Numéro 8 - 19 février 2021
Le rôle clé des travailleurs pour contenir
la propagation
de la COVID-19
Les travailleurs réussissent à faire fermer
l'usine non sécuritaire d'Olymel
- Peggy Morton -
• La
pandémie de la COVID-19 et les usines de
transformation de la viande en Amérique du Nord
Une ferme
opposition à la gouvernance par décret
• Les revendications des
travailleurs du Québec pour des solutions à la
crise du système de santé
La lutte pour
la sécurité d'emploi durant la pandémie
• Les travailleurs
d'hôtellerie à Vancouver refusent de reculer
dans leur lutte pour leurs emplois
Le rôle clé des travailleurs pour
contenir la propagation de la COVID-19
- Peggy Morton -
Le 15 février, Olymel a annoncé
soudainement que son usine de transformation de
porc de Red Deer, en Alberta, fermerait pour une
durée indéterminée, dix jours après que le
syndicat eut informé Olymel que les travailleurs
avaient déclaré à une écrasante majorité dans un
sondage qu'ils considéraient que l'usine était
dangereuse et devrait être fermée. Pendant
ces 10 jours, le nombre de cas actifs dans
l'usine a plus que doublé.
Olymel n'a pas répondu à la revendication de la
section locale 401 des Travailleurs unis de
l'alimentation et du commerce que les travailleurs
doivent recevoir leur plein salaire pendant la
fermeture. Au lieu de cela, la compagnie dit
qu'elle « aidera » les travailleurs à accéder
aux ressources disponibles. C'est inacceptable.
La grave éclosion chez Olymel a commencé vers
le 20 janvier et un jeune travailleur, Darwin
Doloque, est décédé tragiquement le 28
janvier. Les Services de santé de l'Alberta ont
confirmé un total de 192 cas actifs et 326
cas confirmés liés à l'usine en date du 15
février. La mairesse de Red Deer a exprimé sa
grave préoccupation face à l'augmentation des cas
de COVID-19 dans la ville, mais l'entreprise
n'en a pas tenu compte non plus. Les Services de
santé de l'Alberta (AHS) ont déclaré le 8
février : « Olymel a mis en place des
processus robustes pour limiter la propagation de
la maladie dans son établissement et a mis en
place des protocoles stricts concernant la
distanciation physique, l'ÉPI, la désinfection et
d'autres mesures de sécurité pour favoriser la
distanciation physique du personnel. » Trois
jours plus tard, AHS a écrit une lettre
confidentielle à Olymel indiquant que les tests
révélaient qu'un travailleur sur cinq était
probablement positif à la COVID-19. Olymel a
annoncé la fermeture peu de temps après la
publication de la lettre.
Si AHS avait parlé aux
travailleurs, cela aurait confirmé que leurs
préoccupations étaient fondées sur la situation
réelle et qu'une action immédiate était
nécessaire. Les travailleurs ont dit que la
cafétéria, où les travailleurs doivent retirer
leurs masques pour manger, était très encombrée.
Pourquoi les restaurants sont-ils fermés ou
obligés de mettre en oeuvre une distanciation
sociale, alors que cela ne s'applique pas aux
endroits de travail ? Les travailleurs ont
également expliqué qu'ils avaient été renvoyés au
travail après le test, pour être informés plus
tard d'un test positif. Et comme le syndicat l'a
souligné, l'ÉPI et le plexiglas ne suffisent pas
une fois qu'une grave éclosion fait rage dans une
usine où 1 850 travailleurs travaillent
à proximité les uns des autres.
AHS et le médecin hygiéniste en chef (CMOH) se
sont trouvés discrédités en blâmant les
travailleurs au lieu d'assumer leur responsabilité
sociale. Le CMOH a suggéré que certaines «
activités hors site » étaient responsables du
nombre croissant de cas, tandis que l'AHS
encourageait Olymel à menacer les travailleurs
d'amendes, de mesures disciplinaires et de
licenciement possible pour toute infraction aux
exigences de santé publique.
La situation à Olymel confirme que ce qui est
décisif ce sont les actions collectives des
travailleurs qui parlent en leur propre nom,
demandent le respect de leurs droits à un endroit
de travail sécuritaire et refusent un travail
dangereux. Les agences d'État comme AHS et Santé
et sécurité au travail sont devenues captives des
oligarques mondiaux, de leurs intérêts et de leur
quête pour le profit maximum. Ce sont les
travailleurs qui protègent leurs collectifs, leurs
familles et leur communauté et ils doivent avoir
le dernier mot sur ce qui constitue un travail
sécuritaire et exercer ce droit sans perte de
salaire ou de moyens de subsistance.
