Numéro 109 - 19 novembre 2021
Le gouvernement du Québec intensifie son offensive antisociale
Un autre arrêté ministériel contre les travailleurs de la santé au Québec
SOS – Réseau en détresse. Le temps supplémentaire
obligatoire tue le réseau.
• Les syndicats déposent une plainte contre la gouvernance par arrêtés dans
le réseau de la santé et des services sociaux
• Le gouvernement renie ses engagements envers les professionnelles en soins
- Entrevue avec Nathalie Lévesque
Le gouvernement du Québec intensifie son offensive antisociale
Le
16 octobre, le ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec Christian Dubé a
signé un nouvel arrêté ministériel qui touche les travailleurs de la
santé, en l'occurrence les infirmières.
Le gouvernement affirme que son action permettra d'atténuer la crise du
personnel infirmier en ajoutant 3 000 infirmières à temps plein. Pour ce
faire, des primes seront offertes sur une période d'un an à toute
infirmière qui signera un contrat de travail à temps plein avant le 15
décembre. La prime de base est de 15 000 dollars et passe à 18 000
dollars dans les régions où les pénuries sont les plus graves. Elle est de 12
000 dollars pour les infirmières qui travaillent actuellement
pour des agences privées ou les infirmières retraitées qui viennent
travailler à temps plein dans le secteur public. Aucune explication
n'est donnée pour les montants inférieurs pour ces infirmières.
Bien que le gouvernement cherche à attirer les infirmières qui
travaillent pour des agences privées et celles qui sortent de leur
retraite pour revenir travailler à temps plein, la grande majorité des
nouvelles infirmières à temps plein qui sont ciblées sont celles qui
travaillent déjà à temps partiel et qui recevront la prime pour passer à
temps plein en autant qu'elles acceptent les conditions de travail
brutales sans se plaindre. De nombreuses infirmières à temps partiel
n'étaient pas intéressées par un passage à temps plein parce qu'avec les
heures supplémentaires obligatoires, une infirmière à temps plein
travaille beaucoup plus que des heures à temps plein. La prime est
destinée à inciter les infirmières à temps partiel à passer à temps
plein et toute autre infirmière qui peut être recrutée.
Ce plus récent décret ne résoudra pas la crise parce qu'il est
antisocial et antihumain. Pour obtenir la prime, les infirmières doivent
signer un contrat individuel qui supplante les contrats collectifs
négociés entre le syndicat et le gouvernement. Le contrat individuel
force les infirmières à accepter des conditions inacceptables qui sont
en violation de la convention collective, y compris des dispositions que
le gouvernement a récemment acceptées dans de nouvelles conventions
collectives dont l'encre n'est pas encore sèche. De plus, les primes
sont assorties d'un
si grand nombre d'exclusions, d'exceptions et de conditions que ce ne
sont pas toutes
les infirmières à temps plein qui y seront admissibles et que plusieurs
devront rembourser une partie de la prime
lorsqu'ils exerceront les droits que leur confère la convention
collective, notamment les congés personnels (voir l'entrevue dans ce
numéro pour des exemples). Attirer des travailleurs avec de l'argent
pour aggraver leurs conditions est inadmissible et ne fera qu'aggraver
la crise.
Voilà
ce que tous
les décrets gouvernementaux ont fait tout au long de la pandémie : ils
ont
permis aux employeurs de violer les conditions négociées sur les
horaires et les affectations de travail, et d'augmenter
l'utilisation du temps supplémentaire obligatoire. Des milliers
d'infirmières
ont quitté leur emploi en raison de ces conditions intenables.
La crise de pénurie de personnel doit être résolue d'une manière qui favorise la
population sur la base des solutions proposées par les travailleurs, qui
est avant tout de fournir des conditions de travail qui garantissent
que les infirmières sont en bonne santé et en sécurité afin qu'elles
puissent fournir les soins dont les patients ont besoin.
Forum ouvrier appuie fermement les infirmières qui
contestent cet arrêté ministériel et réclament que le gouvernement négocie au lieu de dicter.
Dans un communiqué de presse publié le 17 novembre, plusieurs
syndicats actifs dans le réseau de la santé et des services sociaux
annoncent qu'ils ont déposé une plainte d'entrave au travail syndical au
tribunal administratif du travail. Devant ce qu'ils appellent l'urgence
d'agir pour soulager la pression insoutenable qui repose sur les
épaules des professionnels en soins et dans le but d'offrir à la
population québécoise un accès à de meilleurs soins et services de
santé, ils demandent la fin du recours abusif et systématique du
gouvernement à l'état d'urgence et aux décrets des conditions de
travail. La plainte a été émise en vertu de l'article 12 du Code du travail.
