Forum ouvrier

Numéro 74 - 29 octobre 2020

Les travailleurs d'hôpitaux en grève en Alberta
forcés de retourner au travail

Il faut abolir les pouvoirs illimités
de la Commission des relations
de travail de l'Alberta


Ligne de piquetage du personnel et des professeurs de l'Université de Lethbridge devant l'hôpital Chinook, le 27 octobre, en appui aux travailleurs de la santé

Nouvelle vague d'éclosions à l'abattoir d'Olymel à Vallée-Jonction au Québec
Les propositions des travailleurs doivent être au centre des solutions pour freiner la COVID-19 - Normand Chouinard

Le projet de loi du gouvernement de l'Ontario sur les soins de longue durée
Le gouvernement Ford protège de toute poursuite judiciaire les exploitants de centres de soins de longue durée - Steve Rutchinski


Les travailleurs d'hôpitaux en grève en Alberta forcés de retourner au travail

Il faut abolir les pouvoirs illimités de la Commission des relations de travail de l'Alberta

Le lundi 26 octobre, les travailleurs d'hôpitaux, membres du Syndicat des employés provinciaux de l'Alberta (AUPE), ont déclenché une grève. Selon l'AUPE, les débrayages ont eu lieu dans près de 39 villes et municipalités et dans 49 endroits de travail en Alberta. En fin de soirée lundi, la Commission des relations de travail de l'Alberta (ALRB) a ordonné aux travailleurs de l'AUPE de retourner au travail, invoquant que leur action contrevenait au Code des relations de travail de l'Alberta. La vitesse à laquelle la décision a été prise contraste avec la lenteur des procédures lors des griefs des employés. [1]

Le Code des relations de travail de l'Alberta perpétue l'existence de la toute puissante ALRB. En vertu du code, tous les conflits de travail échappent à la compétence des tribunaux publics et les décisions sont prises par la Commission qui est composée de personnes nommées par le gouvernement.

Le but de l'ALRB est d'uniformiser et d'accélérer le règlement des conflits de travail afin d'établir une « paix industrielle » pour que les riches puissent continuer d'être payés sans interruption. À cette fin, l'ALRB a été dotée de vastes pouvoirs dictatoriaux. Elle peut mener des enquêtes et des audiences, émettre des ordonnances et des directives, faire des règlements, déterminer quels syndicats peuvent représenter quels travailleurs, décider quand une convention collective est en vigueur, exiger la production de dossiers et de documents et que des déclarations soient fournies, entrer dans les locaux des syndicats et les inspecter, interroger des employés, imposer des restrictions au piquetage, imposer des amendes, décertifier des syndicats, etc. La Commission a toutes les allures d'une instance législative qui fabrique ses propres règles comme bon lui semble.

On prétend que l'ALRB, qui est composée de 45 membres, est neutre et « équitable » envers les travailleurs parce que des syndicalistes en font partie (des membres de l'AUPE y siègent). Cependant, les représentants syndicaux à l'ALRB n'ont aucune indépendance et ne peuvent qu'appliquer les statuts du code. Ils n'ont aucun pouvoir de proposer ou d'amender des lois pour les rendre favorables aux travailleurs.

La Loi 32 antiouvrière, appelée Loi de 2020 sur la restauration de l'équilibre dans les endroits de travail en Alberta, a éliminé le pouvoir discrétionnaire de l'ALRB en ce qui concerne le dépôt devant un  tribunal d'une ordonnance au sujet d'une « grève ou d'un lockout illégaux ». La Commission est maintenant obligée de déposer l'ordonnance devant la cour à la requête d'une partie, qui, dans ce cas, serait les Services de santé de l'Alberta. Une fois déposée, l'ordonnance est exécutoire en tant que jugement ou ordonnance de la cour, ce qui signifie que ne pas se conformer à l'ordonnance peut être considéré comme un outrage au tribunal.

Une analyse objective du Code des relations de travail de l'Alberta démontre que les travailleurs ne peuvent pas s'appuyer sur les lois ou les commissions gouvernementales pour défendre leurs intérêts. Le code est un exemple du fait que les employeurs ont tout le pouvoir de l'État de leur côté tandis que la seule arme des travailleurs est la force de leur nombre et de leur organisation, comme l'ont démontré les actions du 26 octobre. Le gouvernement a peut-être réussi à imposer sa « règle de droit » au moyen de la décision de la commission qui devient automatiquement une décision des tribunaux. Mais le gouvernement n'a pas remporté une victoire devant le tribunal de l'opinion publique. Dans toute l'Alberta, un vaste appui et une vaste solidarité ont été exprimés pour les travailleurs d'hôpitaux. Les gens prennent la parole pour dénoncer le gouvernement et disent qu'utiliser la pandémie comme prétexte pour attaquer les travailleurs de cette façon est quelque chose d'entièrement méprisable.

