Forum ouvrier

Numéro 87 - 24 septembre 2021

Le gouvernement du Québec sur le point de démanteler
le régime de santé et sécurité au travail

Les travailleurs et leurs syndicats réclament le retrait du projet de loi 59 antiouvrier et antisocial

Entrevue - Julie Hébert, Coordonnatrice de la santé, la sécurité et l'environnement du Syndicat des Métallos

En Ontario: Abrogez la Loi 124! Augmentez le financement dans la santé!
•  La décision d'arbitrage dans les négociations avec les infirmières aggravera la crise du recrutement et de la rétention


Le gouvernement du Québec sur le point de démanteler
le régime de santé et sécurité au travail

Les travailleurs et leurs syndicats réclament le retrait du projet de loi 59 antiouvrier et antisocial


Manifestation contre le projet de loi 59 devant l'Assemblée nationale à Québec le 26 août 2021

En dépit de la ferme opposition des travailleurs, de leurs syndicats et des organisations de défense des travailleurs accidentés, le gouvernement du Québec se prépare à adopter le projet de loi 59, Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail, la commission de l'Assemblée nationale du Québec chargée d'étudier la loi article par article ayant terminé son travail. Le projet de loi considère ouvertement la santé et la sécurité des travailleurs comme un coût qui doit être réduit pour ceux qui achètent la capacité de travailler des travailleurs, notamment par une attaque en règle contre la réparation des lésions professionnelles et l'indemnisation des travailleurs accidentés. Il exclut aussi la voix des travailleurs dans la prise de décisions en matière de prévention aux endroits de travail.

Par une hypocrisie scandaleuse, le ministre du Travail Jean Boulet a déclaré en commission que l'octroi de tout pouvoir décisionnel aux employeurs vise à renforcer l'imputabilité des employeurs puisque c'est eux qui, ultimement, sont responsables d'assurer les programmes de prévention nécessaires aux endroits de travail ! En attaquant la réparation et l'indemnisation des travailleurs accidentés, le projet de loi déclare à toutes fins pratiques que les travailleurs sont des choses jetables pour les intérêts privés étroits qui contrôlent l'économie. Les travailleurs de la construction ont fait remarquer que les attaques à la prévention interviennent au moment même où une pénurie de main-d'oeuvre est invoquée pour ouvrir massivement les chantiers à une main-d'oeuvre qui, de plus en plus, ne reçoit pas la formation nécessaire pour garantir sa sécurité. Les travailleurs qui quittent le secteur à cause des mauvaises conditions de travail, notamment en ce qui a trait à la sécurité, peuvent aisément être remplacés par des travailleurs moins bien formés, créant un cycle qui ne finit jamais. Ce traitement des travailleurs comme des objets jetables accroît les dangers pour tous les travailleurs.

Le 21 septembre dernier, par un vote unanime à la réunion de son bureau de direction, la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ) a pris la décision de demander le retrait du projet de loi 59. La FTQ est la plus grande centrale syndicale au Québec et elle regroupe la majorité des travailleurs industriels du Québec tout en étant largement représentée dans le secteur public également. Sur son bureau siègent des représentants d'un grand nombre de syndicats affiliés, dont le Syndicat des Métallos, la FTQ-Construction, Unifor, les Teamsters, les Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce, le Syndicat canadien de la fonction publique, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, l'Alliance de la fonction publique du Canada, l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale et plusieurs autres. La Centrale des syndicats démocratiques (CSD) demande elle aussi le rejet du projet de loi 59. La Confédération des syndicats nationaux (CSN) et la Centrale des syndicats du Québec dénoncent le projet de loi 59 comme étant inacceptable.

Les travailleurs discutent des actions à mener pour que le projet de loi 59 ne passe pas.

(Photos: SCFP, UTTAM)

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Entrevue

Forum ouvrier : Quels sont les principaux changements que le projet de loi 59 apporte au régime de prévention dans la santé et la sécurité au travail ?

