Forum ouvrier

Numéro 33 - 26 avril 2021

Journée nationale de commémoration, 28 avril

Les travailleurs de la santé et des soins aux aînés parlent de leurs préoccupations

Vicki McKenna, présidente de l'Association des infirmières et infirmiers de l'Ontario
Natasha Lisun, présidente de la section locale 8 du Syndicat canadien de la fonction publique à Calgary
Rhonda Bruce, assistante en réadaptation et vice-présidente régionale pour l'Intérieur de la Colombie-Britannique du Syndicat des employés d'hôpitaux


Les travailleurs de la santé et des soins aux aînés
parlent de leurs préoccupations

Vicki McKenna, présidente de l'Association des infirmières et infirmiers de l'Ontario

La pandémie de la COVID-19 a poussé les infirmières autorisées et les professionnelles de la santé au-delà de ce que l'on croyait possible. Les membres de l'Association des infirmières et infirmiers de l'Ontario (AIIO) souffrent de niveaux records d'épuisement professionnel et de fatigue et éprouvent de plus en plus de détresse morale et émotionnelle à cause des exigences qui leur sont imposées et du vécu dont elles ont été témoins auprès de leurs patients, résidents et clients.

Depuis le début, l'AIIO a pris toutes les mesures possibles pour défendre la santé et la sécurité de ses membres. L'AIIO a soulevé la question de la propagation dans les centres de soins de longue durée avec le gouvernement provincial avant qu'une pandémie ne soit déclarée. Ayant appris des leçons du SRAS – c'est-à-dire qu'il faut utiliser le principe de précaution pour assurer la sécurité des patients et du personnel qui les soigne – l'AIIO a lutté sans relâche pour obtenir les protections. Parfois, lorsque les négociations avec le gouvernement n'ont pas abouti, l'AIIO s'est tournée vers les tribunaux – avec succès – pour forcer les centres de soins de longue durée à but lucratif à équiper leur personnel d'équipement de protection individuelle.

Alors que la santé mentale des Ontariens et des travailleuses et des travailleurs de la santé se détériore, les infirmières peuvent se tourner vers le Programme de santé des infirmières élaboré en collaboration avec d'autres organisations de soins infirmiers. L'AIIO note que la Fédération canadienne des syndicats d'infirmières et infirmiers dispose également de ressources.

Malheureusement, les appels de l'AIIO et de ses membres – pour des mesures visant à remédier à la pénurie de personnel infirmier et à améliorer les soins de longue durée – ont été ignorés, et le résultat a été évident pendant la pandémie. S'il y a quelque chose de positif que la COVID-19 va laisser, les infirmières espèrent que ce sera une amélioration des niveaux d'affectation du personnel infirmier autorisé, des soins de longue durée et un renforcement de notre système de santé publique. La pandémie a montré plus clairement que jamais que les infirmières demeurent l'épine dorsale de notre système de soins de santé.

(Photo: AIIO)

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Natasha Lisun, présidente de la section locale 8 du Syndicat canadien de la fonction publique à Calgary

La section locale 8 représente plus de 2 000 membres dans 17 différents établissements de soins aux aînés à Calgary et dans les environs, chacun ayant sa propre unité de négociation. Les sites comprennent toutes les formes de rassemblements d'aînés vivant en Alberta, en passant par les centres de soins de longue durée jusqu'aux résidences désignées d'aide à l'autonomie, les pavillons et les maisons de retraite.

Les plus grands enjeux au sein de nos unités de négociation sont les effectifs en personnel et les congés de maladie payés. Bon nombre de nos unités de négociation manquent encore de personnel. Les travailleurs sont surchargés de travail, souvent ils ne prennent pas leurs pauses, ils n'ont pas suffisamment de temps de vacances et de temps pour se détendre et ne pas se concentrer sur le travail. C'est particulièrement vrai lors d'éclosions. Les nouveaux employés ne restent pas longtemps à cause de la charge de travail et du travail supplémentaire en plus des tâches régulières, par exemple le nettoyage obligatoire continu qui incombe non seulement aux travailleurs de l'entretien ménager, mais aussi aux aides-soignants.

Les congés de maladie sont un autre problème majeur. Plusieurs travailleurs ont des congés de maladie dans nos conventions collectives, mais beaucoup ont épuisé leur temps de maladie à cause d'épidémies et d'avoir dû s'isoler. Dans certains cas, ils sont payés lorsqu'ils s'isolent, mais dans d'autres cas, ils ne le sont pas. Des tests de dépistage rapides ont été introduits dans de nombreuses maisons de retraite et de soins de longue durée. Lorsqu'un travailleur obtient un résultat positif lors d'un test rapide et qu'il se révèle être un faux positif, il se peut qu'il ne soit pas payé pour les jours passés à la maison en attente du deuxième test. Certains employeurs ont accepté de payer cette période au cas par cas, mais d'autres ne l'ont pas fait.