Les travailleurs doivent bâtir leur propre opposition puissante sur la base de leur propre pensée, perspective et programme afin de défendre leurs propres droits et les droits de tous.

Note

1. Par exemple, en mai 2020, la section locale 401 des Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce a demandé que la Commission des relations de travail de l'Alberta (ALRB) tienne une audience d'urgence et a requis des « mesures provisoires », soulignant le préjudice irréparable qui serait causé si les travailleurs devaient retourner au travail sans que leur syndicat puisse déterminer s'ils pouvaient le faire en toute sécurité. Forum ouvrier avait alors souligné:

« Il est difficile d'imaginer une situation plus lourde de dangers ou de dommages irréparables avec la moitié des travailleurs déjà atteints de la COVID-19, la mort d'une travailleuse et proche collègue, et d'autres qui sont gravement malades à l'hôpital, certains aux soins intensifs. Malgré l'urgence manifeste de l'affaire et une situation où 85 % des travailleurs avaient indiqué qu'ils pensaient qu'il n'était pas sécuritaire de travailler, l'ALRB a fixé la date de l'audience au 7 mai, trois jours après la réouverture de l'usine, et a nommé un médiateur pour rencontrer les parties durant la fin de semaine. » (Forum ouvrier, numéro du 7 mai 2020)


(Photos: FO, AUPE, Friends of Medicare)

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Nouvelle vague d'éclosions à l'abattoir d'Olymel à Vallée-Jonction au Québec

Les propositions des travailleurs doivent être au centre des solutions pour freiner la COVID-19

Les travailleurs de Vallée-Jonction manifestent contre la suppression de la prime liée à la pandémie, le 23 juin 2020.

Comment résoudre de manière pratique le problème d'engager la vaste majorité des travailleurs dans la discussion et les prises de décision pour lutter contre la pandémie est clé en ce moment. L'Institut national de santé publique du Québec et son directeur le docteur Horacio Arruda ont déclaré, le 20 octobre dernier, que les éclosions actuelles de la deuxième vague de la pandémie au Québec proviennent à 46 % des endroits de travail. Il va sans dire que les travailleurs ont un grand rôle à jouer pour faire face à la situation.

Cette tâche semble aller de soi, mais elle se heurte à beaucoup d'obstacles de part et d'autre. La raison en est que les formes actuelles d'autorités publiques empêchent la participation des travailleurs dans les prises de décision et la recherche de solutions.

L'exemple de l'usine d'abattage et de découpe de porcs d'Olymel à Vallée-Jonction est révélateur à cet égard. Au début de la pandémie, cette usine avait connu une vague importante de COVID-19 à l'intérieur de ses murs. Il s'en est suivi une panoplie de mesures sanitaires et la création d'un protocole précis pour ce genre d'industrie. L'Institut national de santé publique, la CNESST (Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail), la direction d'Olymel et jusqu'à un certain point les élus municipaux, québécois et fédéraux ont participé à la discussion et aux décisions concernant les directives à prendre. On se souvient que le Syndicat des travailleurs d'Olymel Vallée-Jonction affilié à la CSN n'a pas été entendu à sa juste mesure en tant que représentant de plus de 800 travailleurs de la production. Le syndicat avait notamment proposé plusieurs mesures de distanciation sociale sur les lignes de production et la compagnie n'a rien fait à ce sujet.

L'application du protocole et le suivi des directives sanitaires devaient diminuer le risque de contagion dans l'usine.

Or, nous avons appris récemment qu'une deuxième vague importante d'éclosion de la COVID- 19 soulève de nouveau le problème de comment freiner la contagion dans une industrie très à risque et très essentielle en même temps, celle de l'industrie agro-alimentaire. Jusqu'à maintenant, il y aurait au moins 114 cas positifs à la COVID-19 dans cette usine dont malheureusement le décès d'un ouvrier.
À la suite de cette nouvelle éclosion, les mêmes autorités qui étaient là ce printemps se sont de nouveau rencontrées d'urgence pour faire le suivi de la situation. La direction régionale de santé publique (DRSP) de Chaudière-Appalaches a pris la décision de tester la presque totalité des employés.

La haute direction d'Olymel a rejeté la proposition syndicale de fermer l'usine pour deux semaines, prétextant son obligation de respecter les contrats de ses clients et la nécessité d'éviter une surcharge de porcs vivants qui ne peuvent être abattus avec la fermeture de l'usine. C'est un problème qui est survenu ce printemps lors de la fermeture complète de son usine à Yamachiche. Mentionnons également que la DRSP et la CNESST n'ont pas non plus recommandé la fermeture de l'usine, ce qui, selon les informations recueillies par Forum ouvrier, a créé beaucoup de mécontentement parmi les travailleurs.