Julie Hébert : En ce moment, nous avons un régime qui comprend quatre mécanismes de prévention. Dans la loi originale de 1979, il était prévu que chaque endroit de travail ait un comité de santé-sécurité, un ou des représentants à la prévention, un programme de prévention et un programme de santé. Au fil des années, pour différentes raisons, ces mécanismes n'ont été appliqués qu'à 12 % des milieux de travail. Le monde du travail a été séparé en six catégories de milieux de travail différents. C'est seulement dans deux catégories, qu'on appelle les secteurs un et deux, que l'ensemble de ces mécanismes de prévention a été appliqué[1]. Ce que les Métallos et l'ensemble du mouvement syndical demandaient, c'est d'étendre ces mécanismes de prévention à l'ensemble des milieux de travail pour faire de la prévention partout également. Le temps nous avait démontré que ces mécanismes fonctionnaient bien dans les milieux où ils étaient mis en application, certainement dans les milieux représentés par le Syndicat des Métallos.

Mais ce n'est pas ça qui a été fait avec le projet de loi 59.

Le projet de loi a éliminé le programme de santé de l'établissement. C'était un programme dans lequel il y avait intervention de la Santé publique et d'un médecin responsable des soins de santé dans l'établissement. Cela n'existe plus.

Le deuxième point est le programme de prévention qui était soumis à l'approbation du comité de santé-sécurité et lui aussi était élaboré avec la Santé publique et le médecin responsable. Ce programme relève maintenant uniquement de l'employeur. Il n'y a plus d'approbation paritaire par le comité de santé-sécurité du travail.

Troisième point, les comités de santé-sécurité perdent des moyens d'action parce qu'ils sont dilués avec la possibilité pour l'employeur de faire un seul comité de santé-sécurité pour plusieurs établissements. Le projet de loi n'est pas clair à ce sujet parce qu'on utilise le critère de la nature des activités de l'employeur. Par exemple, une compagnie minière qui posséderait des installations différentes pour faire de l'affinage, du raffinage, du coulage et autres activités pourrait dire que la nature de toutes ces activités est la même et donc avoir un seul comité de santé-sécurité pour plusieurs établissements. Parce que le critère dans le projet de loi n'est pas clair.

La dernière chose qui est probablement la plus grave, c'est qu'on retire des moyens d'action à ce qu'on appelle les représentants en prévention. Dans la loi originale c'étaient les représentants en prévention qui étaient responsables du contact avec les travailleurs. Dans la loi, dans les groupes un et deux, ce sont les représentants à la prévention qui sont responsables de ce qu'on appelle le travail de plancher, être en contact avec les travailleurs, les représenter, les aider dans l'exercice de leurs droits. C'est un travail extrêmement important qui se fait à tous les jours au Québec, bien sûr dans ce 12 % des endroits de travail dans lequel ce mécanisme du représentant à la prévention s'applique. Mis à part la question du multi-établissements, le projet de loi retire tous les minimums qui étaient prévus que ce soit en ce qui concerne la fréquence des rencontres du comité de santé-sécurité ou le nombre minimal d'heures de libération des représentants à la prévention. En ce moment il y a des minimums, ou un barème, pour tant de travailleurs, tant d'heures de libération, un minimum de un, deux ou trois représentants à la prévention selon le nombre de travailleurs, etc. Cela n'existe plus. Cela sera laissé dans les mains d'une entente entre les parties. Les syndicats vont devoir s'entendre avec les employeurs pour négocier du temps de libération pour leurs représentants en prévention. On va se retrouver à devoir négocier la prévention dans les milieux de travail.

Il aurait fallu prendre ce qui est applicable dans le 12 % des milieux de travail et l'appliquer à tous les travailleurs. Au contraire, tout cela a été dilué, surtout en enlevant les minimums. Cela sera laissé à la négociation entre les parties. S'il n'y a pas d'entente, il y aura un recours juridique afin que la CNESST tranche la question. Si on pense aux mines qui étaient des vrais tue-monde dans les années 1950-1960, il va falloir maintenant que les syndicats du secteur minier aillent en cour ou devant le Tribunal administratif du travail pour faire valoir leur point de vue sur pourquoi ils ont besoin de tant de représentants à la prévention et de tant d'heures de libération. Cela judiciarise le processus. Cela deviendra probablement un autre enjeu qu'on va devoir négocier à la table de négociation comme on négocie les augmentations de salaire ou les conditions de travail.