L'éclosion de la COVID-19 à l'usine Olymel de
Red Deer et la fermeture de cette usine pour une
durée indéterminée qui en a résulté met à nouveau
en lumière les conditions des travailleurs dans
les usines de transformation de la viande, qui ont
été particulièrement frappées par la COVID-19
partout en Amérique du Nord. La mondialisation
néolibérale a imposé des conditions inhumaines à
l'industrie en dépit de la résistance militante
des travailleurs. Ces conditions comprennent les
cadences de travail à une vitesse vertigineuse -
un important contributeur au taux élevé de
blessures et de maladies - les bas salaires,
l'intimidation et les menaces, notamment la
pression sur les travailleurs pour qu'ils viennent
travailler malades même s'ils ont contracté la
COVID-19. Le panneau « Nous embauchons » est
toujours devant ces usines et affiché sur
Guichet-Emplois Canada, un bon indice des
difficultés à recruter et à conserver les
travailleurs. Les géants de la transformation de
la viande comptent énormément sur les travailleurs
les plus vulnérables y compris les réfugiés, les
travailleurs sans papiers aux États-Unis et ceux
qui sont recrutés en vertu du Programme des
travailleurs étrangers temporaires au Canada.
Selon les données recueillies par le Food and
Environment Reporting Network aux États-Unis[1], en date
du 12 février, au moins 1 389
usines de transformation de la viande et des
aliments (569 usines de transformation de la
viande et 820 usines de transformation
alimentaire) et 387 fermes et usines de
production ont connu des cas confirmés de
COVID-19. Au moins 87 237 travailleurs
(57 332 travailleurs de transformation de la
viande, 17 114 travailleurs de la
transformation alimentaire et 12 791
travailleurs agricoles) ont eu un test positif à
la COVID-19 et au moins 374 travailleurs (283
travailleurs de transformation de la
viande, 48 travailleurs de transformation
alimentaire, et 43 travailleurs agricoles)
sont décédés.
Le 28
avril 2020, l'ancien président des
États-Unis, Donald Trump, a ordonné que les usines
de transformation de la viande demeurent ouvertes.
Le département américain du Travail a imposé
seulement deux amendes à des usines pour ne pas
avoir protégé les travailleurs. JBS, le plus grand
transformateur de viande aux États-Unis, s'est
fait imposer une amende de 15 615 $
après que 300 travailleurs ont été infectés
et six sont décédés à son usine de Greeley, au
Colorado. JBS a empoché plus de 1,6 million
de dollars en profits d'avril à décembre 2020.
Smithfield, le plus grand producteur de porc au
monde, s'est fait imposer une amende
de 13 949 dollars après
que 1 294 travailleurs ont été infectés
et que 4 travailleurs sont décédés à son
usine de Sioux Falls, au Dakota du Sud. Le
président du syndicat représentant les
travailleurs a dit des amendes qu'il s'agissait «
d'incitatifs pour forcer ces travailleurs à
travailler plus vite et plus fort dans les
conditions les plus dangereuses
imaginables. »
Au Canada, pas une seule amende n'a été imposée
et les oligarques mondiaux continuent d'opérer
avec impunité. En plus de l'éclosion à Olymel, il
y a à l'heure actuelle huit éclosions
additionnelles - une éclosion étant définie comme
ayant cinq cas ou plus - dans les usines de
transformation de la viande et de volaille en
Alberta[2].
Par leurs actions, les travailleurs de Cargill et
leurs familles ont obtenu que la GRC mène une
enquête sur les décès à Cargill en 2020 et un
recours collectif a été entamé. L'appui des
autorités pour les oligarques mondiaux pour qui
mettre la vie des travailleurs en danger pour leur
profit privé n'est qu'une « pratique d'affaires
normale » montre à quel point l'autorité
publique a été détruite. Les travailleurs qui se
battent pour forcer les riches propriétaires et
les autorités qui les servent à rendre des comptes
défendent leurs droits de même que les intérêts de
la société.
Notes
1. U.S. Food and
Environment Reporting Network
2. Des éclosions ont été
rapportées par Santé Alberta à Cargill Foods à
High River, Cargill Case Ready à Calgary, aux
usines de volaille Lilydale à Calgary et à
Edmonton, Harmony Beef à Balzac, Sofina Foods à
Edmonton et Calgary, et Maple Leaf Poultry à
Edmonton.