Selon le président du Syndicat des travailleurs d'Olymel Vallée-Jonction affilié à la CSN, Martin Maurice, le relâchement des mesures sanitaires l'été dernier de la part de l'entreprise a pu faciliter cette nouvelle vague d'éclosions : « Nous tenons à transmettre nos condoléances à la famille et aux proches de notre défunt collègue. Pour nous, un seul décès en est un de trop », a-t-il dit sur le site Web du syndicat. « Dès la première vague de la pandémie, nous avons revendiqué des mesures de protection afin de protéger adéquatement l'ensemble des travailleuses et des travailleurs de l'usine. Or, l'été dernier, nous avons interpellé l'employeur en lien avec le relâchement de certaines mesures sanitaires qui avaient été mises en place afin de prévenir toute éclosion. Le retour en force des heures supplémentaires et l'annulation de la période tampon de 10 minutes entre les quarts de travail sont deux exemples concrets de ce relâchement. Aussi, plusieurs sous-traitants travaillent à l'usine et nous ne savons même pas s'ils respectent les mesures de protection qui sont de mise concernant les déplacements d'un lieu de travail à un autre ». Il a dit également que le manque de formation de certains travailleurs a pu contribuer à l'éclosion.

Bien que les travailleurs de Vallée-Jonction considèrent que les autorités engagées dans la lutte contre la pandémie ont chacune un rôle à jouer, ils n'acceptent pas d'être écartés ou de ne servir qu'à des fins de consultation. Ils savent très bien qu'à la fin de la journée, leurs propositions vont vraisemblablement être rejetées, comme ce fut réellement le cas depuis le début de la pandémie. Les travailleurs de Vallée-Jonction sont engagés dans la bataille pour décider qui va devenir la force dirigeante dans les prises de décision qui les concernent et ça va plus loin qu'une simple consultation. Ils veulent participer aux grandes décisions reliées directement à la production notamment les cadences de travail, l'organisation même de la production sur les lignes, la procédure sécuritaire de transport en autobus des travailleurs étrangers temporaires, la mouvance des travailleurs entre départements, le temps supplémentaire et les horaires. Ce faisant, ils refusent de simplement subir les décisions prises par d'autres autorités et veulent s'affirmer en tant que nouvelle autorité décisionnelle sur laquelle il faut compter pour trouver les solutions aux problèmes causés par la pandémie. Plus les travailleurs s'engageront dans la discussion et dans les prises de décision, plus influente sera leur autorité.

Les travailleurs sont en train d'apprendre, dans leur lutte pour leur sécurité et par leurs relations et interactions quotidiennes dans le processus de production, à devenir des preneurs de décision.

Cette lutte fait rage dans plusieurs endroits de travail au Québec et au Canada dans le contexte de la lutte contre la pandémie. C'est précisément cette bataille que veulent endiguer les anciennes formes d'autorité en empêchant les travailleurs de devenir une nouvelle autorité publique.

(Photos : FO, Conseil central du Québec Chaudière-Appalaches - CSN)

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Le projet de loi du gouvernement de l'Ontario sur les soins de longue durée

Le gouvernement Ford protège de toute poursuite judiciaire les exploitants de centres de soins
de longue durée

Les responsables du bilan déplorable de transmission de la COVID-19 et des décès dans les centres de soins de longue durée (SLD) de l'Ontario ont reçu un sauf-conduit pour ne pas se retrouver en prison. Le projet de loi 218 de l'Ontario, Loi de 2020 visant à soutenir la relance en Ontario et sur les élections municipales[1], interdit à quiconque d'intenter une poursuite en justice contre ceux dont les actions ou les inactions ont entraîné le taux élevé de mortalité des personnes âgées dû à la COVID-19 dans les établissements de SLD de l'Ontario, à moins qu'une négligence grave puisse être prouvée. Le projet de loi a été renvoyé le 27 octobre au Comité permanent de la justice après la deuxième lecture. De nombreux avis juridiques ont déjà été donnés et il est généralement admis que la « négligence grave » est un critère très élevé à satisfaire.

