Numéro 68 - 8 octobre 2020
Les travailleurs de l'automobile approuvent
la nouvelle convention collective avec Ford
Encore un stratagème pour payer
les riches et restructurer l'industrie
de l'automobile
- Louis Lang -
• Une
nouvelle convention collective
Les
préoccupations des travailleurs du rail
concernant leur sécurité et leur droit à la vie
privée
• Entrevue avec Lyndon
Isaak
Les travailleurs de l'automobile
approuvent la nouvelle
convention collective avec Ford
- Louis Lang -
Les travailleurs de l'automobile d'Oshawa en
réunion à la suite de l'annonce par GM de la
fermeture de l'usine d'assemblage d'Oshawa,
le 26 novembre 2018, pour demander que
la compagnie renverse sa décision
Le 28 septembre, les travailleurs de
l'automobile à l'emploi de Ford Motor ont voté
à 81 % en faveur d'une convention
collective de trois ans pour les usines de la
compagnie à Windsor et à Oakville en Ontario. De
toute évidence, le but visé par le monopole Ford
en ratifiant la nouvelle convention collective
avec Unifor est de s'assurer que la production
d'automobiles au Canada se poursuive dans la même
vieille voie. Cela veut dire que Ford va continuer
de recevoir des fonds énormes de l'État pour
financer sa production. Cela veut dire également
que l'économie canadienne sera intégrée encore
davantage dans l'économie de guerre impérialiste
américaine.
C'est la méthode utilisée depuis plus de 50
ans, depuis que le Pacte de l'automobile a été
ratifié par les libéraux de Lester B. Pearson.
Malgré les profits sans bornes empochés par les
trois principaux monopoles, les crises récurrentes
et l'insécurité pour les travailleurs de
l'automobile et les communautés dans lesquelles
ces usines sont situées ont été des phénomènes
constants parce que l'économie canadienne n'est
pas indépendante et ne vise pas à assurer le
bien-être des travailleurs. Outre la domination
par les monopoles nord-américains en vertu de
l'Accord Canada-États-Unis-Mexique, l'industrie de
l'automobile est dominée par l'Accord de
partenariat transpacifique global et progressiste,
l'Accord de libre-échange Canada-Corée et l'Accord
économique et commercial global entre le Canada et
l'Union européenne.
L'investissement de Ford, dont plus du quart sera
fourni par le gouvernement et ses stratagèmes pour
payer les riches, vise à permettre à Ford de
devancer ses concurrents au Japon, en Chine et en
Europe ainsi que Tesla, en ce qui concerne la
production de véhicules électriques à batterie
(VEB). Cela ne mettra pas à l'ordre du jour le
problème de l'insécurité d'emploi des travailleurs
de l'automobile et le besoin d'une économie
canadienne indépendante qui s'appuie sur ses
propres forces.
L'industrie de l'automobile au Canada ne se
limite pas aux cinq monopoles mondiaux de
l'automobile qui dominent la scène canadienne en
tant que principaux fabricants de véhicules, soit
Toyota, GM, Honda, Fiat-Chrysler et Ford.
Il y a aussi des fournisseurs de pièces
automobiles qui exploitent plus de 700 usines
de fabrication au
Canada. Parmi eux, on compte quelques grands
fournisseurs canadiens qui
sont actifs à l'échelle mondiale (par exemple,
Magna
International, Linamar, Martinrea, Woodbridge,
etc.). Il y a aussi des
filiales canadiennes de fournisseurs mondiaux
japonais,
européens et américains ainsi que des fournisseurs
de
pièces canadiens de taille moyenne, petite et à
établissement unique[1].
La restructuration
continue par les trois grands monopoles
nord-américains, en particulier depuis la crise
financière de 2008-2009, a mené à un grand
nombre de fermetures d'usines comme celle de GM à
Oshawa et de plusieurs autres usines d'assemblage
au Michigan et en Ohio. Ces fermetures ont aussi
affecté la vie de milliers de travailleurs dans
l'industrie des pièces qui dessert toute la région
des Grands-Lacs où l'industrie de l'automobile a
été concentrée historiquement.
Dans leurs négociations avec des monopoles comme
Ford, les travailleurs ne perdent pas de vue les
conditions objectives dans lesquelles ils se
trouvent et leur expérience passée. Une conclusion
inévitable qu'ils tirent lorsque des négociations
ont lieu et que des ententes sont conclues, c'est
que c'est toujours du pareil au même en ce qui
concerne les monopoles de l'automobile.
