Entrevues

France Simard, coordonnatrice du Mouvement Action Chômage au Lac-Saint-Jean

Forum ouvrier : Où en est la question de la réforme du régime de l'assurance-emploi que les organisations de défense des chômeurs réclament et que le gouvernement fédéral s'est engagé à faire depuis 2021 ?

France Simard : Les choses ne s'annoncent pas bien. Le 2 février, nous avons participé à Ottawa, avec d'autres organisations de défense des sans emploi et des syndicats, au Forum du Commissaire des travailleurs et travailleuses de l'assurance-emploi.

Nous avons rencontré différents intervenants de Service Canada, qui nous ont donné le bilan de ce qui se passe. On n'a pas eu de réponse à nos questions. La ministre qui est responsable du dossier n'était pas là, pour des raisons d'urgence familiale, nous a-t-on dit. Elle était présente par zoom. À chaque fois qu'on se présente à Ottawa, quand c'est pour parler d'assurance-emploi, la ministre responsable n'est pas là. Elle a été très évasive sur la question de la réforme promise de l'assurance-emploi, elle a tourné autour du pot. Elle ne pouvait pas nous dire s'il y avait des avancées dans le projet de réforme. Cela ne bouge pas. Nous avons la nette impression que si le gouvernement annonce une réforme, ce qui n'est pas certain, ce sera dans le prochain budget fédéral au printemps et que nous n'aurons pas notre mot à dire.

FO : Lors de notre dernière entrevue, tu nous a parlé des énormes délais qui se produisent dans le traitement des demandes d'assurance-emploi. La situation ne s'est manifestement pas améliorée. Peux-tu nous en dire plus ?

FS : J'ai soulevé la question des délais de traitements au forum, mais la personne responsable n'a pas été capable de répondre, elle ne le savait pas elle-même. Ils ont un plan échelonné jusqu'en 2025, semble-t-il, mais on ne peut pas attendre. Je lui ai dit qu'on a déjà dû intervenir parce que quelqu'un pense au suicide, allez-vous attendre qu'on ait une perte de vie humaine avant d'agir ? On nous dit que les choses se passent bien, mais ce n'est pas le cas.

J'ai rassemblé les statistiques pour ma région. Entre septembre 2022 et janvier 2023 nous avons eu 400 dossiers. Là-dessus, 37 % d'entre eux ont attendu entre un mois et demi et deux mois, 38 % ont connu entre 3 et 4 mois d'attente, 15 % ont eu des retards de 5 à 7 mois, et 8 % entre 8 et 11 mois. Dans 35 % des dossiers il faut qu'on intervienne au moins entre 4 et 8 fois avant que le dossier soit réglé. Les conséquences sont terribles : détresse psychologique, insomnie, stress, recours aux banques alimentaires, aide de dernier recours, dossier de crédit entaché, menaces de perdre leur maison, leurs assurances, évictions, coupure de lignes téléphoniques. Et j'en passe.

On n'arrive pas à savoir précisément la raison de ces délais. On nous parle de l'effet des vols d'identité des prestataires de l'assurance-emploi, ce qui a créé des demandes frauduleuses, de l'effet de la pandémie sur le service, des changements de personnel, etc. On n'en voit pas la fin.

En plus, les agents de Service Canada vont très loin dans leurs questions. Les gens se font demander s'ils ont un conjoint ou de la famille qui peut les aider, s'ils ont des problèmes financiers, s'ils sont dans un état d'urgence, s'ils ont de quoi manger. On fait une véritable enquête sur la vie privée de quelqu'un avant de lui verser l'argent auquel il a pourtant droit, pour lequel il a travaillé et cotisé.

Ils posent ce genre de questions aux prestataires et aussi à nous. C'est gênant pour eux et c'est gênant pour nous également.

Nous faisons de plus en plus de dépannage alimentaire en collaboration avec les organismes qui s'occupent de ce dépannage pour pouvoir donner du soutien. Il y a aussi notre député de l'Assemblée nationale qui a créé le fonds Mon voisin je m'en occupe qui est destiné aux personnes en difficulté. Nous travaillons en collaboration avec tous ces organismes pour nous occuper des besoins des prestataires. Ce n'est pas notre mandat de faire du dépannage, mais nous ne pouvons pas laisser les gens dans ces difficultés. Nous avons développé de belles relations avec tous ces groupes.

FO : Quelles actions organisez-vous et quelles sont vos demandes dans ce contexte pour faire avancer les choses ?

FS : Nous avons tenu une manifestation avant les Fêtes devant les bureaux de Services Canada, en coopération avec L.A.S.T.U.S.E. (Lieu d'Actions et de Services Travaillant dans l'Unité avec les Sans emplois) et la CSN à Chicoutimi, où nous avons placardé un sapin de Noël avec nos revendications et exigé la réforme de l'Assurance-Emploi au plus vite sur la base de ces revendications . Nous avons fait des communiqués de presse, des entrevues, pour faire bouger les choses.

En attendant la réforme, nous demandons que les mesures de l'Assurance-Emploi qui étaient en vigueur pendant la pandémie, qui étaient beaucoup plus souples et plus inclusives, et qui ont été retirées en septembre 2022, avec la promesse d'une réforme, soient réinstaurées.

Ces mesures comprenaient un seuil universel de 420 heures de travail requises pour être admissible. Elles comprenaient un taux de prestation minimum de 400 $ par semaine, et un minimum de 26 semaines de prestations. Service Canada considérait uniquement le dernier relevé d'emploi pour déterminer l'accessibilité et les montants des prestations, ce qui accélérait le traitement des demandes. Aussi, les sommes versées à la cessation d'emploi, comme les indemnités de départ et le paiement des vacances, n'étaient pas déduites des prestations.

Nous sommes revenus aux anciennes mesures, qui obligent notamment les travailleurs à travailler entre 420 et 700 heures pour être admissibles, pour une durée de prestations qui peut être aussi basse que 14 semaines selon le cas, ce qui cause une situation désastreuse parmi les travailleurs saisonniers. Aussi, les agents doivent maintenant examiner tous les relevés d'emplois, ce qui retarde le traitement de la demande, dans les cas par exemple où une des périodes de travail comprend un départ volontaire, ce qui peut-même mener à une exclusion du prestataire.

Dans l'immédiat, nous revendiquons le retour aux mesures de la période de la pandémie et nous mettons de l'avant nos revendications, les revendications du MASSE (Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi) pour un régime de l'assurance-emploi accessible, juste, universel et non-discriminatoire.

Ce qui est certain c'est qu'on ne lâchera pas. On va continuer à mettre le maximum de pression sur le gouvernement pour obtenir une réforme sur la base de ces revendications.


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Numéro 4 - 17 février 2023

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