Numéro 81 - 10 septembre 2021
Le gouvernement du Québec
s'apprête à démanteler
le régime de santé et sécurité au travail
Le projet de loi 59 doit être
retiré! Défendons le droit des travailleurs à
des conditions de travail salubres et
sécuritaires!
- Pierre Chénier -
Entrevues
• Félix Lapan, Union des
travailleuses et travailleurs accidentés ou
malades
• Cédric Joly,
représentant en prévention, Syndicat des
Métallos, section locale 7493, Rio Tinto
Fer et Titane, Poudres Métalliques à Sorel-Tracy
Le gouvernement du Québec
s'apprête à démanteler le régime de santé
et sécurité au travail
- Pierre Chénier -
En dépit de l'opposition unanime des
travailleurs, de leurs syndicats et des
organisations de défense des travailleurs
accidentés, le gouvernement du Québec va de
l'avant et accélère ses préparatifs pour adopter
le projet de loi 59, Loi modernisant le
régime de santé et de sécurité du travail, à
la session d'automne de l'Assemblée nationale.
La Commission
de l'Assemblée nationale qui étudie le projet de
loi 59 article par article a examiné toutes
les modifications que le projet de loi fait à la Loi
sur les accidents du travail et les maladies
professionnelles. Cette loi traite de la
réparation et de l'indemnisation pour les
travailleurs qui se blessent ou deviennent malades
au travail. La Commission est en train d'examiner
les changements que le projet de loi apporte à la
Loi sur la santé et la sécurité du travail
qui est chargée de la prévention.
Les organisations de défense des travailleurs
accidentés disent que les changements que la
Commission a elle-même apportés au projet de
loi 59 ne changent rien au fait qu'il est une
attaque majeure contre les droits des travailleurs
et que son objectif déclaré demeure de faire «
épargner » 4 milliards de dollars aux
employeurs d'ici 10 ans au détriment des
travailleurs accidentés et malades.
La déclaration du ministre du Travail Jean Boulet
à la Commission que ses travaux se déroulent dans
la « convivialité » illustre à quel point le
processus politique actuel est déconnecté de la
lutte des travailleurs pour affirmer leurs droits
et les droits de tous et toutes et de leurs
conditions de vie et de travail réelles. Le projet
de loi 59 pousse encore plus loin la vision
du gouvernement et des riches selon laquelle les
travailleurs sont jetables, en forçant les
travailleurs accidentés et malades à se
débrouiller seuls et en éliminant la voix des
travailleurs et le rôle de leurs organisations
dans la détermination de ce qui est salubre et
sécuritaire dans les endroits de travail.
Forum ouvrier appuie entièrement la
demande des travailleurs que le projet de
loi 59 doit être retiré et que les
travailleurs doivent avoir un mot décisif à dire
dans l'obtention de conditions de travail salubres
et sécuritaires.
Entrevues
Au
niveau de l'étude du projet de loi, toute la
section sur la Loi sur les accidents du
travail et les maladies professionnelles est
essentiellement terminée, sauf pour de petites
dispositions qui ont été mises en dépôt.
On a maintenant le portrait global de tous les
reculs dans le droit des travailleurs aux
traitements et à la réadaptation. Pour nous, cela
confirme que le projet de loi 59 est un
immense recul en ce qui concerne les droits des
travailleuses et des travailleurs. Le gouvernement
a retiré certaines dispositions, mais en ce qui
concerne la réparation des lésions
professionnelles cela demeure une catastrophe. Ce
sera moins possible que jamais d'accéder à une
réparation payée des lésions professionnelles.
Par exemple, il y a d'immenses reculs au niveau
du droit à l'assistance médicale pour les
travailleurs accidentés, qui est fondamentale.
C'est le droit aux traitements, aux médicaments,
aux prothèses-orthèses qui leur est nié. C'est
quelque chose de fondamental pour une loi dont le
premier objectif est censé être la réparation des
lésions.
