Le refus du gouvernement du Québec
de reconnaître
les bris de service dans la santé
L'expérience des travailleurs et travailleuses de la santé du Nord-Est du Québec
- Entrevue avec Nathalie Savard -
Nathalie Savard est la présidente du
Syndicat des intervenantes et des intervenants
de la santé du Nord-Est québécois (SIISNEQ)
Forum ouvrier : En ce moment,
alors que les services de santé sont à un point de
rupture dans plusieurs régions du Québec, le
ministre de la Santé refuse de parler de bris de
service mais dit qu'il s'agit plutôt d'une
réorganisation des services. Quelle est
l'expérience vécue des résidents de la région dans
laquelle ton syndicat est actif ?
Nathalie Savard : Effectivement,
le ministre de la Santé a dit en conférence de
presse que sur la Côte-Nord et à la Baie James,
nous vivons une réorganisation des services. En
fait, nous avons connu une fermeture complète
pendant une période de temps de l'urgence à
Port-Cartier. Il y a eu des fermetures de services
dans les dispensaires. Le ministre de la Santé a
dit que ce ne sont pas des bris de service. Il dit
que les gens vont continuer à avoir des services,
sauf qu'ils vont devoir aller les recevoir
ailleurs.
Alors
si je suis une mère qui attend un enfant, et qu'on
doit me transférer à Québec parce qu'il n'y a plus
de personnel pour l'obstétrique à Sept-Îles, je
considère que c'est un bris de service dans ma
région qui est la Côte-Nord. Oui c'est un bris de
service quand on ferme l'urgence des Escoumins et
que la personne doit faire trois heures
aller-retour pour aller se faire soigner à
Baie-Comeau.
Juste récemment, on a annoncé qu'il y a un
dispensaire en Minganie qui était fermé par manque
de personnel. Cet été, plusieurs dispensaires de
notre région ont été partiellement fermés. Le
suivi des patients, les traitements, les soins à
domicile ont cessé et on a gardé juste les
services d'urgence. Les dispensaires sont des
établissements de santé très importants dans les
villages. Il y en a aussi parmi les populations
autochtones et ils jouent un rôle très important.
Nous sommes en réalité toujours en situation de
danger de bris de service. Nous sommes toujours
sur un pied d'alerte. Nous avons du personnel qui
fait des heures incroyables pour continuer à
donner des services à la population et garder les
services ouverts. Il y a quelques semaines, on
parlait de fermer les centres mères-enfants dans
des centres comme Baie-Comeau et Sept-Îles.
On s'est battu longtemps dans les régions pour
avoir des services de proximité, des services
complets, notamment des services de spécialistes à
proximité d'où les gens vivent. Nous avons connu
l'époque où les grands services étaient uniquement
donnés dans les grands centres que ce soit
Montréal ou Québec. Cette époque-là ne doit pas
revenir. Nous sommes en 2021.
Lorsque le gouvernement parle de réorganisation
des services, il fait de la politique, il cherche
à se rendre populaire, il se prépare à des
élections.
FO : Le gouvernement du
Québec a annoncé qu'il va déposer un projet de loi
sur la santé à l'automne, un projet de loi qui va
reposer sur ce qu'il appelle l'efficacité des
services. Quelle est ton impression à ce
sujet ?
NS : Cela n'augure rien de
bon. Le thème de l'efficacité des services n'est
pas nouveau. C'est une vision d'affaires. Des
gestionnaires, par exemple, font des comparaisons
entre ce que cela coûte pour traiter un patient à
Québec par comparaison avec Sept-Îles. Ils
considèrent cela comme les propriétaires d'usine
considèrent leurs usines. Ils comparent des coûts
de production. On ne peut pas gérer une société
comme ça, certainement pas un hôpital.
Par exemple il y a beaucoup de communautés
autochtones autour de notre urgence à Sept-Îles,
qui ont leurs problématiques, leurs difficultés.
On vit des problèmes sociaux à différents niveaux
dans les communautés. Il faut travailler avec la
localité, avec la communauté, ce sont des
partenaires importants. Il y a des gestionnaires
qui nous disent que nous ne sommes pas efficaces,
qu'ils nous ont comparés avec l'urgence de Québec.
Dans les grands centres, les urgences ont un
gynécologue sur place, un neurologue sur place. À
Sept-Îles, quand un patient se présente, il faut
contacter ces spécialistes, parfois à Québec,
parfois aussi il faut transférer les patients, il
faut prendre le temps de le faire. Les réalités ne
sont pas les mêmes. On ne peut pas juste comparer
les chiffres et conclure que nous ne sommes pas
efficaces. Parler d'efficacité comme ça, c'est
préparer le terrain à plus de fermetures qu'on
déguise en réorganisation de services.
Il faut remettre les patients au centre des
décisions. Il faut prendre le temps de les
soigner. Et pour cela, il faut prendre soin des
gens qui les soignent. Les gestionnaires doivent
être à l'écoute de leurs équipes. Il faut trouver
des solutions sur le terrain aux problèmes que
vivent les gens. La réforme de la santé du Parti
libéral et du ministre de la Santé de l'époque
Gaétan Barrette a créé des méga-établissements qui
sont tellement gros, tellement coupés de la base,
qu'on n'est plus capable de régler les problèmes
du quotidien à la base, de soulager les gens qui
donnent des services.
Le travail à faire n'est pas si compliqué. Il
faut prendre tous les départements, analyser la
problématique dans chacun. Il faut examiner la
structure de base, rétablir une structure de base,
adéquate, des équipes complètes dans les milieux
des infirmières, infirmières auxiliaires,
préposés, de l'entretien ménager. Autrement dit,
tout ce qu'on nous a enlevé depuis des années,
tous gouvernements confondus. On doit se
réattaquer aux problématiques sur le terrain, et
cela doit être fait par les gens sur le terrain.
Les services doivent être près de la population.
Le respect pour les travailleurs et les
travailleuses de la santé doit être rétabli.
Prenons la question de la vaccination obligatoire
dans le réseau de la santé. On comprend le
principe et depuis le début de la pandémie, on
encourage nos membres à se faire vacciner. Mais
maintenant nos membres sont passés du stade où ils
étaient des anges gardiens au stade où ils sont
devenus des « tueurs de patients ». On nous a
envoyés à la guerre au début de la pandémie, les
vaccins sont arrivés beaucoup plus tard. On nous a
envoyés soigner des gens sans équipement de
protection, sans ventilation adéquate, en nous
faisant voyager d'un établissement à l'autre. Et
maintenant parce qu'il y a environ 5 %
de nos membres qui ne sont pas vaccinés, et
certains d'entre eux sont en arrêt de travail, nos
membres sont devenus des « tueurs de
patients ». Cela ne peut pas fonctionner
comme ça.
Les problèmes du système de santé sont des
problèmes qui sont ancrés, qui sont profonds, ce
n'est pas avec une loi du ministre de la Santé
qu'on va les régler. Évidemment, le gouvernement
ne nous a pas parlé de la loi, sans parler de nous
consulter. Il semble que ça va être une autre loi
qui est faite dans un bureau entre quelques
personnes.
Cet article est paru dans
Numéro 97 - 20 octobre 2021
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