Entrevue

Forum ouvrier : Quels sont les principaux changements que le projet de loi 59 apporte au régime de prévention dans la santé et la sécurité au travail ?

Julie Hébert : En ce moment, nous avons un régime qui comprend quatre mécanismes de prévention. Dans la loi originale de 1979, il était prévu que chaque endroit de travail ait un comité de santé-sécurité, un ou des représentants à la prévention, un programme de prévention et un programme de santé. Au fil des années, pour différentes raisons, ces mécanismes n'ont été appliqués qu'à 12 % des milieux de travail. Le monde du travail a été séparé en six catégories de milieux de travail différents. C'est seulement dans deux catégories, qu'on appelle les secteurs un et deux, que l'ensemble de ces mécanismes de prévention a été appliqué[1]. Ce que les Métallos et l'ensemble du mouvement syndical demandaient, c'est d'étendre ces mécanismes de prévention à l'ensemble des milieux de travail pour faire de la prévention partout également. Le temps nous avait démontré que ces mécanismes fonctionnaient bien dans les milieux où ils étaient mis en application, certainement dans les milieux représentés par le Syndicat des Métallos.

Mais ce n'est pas ça qui a été fait avec le projet de loi 59.

Le projet de loi a éliminé le programme de santé de l'établissement. C'était un programme dans lequel il y avait intervention de la Santé publique et d'un médecin responsable des soins de santé dans l'établissement. Cela n'existe plus.

Le deuxième point est le programme de prévention qui était soumis à l'approbation du comité de santé-sécurité et lui aussi était élaboré avec la Santé publique et le médecin responsable. Ce programme relève maintenant uniquement de l'employeur. Il n'y a plus d'approbation paritaire par le comité de santé-sécurité du travail.

Troisième point, les comités de santé-sécurité perdent des moyens d'action parce qu'ils sont dilués avec la possibilité pour l'employeur de faire un seul comité de santé-sécurité pour plusieurs établissements. Le projet de loi n'est pas clair à ce sujet parce qu'on utilise le critère de la nature des activités de l'employeur. Par exemple, une compagnie minière qui posséderait des installations différentes pour faire de l'affinage, du raffinage, du coulage et autres activités pourrait dire que la nature de toutes ces activités est la même et donc avoir un seul comité de santé-sécurité pour plusieurs établissements. Parce que le critère dans le projet de loi n'est pas clair.

La dernière chose qui est probablement la plus grave, c'est qu'on retire des moyens d'action à ce qu'on appelle les représentants en prévention. Dans la loi originale c'étaient les représentants en prévention qui étaient responsables du contact avec les travailleurs. Dans la loi, dans les groupes un et deux, ce sont les représentants à la prévention qui sont responsables de ce qu'on appelle le travail de plancher, être en contact avec les travailleurs, les représenter, les aider dans l'exercice de leurs droits. C'est un travail extrêmement important qui se fait à tous les jours au Québec, bien sûr dans ce 12 % des endroits de travail dans lequel ce mécanisme du représentant à la prévention s'applique. Mis à part la question du multi-établissements, le projet de loi retire tous les minimums qui étaient prévus que ce soit en ce qui concerne la fréquence des rencontres du comité de santé-sécurité ou le nombre minimal d'heures de libération des représentants à la prévention. En ce moment il y a des minimums, ou un barème, pour tant de travailleurs, tant d'heures de libération, un minimum de un, deux ou trois représentants à la prévention selon le nombre de travailleurs, etc. Cela n'existe plus. Cela sera laissé dans les mains d'une entente entre les parties. Les syndicats vont devoir s'entendre avec les employeurs pour négocier du temps de libération pour leurs représentants en prévention. On va se retrouver à devoir négocier la prévention dans les milieux de travail.

Il aurait fallu prendre ce qui est applicable dans le 12 % des milieux de travail et l'appliquer à tous les travailleurs. Au contraire, tout cela a été dilué, surtout en enlevant les minimums. Cela sera laissé à la négociation entre les parties. S'il n'y a pas d'entente, il y aura un recours juridique afin que la CNESST tranche la question. Si on pense aux mines qui étaient des vrais tue-monde dans les années 1950-1960, il va falloir maintenant que les syndicats du secteur minier aillent en cour ou devant le Tribunal administratif du travail pour faire valoir leur point de vue sur pourquoi ils ont besoin de tant de représentants à la prévention et de tant d'heures de libération. Cela judiciarise le processus. Cela deviendra probablement un autre enjeu qu'on va devoir négocier à la table de négociation comme on négocie les augmentations de salaire ou les conditions de travail.

Autre chose, il y a présentement un registre des contaminants qui est soumis au comité paritaire de santé et sécurité. C'est dorénavant l'employeur qui aura le seul contrôle là-dessus. Le registre ne sera plus soumis au comité de santé et sécurité. Les travailleurs ne sauront plus à quoi ils sont exposés dans leur propre milieu de travail. Je suis avocate de formation et quand je fais des dossiers de maladie professionnelle avec des syndicats, le représentant en prévention est en mesure de me fournir tous les procès-verbaux du comité de santé-sécurité et me dire que depuis x temps tel contaminant est utilisé dans notre usine, on est exposé, c'est dangereux, on a fait des démarches avec l'employeur. Tout cela est de la preuve qu'on va perdre maintenant pour faire reconnaître des maladies reliées au travail.

En parlant tantôt des programmes de santé et de prévention, j'ai mentionné qu'il y a un médecin responsable des services de santé à l'endroit de travail. Présentement, ce médecin est nommé par le comité de santé et sécurité. Maintenant il va être nommé par l'employeur.

FO : Veux-tu ajouter quelque chose en conclusion ?

JH : L'aspect le plus déplorable du projet de loi 59, c'est la perte de contact avec les travailleurs sur le plancher. Personne ne connaît mieux la situation que les représentants en prévention, personne ne connaît mieux les usines. Ils sont là jour après jour et sont les mieux placés pour aider les travailleurs. Aussi, le paritarisme de la loi de 1979 est éliminé. On donne plein pouvoir aux employeurs, et nous dénonçons cela avec fermeté.

Note

1. Les groupes prioritaires un et deux dans la loi où s'appliquent les quatre mécanismes de prévention sont :

GROUPE PRIORITAIRE I

1. Bâtiment et travaux publics ;
2. Industrie chimique ;
3. Forêt et scieries ;
4. Mines, carrières et puits de pétrole ;
5. Fabrication de produits en métal.

GROUPE PRIORITAIRE II

6. Industrie du bois (sans scierie) ;
7. Industrie du caoutchouc et des produits en matière plastique ;
8. Fabrication d'équipement de transport ;
9. Première transformation des métaux ;
10. Fabrication des produits minéraux non métalliques.

Bien que le secteur de la construction fasse partie de ces groupes, les dispositions de la loi sur les mécanismes de prévention n'ont jamais été promulguées pour la construction.

(Photos: UTTAM)


Cet article est paru dans

Numéro 87 - 24 septembre 2021

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