Dans ces négociations, Ford a dit
ouvertement : « Payez-nous, soyez nos
partenaires, aidez-nous à devenir compétitifs sur
le marché international », et vous
conserverez vos emplois. Ceci n'a fait
qu'augmenter les demandes de concessions aux
travailleurs et de plus de fonds publics de la
part des gouvernements alors que les monopoles de
l'automobile mettent la barre toujours plus haute
dans leur quête de profits. Aussi longtemps que
cet arrangement se poursuivra, les problèmes de
l'industrie et de la société ne pourront pas être
résolus.
Les travailleurs de l'automobile sont confrontés
au besoin continu d'un changement de direction de
l'économie, laquelle est présentement de placer
les intérêts des riches au premier rang. Cela ne
peut pas être l'objectif d'une société qui est en
mesure de répondre aux besoins de ses membres.
Note
1. The Future of the
Canadian Auto Industry, Centre canadien de
politiques alternatives-2019, page 6
La nouvelle convention collective conclue entre
Ford et Unifor comprend des engagements par Ford d'investissements
totalisant 1,95 milliard de dollars. Ceci comprend 148 millions de
dollars pour la construction d'un nouveau moteur à l'usine de Windsor et
1,8 milliard de dollars pour réoutiller l'usine d'assemblage d'Oakville
afin de produire des Véhicules électriques à batterie (VEB). Le
réoutillage doit commencer en 2024 et le premier VEB doit sortir de
l'usine en 2026.
Une lettre du vice-président des Ressources
humaines de Ford au président national d'Unifor
résume les investissements que la compagnie compte
faire dans la région de Windsor-Essex et à
Oakville et confirme aussi l'engagement qu'a dû
prendre le syndicat en partenariat avec la
compagnie de s'assurer que Ford conserve sa
compétitivité dans l'industrie de l'automobile. La
lettre se termine comme suit : « Par
conséquent, le syndicat a accepté d'agir en
partenariat avec la compagnie pour entreprendre
des démarches auprès des gouvernements provincial
et fédéral afin d'obtenir des incitatifs
financiers en appui au projet d'affaires et de
contribuer au succès de sa vision telle
qu'élaborée dans cette lettre. »
Conformément aux exigences du monopole Ford,
alors même que les négociations entre Unifor et
Ford se poursuivaient, le gouvernement fédéral a
annoncé une contribution de 500 millions de
dollars pour aider Ford à « produire des véhicules
électriques ». Le gouvernement ontarien ne
s'est pas encore prononcé sur l'étendue de son
financement du réoutillage de l'usine Ford.
Extraits de la convention collective
Salaires :
1) une augmentation salariale de 2,5 %
en date du 28 septembre 2020;
2) plutôt qu'une augmentation salariale
de 2,5 % la deuxième année, il y aura un
paiement forfaitaire correspondant à 4 %
des montants gagnés les 12 mois précédents,
en date du 27 septembre 2021; et
3) une augmentation salariale de 2,5 %
la troisième année, en date du 26 septembre
2022.
Des ajustements au système de salaire à deux
vitesses pour les nouveaux employés :
Un travailleur nouvellement embauché ne recevra
pas 61,25 % du taux de base
de 2012, comme c'est le cas présentement,
mais 65 % du taux de base en vigueur en
ce moment. La nouvelle entente prévoit aussi que
les personnes nouvellement embauchées pourront
atteindre le taux plein en huit ans plutôt qu'en
dix ans tel que stipulé dans l'ancienne
convention.
Un résumé complet (en anglais) de la convention
collective est disponible ici
Les préoccupations des
travailleurs du rail concernant leur sécurité
et leur droit à la vie privée
Lyndon Isaak est le président de la
Conférence ferroviaire de Teamsters Canada
(CFTC)
Forum ouvrier : Dans ton
rapport de septembre publié sur le site Web de la
CFTC, tu soulèves plusieurs préoccupations des
travailleurs du rail, dont deux sont la sécurité
durant la pandémie et le droit à la vie privée.
Peux-tu nous expliquer quelles sont ces
préoccupations et les revendications des
travailleurs à leur sujet ?
Lyndon Isaak :
Fondamentalement, la préoccupation porte sur
l'assouplissement des protocoles que nous avons
mis en place pour garder les dortoirs et
les installations de repos sécuritaires et
désinfectés. Une autre préoccupation importante
pour nous est la nécessité de la désinfection
régulière des locomotives et des véhicules
utilisés pour transporter les travailleurs du rail
à l'endroit de travail et les ramener aux
installations de repos. Au début, en avril et en
mai, les transporteurs ferroviaires ont partagé
nos préoccupations face à la COVID. Ils ont
collaboré avec nous pour garder les lieux propres
et désinfectés. Mais maintenant, ils croient que
la pandémie est terminée et ils ont commencé à
assouplir leurs protocoles. Ils ont été vigilants
pendant les premiers mois, mais maintenant ils ont
perdu tout intérêt à être vigilants. Par exemple,
au début, des entrepreneurs ont été embauchés pour
nettoyer les locomotives aux endroits où les
équipages étaient remplacés. Disons que le train
va de Toronto à Montréal et à mi-chemin entre
Toronto et Montréal, nous échangeons les équipes.