Cet
article
stipule : « Aucun employeur, ni aucune personne agissant pour un
employeur ou une association d'employeurs, ne cherchera d'aucune manière
à dominer, entraver ou financer la formation ou les activités d'une
association de salariés, ni à y participer. » Les syndicats ayant
déposé la plainte sont la Fédération de la santé et des
services sociaux (FSSS-CSN), la Fédération de la santé du Québec
(FSQ-CSQ), la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ) et la
FIQ-secteur privé, le Syndicat québécois des employées et employés de
service (SQEES-FTQ) et le Syndicat canadien de la fonction publique
(SCFP).
Le communiqué indique : « La stratégie du ministre de la Santé
et des Services sociaux de se placer au-dessus des lois du travail et de
dicter unilatéralement les conditions de travail des professionnelles
en soins n'aura pas eu les effets attractifs ni rétentifs, soutiennent
les leaders des cinq organisations syndicales représentant le personnel
en soins infirmiers et cardiorespiratoires. »
Les dirigeants des cinq organisations disent reconnaître la volonté
du gouvernement d'investir un milliard de dollars pour renverser les
effets de la crise de la pénurie de personnel et de la crise des
conditions de travail, mais dénoncent son refus d'avoir des discussions
franches avec les syndicats pour trouver des solutions pour continuer à
offrir
les services essentiels à la population, ce qui les oblige à utiliser la
voie judiciaire.
« La plainte déposée par les organisations syndicales dénonce le
contournement du processus de négociation par le gouvernement, souligne
le communiqué. Les syndicats rappellent que l'enjeu de pénurie de
personnel dans le réseau de la santé et des services sociaux n'a rien à
voir avec l'urgence sanitaire, car la crise des conditions de travail et
la pénurie qui en découle existaient bien avant la pandémie. Le recours à
un arrêté ministériel dans ce contexte est injustifiable. »
« Faire fi des conventions collectives, du droit du travail et
s'entêter à décider unilatéralement sans l'écho du terrain : ça
suffit ! Pour nous, seule la concertation est un gage de succès,
n'en déplaise au ministre », concluent les leaders des cinq
organisations.
- Entrevue avec Nathalie Lévesque -
Nathalie Lévesque est la présidente par intérim de la Fédération interprofessionnelle de la santé
Forum ouvrier : Les organisations qui représentent
le personnel infirmier se montrent critiques envers l'arrêté
ministériel 2021-071 décrété par le ministre de la Santé et des
Services le 16 octobre sur les primes d'attraction et de rétention
aux infirmières à temps plein. Pouvez-vous nous en dire
plus ?
Nathalie Lévesque : Lors
de sa conférence de presse il y a environ deux mois, le ministre de la
Santé et des Services Sociaux a annoncé qu'il dégageait un budget pour
mettre en place des primes d'attraction de personnel dans le réseau qui
étaient aussi des primes de rétention pour le personnel déjà à l'oeuvre
dans le
réseau. Il a qualifié cela de passerelle en attente du
déploiement des conventions collectives signées avec les syndicats qui
représentent du personnel infirmier et cardiorespiratoire. Cette mesure est devenue un arrêté ministériel.
Ce que nous reprochons, entre autres choses, à la gestion du réseau
de la santé par arrêté ministériel, c'est une application unilatérale,
qui souvent ne tient pas compte des conditions de travail des membres
que nous représentons.
Avec cet arrêté ministériel, le gouvernement renie ses engagements envers les professionnelles en soins.
Par exemple, il y a plusieurs mesures dans cet arrêté qui
contreviennent à ce qui a été négocié de bonne foi avec le ministère,
par exemple dans notre nouvelle convention collective. C'est
inconcevable. Comment une mesure passerelle peut-elle être si
restreignante par rapport à des mesures qui ont été négociées de bonne foi.
Je vous donne un exemple. Nous avons dans la convention collective
des congés de suivi de grossesse. Pour avoir accès
au 15 000 $, donc sans être pénalisée, il ne faut pas
avoir d'absence. Donc si une jeune professionnelle en soins,
nouvellement enceinte, a besoin d'aller voir son médecin, elle va se
voir disqualifiée d'une
certaine partie de la prime au prorata du temps non travaillé. Ce sont
pourtant des congés prévus dans la convention collective qui a été
négociée avec le ministère.
Poursuivant
toujours avec l'exemple de la femme enceinte, disons qu'elle revient
d'un congé de maternité le 26 décembre. Elle revient prêter main-
forte au réseau, en pleine période des Fêtes. Parce que la date butoir
pour signer le contrat est le 15 décembre, elle ne pourra pas
signer le contrat. Même chose si elle revient d'une
invalidité après le 15 décembre. Nous disons qu'offrir une période
d'admissibilité pendant toute l'année susciterait l'intérêt de celles
qui reviennent de congés de différentes sortes.
