Numéro 4 - 17 février 2023
La situation est grave pour l'assurance-emploi
Tous ensemble à la défense des droits et de la dignité des travailleurs sans emploi!
Des membres de groupes militant pour la réforme de l'AE à
Ottawa, le 2 février 2023
Entrevues
• France Simard,
coordonnatrice du Mouvement Action
Chômage au Lac-Saint-Jean
• Line Sirois, coordonnatrice d'Action-Chômage Côte-Nord
• Les
Revendications du Mouvement autonome et solidaire
des sans-emploi (MASSE)
La situation est grave pour l'assurance-emploi
Tous ensemble à la défense des droits et de la dignité des travailleurs sans emploi!
Les organisations de défense des travailleurs et des travailleuses sans emploi font état de la situation dramatique que ceux-ci vivent en ce moment. Les délais de traitement des demandes d'assurance-emploi (AE) s'aggravent, le gouvernement a prétexté la fin de l'urgence sanitaire liée à la pandémie pour revenir aux mesures d'avant la pandémie qui créent une situation intenable pour les chômeurs. De plus, Service Canada se livre à des interrogatoires en règle des chômeurs pour nier leur droit aux prestations et les laisser aux soins de leurs proches. Sans le travail acharné des organisations de défense des chômeurs, avec l'appui des syndicats, pour défendre le droit à des prestations qui leur permettent de vivre dans la dignité, leur situation s'aggraverait encore plus.
Le gouvernement canadien utilise la diversion pour nier sa responsabilité envers les chômeurs et les abandonner à leur sort.
Lorsqu'il a entrepris sa consultation sur la réforme de l'assurance-emploi au moyen d'un questionnaire en ligne, à l'été 2021, le gouvernement fédéral a indiqué qu'un des objectifs centraux de la réforme est de mieux adapter les travailleurs et le régime de l'AE au marché du travail. Cette prémisse est fausse.
Les travailleurs doivent être protégés des aléas du marché du travail sur lequel ils n'ont pas de contrôle. Le marché du travail est un instrument dans les mains des intérêts privés étroits en concurrence les uns avec les autres pour réaliser le maximum de profits privés aux dépens des économies nationales, régionales et locales. Dans la « nouvelle économie » d'aujourd'hui, les travailleurs sont jetables. L'imposition des caprices du marché du travail comme critère de la santé de l'économie ou de l'assurance-emploi est de la désinformation antiouvrière cruelle. Les grandes phrases sur le marché du travail masquent le fait que les Canadiens et les Canadiennes ne contrôlent pas leur économie et elles sont aussi utilisées pour justifier les attaques contre les travailleurs, notamment les travailleurs saisonniers, parce qu'ils ne « bougent pas avec l'emploi » là où il se trouve. Maintenir que l'admissibilité au régime de l'assurance-emploi et les prestations sont conditionnelles à une contribution au « marché du travail » veut dire que l'exclusion massive des chômeurs du régime de l'assurance-emploi va se poursuivre.
À cela, le gouvernement canadien ajoute maintenant que l'assurance-emploi doit contribuer à l'équilibre budgétaire et à la responsabilité fiscale. Ce sont les thèmes qui ont été annoncés par le gouvernement fédéral comme devant guider le budget qui sera présenté au printemps. Cela annonce une nouvelle offensive pour réduire les programmes sociaux et l'aide aux personnes dans le besoin, de même que des stratagèmes de toutes sortes pour payer les riches en pigeant dans les fonds publics au nom de l'économie verte ou de l'intégration de l'économie canadienne à l'économie américaine et sa machine de guerre, sans même discuter avec le peuple canadien de ce que ces choses veulent dire.
Les travailleurs ont été très choqués de la décision annoncée par le gouvernement fédéral en janvier, par le biais de la direction de Service Canada, de la réduction des heures de travail de 750 fonctionnaires affectés au dossier de l'assurance-emploi, ceci en pleine crise du délai des traitements de demandes de prestations qui cause tant de problèmes aux chômeurs. Face au tollé que cela a provoqué, le gouvernement a retraité et annulé la décision, disant que l'objectif de l'équilibre budgétaire demeure mais qu'il y a d'autres façons de l'atteindre. Pendant ce temps, le gouvernement est devenu silencieux sur ce qui arrive avec la réforme promise du régime de l'AE.
Les interrogatoires des chômeurs sur leurs finances personnelles en lien avec la possibilité ou non de recevoir des prestations montrent que l'idéologie antiouvrière est très vivante dans les cercles du pouvoir. Cela fait des années que les think tanks néolibéraux et les gouvernements claironnent que l'assurance-emploi est faite pour ceux qui « acceptent de bouger » au gré du marché du travail et que les autres devraient se débrouiller par eux-mêmes ou être envoyés vers des programmes de dernier recours comme l'aide sociale, encore plus précaires et plus appauvrissants.
