Forum ouvrier

Numéro 97 - 20 octobre 2021

Les travailleurs et travailleuses de la santé du Québec
intensifient leur lutte pour leurs droits

Des actions résolues pour faire abolir
le temps supplémentaire

obligatoire
intenable


Le refus du gouvernement du Québec de reconnaître les bris de service
dans la santé

L'expérience des travailleurs et travailleuses de la santé du Nord-Est du Québec - Entrevue avec Nathalie Savard


Les travailleurs et travailleuses de la santé du Québec
intensifient leur lutte pour leurs droits

Des actions résolues pour faire abolir le temps supplémentaire obligatoire intenable

Les professionnelles en soins membres de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) intensifient leurs actions pour faire abolir le travail supplémentaire obligatoire dans le cadre de leur campagne « Le TSO c'est un assassinat professionnel ». Les syndicats affiliés à la FIQ ont tenu diverses assemblées générales dans la semaine du 11 octobre où les membres ont discuté du plan d'action de la fédération.

Plusieurs syndicats membres ont notamment adopté de tenir une fin de semaine de travail sans temps supplémentaire obligatoire les 16 et 17 octobre. Y ont participé les syndicats de la Capitale nationale, de la Mauricie-Centre-du-Québec, de l'Outaouais, des Laurentides, du Bas Saint-Laurent, du Centre-Sud-de-l'île-de-Montréal, de l'Abitibi-Témiscamingue et plusieurs autres. La FIQ a fourni tout l'appui possible aux syndicats affiliés qui ont participé aux actions. Elle a notamment développé une application FIQ Santé où les membres peuvent fournir des informations et des témoignages en temps réel en tout temps sur le temps supplémentaire qu'on tente de leur imposer.

Selon la FIQ, la fin de semaine s'est bien déroulée. Là où les syndicats membres avaient décidé de refuser le temps supplémentaire obligatoire, il n'y en a pratiquement pas eu durant ces deux jours. « Aucun TSO d'annoncé en fin de semaine, je n'ai eu aucun appel », a dit Karine d'Auteuil, présidente par intérim du Syndicat des professionnelles en soins de l'Outaouais, aux médias locaux.

« C'était pour démontrer que quand on prend les grands moyens d'annoncer qu'on refuse le TSO, que nous sommes prêts à aller devant le Tribunal administratif du travail, l'employeur redouble d'efforts pour ne pas qu'il y ait de temps supplémentaire obligatoire. Ils ont fait ça pendant 48 heures versus à l'année longue, ce n'est pas le même travail pour eux. De faire une réorganisation de travail pour deux jours, ça demande moins que de le faire pendant 365 jours. Donner les services selon les directives qu'on a en place ça devrait être à l'année longue. S'il faut qu'on fasse une annonce 365 jours sans TSO, on va le faire pour s'assurer que nos professionnels en soins aient une qualité de vie travail-famille et puissent avoir une garantie que quand ils vont finir leur quart de travail ils vont pouvoir sortir à l'heure prévue », a-t-elle ajouté.

Les infirmières font valoir que le TSO est en fait un mode de gestion du gouvernement et des administrations pour éviter d'améliorer leurs conditions de vie et de travail, qu'il aggrave leurs problèmes de santé et de sécurité à la fois physique et psychologique, et qu'il anéantit toutes les chances de recruter les milliers de professionnelles en soins nécessaires pour assurer à la population les soins et les services essentiels partout au Québec. Les infirmières disent carrément que toute mesure pour aborder le problème, qui repose sur les primes financières temporaires aux infirmières pour les retenir ou les attirer dans le système de santé, comme c'est le cas des mesures annoncées par le gouvernement du Québec, ne va pas résoudre le problème. Il faut changer les conditions et les changer sur la base des revendications et des solutions mises de l'avant par le personnel de la santé, et mettre fin au travail supplémentaire obligatoire est une revendication clé à cet égard.

« La présente pandémie et la pression supplémentaire qu'elle impose aux professionnelles en soins ne font qu'ajouter au fardeau déjà très lourd lié au TSO et incitent plus que jamais des professionnelles en soins épuisées à quitter le CHU de Québec et la profession, a dit Nancy Hogan, présidente du Syndicat interprofessionnel du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Québec. Le bateau risque fort de couler et il y a urgence d'agir. Nos membres ont le droit d'exercer dans des conditions adéquates et de vivre une vie personnelle et familiale normale », a-t-elle ajouté.

