Numéro 2 - 4 février 2021
Les travailleurs de la transformation de la
viande de l'Alberta prennent des mesures pour se
défendre
La famille d'un travailleur de Cargill
réclame une enquête de la GRC sur Cargil pour
négligence criminelle
- Peggy Askin -
La section locale 401 des TUAC accueille les
travailleurs à l'usine de Cargill avec des masques
et de l'information alors que l'usine rouvre après
une fermeture de deux semaines, le 4 mai 2021.
À titre d'information
• La
lutte sans relâche des travailleurs de Cargill
pour se protéger, eux et leurs familles
• La
Loi Westray
Les travailleurs de la
transformation de la viande de l'Alberta prennent
des mesures pour se défendre
- Peggy Askin -
Benito Quesada
|
Le 8 janvier, Ariana Quesada, la fille âgée
de 16 ans de Benito Quesada, a déposé une
plainte formelle auprès de la GRC, lui demandant
de faire enquête sur une possible négligence
criminelle dans la mort de son père. Benito
Quesada était un travailleur de 51 ans à
l'usine de transformation de la viande de Cargill
à High River en Alberta. Ce père de quatre enfants
et délégué syndical est mort de la COVID-19
le 7 mai 2020, l'un des
quelque 1000 travailleurs qui ont contracté
la COVID-19 à l'usine. Il a été le deuxième
travailleur qui est mort de la COVID-19 chez
Cargill. Bui Thi Hiep, âgée de 67 ans, est
morte le 19 avril 2020. Armando
Sallegue, le père du travailleur de Cargill Arwyn
Sallegue, est lui aussi mort de la COVID-19 après
qu'Arwyn l'ait contractée au travail.
« Nous avons déposé une plainte... afin que
justice soit finalement rendue à mon père... pour
enfin tenir Cargill responsable de ce qu'il a
fait », a dit Ariana Quesada. Ariana est
appuyée et aidée par la section locale 401
des Travailleurs unis de l'alimentation et du
commerce (TUAC) qui représente les travailleurs de
l'usine de Cargill.
La plainte déposée par Ariana Quesada cite la Loi
Westray, une disposition du Code criminel qui
porte le nom du désastre minier qui s'est produit
en Nouvelle-Écosse en 1992 et qui prévoit la
poursuite au criminel pour les employeurs qui ne
prennent pas « les mesures voulues pour éviter
qu'il n'en résulte de blessure corporelle pour
autrui ».
La plainte fait valoir que Cargill n'a pas tenu
compte des alertes précoces de santé publique
et n'a pas protégé les travailleurs d'une menace
connue et mortelle.
La GRC a confirmé qu'elle a ouvert un dossier.
Les médias rapportent qu'il s'agit du premier
dossier connu qui est ouvert en ce qui concerne un
décès dû à la COVID-19 lié à un endroit de
travail.
Michael Hughes, un porte-parole de la section
locale 401 des Travailleurs unis de
l'alimentation et du commerce (TUAC) qui
représente les travailleurs de l'usine de Cargill,
a dit que la menace d'amendes pour violation des
lois de la santé et de la sécurité du travail n'a
pas un caractère dissuasif suffisant pour une
entreprise comme Cargill qui a déclaré un revenu
de 113,5 milliards de dollars américains
en 2019. « Je pense que la situation chez
Cargill a réellement révélé les limites sérieuses
de la responsabilité prévues par la réglementation
couvrant les endroits de travail », a-t-il
dit.
L'usine fait aussi l'objet d'un recours collectif
initié par des personnes qui connaissaient de près
les travailleurs de Cargill. Si les travailleurs
qui sont couverts par le régime d'indemnisation
des travailleurs n'ont pas le droit de poursuivre
leur employeur pour mort ou blessure injustifiée,
il n'en est pas de même des familles et des
contacts proches. Un recours collectif doit
recevoir une certification judiciaire avant qu'il
ne soit entendu.
Il faut saluer les travailleurs de Cargill et
leurs familles et leurs amis pour leur courage et
leur détermination à tenir Cargill responsable et
pour que justice soit rendue pour tous ceux et
celles qui sont morts ou ont perdu des êtres chers
à cause du refus de ceux en position d'autorité de
rendre Cargill redevable de ses actes.
À titre
d'information
Les travailleurs de l'usine de transformation de
la viande Cargill à High River, en Alberta, et
leur syndicat, la section locale 401 des
Travailleurs unis de l'alimentation et du
commerce, sont passés à l'action en mars 2020
pour protéger les travailleurs et exiger que la
compagnie prenne des mesures au moment où 38
cas de COVID-19 se sont déclarés à l'usine.
Le 20 mars, le syndicat a présenté un plan
pour reconfigurer l'endroit de travail, prolonger
la semaine de travail pour permettre la
distanciation sociale et mettre en place des
mesures de sécurité rigoureuses. La compagnie n'a
pas réagi. Le 12 avril, 250 travailleurs
ont fait parvenir une lettre au maire de High
River pour l'inviter à appuyer leur demande de
fermer l'usine pour deux semaines. Le président du
syndicat a lancé un appel au public le 13
avril pour que l'usine ferme pendant deux
semaines. À ce moment-là, 30 membres du
syndicat en Amérique du Nord avaient perdu la vie.