Les travailleurs et leurs organisations exigent que les travailleurs sans emploi reçoivent les prestations à un niveau canadien qui leur reviennent de droit et leur permettent de vivre dans la dignité. C'est assez, la désinformation et les excuses pour nier aux chômeurs ce qui leur appartient !
Forum ouvrier se joint à tous ceux et celles qui réclament une réforme qui part des revendications émises depuis longtemps par les travailleurs et leurs organisations, en particulier les organisations de défense des chômeurs.
Forum ouvrier salue aussi les initiatives organisées par les organisations de défense pour rendre le mouvement plus fort, comme la formation de l'Alliance interprovinciale qui regroupe des associations de défense du Québec et des provinces atlantiques.
Ensemble, défendons le droit des travailleurs sans emploi à une vie dans la dignité. Les gouvernements qui rejettent ce droit ne sont pas aptes à gouverner !
Entrevues
France Simard, coordonnatrice
du Mouvement Action Chômage au Lac-Saint-Jean
Forum ouvrier : Où en est la question de la réforme du régime de l'assurance-emploi que les organisations de défense des chômeurs réclament et que le gouvernement fédéral s'est engagé à faire depuis 2021 ?
France Simard : Les choses ne s'annoncent pas bien. Le 2 février, nous avons participé à Ottawa, avec d'autres organisations de défense des sans emploi et des syndicats, au Forum du Commissaire des travailleurs et travailleuses de l'assurance-emploi.
Nous avons rencontré différents intervenants de Service Canada, qui nous ont donné le bilan de ce qui se passe. On n'a pas eu de réponse à nos questions. La ministre qui est responsable du dossier n'était pas là, pour des raisons d'urgence familiale, nous a-t-on dit. Elle était présente par zoom. À chaque fois qu'on se présente à Ottawa, quand c'est pour parler d'assurance-emploi, la ministre responsable n'est pas là. Elle a été très évasive sur la question de la réforme promise de l'assurance-emploi, elle a tourné autour du pot. Elle ne pouvait pas nous dire s'il y avait des avancées dans le projet de réforme. Cela ne bouge pas. Nous avons la nette impression que si le gouvernement annonce une réforme, ce qui n'est pas certain, ce sera dans le prochain budget fédéral au printemps et que nous n'aurons pas notre mot à dire.
FO : Lors de notre dernière entrevue, tu nous a parlé des énormes délais qui se produisent dans le traitement des demandes d'assurance-emploi. La situation ne s'est manifestement pas améliorée. Peux-tu nous en dire plus ?
FS : J'ai soulevé la question des délais de traitements au forum, mais la personne responsable n'a pas été capable de répondre, elle ne le savait pas elle-même. Ils ont un plan échelonné jusqu'en 2025, semble-t-il, mais on ne peut pas attendre. Je lui ai dit qu'on a déjà dû intervenir parce que quelqu'un pense au suicide, allez-vous attendre qu'on ait une perte de vie humaine avant d'agir ? On nous dit que les choses se passent bien, mais ce n'est pas le cas.
J'ai rassemblé les statistiques pour ma région. Entre septembre 2022 et janvier 2023 nous avons eu 400 dossiers. Là-dessus, 37 % d'entre eux ont attendu entre un mois et demi et deux mois, 38 % ont connu entre 3 et 4 mois d'attente, 15 % ont eu des retards de 5 à 7 mois, et 8 % entre 8 et 11 mois. Dans 35 % des dossiers il faut qu'on intervienne au moins entre 4 et 8 fois avant que le dossier soit réglé. Les conséquences sont terribles : détresse psychologique, insomnie, stress, recours aux banques alimentaires, aide de dernier recours, dossier de crédit entaché, menaces de perdre leur maison, leurs assurances, évictions, coupure de lignes téléphoniques. Et j'en passe.
On n'arrive pas à savoir précisément la raison de ces délais. On nous parle de l'effet des vols d'identité des prestataires de l'assurance-emploi, ce qui a créé des demandes frauduleuses, de l'effet de la pandémie sur le service, des changements de personnel, etc. On n'en voit pas la fin.
En plus, les agents de Service Canada vont très loin dans leurs questions. Les gens se font demander s'ils ont un conjoint ou de la famille qui peut les aider, s'ils ont des problèmes financiers, s'ils sont dans un état d'urgence, s'ils ont de quoi manger. On fait une véritable enquête sur la vie privée de quelqu'un avant de lui verser l'argent auquel il a pourtant droit, pour lequel il a travaillé et cotisé.