Le 15 octobre, la FIQ a envoyé des lettres de mise en demeure au ministre de la Santé et des Services sociaux et aux directions des établissements de santé, leur demandant de mettre fin au temps supplémentaire obligatoire d'ici le 15 novembre prochain. La lettre envoyée au ministre indique que si rien n'est fait d'ici cette date, la FIQ entreprendra « tous les recours jugés appropriés ou requis, et ce, sans autre avis ni délai ».

La fédération a aussi déposé une demande à la Commission des droits de la personne qui fait état de l'impossibilité pour les infirmières d'avoir des conditions de travail justes, raisonnables et qui respectent leur santé et leur sécurité. La FIQ demande que la Commission étudie le problème et fasse des recommandations à ce sujet au gouvernement.

La fédération a également demandé l'intervention de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) et de son service de prévention-inspection afin de faire cesser le recours au temps supplémentaire obligatoire (TSO). Elle estime dans sa demande que les employeurs ont l'obligation légale en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) d'adopter des méthodes d'organisation du travail qui respectent la santé et la sécurité des travailleurs et travailleuses de la santé, alors que le recours abusif et disproportionné au TSO met à risque leur santé physique de même que psychologique en les exposant à une surcharge de travail et aux risques psychosociaux qui en découlent. La fédération demande que la CNESST intervienne par son service de prévention-inspection afin d'identifier les pratiques des employeurs qui portent atteinte à la santé et à la sécurité des professionnelles en soins et d'imposer, le cas échéant, des correctifs permettant d'éliminer les risques psychosociaux liés au TSO, de les réduire et/ou de les contrôler.

Forum ouvrier salue ces initiatives par lesquelles les infirmières et les autres travailleurs et travailleuses de la santé prennent la parole en leur nom et prennent l'initiative pour que les problèmes du système de santé soient traités à partir de leurs revendications et de leurs solutions.

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Le refus du gouvernement du Québec de reconnaître
les bris de service dans la santé

L'expérience des travailleurs et travailleuses
de la santé du Nord-Est du Québec

Nathalie Savard est la présidente du Syndicat des intervenantes et des intervenants de la santé du Nord-Est québécois (SIISNEQ)

Forum ouvrier : En ce moment, alors que les services de santé sont à un point de rupture dans plusieurs régions du Québec, le ministre de la Santé refuse de parler de bris de service mais dit qu'il s'agit plutôt d'une réorganisation des services. Quelle est l'expérience vécue des résidents de la région dans laquelle ton syndicat est actif ?

Nathalie Savard : Effectivement, le ministre de la Santé a dit en conférence de presse que sur la Côte-Nord et à la Baie James, nous vivons une réorganisation des services. En fait, nous avons connu une fermeture complète pendant une période de temps de l'urgence à Port-Cartier. Il y a eu des fermetures de services dans les dispensaires. Le ministre de la Santé a dit que ce ne sont pas des bris de service. Il dit que les gens vont continuer à avoir des services, sauf qu'ils vont devoir aller les recevoir ailleurs.

https://cpcml.ca/images/HealthCare/180324-MTL-Sante-13cr.jpgAlors si je suis une mère qui attend un enfant, et qu'on doit me transférer à Québec parce qu'il n'y a plus de personnel pour l'obstétrique à Sept-Îles, je considère que c'est un bris de service dans ma région qui est la Côte-Nord. Oui c'est un bris de service quand on ferme l'urgence des Escoumins et que la personne doit faire trois heures aller-retour pour aller se faire soigner à Baie-Comeau.

Juste récemment, on a annoncé qu'il y a un dispensaire en Minganie qui était fermé par manque de personnel. Cet été, plusieurs dispensaires de notre région ont été partiellement fermés. Le suivi des patients, les traitements, les soins à domicile ont cessé et on a gardé juste les services d'urgence. Les dispensaires sont des établissements de santé très importants dans les villages. Il y en a aussi parmi les populations autochtones et ils jouent un rôle très important.

Nous sommes en réalité toujours en situation de danger de bris de service. Nous sommes toujours sur un pied d'alerte. Nous avons du personnel qui fait des heures incroyables pour continuer à donner des services à la population et garder les services ouverts. Il y a quelques semaines, on parlait de fermer les centres mères-enfants dans des centres comme Baie-Comeau et Sept-Îles.