Autre chose, il y a présentement un registre des contaminants qui est soumis au comité paritaire de santé et sécurité. C'est dorénavant l'employeur qui aura le seul contrôle là-dessus. Le registre ne sera plus soumis au comité de santé et sécurité. Les travailleurs ne sauront plus à quoi ils sont exposés dans leur propre milieu de travail. Je suis avocate de formation et quand je fais des dossiers de maladie professionnelle avec des syndicats, le représentant en prévention est en mesure de me fournir tous les procès-verbaux du comité de santé-sécurité et me dire que depuis x temps tel contaminant est utilisé dans notre usine, on est exposé, c'est dangereux, on a fait des démarches avec l'employeur. Tout cela est de la preuve qu'on va perdre maintenant pour faire reconnaître des maladies reliées au travail.

En parlant tantôt des programmes de santé et de prévention, j'ai mentionné qu'il y a un médecin responsable des services de santé à l'endroit de travail. Présentement, ce médecin est nommé par le comité de santé et sécurité. Maintenant il va être nommé par l'employeur.

FO : Veux-tu ajouter quelque chose en conclusion ?

JH : L'aspect le plus déplorable du projet de loi 59, c'est la perte de contact avec les travailleurs sur le plancher. Personne ne connaît mieux la situation que les représentants en prévention, personne ne connaît mieux les usines. Ils sont là jour après jour et sont les mieux placés pour aider les travailleurs. Aussi, le paritarisme de la loi de 1979 est éliminé. On donne plein pouvoir aux employeurs, et nous dénonçons cela avec fermeté.

Note

1. Les groupes prioritaires un et deux dans la loi où s'appliquent les quatre mécanismes de prévention sont :

GROUPE PRIORITAIRE I

1. Bâtiment et travaux publics ;
2. Industrie chimique ;
3. Forêt et scieries ;
4. Mines, carrières et puits de pétrole ;
5. Fabrication de produits en métal.

GROUPE PRIORITAIRE II

6. Industrie du bois (sans scierie) ;
7. Industrie du caoutchouc et des produits en matière plastique ;
8. Fabrication d'équipement de transport ;
9. Première transformation des métaux ;
10. Fabrication des produits minéraux non métalliques.

Bien que le secteur de la construction fasse partie de ces groupes, les dispositions de la loi sur les mécanismes de prévention n'ont jamais été promulguées pour la construction.

(Photos: UTTAM)

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En Ontario: Abrogez la Loi 124! Augmentez le financement dans la santé!

La décision d'arbitrage dans les négociations
avec les infirmières aggravera la crise
du recrutement et de la rétention

Les infirmières de l'Ontario luttent pour l'abrogation de la Loi 124, la loi anti-travailleurs du gouvernement Ford qui plafonne les augmentations de rémunération à 1 % par an sur trois ans pour la plupart des travailleurs du secteur public.

Le 20 septembre, les infirmières et infirmiers ont reçu la décision d'un conseil d'arbitrage sur les termes de la convention collective entre leur syndicat, l'Association des infirmières et infirmiers de l'Ontario (ONA), et l'Association des hôpitaux de l'Ontario. La loi en vigueur interdit aux travailleurs de la santé de faire la grève et, en cas d'échec des négociations, les différends sont portés devant un conseil d'arbitrage composé de trois personnes : un membre choisi par le syndicat, un membre choisi par les employeurs et un président choisi d'un commun accord.

Dans la décision qu'il a rendue, le conseil d'arbitrage rejette toutes les propositions du syndicat concernant les augmentations de salaires et de conditions de travail nécessaires pour résoudre le problème de rétention et de recrutement, un problème devenu plus grave que jamais. Le président du conseil cite la nouvelle loi anti-travailleurs du gouvernement Ford comme raison de rejeter les propositions de l'ONA en matière de rémunération. Le membre syndical du panel était dissident de la décision du président et le représentant patronal était en partie dissident.

