Le gouvernement renie ses engagements envers les professionnelles en soins

Nathalie Lévesque est la présidente par intérim de la Fédération interprofessionnelle de la santé

Forum ouvrier : Les organisations qui représentent le personnel infirmier se montrent critiques envers l'arrêté ministériel 2021-071 décrété par le ministre de la Santé et des Services le 16 octobre sur les primes d'attraction et de rétention aux infirmières à temps plein. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Nathalie Lévesque : Lors de sa conférence de presse il y a environ deux mois, le ministre de la Santé et des Services Sociaux a annoncé qu'il dégageait un budget pour mettre en place des primes d'attraction de personnel dans le réseau qui étaient aussi des primes de rétention pour le personnel déjà à l'oeuvre dans le réseau. Il a qualifié cela de passerelle en attente du déploiement des conventions collectives signées avec les syndicats qui représentent du personnel infirmier et cardiorespiratoire. Cette mesure est devenue un arrêté ministériel.

Ce que nous reprochons, entre autres choses, à la gestion du réseau de la santé par arrêté ministériel, c'est une application unilatérale, qui souvent ne tient pas compte des conditions de travail des membres que nous représentons.

Avec cet arrêté ministériel, le gouvernement renie ses engagements envers les professionnelles en soins.

Par exemple, il y a plusieurs mesures dans cet arrêté qui contreviennent à ce qui a été négocié de bonne foi avec le ministère, par exemple dans notre nouvelle convention collective. C'est inconcevable. Comment une mesure passerelle peut-elle être si restreignante par rapport à des mesures qui ont été négociées de bonne foi.

Je vous donne un exemple. Nous avons dans la convention collective des congés de suivi de grossesse. Pour avoir accès au 15 000 $, donc sans être pénalisée, il ne faut pas avoir d'absence. Donc si une jeune professionnelle en soins, nouvellement enceinte, a besoin d'aller voir son médecin, elle va se voir disqualifiée d'une certaine partie de la prime au prorata du temps non travaillé. Ce sont pourtant des congés prévus dans la convention collective qui a été négociée avec le ministère.

Poursuivant toujours avec l'exemple de la femme enceinte, disons qu'elle revient d'un congé de maternité le 26 décembre. Elle revient prêter main- forte au réseau, en pleine période des Fêtes. Parce que la date butoir pour signer le contrat est le 15 décembre, elle ne pourra pas signer le contrat. Même chose si elle revient d'une invalidité après le 15 décembre. Nous disons qu'offrir une période d'admissibilité pendant toute l'année susciterait l'intérêt de celles qui reviennent de congés de différentes sortes.

Aussi, les parents monoparentaux font partie de la société et sont de plus en plus nombreux. En cette période de recrudescence des rhumes, puis de la gastro en janvier, il va y avoir des absences de parents de façon ponctuelle. Il va y avoir des absences non autorisées parce que la garderie appellera pour dire que ton enfant est malade, alors la personne va perdre une partie de la prime au prorata parce qu'elle doit aller chercher son enfant à la garderie et va revenir au travail le lendemain.

De plus je sais qu'on favorise le temps plein. Mais on a besoin de ressources supplémentaires. Pourquoi, par exemple, une personne qui est à temps partiel et est prête à faire un quart ou deux quarts de travail de plus n'est-elle pas considérée admissible à ces mesures ?

C'est unilatéral comme mesures. Tu fais du temps plein ou tu n'as rien, tu t'absentes et tu perds une partie de la prime.

Nous avons demandé une tribune avec le ministère pour pouvoir lui fournir des pistes à partir de ce que nos membres dans le réseau de la santé nous disent, sur ce qu'ils et elles vivent au quotidien. On veut travailler ensemble, on a des moyens à moyen terme et à long terme pour faire du changement ensemble dans le réseau. Au lendemain d'une rencontre avec le ministère, on nous a dit merci beaucoup, à la prochaine. Ce fut un dialogue de sourds, unidirectionnel, pas du tout une ouverture telle que promise qui aurait lieu à une table de discussion. Ils ont simplement fermé la porte.

Maintenant, le ministre de la Santé dit que les syndicats sont un frein à l'embauche de 3 000 infirmières à temps plein parce que nous appelons nos membres à porter attention aux détails qui peuvent les disqualifier.

Vous savez qu'il y a eu 155 arrêtés ministériels depuis le début de la pandémie, dont 105 qui sont venus bafouer les conditions de travail des professionnelles en soins et de l'ensemble des gens qui oeuvrent dans le système de santé. Il est clair que jamais on ne consentira à s'associer à un tel arrêté ministériel. Les mesures de l'arrêté sont imposées unilatéralement et n'ont jamais été négociées.

FO : Dans un de vos communiqués, la FIQ dit que l'arrêté ministériel ramène la mobilité du personnel et incite à accepter des quarts de rotation, ce qu'il faut enrayer pour stabiliser les équipes de travail. Pouvez-nous donner un exemple ?

NL : Disons qu'une infirmière a un poste en médecine dans lequel il lui manque trois quarts de travail pour qu'elle devienne à temps plein et puisse signer le contrat en vertu du 071 qui la rend admissible aux primes. Pour faire ces trois quarts de travail, elle pourra être envoyée n'importe où. On ne prend pas en compte ses qualifications, on peut l'envoyer une journée en gériatrie, une journée à l'urgence s'il y a un besoin et la dernière journée au CLSC. Ce n'est pas une qualité de soins qui est optimale. Nous voulons garantir des soins de qualité à la population mais ce n'est pas la façon de le faire.

FO : Dans ces conditions, quelles sont les priorités de la FIQ pour changer la situation dans le système de santé ?

NL : Nous devons pouvoir travailler en cohésion avec le ministère, mettre fin à la gestion du système de santé par arrêté ministériel et mettre en oeuvre nos conventions collectives de façon pérenne. Pour nous, la priorité en ce moment est le déploiement de ce que nous avons négocié dans notre convention collective. Celle-ci comprend des mesures financières, des primes incitatives, une prime-FIQ, des heures-soin qui ont été négociées qui sont à la base des ratios professionnelles en soins/patients qu'on veut instaurer. C'est ce qui va éradiquer le temps supplémentaire obligatoire et fermer la porte aux agences de placement du personnel infirmier.

Notre convention collective comprend aussi une forme d'autogestion des horaires de travail par les unités de soin, qui comprend la prise en compte des opinions et de ce que vivent au quotidien les professionnelles en soins. Toutes ces mesures, une fois mises en oeuvre, devraient aider nos membres à travailler dans un environnement sécuritaire et respectueux de nos conditions de travail.

Nous tenons à rappeler que nous ne sommes pas en mode confrontation avec le gouvernement. Nous devons travailler ensemble pour optimiser le système de santé et être capables de prodiguer des soins de qualité à la population.


Cet article est paru dans

Numéro 109 - 19 novembre 2021

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