L'Annexe 1 du projet de loi, intitulé Immunité, « prévoit qu'aucune cause d'action contre une personne ne résulte directement ou indirectement de l'infection ou l'exposition réelle ou éventuelle d'un particulier au coronavirus (COVID-19) le 17 mars 2020 ou après cette date par suite directe ou indirecte d'un acte ou d'une omission de la personne si les conditions suivantes sont réunies :

« a) au moment pertinent, la personne a agi ou a fait un effort de bonne foi pour agir conformément à ce qui suit :

« (i) les orientations en matière de santé publique relatives au coronavirus (COVID-19) qui s'appliquaient à la personne;

« (ii) une règle de droit fédérale, provinciale ou municipale relative au coronavirus (COVID-19) qui s'appliquait à la personne;

« b) l'acte ou l'omission de la personne ne constitue pas une négligence grave. »

Pour que l'impunité soit on ne peut plus claire, le projet de loi spécifie que tout « 'effort de bonne foi' s'entend notamment d'un effort honnête, qu'il soit raisonnable ou non ». (notre souligné)

Le projet de loi s'assure aussi :

- d'empêcher toute poursuite judiciaire future : « Sont irrecevables les instances qui sont introduites ou poursuivies contre une personne et qui, directement ou indirectement, se fondent sur quoi que ce soit qui est visé au paragraphe (1) ou s'y rapportent. »

- de rejeter les procédures en cours : « Les instances visées au paragraphe (4) qui ont été introduites avant le jour de l'entrée en vigueur de la présente loi sont réputées avoir été rejetées, sans dépens, ce jour-là. »

- d'interdire l'indemnité : « Nul n'a droit à une indemnité ou à toute autre réparation ou mesure de redressement pour l'extinction ou la cessation de droits prévus par la présente loi. »

Toutefois le projet de loi n'a apparemment aucun effet sur la Loi sur la sécurité professionnelle et l'assurance contre les accidents du travail : « La présente loi n'a pas pour effet de porter atteinte à la compétence exclusive du Tribunal d'appel de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail pour décider une question visée au paragraphe 31 (1) de la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l'assurance contre les accidents du travail. »

Le bilan du Canada en matière d'infections et de décès liés à la COVID-19 dans les établissements de soins de longue durée, en particulier les entreprises privées pour le profit de SLD, est affreux. En juin, alors que la première vague s'installait, les résidents de centres de soins de longue durée représentaient 81 % de tous les décès déclarés liés à la COVID-19 au Canada, comparativement à une moyenne de 38 % dans les autres pays de l'OCDE. Au Canada, plus de 9 650 membres du personnel de SLD ont été infectés par la COVID-19, ce qui représente plus de 10 % du total des cas au pays[2].

La Coalition ontarienne de la santé (COS) rapporte qu'au moins deux douzaines de poursuites en justice ont été intentées en raison des conditions dans les établissements de soins de longue durée et des réponses face à la propagation du virus, au cours de la première vague de la COVID-19. La COS a une liste des poursuites en cours devant les tribunaux dans la section Note d'information de son site Web[3].

Un de ces cas est un recours collectif « contre les résidences pour retraités Chartwell et les établissements de soins de longue durée pour leurs échecs allégués dans la planification d'éclosions, les précautions et la réponse face à la COVID-19, entraînant des décès évitables de résidents et des souffrances inutiles pour les membres de leur famille [...] déposé au nom de toutes les personnes qui vivent ou ont vécu dans une maison Chartwell du 10 janvier 2020 à la fin de la date de la pandémie, qui est actuellement inconnue ».

Soixante-dix-sept personnes sont mortes dans quatre établissements Chartwell lors de la première vague. En date du 25 octobre, neuf autres résidents sont décédés dans une résidence Chartwell jusqu'à présent, depuis le début de la deuxième vague, et au moins 16 membres du personnel ont contracté la COVID-19 dans diverses résidences Chartwell depuis la deuxième vague des éclosions. Chartwell exploite onze établissements de SLD en Ontario.

Accorder une protection contre les poursuites devant les tribunaux contre les responsables de ce qui est une honte nationale et considéré par plusieurs comme un crime pur et simple est scandaleux. Les riches ont le pouvoir d'agir, ou de ne pas agir, en toute impunité. Avons-nous besoin de preuves plus claires que cette démocratie est une démocratie des riches et pour les riches ? Ces journées ne seront pas oubliées et le moment viendra où les responsables devront rendre des comptes !

Notes

1. Projet de loi 218, 2020 : Loi édictant la Loi de 2020 visant à soutenir la relance en Ontario concernant certaines instances liées au coronavirus (COVID-19) modifiant la Loi de 1996 sur les municipalités et abrogeant un règlement.

2. « La pandémie dans le secteur des soins de longue durée : comment le Canada se compare-t-il aux autres pays ? », Institut canadien d'information sur la santé, Ottawa, Ontario : ICIS, Analyse éclair, 2020.

3. « Briefing Note : COVID-19 in Long-Term Care Litigation & Legal Actions », La Coalition ontarienne de la santé.

(Photos : FO, UIES, Unifor)

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