Numéro 1013 septembre 2019
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Six ans après l’explosion du train à Lac-Mégantic
Un compte-rendu stupéfiant de négligence criminelle
Le reportage et l’entrevue dans ce numéro du Renouveau forment un compte-rendu stupéfiant de la négligence criminelle des gouvernements et des sociétés ferroviaires qui s’autoréglementent.
Le souvenir terrible de ce qui s’est produit à Lac-Mégantic est toujours présent dans l’esprit des gens et les résidents locaux sont encore sous le choc. Les développements actuels constituent une autre mise en accusation du processus décisionnel contrôlé par des intérêts sur lesquels le peuple n’exerce aucun contrôle. Maintenant, d’autres déraillements ont eu lieu autour de Lac-Mégantic et les voies ne sont toujours ni entretenues ni remises en état comme elles doivent l’être, et Transports Canada refuse d’assumer ses responsabilités. C’est ce qui se produit lorsque le peuple et ses préoccupations sont mis de côté, comme on le fait dans cette élection fédérale. Cela montre pourquoi il est urgent que les travailleurs et les personnes vivant dans les communautés le long des voies ferrées puissent exercer leur droit de veto sans subir de contrecoups lorsque leur vie est menacée si directement.
L’état des voies ferrées est assurément une question de sécurité nationale. Il en est de même de la question de qui contrôle le pouvoir décisionnel. La situation de Lac-Mégantic montre qu’il faut donner au concept de sécurité nationale une définition moderne qui ne sert pas des objectifs sinistres alors que la sécurité des populations est menacée à chaque jour. Il faut discuter de ce problème pendant l’élection car le transport ferroviaire a connu une croissance exponentielle dans l’ensemble du pays, tout comme les risques qui s’y rapportent. C’est le cas en particulier lorsque d’autres facteurs sont à l’oeuvre comme la pente qui rend si périlleuse la descente vers Lac-Mégantic.
Il est important de faire connaître les actions que les résidents de la communauté de Lac-Mégantic ont l’intention de prendre et d’appeler tout le monde à les appuyer. Leur réclamation que justice soit faite est certainement un enjeu électoral.
Pourquoi l’état des voies ferrées n’est-il pas un sujet de préoccupation nationale?
— Pierre Chénier —
Le 24 août, un train a déraillé dans le village de Nantes, au Québec, à seulement 12,9 kilomètres de la ville de Lac-Mégantic. Il y a six ans, un train sans conducteur a commencé à descendre vers Lac-Mégantic à partir de Nantes, avec 72 wagons qui transportaient 7,7 millions de litres de liquides inflammables, avant de dérailler dans le centre-ville de Lac-Mégantic. L’explosion et l’incendie gigantesques qui ont suivi ont tué 47 personnes et détruit plus de 40 bâtiments. La destruction a forcé 2 000 personnes à quitter leur domicile et a entraîné la fermeture de nombreuses entreprises. La perte pour la ville, au-delà du bilan humain, a été estimée à 1,5 milliard de dollars.
Selon le maire de Nantes, le déraillement de train du 24 août est au moins le troisième dans la région depuis la tragédie de 2013. À peine dix jours avant l’incident du 24 août, la Coalition des citoyens et organismes engagés pour la sécurité ferroviaire de Lac-Mégantic avait sonné l’alarme auprès du Bureau de la sécurité des transports du Canada pour signaler que les réparations devenues nécessaires à l’emplacement exact du déraillement n’avaient pas été effectuées.
Selon la Coalition, le manque d’entretien et de réparation des voies est chose courante dans toute la région de l’Estrie. La Coalition affirme que la compagnie, Central Maine and Quebec Railway, peut faire ce qu’elle veut en toute impunité. Une heure seulement avant le déraillement du 24 août, un autre train de 30 wagons-citernes transportant de l’acide sulfurique, de l’essence, du gaz propane et du bitume est passé sur les mêmes voies sans que les réparations nécessaires n’aient été effectuées.
Le Bureau de la sécurité des transports a informé la compagnie en avril dernier que 253 anomalies de voie devaient être réparées. Le 7 mai, Transports Canada a émis un avis assorti d’un ordre, mais les réparations n’étaient pas terminées lorsque le train a déraillé en août.
Pour diverses raisons, Lac-Mégantic est considéré comme l’un des sites ferroviaires les plus dangereux au Canada. Au moins un maire de la région affirme que le coeur du problème n’est pas l’emplacement ou la géographie, mais le facteur humain. Celui-ci est nié et les sociétés ferroviaires s’autoréglementent. Beaucoup décrient une situation dans laquelle les entreprises ferroviaires agissent avec un mépris total pour le bilan humain dans une atmosphère d’anarchie, d’anticonscience et d’impunité.
L’attitude du Bureau de la sécurité des transports à l’égard du dernier déraillement survenu à Nantes est un exemple de cette impunité. Le Bureau refuse d’enquêter davantage sur l’incident car aucune blessure n’a été signalée et aucune matière dangereuse n’a été déversée. Il faut donc que les gens souffrent comme ceux de Lac-Mégantic pour que les autorités remarquent même un problème avec l’état des voies ferrées ! C’est le facteur antihumain/antisocial qui contrôle la vie et la sécurité des populations. Ceci exprime une contradiction dangereuse entre les conditions et l’autorité. Le temps est venu d’une nouvelle direction !