On s'est battu longtemps dans les régions pour avoir des services de proximité, des services complets, notamment des services de spécialistes à proximité d'où les gens vivent. Nous avons connu l'époque où les grands services étaient uniquement donnés dans les grands centres que ce soit Montréal ou Québec. Cette époque-là ne doit pas revenir. Nous sommes en 2021.

Lorsque le gouvernement parle de réorganisation des services, il fait de la politique, il cherche à se rendre populaire, il se prépare à des élections.

FO : Le gouvernement du Québec a annoncé qu'il va déposer un projet de loi sur la santé à l'automne, un projet de loi qui va reposer sur ce qu'il appelle l'efficacité des services. Quelle est ton impression à ce sujet ?

NS : Cela n'augure rien de bon. Le thème de l'efficacité des services n'est pas nouveau. C'est une vision d'affaires. Des gestionnaires, par exemple, font des comparaisons entre ce que cela coûte pour traiter un patient à Québec par comparaison avec Sept-Îles. Ils considèrent cela comme les propriétaires d'usine considèrent leurs usines. Ils comparent des coûts de production. On ne peut pas gérer une société comme ça, certainement pas un hôpital.

Par exemple il y a beaucoup de communautés autochtones autour de notre urgence à Sept-Îles, qui ont leurs problématiques, leurs difficultés. On vit des problèmes sociaux à différents niveaux dans les communautés. Il faut travailler avec la localité, avec la communauté, ce sont des partenaires importants. Il y a des gestionnaires qui nous disent que nous ne sommes pas efficaces, qu'ils nous ont comparés avec l'urgence de Québec. Dans les grands centres, les urgences ont un gynécologue sur place, un neurologue sur place. À Sept-Îles, quand un patient se présente, il faut contacter ces spécialistes, parfois à Québec, parfois aussi il faut transférer les patients, il faut prendre le temps de le faire. Les réalités ne sont pas les mêmes. On ne peut pas juste comparer les chiffres et conclure que nous ne sommes pas efficaces. Parler d'efficacité comme ça, c'est préparer le terrain à plus de fermetures qu'on déguise en réorganisation de services.

Il faut remettre les patients au centre des décisions. Il faut prendre le temps de les soigner. Et pour cela, il faut prendre soin des gens qui les soignent. Les gestionnaires doivent être à l'écoute de leurs équipes. Il faut trouver des solutions sur le terrain aux problèmes que vivent les gens. La réforme de la santé du Parti libéral et du ministre de la Santé de l'époque Gaétan Barrette a créé des méga-établissements qui sont tellement gros, tellement coupés de la base, qu'on n'est plus capable de régler les problèmes du quotidien à la base, de soulager les gens qui donnent des services.

Le travail à faire n'est pas si compliqué. Il faut prendre tous les départements, analyser la problématique dans chacun. Il faut examiner la structure de base, rétablir une structure de base, adéquate, des équipes complètes dans les milieux des infirmières, infirmières auxiliaires, préposés, de l'entretien ménager. Autrement dit, tout ce qu'on nous a enlevé depuis des années, tous gouvernements confondus. On doit se réattaquer aux problématiques sur le terrain, et cela doit être fait par les gens sur le terrain. Les services doivent être près de la population.

Le respect pour les travailleurs et les travailleuses de la santé doit être rétabli. Prenons la question de la vaccination obligatoire dans le réseau de la santé. On comprend le principe et depuis le début de la pandémie, on encourage nos membres à se faire vacciner. Mais maintenant nos membres sont passés du stade où ils étaient des anges gardiens au stade où ils sont devenus des « tueurs de patients ». On nous a envoyés à la guerre au début de la pandémie, les vaccins sont arrivés beaucoup plus tard. On nous a envoyés soigner des gens sans équipement de protection, sans ventilation adéquate, en nous faisant voyager d'un établissement à l'autre. Et maintenant parce qu'il y a environ 5 % de nos membres qui ne sont pas vaccinés, et certains d'entre eux sont en arrêt de travail, nos membres sont devenus des « tueurs de patients ». Cela ne peut pas fonctionner comme ça.

Les problèmes du système de santé sont des problèmes qui sont ancrés, qui sont profonds, ce n'est pas avec une loi du ministre de la Santé qu'on va les régler. Évidemment, le gouvernement ne nous a pas parlé de la loi, sans parler de nous consulter. Il semble que ça va être une autre loi qui est faite dans un bureau entre quelques personnes.

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