Le projet de loi du gouvernement de l'Ontario sur les soins de longue durée

Le gouvernement Ford protège de toute poursuite judiciaire les exploitants de centres de soins de longue durée

Les responsables du bilan déplorable de transmission de la COVID-19 et des décès dans les centres de soins de longue durée (SLD) de l'Ontario ont reçu un sauf-conduit pour ne pas se retrouver en prison. Le projet de loi 218 de l'Ontario, Loi de 2020 visant à soutenir la relance en Ontario et sur les élections municipales[1], interdit à quiconque d'intenter une poursuite en justice contre ceux dont les actions ou les inactions ont entraîné le taux élevé de mortalité des personnes âgées dû à la COVID-19 dans les établissements de SLD de l'Ontario, à moins qu'une négligence grave puisse être prouvée. Le projet de loi a été renvoyé le 27 octobre au Comité permanent de la justice après la deuxième lecture. De nombreux avis juridiques ont déjà été donnés et il est généralement admis que la « négligence grave » est un critère très élevé à satisfaire.

L'Annexe 1 du projet de loi, intitulé Immunité, « prévoit qu'aucune cause d'action contre une personne ne résulte directement ou indirectement de l'infection ou l'exposition réelle ou éventuelle d'un particulier au coronavirus (COVID-19) le 17 mars 2020 ou après cette date par suite directe ou indirecte d'un acte ou d'une omission de la personne si les conditions suivantes sont réunies :

« a) au moment pertinent, la personne a agi ou a fait un effort de bonne foi pour agir conformément à ce qui suit :

« (i) les orientations en matière de santé publique relatives au coronavirus (COVID-19) qui s'appliquaient à la personne;

« (ii) une règle de droit fédérale, provinciale ou municipale relative au coronavirus (COVID-19) qui s'appliquait à la personne;

« b) l'acte ou l'omission de la personne ne constitue pas une négligence grave. »

Pour que l'impunité soit on ne peut plus claire, le projet de loi spécifie que tout « 'effort de bonne foi' s'entend notamment d'un effort honnête, qu'il soit raisonnable ou non ». (notre souligné)

Le projet de loi s'assure aussi :

- d'empêcher toute poursuite judiciaire future : « Sont irrecevables les instances qui sont introduites ou poursuivies contre une personne et qui, directement ou indirectement, se fondent sur quoi que ce soit qui est visé au paragraphe (1) ou s'y rapportent. »

- de rejeter les procédures en cours : « Les instances visées au paragraphe (4) qui ont été introduites avant le jour de l'entrée en vigueur de la présente loi sont réputées avoir été rejetées, sans dépens, ce jour-là. »

- d'interdire l'indemnité : « Nul n'a droit à une indemnité ou à toute autre réparation ou mesure de redressement pour l'extinction ou la cessation de droits prévus par la présente loi. »

Toutefois le projet de loi n'a apparemment aucun effet sur la Loi sur la sécurité professionnelle et l'assurance contre les accidents du travail : « La présente loi n'a pas pour effet de porter atteinte à la compétence exclusive du Tribunal d'appel de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail pour décider une question visée au paragraphe 31 (1) de la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l'assurance contre les accidents du travail. »

Le bilan du Canada en matière d'infections et de décès liés à la COVID-19 dans les établissements de soins de longue durée, en particulier les entreprises privées pour le profit de SLD, est affreux. En juin, alors que la première vague s'installait, les résidents de centres de soins de longue durée représentaient 81 % de tous les décès déclarés liés à la COVID-19 au Canada, comparativement à une moyenne de 38 % dans les autres pays de l'OCDE. Au Canada, plus de 9 650 membres du personnel de SLD ont été infectés par la COVID-19, ce qui représente plus de 10 % du total des cas au pays[2].

La Coalition ontarienne de la santé (COS) rapporte qu'au moins deux douzaines de poursuites en justice ont été intentées en raison des conditions dans les établissements de soins de longue durée et des réponses face à la propagation du virus, au cours de la première vague de la COVID-19. La COS a une liste des poursuites en cours devant les tribunaux dans la section Note d'information de son site Web[3].

Un de ces cas est un recours collectif « contre les résidences pour retraités Chartwell et les établissements de soins de longue durée pour leurs échecs allégués dans la planification d'éclosions, les précautions et la réponse face à la COVID-19, entraînant des décès évitables de résidents et des souffrances inutiles pour les membres de leur famille [...] déposé au nom de toutes les personnes qui vivent ou ont vécu dans une maison Chartwell du 10 janvier 2020 à la fin de la date de la pandémie, qui est actuellement inconnue ».

Soixante-dix-sept personnes sont mortes dans quatre établissements Chartwell lors de la première vague. En date du 25 octobre, neuf autres résidents sont décédés dans une résidence Chartwell jusqu'à présent, depuis le début de la deuxième vague, et au moins 16 membres du personnel ont contracté la COVID-19 dans diverses résidences Chartwell depuis la deuxième vague des éclosions. Chartwell exploite onze établissements de SLD en Ontario.

Accorder une protection contre les poursuites devant les tribunaux contre les responsables de ce qui est une honte nationale et considéré par plusieurs comme un crime pur et simple est scandaleux. Les riches ont le pouvoir d'agir, ou de ne pas agir, en toute impunité. Avons-nous besoin de preuves plus claires que cette démocratie est une démocratie des riches et pour les riches ? Ces journées ne seront pas oubliées et le moment viendra où les responsables devront rendre des comptes !

Notes

1. Projet de loi 218, 2020 : Loi édictant la Loi de 2020 visant à soutenir la relance en Ontario concernant certaines instances liées au coronavirus (COVID-19) modifiant la Loi de 1996 sur les municipalités et abrogeant un règlement.

2. « La pandémie dans le secteur des soins de longue durée : comment le Canada se compare-t-il aux autres pays ? », Institut canadien d'information sur la santé, Ottawa, Ontario : ICIS, Analyse éclair, 2020.

3. « Briefing Note : COVID-19 in Long-Term Care Litigation & Legal Actions », La Coalition ontarienne de la santé.

(Photos : FO, UIES, Unifor)


Cet article est paru dans

Numéro 74 - Numéro 74 - 29 octobre 2020

Lien de l'article:
Le projet de loi du gouvernement de l'Ontario sur les soins de longue durée: Le gouvernement Ford protège de toute poursuite judiciaire les exploitants de centres de soins de longue durée - Steve Rutchinski


    

Site Web:  www.pccml.ca   Email:  redaction@cpcml.ca