Line Sirois, coordonnatrice d'Action-Chômage Côte-Nord

Forum ouvrier : Quelle est la situation des travailleurs sans emploi de ta région en ce moment ?

Line Sirois : La situation est extrêmement difficile. Elle s'éternise et elle affecte beaucoup de travailleurs de la région. Le téléphone n'arrête pas de sonner, les gens sont très affectés parce qu'ils n'arrivent même pas à se qualifier pour l'assurance-emploi présentement. On a fait faire un rapport par Segma Recherche auprès des employeurs de la région pour brosser un portrait de la situation de l'emploi saisonnier sur la Côte-Nord. Le rapport a révélé que la moyenne d'heures travaillées sur la Côte-Nord, c'est 585 heures en moyenne, alors que présentement on nous demande 700 heures pour se qualifier pour 14 semaines.

La situation est tellement inacceptable que maintenant ce sont les communautés autochtones qui nous appellent pour demander qu'est-ce qui se passe. Eux aussi, ils doivent travailler plus d'heures pour recevoir moins d'assurance-emploi. Ils vivent les mêmes situations que nous. Les gens doivent quitter leur communauté pour être capables d'aller travailler et de recevoir de l'assurance-emploi.

Les communautés qui nous appellent, ce sont des gens qui n'ont pas de routes. Ils travaillent pour la communauté autochtone. Avant, cela leur prenait 420 heures pour se qualifier à l'assurance-emploi, maintenant cela leur prend 525 heures. C'est un peu moins que pour nous en haute Côte-Nord, mais cela est encore trop pour eux parce que la communauté est le seul employeur. Ils sont à 500 kilomètres du village ou de la ville la plus proche pour aller travailler. Pour gagner leur vie, ils doivent quitter leur communauté. Dans la communauté, le seul employeur c'est le Conseil de bande. Le Conseil de bande leur faisait faire leurs heures, mais maintenant ils ne sont pas capables de leur faire faire tant d'heures, ou quand ils sont capables de le faire, ils sont comme nous, ils vivent le trou noir.

L'hémorragie est rendue là.

Ce qu'on vit présentement et l'étude qu'on a faite chez nous, cela peut représenter toutes les régions du Canada. C'est aussi dramatique en Nouvelle-Écosse et dans d'autres régions. Chez nous, on parle d'un taux de chômage de 3,9 %. C'est impossible parce que nous avons environ 23 % d'emplois saisonniers en Haute Côte-Nord uniquement. C'est le fait de nous jumeler avec des grands centres qui fait baisser le taux de chômage.

Lors du forum sur l'assurance-emploi, on m'avait demandé de parler à la ministre sur l'emploi saisonnier. Elle était présente par zoom, elle ne nous a rien dit, sauf que c'est bloqué quelque part, que la réforme peut se faire mais pas tout de suite, c'est long. Pendant ce temps-là, nos gens ont faim. Ils ont besoin d'assurance-emploi pour vivre ou ils doivent quitter la région. Sur la Côte-Nord. il y a plus de gens qui quittent que de gens qui viennent vivre chez nous. En ville, ils bâtissent des écoles, chez nous ils ferment des écoles. Il faut agir. L'emploi saisonnier fait partie de l'économie du Canada. On ne peut pas s'en cacher et faire semblant que cela n'existe pas.

On a une loi qui est bâtie sur des préjugés. On se fait dire que nos gens peuvent se trouver du travail, que « ce monde-là », comme on nous appelle, on sait qu'ils ne se cherchent pas d'emploi.

FO  : Lorsque Service Canada a coupé les heures des agents affectés à l'assurance-emploi il y a quelques semaines, la ministre a dit que c'est une mesure essentielle pour protéger l'équilibre budgétaire.

LS : Effectivement. Et c'est-ce que j'ai dit, le budget des gens qu'est-ce qu'ils en font, le gouvernement ? Comment peux-tu équilibrer ton budget quand l'argent ne rentre pas ? J'ai des dossiers qui attendent depuis août 2022. Comment tu fais pour équilibrer ton budget, tu vas à l'aide sociale ? En plus, cela fait baisser faussement le taux de chômage, quand les gens n'ont plus accès à l'assurance-emploi. Ils ne sont plus dans les données.

FO : Quel travail Action-Chômage Côte-Nord fait-il présentement pour défendre les gens et transformer la situation ?

LS : Nous avons fait des actions. Nous allons continuer à informer les gens. C'est toujours les gens qui décident des actions qu'ils veulent entreprendre. Nous allons rencontrer les travailleurs, parce qu'un chômeur, c'est avant tout un travailleur qui est sans emploi pour l'instant. Nous travaillons avec les syndicats, nous travaillons avec le MASSE, nous avons formé une grande alliance avec l'est du Canada et on va continuer à mettre de la pression, c'est certain.

Nous, Action-Chômage de la Côte-Nord, avons formé une grande alliance avec des gens du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, des gens de Terre-Neuve et même des gens de Toronto. Nous avons une grande alliance, l'Alliance interprovinciale qui englobe plusieurs autres provinces qui ont les mêmes problèmes que nous. Nous sommes une vingtaine de regroupements d'un peu partout de l'est du Canada.

On ne lâchera pas. On ne va pas relâcher la pression.


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Numéro 4 - 17 février 2023

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