Les propositions de l'ONA portaient principalement sur l'amélioration des dispositions en matière de santé et sécurité, y compris la fourniture adéquate et en temps opportun d'équipements de protection individuelle selon le principe de précaution, et sur l'augmentation de la rémunération qui est essentielle à la fois pour le bien-être des infirmières actuelles et pour résoudre la crise du recrutement de nouvelles infirmières.

Les infirmières et tous les travailleurs de la santé de l'Ontario mènent une lutte déterminée pour l'abrogation de la Loi 124 qui est utilisée par les employeurs et le gouvernement pour en fait réduire les salaires si l'on tient compte de l'inflation. Dans sa présentation au conseil d'arbitrage, l'ONA a fait valoir que la crise du personnel, qui existait avant la pandémie et qui est devenue insupportable aujourd'hui, exige un investissement immédiat et important du gouvernement dans le recrutement et les améliorations nécessaires pour retenir les travailleurs. Elle a également rappelé que la loi exempte certaines professions à prédominance masculine, comme les pompiers et la police, ce qui accroît la discrimination déjà existante à l'égard des femmes et constitue une violation possible du Code des droits de la personne de l'Ontario.

Dans son communiqué du 20 septembre, l'ONA cite sa présidente Vicki McKenna sur la situation des 60 000 infirmières touchées par la décision : « Nos membres ont continué de se présenter au travail et d'assumer les lignes de front tout au long de la pire crise sanitaire depuis plus d'un siècle. Dans de nombreux cas, elles n'ont pas reçu d'équipement de protection individuelle suffisant, ont craint pour leur vie et celle de leur famille, et beaucoup ont dû payer des frais de subsistance supplémentaires pour s'éloigner de leur famille afin de la protéger. Ce gouvernement leur a retiré leurs droits et a permis à leurs employeurs de les envoyer dans d'autres établissements sans leur accord. Elles se sont vu refuser des congés et ont été témoins d'horreurs que le public ne saurait imaginer alors que la pandémie déferlait sur la province. Nous n'avons même pas pu négocier l'amélioration des prestations de santé mentale parce que les coûts sont plus élevés que ce qui est autorisé par la loi. »

Le président du conseil d'arbitrage a déclaré dans sa décision que « la Loi 124 [...] limite dans une très large mesure ce que le conseil peut même considérer dans cette ronde », ce qui veut dire que le conseil a les mains liées et n'est même pas autorisé à enquêter pour déterminer s'il y a violation du Code des droits de la personne. De plus, il note que « la Loi 124 fournit au gouvernement un certain nombre de mécanismes de surveillance et d'application, y compris la capacité d'invalider une décision d'arbitrage de différends », ce qui fait qu'une décision du conseil passant outre aux limitations imposées par la Loi 124 serait annulée.

Plus de 40 syndicats ont lancé une contestation de la Loi 124 en vertu de la Charte par laquelle la loi pourrait bien être déclarée inconstitutionnelle. Entre-temps, pendant que la contestation suit son cours devant les tribunaux et que la crise de manque de personnel s'aggrave, les employeurs se plaignent du sous-financement, mais se contentent de faire porter le fardeau de la situation à leurs employés, avec la Loi 124 comme bouclier.

Le gouvernement de l'Ontario a abandonné sa responsabilité de veiller à ce que les besoins en soins de santé de la population soient satisfaits. Des décennies de coupures néolibérales antisociales, de privatisation et de restructuration ont laissé le système de santé insuffisamment financé dans le meilleur des cas, et complètement dépassé par le fardeau supplémentaire de la COVID-19. Ce fardeau est retombé sur les épaules des travailleurs qui ont atteint leur limite et ont besoin d'aide et de soutien pour faire leur travail. Tout le monde peut voir que ce qui est nécessaire, c'est une augmentation immédiate du financement pour améliorer les conditions de celles et ceux qui travaillent déjà dans le réseau et pour former et embaucher les milliers de nouveaux travailleurs nécessaires, en garantissant à la main-d'oeuvre actuelle et aux nouveaux employés des conditions de travail humaines, sécuritaires et de dignité.

(Photos: ONA)

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