Aussi, les parents monoparentaux font partie de la société et sont de
plus en plus nombreux. En cette période de recrudescence des rhumes,
puis de la gastro en janvier, il va y avoir des absences de parents de
façon ponctuelle. Il va y avoir des absences non autorisées parce que
la garderie appellera pour dire que ton enfant est malade, alors la
personne va perdre une partie de la prime au prorata parce qu'elle doit
aller chercher son enfant à la garderie et va revenir au travail le
lendemain.
De plus je sais qu'on favorise le temps plein. Mais on a besoin de
ressources supplémentaires. Pourquoi, par exemple, une personne qui
est à temps partiel et est prête à faire un quart ou deux quarts de
travail de plus n'est-elle pas considérée admissible à ces
mesures ?
C'est unilatéral comme mesures. Tu fais du temps plein ou tu n'as rien, tu t'absentes et tu perds une partie de la prime.
Nous avons demandé une tribune avec le ministère pour pouvoir lui
fournir des pistes à partir de ce que nos membres dans le réseau de la
santé nous disent, sur ce qu'ils et elles vivent au quotidien. On veut
travailler ensemble, on a des moyens à moyen terme et à long terme pour
faire du changement ensemble dans le réseau. Au lendemain
d'une rencontre avec le ministère, on nous a dit merci beaucoup, à la
prochaine. Ce fut un dialogue de sourds, unidirectionnel, pas du tout
une ouverture telle que promise qui aurait lieu à une table de
discussion. Ils ont simplement fermé la porte.
Maintenant, le ministre de la Santé dit que les syndicats sont un
frein à l'embauche de 3 000 infirmières à temps plein parce que nous
appelons nos membres à porter attention aux détails qui peuvent les
disqualifier.
Vous savez qu'il y a eu 155 arrêtés ministériels depuis le début
de la pandémie, dont 105 qui sont venus bafouer les conditions de
travail des professionnelles en soins et de l'ensemble des gens qui
oeuvrent dans le système de santé. Il est clair que jamais on ne
consentira à s'associer à un tel arrêté ministériel. Les mesures de
l'arrêté sont imposées unilatéralement et n'ont jamais été négociées.
FO : Dans
un de vos communiqués, la FIQ dit que l'arrêté ministériel ramène la
mobilité du personnel et incite à accepter des quarts de rotation, ce
qu'il faut enrayer pour stabiliser les équipes de travail. Pouvez-nous
donner un exemple ?
NL : Disons qu'une infirmière a un poste en
médecine dans lequel il lui manque trois quarts de travail pour qu'elle
devienne à temps plein et puisse signer le contrat en vertu du 071
qui la rend admissible aux primes. Pour faire ces trois quarts de travail, elle pourra être envoyée n'importe
où. On ne prend pas en compte ses qualifications, on peut
l'envoyer une journée en gériatrie, une journée à l'urgence s'il y a un
besoin et la dernière journée au CLSC. Ce n'est pas une qualité de
soins qui est optimale. Nous voulons garantir des soins de qualité à la
population mais ce n'est pas la façon de le faire.
FO : Dans ces conditions, quelles sont les priorités de la FIQ pour changer la situation dans le système de santé ?
NL : Nous devons pouvoir travailler
en cohésion avec le ministère, mettre fin à la gestion du système de
santé par arrêté ministériel et mettre en oeuvre nos conventions
collectives de façon pérenne. Pour nous, la priorité en ce moment est le
déploiement de ce que nous avons négocié dans notre convention
collective. Celle-ci
comprend des mesures financières, des primes incitatives, une prime-FIQ,
des heures-soin qui ont été négociées qui sont à la base des ratios
professionnelles en soins/patients qu'on veut instaurer. C'est ce qui va
éradiquer le temps supplémentaire obligatoire et fermer la porte aux
agences de placement du personnel infirmier.
Notre convention collective comprend aussi une forme d'autogestion
des horaires de travail par les unités de soin, qui comprend la prise en
compte des opinions et de ce que vivent au quotidien les
professionnelles en soins. Toutes ces mesures, une fois mises en oeuvre,
devraient aider nos membres à travailler dans un environnement
sécuritaire
et respectueux de nos conditions de travail.
Nous tenons à rappeler que nous ne sommes pas en mode confrontation
avec le gouvernement. Nous devons travailler ensemble pour optimiser le
système de santé et être capables de prodiguer des soins de qualité à la
population.
(Pour voir les articles individuellement, cliquer sur le titre de l'article.)
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