Une ferme opposition à la
gouvernance par décret
Alors que les travailleurs de la santé au Québec
insistent pour que leurs revendications soient
satisfaites face à la crise du système de santé
que la COVID-19 a encore aggravée, les exécutifs
gouvernementaux tentent de renforcer la
gouvernance par décret afin de priver les
travailleurs de tout mot à dire sur leurs
conditions de travail et la direction de leur
secteur et de l'économie. Cela fait partie de la
restructuration de l'État qui est en cours depuis
plus de 30 ans et qui se poursuit
aujourd'hui, avec la pandémie comme prétexte, pour
imposer la volonté des intérêts privés étroits.
Les travailleurs de la santé et des services
sociaux du Québec sont déjà sous le coup d'arrêtés
ministériels qui donnent au gouvernement et aux
employeurs le droit déclarer nulles et non avenues
leurs conventions collectives et de changer
unilatéralement leurs conditions de travail, sous
prétexte de l'urgence sanitaire. Ces arrêtés ont
été utilisés à de nombreuses reprises depuis
qu'ils ont été émis en mars 2020 et ils ont
créé le chaos dans la vie des travailleurs,
forçant plusieurs d'entre eux à démissionner, et
les rendant malades et incapables de travailler à
cause de leurs conditions de travail intenables.
En ce moment, les quelque 550 000
travailleurs du secteur public du Québec tentent
de renouveler leurs conventions collectives. On
compte parmi eux environ 260 000
travailleurs de la santé et des services sociaux.
Toutes les conventions collectives du secteur
public sont expirées depuis le 31 mars. Les
négociations ont débuté il y a un an et demi et
une seule entente de principe a été conclue
jusqu'à maintenant.
Les travailleurs de la santé rapportent que le
gouvernement du Québec demande aux syndicats
d'accepter d'adopter des « recommandations »
aux tables de négociation qui seront faites au
ministère de la Santé et des services sociaux,
lequel émettra ensuite des directives
ministérielles sur lesquelles les travailleurs et
leurs syndicats n'ont aucun contrôle. Le
gouvernement demande ainsi aux syndicats de
renoncer à négocier des conditions de travail
inscrites dans des conventions collectives ayant
force de loi qui leur permettent de travailler
dans des conditions sécuritaires et de fournir des
services de qualité.
Un exemple
est la tentative de la Fédération de la santé du
Québec (FSQ-CSQ)de renouveler sa convention
collective. La FSQ-CSQ représente 5 000
infirmières, infirmières auxiliaires et
inhalothérapeutes des régions de Montréal, de
Laval, de la Gaspésie, de la Côte-Nord et du
Nord-Est-du-Québec. Parmi les enjeux majeurs que
les négociateurs gouvernementaux ont proposé de
traiter par des directives ministérielles, il y a
celles des ratios personnel/patients et des
agences privées de main-d'oeuvre, deux des
principaux problèmes auxquels les travailleurs du
secteur sont confrontés. Ces questions
importantes, au sujet desquels les travailleurs
luttent pour affirmer leurs besoins et leurs
droits, seront ainsi déclarées hors d'atteinte
pour eux.
Le 7 février, l'offre globale de règlement
soumise le 21 janvier dernier par les
porte-paroles du gouvernement a été rejetée à
l'unanimité par le Conseil fédéral de la
Fédération de la Santé du Québec (FSQ-CSQ),
composé de délégués de tous les syndicats
affiliés.
Une des raisons premières qui a motivé ce rejet
est la ferme opposition à la gouvernance par
décret et l'exigence que le gouvernement du Québec
doit satisfaire les revendications des
travailleurs visant à améliorer immédiatement les
conditions de travail et la livraison des
services, ce qui contribuera à atténuer la crise.
Parmi ces revendications, on compte
l'amélioration des salaires qui ont été gelés ou à
peine ajustés au coût de la vie depuis plus
de 15 ans, ce qui rend impossible la
rétention et l'attraction des travailleurs dans le
secteur; l'élimination du temps supplémentaire
obligatoire qui est endémique et qui crée le chaos
dans la vie des travailleurs, détruisant leur
santé, leur vie de famille et les services;
l'amélioration générale des conditions de travail
par une charge de travail humaine, des équipes et
des horaires stables; l'établissement de ratios
personnel/patients qui permettent aux travailleurs
de livrer des services de qualité aux gens; la
réduction de l'utilisation des agences privées de
placement qui coûtent très cher au système public
de santé et l'investissement des sommes récupérées
dans le système public afin d'améliorer les
conditions de travail à la lumière des
revendications des travailleurs.