Il y avait des entrepreneurs sur place pour garder
les locomotives propres et désinfectées. Il n'y en
a plus, alors c'est maintenant à nos équipages
eux-mêmes de désinfecter et de nettoyer les
locomotives dans ces endroits. C'est un exemple de
ce qui se produit.
De plus, pendant les premiers mois, ils n'ont
autorisé que deux personnes dans la cabine de la
locomotive et maintenant ils veulent à nouveau
faire de la formation de personnel et ils ont
trois personnes à l'intérieur. Cela cause un
problème compte tenu du besoin de distanciation
physique et à cause de la propagation du virus par
voie aérienne. Ils disent qu'ils vont manquer
d'effectifs et qu'ils doivent former des
personnes. Ils pensent qu'ils n'auront pas assez
de personnel pour maintenir les trains en marche
au niveau requis. Nous voulons trouver un moyen
d'éviter d'avoir trois travailleurs dans la cabine
qui est un espace confiné, car si l'un d'entre eux
est infecté, au bout de 10 à 12 heures
ensemble, ils seront tous infectés. Nous n'avons
pas réussi à nous entendre avec les compagnies
ferroviaires sur une solution. Le problème n'est
pas encore résolu. Et maintenant que la deuxième
vague est à nos portes, nous pensons que tôt ou
tard, il y aura une infection qui se propagera
dans tout le réseau ferroviaire si nous ne mettons
pas fin à cet assouplissement des protocoles. Nous
voulons éviter cela. La pandémie a été assez bien
maîtrisée jusqu'à présent. C'est notre argument;
nous avons réussi jusqu'à présent, ce n'est donc
pas le moment d'assouplir les protocoles.
Nous voulons que les transporteurs ferroviaires
reviennent aux protocoles que nous avons établis
conjointement en avril et nous voulons également
nous assurer que ces protocoles sont mis en
application sur le terrain. C'est une chose d'en
arriver à une entente, mais c'en est une autre si
les responsables de première ligne ne sont pas
informés par les transporteurs ferroviaires des
protocoles qui ont été convenus. Cela arrive
souvent. Entre autres problèmes, il y a un manque
de communication dans le système.
Nous avons toujours des échanges hebdomadaires au
téléphone avec les grands transporteurs
ferroviaires pour essayer de résoudre ces
problèmes, mais ils résistent au rétablissement
des anciens protocoles.
Il y a des coûts financiers impliqués dans ces
protocoles. Il y a une légère réduction de la
productivité et leurs conseils d'administration et
les actionnaires veulent un rendement maximal tout
le temps, alors ils sont prêts à jouer avec le
feu. Cela s'appelle la gestion des risques. En
autant qu'ils maintiendront leurs profits élevés,
ils feront courir des risques aux travailleurs.
Nous sommes fermement opposés à cela.
FO : Dans ton
rapport, tu fais également part des inquiétudes du
syndicat concernant l'utilisation des
enregistreurs audio-vidéo de locomotive (EAVL). En
mai 2018, le gouvernement fédéral a adopté la
Loi C-49, Loi apportant des modifications à la
Loi sur les transports au Canada et à d'autres
lois concernant les transports ainsi que des
modifications connexes et corrélatives à
d'autres lois. Entre autres choses, la Loi
ordonne aux entreprises ferroviaires d'une
certaine taille en termes de revenus et de nombre
d'employés de s'assurer qu'un système EAVL est
installé dans chaque locomotive de commande qu'ils
opèrent, d'enregistrer tout ce qui est dit et
d'avoir une vue dégagée sur les visages et le haut
du corps. Les syndicats du rail s'y sont opposés
depuis le début. Peux-tu nous en dire plus ?
LI : Nous sommes opposés à ce
que les entreprises aient accès aux données des
EAVL, donc au contenu des enregistrements. Nous
croyons que seul le Bureau de la sécurité des
transports devrait avoir accès au contenu. Nous
pensons que d'avoir cet accès ne sera d'aucune
utilité aux compagnies et nous l'avons toujours
dit. Lorsque le projet de loi a été adopté, nous
avons reçu l'assurance que le gouvernement
répondrait à nos préoccupations par le biais de la
réglementation, mais il ne l'a pas fait[1].