De nombreux employeurs ont des programmes de gestion des présences où les travailleurs peuvent recevoir des avertissements écrits pour avoir pris un congé supérieur à la moyenne, de sorte que nos membres se sentent obligés d'aller travailler pour montrer qu'ils ont essayé. Ils font donc face à une perte de revenu et à une réprimande possible pour s'être déclarés malades alors que les directives de la santé publique stipulent de rester à la maison si vous vous sentez malade.

Nous sommes engagés dans des négociations actuellement qui mobilisent bon nombre de nos unités de négociation et nous faisons pression pour obtenir des congés de maladie payés et nous avons obtenu quelques augmentations des congés de maladie.

Une autre chose qui a eu un grand impact ce sont les ordonnances d'affectation du personnel limitée à un seul endroit de travail et qui ont eu un impact négatif sur pas moins de 20 % de nos membres, ce qui entraîne pour eux des pertes de revenus. Au début de la pandémie, ils ont pu compenser en faisant des heures supplémentaires, mais celles-ci n'ont jamais été garanties et elles étaient uniquement offertes si des heures supplémentaires étaient disponibles. Cela fait plus d'un an maintenant et les préoccupations demeurent face aux ordonnances d'affectation du personnel limitée à un seul endroit de travail et n'ont pas été résolues.

L'affectation du personnel à un seul endroit de travail a beaucoup de failles et les tentatives de les corriger ont été vaines malgré tous nos efforts. La politique était également inadéquate pour ce qui est de contenir la propagation de la COVID-19 d'un site à un autre, car elle ne couvre pas tous les lieux de travail. Elle s'applique uniquement aux sites offrant des soins de longue durée ou des lits désignés pour l'aide à la vie autonome. Vous ne pouvez donc pas travailler dans deux centres de soins de longue durée, mais toute personne travaillant dans un hôpital, une résidence pour retraités ou un pavillon peut également travailler dans des centres de soins de longue durée ou un endroit désigné pour l'aide à la vie autonome. Les travailleurs qui devaient choisir un employeur ont la priorité pour des heures supplémentaires, mais elles ne sont pas garanties. Certains de nos membres occupaient deux emplois à temps plein et se sont retrouvés avec un seul, ou ont perdu toutes leurs heures qui dépassent l'équivalence à temps plein (ÉTP). Nous avons besoin d'une rémunération adéquate maintenant et à l'avenir afin que les travailleurs n'aient pas à occuper plusieurs emplois simplement pour joindre les deux bouts.

En ce qui concerne les ÉPI, depuis l'été dernier, la plupart de nos demandes ont été satisfaites et nous avons été très actifs à ce sujet. Il pourrait y avoir une meilleure offre de masques N95, mais tous ceux qui fournissent des soins directs à des patients déclarés positifs à la COVID-19 reçoivent des masques N95.

Bien qu'à l'heure actuelle le vaccin ait été offert à la plupart de nos membres, le gouvernement n'est pas intervenu pour fournir des informations sur les vaccins à ceux qui ont des inquiétudes, par exemple si le vaccin est sans danger pour les femmes enceintes ou qui essaient de devenir enceintes. Les travailleurs doivent aller chercher eux-mêmes l'information. Le gouvernement doit intervenir et communiquer clairement avec les travailleurs de la santé et répondre à leurs préoccupations.

De quoi avons-nous besoin pour aller de l'avant ? Certains des salaires sont vraiment bas dans le système privé, et pour le système public, le gouvernement exige des réductions de salaire. Si les travailleurs avaient une ÉTP plus élevée, plus de travail à temps plein, des congés de maladie payés pour tous et de meilleurs salaires, ce serait une énorme amélioration pour nos membres et les résidents dont ils s'occupent.

(Photos: Unifor)

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Rhonda Bruce, assistante en réadaptation et vice-présidente régionale pour l'Intérieur de la Colombie-Britannique du Syndicat des employés d'hôpitaux

Lorsque la pandémie nous a frappés, tous les sites de soins de longue durée (SLD) devaient avoir un plan de sécurité lié à la COVID-19. Je suis représentante en santé-sécurité au travail et j'ai examiné le plan avec notre gestionnaire. Nous pensions que les mesures de sécurité liées à la COVID-19 étaient adéquates et nous n'avons eu aucune éclosion, du moins, pas avant Noël.

La première éclosion dans notre communauté s'est déclarée dans la résidence annexée à l'hôpital. La résidence n'avait aucun plan de sécurité précis. Lorsque la COVID-19 a frappé, le système fonctionnait déjà sur la base du temps supplémentaire. Il n'y avait pas assez de personnel. Chaque site devait avoir un plan pour embaucher du personnel supplémentaire, comme le prévoyait le plan de sécurité lié à la COVID-19, mais ce n'est qu'après cinq jours d'éclosion que l'Autorité de la santé a demandé plus d'infirmières autorisées (IA) et d'infirmières auxiliaires autorisées (IAA). Il n'y a eu aucun ajout de personnel pour ce qui est des aides-soignants et des préposés à l'alimentation ou à l'entretien. Le problème, c'est que les IA et les IAA ne dispensent des soins pratiques que dans les cas les plus compliqués. Pour la plupart des résidents, les soins pratiques – nourrir, vêtir, laver, assister le patient pour aller à la toilette, l'aider dans sa mobilité – sont faits par les aides-soignants. Des 59 résidents, 53 ont eu un test positif et 22 sont décédés. À un certain moment, lors d'un quart de travail de nuit, une seule aide-soignante a dû s'occuper de 59 résidents, dont plusieurs étaient malades. Cette travailleuse est en arrêt de travail en ce moment à cause du stress et elle n'est pas la seule.