Pierre Chénier est le secrétaire du Centre ouvrier du PMLC et son candidat dans Châteauguay—Lacolle.
(Sources : La Tribune et d’autres médias locaux)
La communauté sonne l’alarme sur l’état de la voie ferrée et sur l’indifférence des autorités
— Entrevue avec Robert Bellefleur, porte-parole de la Coalition des citoyens et organismes engagés pour la sécurité ferroviaire —
Le 7 mai, un inspecteur de Transports Canada a envoyé un avis assorti d’un ordre à l’entreprise ferroviaire Central Maine & Québec Railway (CMQR) au sujet de l’état alarmant des rails entre Farnham et Lac-Mégantic en Estrie. Le 24 août, un train a déraillé à Nantes, à l’entrée de Lac-Mégantic. Le déraillement n’a pas fait de victimes ni de grands dégâts matériels, mais il a rappelé à la communauté les dangers que cette voie ferrée fait toujours peser sur elle. Tous se souviennent avec douleur de la perte de 47 personnes, des bouleversements dans la vie de milliers d’autres et des dommages matériels à la communauté qui ont été causés le 6 juillet 2013 par l’explosion et l’incendie horribles d’un convoi de trains transportant du pétrole brut.
Le Renouveau s’est entretenu avec Robert Bellefleur, porte-parole de la Coalition des citoyens et organismes engagés pour la sécurité ferroviaire sur les conditions auxquelles les résidents font face et les développements récents.
Le Renouveau : Quelle est la signification de ces deux événements, l’avis assorti d’un ordre de Transports Canada et le déraillement à l’entrée de Lac-Mégantic ?
Robert Bellefleur : Selon nous, ces événements récents révèlent la faillite totale de la réglementation de la sécurité ferroviaire au Canada. Le 7 mai, un inspecteur de Transport Canada a produit un avis assorti d’un ordre à l’intention de Central Maine & Québec Railway (CMQR), lui disant qu’il existe 253 rails défectueux détectés par ultrason entre Farnham et Lac-Mégantic, soit une distance d’environ 140 milles (225 kilomètres), sur tout le tronçon de la compagnie. Ce sont des rails qui ont des fissures internes qui peuvent se rompre.
En plus, l’inspecteur note qu’il existe plus de 30 000 pieds de rails ondulés, ce qui signifie une usure maximum. Il existe aussi environ 27 000 pieds de rails contaminés par la boue. Lorsqu’il y a des précipitations, sous le poids des locomotives et des wagons, les rails s’enfoncent dans la boue. Cela exerce des contraintes sur les rails et les déforme. Essentiellement, toute la structure de la voie est à refaire.
Cet avis envoyé par Transport Canada à la compagnie le 7 mai ne comprend aucune restriction d’opérations et aucune obligation de réparation. Ce que Transport Canada demande à la compagnie, c’est de faire plus d’inspections et de lui en faire rapport.
Le 12 août, 3 mois plus tard, nous avons constaté qu’un des endroits qui est cité dans l’avis de Transport Canada n’a pas été réparé. Nous avons alerté les journalistes et le 24 août, un train a déraillé à ce même endroit.
On voit bien que la structure de commandement ne fonctionne pas. Transports Canada émet un avis mais la compagnie n’est pas obligée de faire les réparations immédiatement, elle peut simplement réduire la vitesse des trains et faire les réparations quand bon lui semble. Pendant cette période, les risques de déraillement sont maximisés.
LR : Quelle est la réponse de la communauté à ces événements ?
RB : La coalition a envoyé un communiqué de presse dans lequel elle dit qu’assez, c’est assez. La population de Lac-Mégantic a assez souffert et a assez vécu dans la peur. Nous avons demandé de façon urgente à notre mairesse, au maire de Nantes, au maire de Frontenac, à la préfète de la municipalité régionale de comté de Granit, à notre député de l’Assemblée nationale et à notre député fédéral de faire pression rapidement sur le ministre des Transports Marc Garneau pour que cesse immédiatement tout transport de matières dangereuses sur les rails traversant la région de Lac-Mégantic. Le 3 septembre, nous avons envoyé une mise en demeure au ministre, l’enjoignant formellement de faire cesser le transport de matières dangereuses.
En dépit de l’avis de Transports Canada du 7 mai, le transport de matières dangereuses n’a jamais arrêté sur ces rails. Il a été arrêté après l’accident de samedi et a repris lundi. Parmi les matières dangereuses, il y a de l’essence automobile et de l’acide sulfurique transportés dans les wagons DOT-111. Ces wagons ont été considérés comme trop dangereux pour le transport du pétrole brut mais on les fait transporter de l’acide sulfurique.
Selon nous, nous en sommes rendus à l’étape où c’est la population qui doit se prendre en main. La population ne ressent aucune confiance envers les autorités. Elle se demande quand tout cela va s’arrêter. Nous allons organiser des actions pendant la campagne électorale que nous allons annoncer bientôt. Ce seront des actions pacifiques et légales. Il y a aussi la Semaine de la sécurité ferroviaire qui s’en vient, du 23 au 29 septembre, pendant laquelle il va y avoir des actions des communautés. Une fois de plus, nous faisons appel à l’action citoyenne pour défendre la sécurité des communautés.
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