Les travailleurs expriment la ferme conviction
que leur mot décisif dans la détermination de
leurs conditions de travail est essentiel à
l'humanisation de leurs conditions et de la
livraison des services.
Ils ont mené plusieurs actions de masse pour
dénoncer les arrêtés ministériels et le diktat
gouvernemental dans les négociations et sont
déterminés à obtenir satisfaction de leurs
revendications.
La lutte pour la sécurité d'emploi
durant la pandémie
Il y a de nouveaux développements dans la lutte
des travailleurs de plusieurs hôtels de Vancouver
pour que les travailleurs mis à pied à la suite
des fermetures liées à la pandémie puissent
retrouver leur emploi à mesure que les hôtels
rouvrent leurs portes. La section locale 40
de Unite Here a annoncé le 20 janvier qu'un
recours collectif avait été déposé contre Pan
Pacific Vancouver au nom des travailleurs qui ont
été injustement congédiés pendant la pandémie de
COVID-19. Le recours a été intenté par un
travailleur qui a travaillé à l'hôtel
pendant 24 ans avant d'être congédié, avec
des dizaines d'autres travailleurs, au mois
d'août 2020. Au moment de déposer le recours,
les travailleurs de Pan Pacific n'étaient pas
syndiqués mais, tout au long de leur lutte, ils
ont été appuyés par les travailleurs syndiqués
d'autres hôtels de Vancouver, dont la plupart sont
représentés par la section locale 40 de Unite
Here. Le Pan Pacific est un hôtel de luxe du
bâtiment est du Centre des congrès de Vancouver,
qui appartient à une filiale de Westmont
Hospitality Group. Westmont est une des plus
grandes chaînes d'hôtellerie privées au monde.
Dans un communiqué de
presse du 20 janvier, la porte-parole de la
section locale 40 de Unite Here, Michelle
Travis, dit : « Au début de la pandémie, les
gestionnaires de l'hôtel ont concocté un plan
visant à réduire de façon draconienne leur
personnel, de 450 travailleurs à 80, et de
congédier les autres. Plutôt que d'aviser les
travailleurs de leurs intentions, la compagnie a
fait parvenir des messages aux travailleurs à
plusieurs reprises, nourrissant chez eux le faux
espoir qu'elle avait l'intention de les reprendre.
Pan Pacific a commencé à éliminer du personnel en
grappe, sans raison et sans avis. La poursuite
allègue que l'hôtel aurait agi ainsi pour éviter
les dispositions sur les licenciements collectifs
prévues dans la Loi sur les normes d'emploi
qui exige des avis préalables et des indemnités
plus importantes pour les travailleurs. Entre les
différents licenciements, l'hôtel a offert aux
travailleurs 250 $ pour la signature
d'un contrat en vertu duquel leur statut régulier
à temps plein était éliminé et les travailleurs
devenaient occasionnels et sur appel et perdaient
leur indemnité de départ. Les travailleurs qui ont
refusé de signer l'entente sont parmi ceux qui ont
été congédiés. »
Un grand nombre de travailleurs sont des
immigrants et des femmes avec des familles qui ont
travaillé à l'hôtel pendant 20 et 30 ans
et plus. Le syndicat estime que la somme redevable
aux travailleurs pourrait être à la hauteur
de 3 millions de dollars s'ils ont gain de
cause dans cette affaire.
Les travailleurs d'hôtellerie et les autres
travailleurs du secteur de l'accueil, y compris
les bars, les restaurants et les entreprises
offrant des services aux touristes, ont exigé tout
au long de la perturbation causée par la pandémie
que les employeurs et les gouvernements, aux
niveaux provincial et fédéral, garantissent que
leurs emplois seront toujours là pour eux à mesure
que les activités reprennent. Ce recours collectif
fait partie de la lutte en cours.
Le 11 février, Unite Here a annoncé que les
travailleurs de Pan Pacific avaient voté en faveur
de se joindre au syndicat.
(Pour voir les articles
individuellement, cliquer sur le titre de
l'article.)
PDF
NUMÉROS PRÉCÉDENTS
| ACCUEIL
Site web : www.pccml.ca
Email : forumouvrier@cpcml.ca
|