Dans le régime actuel les gens ont droit à la
pleine assistance médicale que requiert leur état.
Il n'y a pas de limite fixée de ce qui est
prescrit par le médecin traitant. Il existe un
système de contestation médicale lorsque les
patrons ou la CNESST trouvent que le dossier coûte
trop cher. Ils peuvent contester mais en l'absence
de contestation médicale, les gens ont le droit à
tout ce qui est prescrit par leur médecin, sans
frais pour eux. C'est un principe qu'on a gagné
en 1985, la prépondérance de l'avis du
médecin traitant. Tant qu'il n'y a pas eu une
contestation médicale jusqu'au bout, ils sont
obligés de payer ce que le médecin prescrit en
fait d'assistance médicale.
Le projet de loi 59 accorde des pouvoirs
réglementaires renversants à la CNESST. On lui
accorde le pouvoir de fixer ce qui sera payable ou
non payable à la victime d'une lésion. On lui
accorde le pouvoir de fixer des limites en ce qui
concerne le nombre de traitements, le montant
payable pour une lésion, etc. Il y a des centaines
de millions de dollars d'économies pour les
employeurs qui sont prévus par ce changement à lui
seul.
Autre exemple, le droit aux indemnités de
remplacement de revenu n'est plus rétroactif dans
le projet de loi. Si un travailleur se blesse,
disons le 1er janvier, il remplit sa
réclamation le 1er février. Même s'il était en
arrêt de travail pendant le mois, il pourrait
avoir été dans le coma pendant le mois, il perd
son indemnité pour toute la période entre le
diagnostic de la blessure et le moment où il
produit sa déclaration. Aussi, quelqu'un qui
commence à avoir des difficultés, par exemple, il
a des doigts engourdis, il est mis en arrêt de
travail et en investigation et 4 mois plus
tard on diagnostique un syndrome de tunnel
carpien. Il fait sa réclamation à ce moment-là.
Tous les 4 mois pendant lesquels la personne
ne pouvait plus travailler mais était en
investigation et ne pouvait pas réclamer, cette
période est perdue. On élimine toute rétroactivité
de l'indemnité du remplacement du revenu.
Ce sont juste deux exemples. Il y en a plein
d'autres
Il ne faut pas que ce projet de loi passe. S'il
passe, cela va être une grande perte de droits
pour les travailleuses et les travailleurs
accidentés. Il y 100 000 lésions
professionnelles et plus par année au Québec. Ces
changements signifieraient une immense perte pour
les travailleurs et c'est un cadeau au patronat
parce que le régime est financé à 100 % par
le patronat. Ce qui est normal parce que les
travailleurs n'ont pas le droit de poursuivre les
employeurs au civil en échange d'avoir un système
financé à 100 % par les employeurs.
On va se battre jusqu'au bout contre cet immense
recul.
Le
projet de loi 59 vend la santé et la sécurité
des travailleurs du Québec à faible coût aux
employeurs. Par exemple, si je prends mon cas, à
mon usine, je suis libéré à temps plein. Je fais
de la santé-sécurité à temps plein. Je siège au
comité conjoint de santé et sécurité de l'usine,
sur lequel nous avons trois membres syndicaux
versus trois représentants de l'employeur. Il faut
déjà travailler d'arrache-pied pour faire des
gains dans la santé et la sécurité à l'usine.
Maintenant, avec le projet de loi 59, le
temps de libération du représentant va diminuer
drastiquement, à moins qu'il soit inscrit dans la
convention collective. Avec le projet de loi,
c'est l'employeur qui a carte blanche pour prendre
la décision qu'il veut sans qu'on ait un recours
contre ça. Il n'y a plus de décision paritaire sur
aucun aspect, sur le programme de prévention de
l'usine, sur le choix du médecin responsable, sur
le programme de santé. On peut dire ce qu'on veut
mais c'est l'employeur qui a le pouvoir
décisionnel dans presque tous les dossiers. On ne
voit plus où est l'équilibre ou la négociation
là-dedans.
