Lac-Mégantic: La communauté sonne l’alarme sur l’état de la voie ferrée et sur l’indifférence des autorités
— Entrevue avec Robert Bellefleur, porte-parole de la Coalition des citoyens et organismes engagés pour la sécurité ferroviaire —
Le 7 mai, un inspecteur de Transports Canada a envoyé un avis assorti d’un ordre à l’entreprise ferroviaire Central Maine & Québec Railway (CMQR) au sujet de l’état alarmant des rails entre Farnham et Lac-Mégantic en Estrie. Le 24 août, un train a déraillé à Nantes, à l’entrée de Lac-Mégantic. Le déraillement n’a pas fait de victimes ni de grands dégâts matériels, mais il a rappelé à la communauté les dangers que cette voie ferrée fait toujours peser sur elle. Tous se souviennent avec douleur de la perte de 47 personnes, des bouleversements dans la vie de milliers d’autres et des dommages matériels à la communauté qui ont été causés le 6 juillet 2013 par l’explosion et l’incendie horribles d’un convoi de trains transportant du pétrole brut.
Le Renouveau s’est entretenu avec Robert Bellefleur, porte-parole de la Coalition des citoyens et organismes engagés pour la sécurité ferroviaire sur les conditions auxquelles les résidents font face et les développements récents.
Le Renouveau : Quelle est la signification de ces deux événements, l’avis assorti d’un ordre de Transports Canada et le déraillement à l’entrée de Lac-Mégantic ?
Robert Bellefleur : Selon nous, ces événements récents révèlent la faillite totale de la réglementation de la sécurité ferroviaire au Canada. Le 7 mai, un inspecteur de Transport Canada a produit un avis assorti d’un ordre à l’intention de Central Maine & Québec Railway (CMQR), lui disant qu’il existe 253 rails défectueux détectés par ultrason entre Farnham et Lac-Mégantic, soit une distance d’environ 140 milles (225 kilomètres), sur tout le tronçon de la compagnie. Ce sont des rails qui ont des fissures internes qui peuvent se rompre.
En plus, l’inspecteur note qu’il existe plus de 30 000 pieds de rails ondulés, ce qui signifie une usure maximum. Il existe aussi environ 27 000 pieds de rails contaminés par la boue. Lorsqu’il y a des précipitations, sous le poids des locomotives et des wagons, les rails s’enfoncent dans la boue. Cela exerce des contraintes sur les rails et les déforme. Essentiellement, toute la structure de la voie est à refaire.
Cet avis envoyé par Transport Canada à la compagnie le 7 mai ne comprend aucune restriction d’opérations et aucune obligation de réparation. Ce que Transport Canada demande à la compagnie, c’est de faire plus d’inspections et de lui en faire rapport.
Le 12 août, 3 mois plus tard, nous avons constaté qu’un des endroits qui est cité dans l’avis de Transport Canada n’a pas été réparé. Nous avons alerté les journalistes et le 24 août, un train a déraillé à ce même endroit.
On voit bien que la structure de commandement ne fonctionne pas. Transports Canada émet un avis mais la compagnie n’est pas obligée de faire les réparations immédiatement, elle peut simplement réduire la vitesse des trains et faire les réparations quand bon lui semble. Pendant cette période, les risques de déraillement sont maximisés.
LR : Quelle est la réponse de la communauté à ces événements ?
RB : La coalition a envoyé un communiqué de presse dans lequel elle dit qu’assez, c’est assez. La population de Lac-Mégantic a assez souffert et a assez vécu dans la peur. Nous avons demandé de façon urgente à notre mairesse, au maire de Nantes, au maire de Frontenac, à la préfète de la municipalité régionale de comté de Granit, à notre député de l’Assemblée nationale et à notre député fédéral de faire pression rapidement sur le ministre des Transports Marc Garneau pour que cesse immédiatement tout transport de matières dangereuses sur les rails traversant la région de Lac-Mégantic. Le 3 septembre, nous avons envoyé une mise en demeure au ministre, l’enjoignant formellement de faire cesser le transport de matières dangereuses.
En dépit de l’avis de Transports Canada du 7 mai, le transport de matières dangereuses n’a jamais arrêté sur ces rails. Il a été arrêté après l’accident de samedi et a repris lundi. Parmi les matières dangereuses, il y a de l’essence automobile et de l’acide sulfurique transportés dans les wagons DOT-111. Ces wagons ont été considérés comme trop dangereux pour le transport du pétrole brut mais on les fait transporter de l’acide sulfurique.
Selon nous, nous en sommes rendus à l’étape où c’est la population qui doit se prendre en main. La population ne ressent aucune confiance envers les autorités. Elle se demande quand tout cela va s’arrêter. Nous allons organiser des actions pendant la campagne électorale que nous allons annoncer bientôt. Ce seront des actions pacifiques et légales. Il y a aussi la Semaine de la sécurité ferroviaire qui s’en vient, du 23 au 29 septembre, pendant laquelle il va y avoir des actions des communautés. Une fois de plus, nous faisons appel à l’action citoyenne pour défendre la sécurité des communautés.