Ils posent ce genre de questions aux prestataires et aussi à nous. C'est gênant pour eux et c'est gênant pour nous également.
Nous faisons de plus en plus de dépannage alimentaire en collaboration avec les organismes qui s'occupent de ce dépannage pour pouvoir donner du soutien. Il y a aussi notre député de l'Assemblée nationale qui a créé le fonds Mon voisin je m'en occupe qui est destiné aux personnes en difficulté. Nous travaillons en collaboration avec tous ces organismes pour nous occuper des besoins des prestataires. Ce n'est pas notre mandat de faire du dépannage, mais nous ne pouvons pas laisser les gens dans ces difficultés. Nous avons développé de belles relations avec tous ces groupes.
FO : Quelles actions organisez-vous et quelles sont vos demandes dans ce contexte pour faire avancer les choses ?
FS : Nous avons tenu une manifestation avant les Fêtes devant les bureaux de Services Canada, en coopération avec L.A.S.T.U.S.E. (Lieu d'Actions et de Services Travaillant dans l'Unité avec les Sans emplois) et la CSN à Chicoutimi, où nous avons placardé un sapin de Noël avec nos revendications et exigé la réforme de l'Assurance-Emploi au plus vite sur la base de ces revendications . Nous avons fait des communiqués de presse, des entrevues, pour faire bouger les choses.
En attendant la réforme, nous demandons que les mesures de l'Assurance-Emploi qui étaient en vigueur pendant la pandémie, qui étaient beaucoup plus souples et plus inclusives, et qui ont été retirées en septembre 2022, avec la promesse d'une réforme, soient réinstaurées.
Ces mesures comprenaient un seuil universel de 420 heures de travail requises pour être admissible. Elles comprenaient un taux de prestation minimum de 400 $ par semaine, et un minimum de 26 semaines de prestations. Service Canada considérait uniquement le dernier relevé d'emploi pour déterminer l'accessibilité et les montants des prestations, ce qui accélérait le traitement des demandes. Aussi, les sommes versées à la cessation d'emploi, comme les indemnités de départ et le paiement des vacances, n'étaient pas déduites des prestations.
Nous sommes revenus aux anciennes mesures, qui obligent notamment les travailleurs à travailler entre 420 et 700 heures pour être admissibles, pour une durée de prestations qui peut être aussi basse que 14 semaines selon le cas, ce qui cause une situation désastreuse parmi les travailleurs saisonniers. Aussi, les agents doivent maintenant examiner tous les relevés d'emplois, ce qui retarde le traitement de la demande, dans les cas par exemple où une des périodes de travail comprend un départ volontaire, ce qui peut-même mener à une exclusion du prestataire.
Dans l'immédiat, nous revendiquons le retour aux mesures de la période de la pandémie et nous mettons de l'avant nos revendications, les revendications du MASSE (Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi) pour un régime de l'assurance-emploi accessible, juste, universel et non-discriminatoire.
Ce qui est certain c'est qu'on ne lâchera pas. On va continuer à mettre le maximum de pression sur le gouvernement pour obtenir une réforme sur la base de ces revendications.
Line Sirois, coordonnatrice
d'Action-Chômage
Côte-Nord
Forum ouvrier : Quelle est la situation des travailleurs sans emploi de ta région en ce moment ?
Line Sirois : La situation est extrêmement difficile. Elle s'éternise et elle affecte beaucoup de travailleurs de la région. Le téléphone n'arrête pas de sonner, les gens sont très affectés parce qu'ils n'arrivent même pas à se qualifier pour l'assurance-emploi présentement. On a fait faire un rapport par Segma Recherche auprès des employeurs de la région pour brosser un portrait de la situation de l'emploi saisonnier sur la Côte-Nord. Le rapport a révélé que la moyenne d'heures travaillées sur la Côte-Nord, c'est 585 heures en moyenne, alors que présentement on nous demande 700 heures pour se qualifier pour 14 semaines.
La situation est tellement inacceptable que maintenant ce sont les communautés autochtones qui nous appellent pour demander qu'est-ce qui se passe. Eux aussi, ils doivent travailler plus d'heures pour recevoir moins d'assurance-emploi. Ils vivent les mêmes situations que nous. Les gens doivent quitter leur communauté pour être capables d'aller travailler et de recevoir de l'assurance-emploi.