Si vous lisez les règlements qui ont été publiés
dans la Gazette du Canada, Partie II,
du 2 septembre, vous voyez que les
entreprises ferroviaires ont essentiellement un
accès illimité aux données. Le libellé est
toujours là selon lequel les transporteurs
ferroviaires devraient avoir un accès aléatoire au
contenu, mais personne ne pourra contrôler cela.
Il n'y a aucune information qu'ils peuvent glaner
de cet accès qui va être utile de quelque manière
que ce soit. La seule façon qu'ils vont utiliser
l'information c'est pour des mesures
disciplinaires. C'est le but derrière tout cela.
Non seulement ce sera utilisé pour des mesures
disciplinaires, mais ils vont cibler ceux à qui
ils veulent les imposer. S'ils n'aiment pas un
équipage en particulier, c'est l'équipage qu'ils
vont surveiller 24 heures sur 24, 7
jours par semaine.
Comme je l'ai dit dans mon rapport, maintenant
que la Loi et les règlements sont finalisés et que
l'intention est définie, nous pouvons poursuivre
notre contestation judiciaire devant la Cour
suprême sur la constitutionnalité de cette loi.
Nous sommes d'avis que cette loi porte non
seulement atteinte aux droits et libertés de nos
membres, mais crée des précédents qui pourraient
diminuer les droits de tous les Canadiens.
FO : Veux-tu dire quelque
chose en conclusion ?
LI : Je souhaite que tout le
monde suive les lignes directrices de Santé Canada
et s'assure d'agir de façon sécuritaire durant la
deuxième vague de la pandémie. J'espère que toutes
les entreprises, y compris celles des chemins de
fer, accepteront le fait que les protocoles les
plus rigoureux sont les plus appropriés en ce
moment et sont ceux qu'ils devraient utiliser.
Nous nous battons pour cela et nous espérons que
nous réussirons.
Note
1. Selon la Loi C-49, les
informations de l'enregistrement doivent être
utilisées pour déterminer les causes et les
facteurs contributifs d'accidents ou d'incidents
sur les chemins de fer. Les grandes entreprises
ferroviaires ont déjà clairement indiqué qu'elles
considéraient le « comportement » inapproprié
des travailleurs comme la principale cause des
accidents ferroviaires, contre toute évidence qui
indique le manque de conditions de travail saines
et sécuritaires. Lors des auditions parlementaires
sur le projet de loi avant son adoption, le
représentant de l'Association des chemins de fer
du Canada est allé jusqu'à dire que tant que tous
les processus dans le transport ferroviaire ne
seront pas « entièrement automatisés », il y
aura des accidents causés par le facteur humain,
c'est-à-dire les travailleurs. Les travailleurs du
rail luttent depuis des années pour changer les
conditions qui engendrent la fatigue, notamment le
manque d'horaires prévisibles obligeant les
travailleurs à rester sur appel pendant de longues
périodes, les longues heures de travail, les
pénuries d'équipages, etc.
La Loi inclut également le concept de risque pour
la sécurité des opérations ferroviaires pour
justifier l'accès des entreprises au contenu des
enregistrements afin de répondre à un risque
perçu. La réglementation identifie huit risques
pour la sécurité des opérations, toutes émanant
des travailleurs. Ce sont :
- un travailleur qui utilise un téléphone
cellulaire lorsque les systèmes de
communications radio ferroviaires habituels sont
disponibles;
- un travailleur qui prend « une position de
sommeil [...] pendant qu'il est en
service »;
- un travailleur qui utilise un appareil de
divertissement personnel pendant qu'il est en
service;
- la présence d'une personne non autorisée dans
la locomotive de commande;
- un travailleur qui consomme ou utilise des
substances intoxicantes ou des drogues qui
affaiblissent les facultés;
- un travailleur qui lit des documents non
requis pour exécuter ses tâches pendant qu'il
est en service et
- les travailleurs qui sont à portée de voix
les uns des autres, mais qui ne communiquent pas
verbalement entre eux, de manière claire et
audible, les renseignements qu'ils sont tenus de
communiquer verbalement conformément aux règles
approuvées ou établies par le ministre des
Transports.
La Loi utilise le terme dramatique de «
risque » pour caractériser les actions des
travailleurs pour justifier la répression et la
criminalisation accrues de ceux-ci, ce que
recherchent les transporteurs ferroviaires. En
anglais, le terme utilisé est « menace » qui
est encore plus fort.
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