Cargill a ignoré tous les appels des travailleurs
et de la section locale 401 pour enfin fermer
l'usine le 20 avril, alors que 440
travailleurs avaient été infectés et qu'un d'entre
eux est décédé. Les agences gouvernementales n'ont
pas pris de mesures elles non plus pour protéger
les travailleurs. L'agence albertaine de santé et
de sécurité au travail n'a mené que des «
inspections » virtuelles et n'a même pas mis
les pieds dans l'usine, ce qui ne l'a pas empêchée
de déclarer que celle-ci était sécuritaire,
ignorant avec arrogance les preuves mises de
l'avant par les travailleurs. Au cours de la
réunion communautaire virtuelle du 18 avril,
le ministre albertain de l'Agriculture Devin
Dreeshen a dit aux travailleurs qu'il n'y avait
pas de danger, qu'ils pouvaient retourner au
travail et que Cargill avait pris les mesures
nécessaires pour assurer la sécurité du personnel.
Il a aussi accusé ceux qui demandaient la
fermeture temporaire de faire de la «
mésinformation et de mener une campagne de
peur ». Deux jours plus tard l'usine fermait
pour une période de deux semaines.
Dans
une plainte écrite et
une requête déposées par Ariana Quesada, la fille
d'un travailleur de Cargill, Benito Quesada, et
appuyées par le syndicat, pour exiger une enquête
de la GRC, il est question de ce qui constitue des
actes de négligence de la compagnie. Parmi eux, il
y a le refus de fournir les ÉPI appropriés; le
fait de forcer les travailleurs à travailler coude
à coude, sans aucune distanciation sociale; des
locaux de pause/dîner et de casiers surpeuplés
sans possibilité de pratiquer la distanciation
sociale; le fait que le personnel médical de la
compagnie donne le feu vert aux travailleurs pour
qu'ils aillent travailler en dépit de tests ou de
symptômes positifs de la COVID-19 et le fait
d'offrir une prime de 500 dollars aux
travailleurs qui n'ont pas manqué un seul quart de
travail durant une période de deux mois.
C'est seulement grâce à la vigilance constante
des travailleurs qu'une reprise de l'éclosion
dévastatrice d'avril et de mai a pu être évitée.
(Photo: Section locale 401 des
TUAC)
La Loi Westray, qui fait maintenant partie de
l'article 217.12 du Code criminel,
a été adoptée à la Chambre des communes
en 2003 et est entrée en vigueur
en 2004. Cette mesure législative a été le
point culminant de plus de dix ans d'efforts par
les travailleurs et leurs organisations pour
obtenir une loi qui tiendrait les employeurs
responsables des blessures et des pertes de vie
des travailleurs en raison des actions ou de
l'inaction des employeurs.
Le 9 mai 1992, tous les vingt-six
mineurs travaillant dans la mine de charbon
Westray en Nouvelle-Écosse ont été tués lorsque du
gaz méthane s'est enflammé, causant une explosion.
Les travailleurs, les représentants syndicaux et
les inspecteurs gouvernementaux avaient tous
soulevé de vives inquiétudes face aux conditions
peu sécuritaires avant la tragédie, mais la
compagnie avait refusé d'en tenir compte.
L'explosion s'est produite huit mois après
l'ouverture de la mine. Le gouvernement de la
Nouvelle-Écosse a institué une enquête publique la
semaine même de l'explosion, mais son travail et
son rapport n'ont été finalisés qu'après la tenue
des procès criminels de représentants de la
compagnie, contre lesquels aucune condamnation n'a
été prononcée.
Le rapport de l'Enquête publique sur la tragédie
de Westray a été publié en novembre 1997,
intitulé : « L'histoire de Westray : une
tragédie prévisible ». Le résumé du rapport
indique : « L'histoire qui suit est celle de
Westray. C'est une histoire d'incompétence, de
mauvaise gestion, de cafouillage bureaucratique,
de tromperies, de cruauté, de camouflage,
d'apathie, d'opportunisme et de cynique
indifférence. » L'enquête a déterminé que la
compagnie a refusé d'assumer ses responsabilités
juridiques et éthiques envers la sécurité des
mineurs, et que celle-ci a été autorisée à le
faire par un ministère du Travail provincial
indifférent qui a permis à Westray d'agir avec
impunité. À la suite d'une campagne concertée par
les syndicats et d'autres organisations, la Loi
C-45, intitulée Loi Westray, a
enfin été adoptée.
La Loi C-45 a amendé le Code criminel, y
ajoutant l'article 217.1, qui se lit :
« 217.1 Il incombe à quiconque dirige
l'accomplissement d'un travail ou l'exécution
d'une tâche ou est habilité à le faire de prendre
les mesures voulues pour éviter qu'il n'en résulte
de blessure corporelle pour autrui. » La Loi
a aussi ajouté les articles 22.1 à 22.2
au Code criminel, imposant une responsabilité
pénale aux organisations ainsi qu'à leurs agents
pour la négligence et autres infractions.
Depuis l'adoption de la Loi Westray, très peu
d'accusations, et encore moins de condamnations,
ont été prononcées.
En ce qui concerne les tragédies de Cargill et du
Canadien Pacifique (le déraillement de
février 2019 d'un train à la dérive du CP
près de Field, en Colombie-Britannique, dans
lequel trois travailleurs ont été tués), ce sont
les familles et les travailleurs qui exigent une
enquête. Rien n'indique que la police ou la
Couronne aient pris des mesures pour assumer leurs
responsabilités en vertu de l'article 217.12.
(Pour voir les articles
individuellement, cliquer sur le titre de
l'article.)
PDF
NUMÉROS PRÉCÉDENTS
| ACCUEIL
Site web : www.pccml.ca
Email : forumouvrier@cpcml.ca
|