Les communautés qui nous appellent, ce sont des gens qui n'ont pas de routes. Ils travaillent pour la communauté autochtone. Avant, cela leur prenait 420 heures pour se qualifier à l'assurance-emploi, maintenant cela leur prend 525 heures. C'est un peu moins que pour nous en haute Côte-Nord, mais cela est encore trop pour eux parce que la communauté est le seul employeur. Ils sont à 500 kilomètres du village ou de la ville la plus proche pour aller travailler. Pour gagner leur vie, ils doivent quitter leur communauté. Dans la communauté, le seul employeur c'est le Conseil de bande. Le Conseil de bande leur faisait faire leurs heures, mais maintenant ils ne sont pas capables de leur faire faire tant d'heures, ou quand ils sont capables de le faire, ils sont comme nous, ils vivent le trou noir.
L'hémorragie est rendue là.
Ce qu'on vit présentement et l'étude qu'on a faite chez nous, cela peut représenter toutes les régions du Canada. C'est aussi dramatique en Nouvelle-Écosse et dans d'autres régions. Chez nous, on parle d'un taux de chômage de 3,9 %. C'est impossible parce que nous avons environ 23 % d'emplois saisonniers en Haute Côte-Nord uniquement. C'est le fait de nous jumeler avec des grands centres qui fait baisser le taux de chômage.
Lors du forum sur l'assurance-emploi, on m'avait demandé de parler à la ministre sur l'emploi saisonnier. Elle était présente par zoom, elle ne nous a rien dit, sauf que c'est bloqué quelque part, que la réforme peut se faire mais pas tout de suite, c'est long. Pendant ce temps-là, nos gens ont faim. Ils ont besoin d'assurance-emploi pour vivre ou ils doivent quitter la région. Sur la Côte-Nord. il y a plus de gens qui quittent que de gens qui viennent vivre chez nous. En ville, ils bâtissent des écoles, chez nous ils ferment des écoles. Il faut agir. L'emploi saisonnier fait partie de l'économie du Canada. On ne peut pas s'en cacher et faire semblant que cela n'existe pas.
On a une loi qui est bâtie sur des préjugés. On se fait dire que nos gens peuvent se trouver du travail, que « ce monde-là », comme on nous appelle, on sait qu'ils ne se cherchent pas d'emploi.
FO : Lorsque Service Canada a coupé les heures des agents affectés à l'assurance-emploi il y a quelques semaines, la ministre a dit que c'est une mesure essentielle pour protéger l'équilibre budgétaire.
LS : Effectivement. Et c'est-ce que j'ai dit, le budget des gens qu'est-ce qu'ils en font, le gouvernement ? Comment peux-tu équilibrer ton budget quand l'argent ne rentre pas ? J'ai des dossiers qui attendent depuis août 2022. Comment tu fais pour équilibrer ton budget, tu vas à l'aide sociale ? En plus, cela fait baisser faussement le taux de chômage, quand les gens n'ont plus accès à l'assurance-emploi. Ils ne sont plus dans les données.
FO : Quel travail Action-Chômage Côte-Nord fait-il présentement pour défendre les gens et transformer la situation ?
LS : Nous avons fait des actions. Nous allons continuer à informer les gens. C'est toujours les gens qui décident des actions qu'ils veulent entreprendre. Nous allons rencontrer les travailleurs, parce qu'un chômeur, c'est avant tout un travailleur qui est sans emploi pour l'instant. Nous travaillons avec les syndicats, nous travaillons avec le MASSE, nous avons formé une grande alliance avec l'est du Canada et on va continuer à mettre de la pression, c'est certain.
Nous, Action-Chômage de la Côte-Nord, avons formé une grande alliance avec des gens du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, des gens de Terre-Neuve et même des gens de Toronto. Nous avons une grande alliance, l'Alliance interprovinciale qui englobe plusieurs autres provinces qui ont les mêmes problèmes que nous. Nous sommes une vingtaine de regroupements d'un peu partout de l'est du Canada.
On ne lâchera pas. On ne va pas relâcher la pression.
Les Revendications du Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi (MASSE)
Le MASSE a cinq revendications principales.
Ce sont :
• un seuil d'admissibilité unique de 350 heures ou de 13 semaines;
• un taux de prestations d'au moins 70 % du salaire assurable, basé sur les 12 meilleures semaines de travail;
• un plancher minimum de 35 semaines de prestations;
• l'abolition des exclusions totales de l'Assurance-emploi (AE) pour les travailleurs qui perdent leur emploi par départ volontaire ou qui sont congédiés;
• l'accès aux prestations régulières d'AE, en cas de perte d'emploi, sans égard aux prestations maternité/parentales/paternité reçues.
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