Une travailleuse en loisirs, qui organise des sorties, des jeux et des activités sociales pour les résidents, a été réaffectée aux résidents en fin de vie pour que ceux-ci puissent communiquer avec les membres de leur famille, prenant avec elle un iPad au chevet des résidents pour qu'ils puissent communiquer avec leur famille dans les dernières heures de leur vie. Elle s'est écroulée. Elle a dit : « Mon emploi en tant qu'aide aux loisirs est d'organiser des activités et des jeux amusants. Je ne suis pas formée pour ce qu'on m'a demandé de faire ». Pendant la première éclosion, les aides-soignants, en plus de leurs tâches régulières, ont été affectés à la préparation des corps des résidents décédés, un travail normalement réalisé par un préposé à la morgue. Ils ont trouvé cela particulièrement difficile.

Une éclosion s'est déclarée à mon endroit de travail le 5 janvier. Je n'étais pas inquiète parce que nous avions notre plan de sécurité, mais je dois avouer que rien ne pouvait nous préparer à ce que nous allions devoir faire. Sur mon aile, 10 patients sur 11 ont eu un test positif à la COVID-19. On nous a donné des directives sur comment mettre et enlever notre ÉPI – blouses, gants, masques et lunettes – ce qui doit être fait dans un certain ordre et méthodiquement. Le problème, c'est que nous étions déjà en pénurie de personnel. Les résidents devaient être isolés et manger dans leur chambre, et certains devaient recevoir des soins spéciaux parce qu'ils avaient des symptômes. C'est donc dire qu'à chaque fois que nous entrions dans la chambre d'un résident, la procédure pour l'ÉPI ajoutait 10 minutes à notre intervention. Une aide-soignante s'occupait de 11 résidents, dont 10 ont eu un test positif. Vous vous rendez compte ? Il faut 20 minutes seulement pour mettre et enlever l'ÉPI pour livrer et reprendre les plateaux, multiplié par 11 résidents en isolement – plus de trois heures par repas. C'était impossible.

Un sérieux problème est que les travailleurs n'ont pas été partie prenante des discussions sur les mesures à prendre par le Contrôle des infections sur comment assurer la sécurité des résidents et leur propre sécurité. Le Contrôle des infections est venu et a donné ses ordres, mais le « comment faire » n'a jamais été discuté et nous n'avions pas suffisamment de personnel. Les deux premières semaines ont été épuisantes et nous ne pouvions assurer le soin dont les gens avaient besoin. Dès que nous avons eu le personnel nécessaire, nous avons pu travailler calmement. Il n'y a pas eu de contamination après que le personnel a été augmenté, les gens pouvaient prendre le temps qu'il fallait, parler avec les résidents, passer du temps avec eux.

Dans un contexte d'éclosion de la COVID-19, vous vivez avec un taux accru d'anxiété en tout temps. Il y a un stress constant et une préoccupation pour vos résidents qui sont confinés dans leur chambre, loin de leur famille et de tout contact social à l'exception du personnel. Il y a une peur toujours présente d'être infecté, de propager la maladie aux résidents, à votre famille.

Il y avait une seule infirmière pour le contrôle des infections dans la partie sud de l'Autorité de la santé au moment de l'éclosion. Maintenant, après une deuxième éclosion, il y en a six, mais il a fallu un an pour y arriver.

Nous avions aussi besoin de sessions de débreffage. Si nous en avons eu, c'est que nous les avons exigées. Nous en avions besoin pour gérer notre stress et son impact sur nous, surtout sur les travailleurs ayant des problèmes de santé comme l'asthme, la haute pression, des maladies auto-immunes, des situations familiales complexes. Nous avons fait notre possible pour nous entraider, par exemple en veillant à ce qu'une travailleuse dont la mère avait le cancer soit affectée à une tâche où elle ne serait pas en contact direct avec les résidents. J'ai obtenu un débreffage pour mon unité et cela a beaucoup aidé. Le débreffage est important pour les travailleurs qui vivent un traumatisme et on en a besoin tout de suite et non plusieurs mois plus tard comme ce fut le cas, sans parler des cas où il n'y en a pas eu.

Nous sommes en mode post-éclosion et sur un pied d'alerte constant. Nous devons faire en sorte de ne pas devenir complaisants et nous sommes préoccupés par les variants. Depuis la fin de la première moitié environ de la période d'éclosion, nous avons suffisamment de personnel. Cela a été maintenu et cela doit être maintenu jusqu'à la fin de cette pandémie.

(Photos: HEU, SCFP)

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