis médical, parce que les médecins spécialisés du RSPSAT sont également écartés du processus.

Le projet de loi introduit aussi le concept de multiétablissement. Selon le projet de loi, il sera possible maintenant pour les employeurs qui ont plusieurs établissements de mettre en place un seul programme de prévention, un seul comité de santé et sécurité et un seul représentant à la prévention pour l'ensemble de leurs établissements. Par exemple, dans le secteur de la santé, il peut y avoir des dizaines d'établissements de santé dans une même région. Le représentant en prévention pourrait avoir à couvrir tous les établissements, couvrir de longues distances, au lieu que chaque établissement ait son propre mécanisme. En plus, le projet de loi coupe les heures consacrées à la prévention. S'il n'y a pas d'entente entre l'employeur et le syndicat, l'employeur décide des heures et nous n'avons pas de recours pour contester cela. C'est évident que la seule raison pour laquelle le projet de loi coupe les heures c'est pour sauver de l'argent pour les employeurs au lieu de sauver des vies.

Même chose en ce qui concerne les programmes de prévention, selon le projet de loi, s'il n'y a pas d'entente entre les syndicats et l'employeur à leur sujet, c'est l'employeur seul qui va décider du programme de prévention.

Au niveau des comités mixtes de santé-sécurité, les travailleurs n'auront plus accès à l'information à laquelle nous avons accès en ce moemnt, par exemple sur les produits dangereux utilisés dans l'entreprise. Cette information sera maintenant entre les mains de l'employeur. Ce sont les employeurs qui ont demandé cela.

Le gouvernement a déposé un amendement au projet de loi 59 par lequel il a enlevé la question des risques assignés à différents secteurs de manière arbitraire, qui faisait en sorte que les mécanismes de prévention s'appliquaient selon le niveau de risques[1]. Les mécanismes de prévention sont élargis à la plupart des secteurs, mais le problème de la réduction des heures des représentants en prévention et des comités de santé/sécurité demeure et la décision ultime est entre les mains des employeurs.

FO : Compte tenu de tout ce que tu viens de dire, comment caractérises-tu ce projet de loi du gouvernement Legault ?

AR : À mon avis, ce projet de loi constitue un recul majeur dans toutes nos conditions. C'est du jamais vu en ce qui me concerne en matière de santé et de sécurité. Si je prends l'expérience de mon secteur, le secteur minier, les chiffres montrent que les décès ont très fortement baissé depuis les 40 dernières années et plus à cause des interventions que les travailleurs ont faites par lesquelles ils ont été capables d'amener les employeurs à adopter des mesures pour améliorer la santé et la sécurité aux endroits de travail. Un décès c'est un décès de trop, mais on ne peut pas nier que nos interventions ont porté fruit. Avec ce projet de loi, il sera de plus en plus difficile de faire des interventions, cela va amener plus d'accidents y inclus des accidents mortels.

Le principal souci du gouvernement avec ce projet de loi, c'est de baisser les coûts des employeurs, de sauver des millions de dollars sur le dos des travailleurs. C'est inacceptable et cela ne doit pas passer.

Le gouvernement ne peut pas décider à la place des travailleurs, renier tout ce qui a été fait depuis 40 ans et ne montrer aucun respect pour nos efforts.

Note

1. Initialement, le projet de loi no 59 créait trois niveaux de risques, faible, moyen ou élevé. Le nombre de rencontres du comité de santé et sécurité et le nombre d'heures de libération du représentant à la prévention variait selon le niveau de risque. Ces trois niveaux de risque étaient calculés à partir du coût représenté par les lésions professionnelles d'un secteur d'activité donné, réparti sur dix ans. Le projet de loi appelait cela un débours de la part de la CNESST (Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail). C'était totalement arbitraire parce qu'entre autres cela ne tenait pas compte des accidents qui ne sont pas rapportés, ni de la contestation systématique par les compagnies des réclamations des travailleurs pour lésions professionnelles. Dans des cas où les interventions des travailleurs et de leurs syndicats avaient occasionné une baisse des lésions professionnelles, un secteur dangereux, le secteur minier par exemple, aurait pu être déclaré à risque faible et les mesures de sécurité auraient été réduites. Le 10 mars dernier, le gouvernement du Québec a déposé un amendement qui éliminera cette disposition sur les niveaux de risque.


Cet article est paru dans

Numéro 18 - 17 mars 2021

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