En plus, si la disposition de
multi-établissements est adoptée, il serait
possible que Rio Tinto Fer et Titane, qui a trois
établissements, dont un à Havre Saint-Pierre qui
est très loin de chez nous, pourrait avoir un seul
représentant en prévention pour les trois
établissements. Comment pourrait-il servir ses
membres de manière efficace, comment pourrait-il
répondre adéquatement à leurs besoins, comprendre
leur réalité dans leur usine ? Il faut que le
représentant soit proche de ses membres.
Encore une fois il y une question de coût pour
les employeurs parce que selon eux la santé et la
sécurité des travailleurs ça coûte trop cher. Ça
va être moins coûteux pour les employeurs, mais la
vie des travailleurs ça n'a pas de prix. Ils
demandent aux travailleurs de faire des
concessions parce que le projet de loi, ce sont
des concessions. Ils le font même si les fonds de
la CNESST n'ont jamais été aussi élevés. Alors
s'ils demandent des concessions dans ces
conditions-là, imaginons ce que ça va être plus
tard lorsque les coffres de la CNESST ne sont pas
aussi remplis.
Dans une usine comme la nôtre, où nous sommes
environ seulement 200 travailleurs, j'ai
présentement un classeur plein de dossiers de
travailleurs qui sont en accident de travail, soit
en assignation temporaire ou en arrêt de travail.
Il y a constamment des accidents de travail qui se
produisent. Parfois cela dure trois ans, parfois
trois semaines, il n'y a pas une semaine où je ne
remplis pas des papiers pour la CNESST, soit pour
un suivi, soit pour une nouvelle réclamation.
Comme accidents, il y a beaucoup de douleurs au
dos, des blessures aux mains, les épaules, les
entorses, ce sont des troubles qui reviennent
fréquemment. Côté maladies professionnelles, chez
nous, il a le problème de la surdité
professionnelle, parce que c'est un côté qu'ils
attaquent beaucoup dans le projet de loi. À
l'usine, on a des intensités de bruit très
élevées. La loi actuelle c'est un minimum et on
essaie toujours de faire des gains par les
représentations qu'on fait. Et maintenant le
projet de loi augmente les seuils pour la
reconnaissance de la surdité professionnelle, pour
priver les travailleurs d'indemnisation.
Il y a beaucoup d'autres exemples que je pourrais
donner.
C'est clair qu'on ne peut pas laisser passer ce
projet de loi. L'équilibre au travail, ça a
toujours sa place. Les employeurs sont de plus en
plus riches. Même quand on a une convention
collective, ils utilisent de plus en plus les
grands moyens pour contester tout ce qu'on fait,
pour être encore plus riches. Notre seul moyen,
c'est notre solidarité syndicale. On a réussi à
faire des mouvements pour aider nos grévistes, nos
lockoutés. C'est un peu la même chose avec le
projet de loi 59, il faut que toutes les
sections locales, toutes les usines au Québec,
même les travailleurs qui ne sont pas syndiqués,
qu'ensemble on se rallie et qu'on dise au
gouvernement que la santé et la sécurité des
travailleurs ça n'a pas de prix. Parce que ce sont
tous les travailleurs qui vont souffrir de cela.
Il faut qu'on se mobilise, qu'on se lève contre
cela. En santé et sécurité, je ne comprends pas
pourquoi il y aurait des reculs. On est censé
aller de l'avant. Personne ne doit laisser sa vie
au travail. Il y en a déjà assez qui l'ont
laissée. Il faut aller vers l'avant et s'assurer
que tout le monde revient du travail sain et sauf
et en santé.
(Pour voir les articles
individuellement, cliquer sur le titre de
l'article.)
PDF
NUMÉROS PRÉCÉDENTS
| ACCUEIL
Site web: www.pccml.ca
Email: forumouvrier@cpcml.ca
|