20 avril 2016 • N° 13 | PDF Numéros précédents
Les défis du mouvement ouvrier
Le débat sur les oléoducs et qui établit
l’ordre du jour
– Peggy Morton –
Le Congrès du Nouveau Parti démocratique (NPD) tenu récemment à Edmonton a adopté une résolution qui appelle des associations de circonscription à discuter du manifeste Un bond vers l’avant au cours des deux prochaines années.[1] La résolution a été adoptée malgré la ferme opposition de la première ministre de l’Alberta, Rachel Notley, du président de la Fédération du travail de l’Alberta, Gil McGowan, et d’autres intervenants qui ont désavoué le document.
On lit entre autres dans ce manifeste : « Plus rien ne peut justifier la construction de nouveaux projets d’infrastructures qui nous forcent à continuer d’accélérer le rythme d’extraction des ressources dans les décennies à venir. La nouvelle loi d’airain du développement énergétique doit être : ce dont on ne veut pas dans sa cour ne doit se retrouver dans la cour de personne. Ceci vaut aussi bien pour les oléoducs, les gazoducs, la fracturation au Nouveau-Brunswick, au Québec et en Colombie-Britannique, l’augmentation du trafic de pétroliers le long de nos côtes, et pour les projets des compagnies minières canadiennes partout dans le monde. »
Les médias monopolisés ont depuis déclaré une scission au sein du NPD et se pètent les bretelles à répéter leur brillante trouvaille. Les cercles dominants s’accommodent très bien du mythe des « écolos contre les travailleurs » et de « l’environnement ou les emplois » et de forcer tout le monde à se dire pour ou contre un projet sur lequel nous n’avons aucun contrôle.
Forcer tout le monde à se dire pour ou contre les oléoducs ne fait rien pour ouvrir une voie prosociale vers l’avant. En fait, cela bloque la recherche d’une solution aux problèmes de l’économie. Le problème crucial qui se pose pour la classe ouvrière et ses alliés est qui décide de la direction de l’économie et qui établit l’ordre du jour. Le Canada va-t-il s’engager dans un projet d’édification nationale ou va-t-il continuer de s’enfoncer dans son rôle de partenaire junior du projet d’empire américain sous contrôle de monopoles mondiaux ?
Personne n’a besoin de dire aux travailleurs des champs pétroliers et des sables bitumineux que le statu quo n’est pas une option. La crise actuelle et les bouleversements que cela entraîne dans leur vie sont une preuve suffisante qu’une nouvelle direction est nécessaire. L’économie précaire basée sur l’extraction et l’exportation de matières brutes, la destruction du secteur manufacturier, l’affaiblissement des programmes sociaux et des services publics et la construction frénétique de condos à Toronto et Vancouver fait qu’il est urgent que la classe ouvrière devienne une force prosociale organisée pour le changement. Les travailleurs savent par l’insécurité qu’ils vivent que ce n’est pas la façon de bâtir une économie moderne stable. Le défi qui se pose pour le mouvement ouvrier est de trouver les moyens de renverser la situation, de devenir une force organisée qui peut établir un ordre du jour prosocial pour l’édification nationale et s’assurer que l’économie s’engage dans une nouvelle direction. Les travailleurs ne peuvent se permettre de confier leur sort à d’autres et doivent bâtir un puissant mouvement politique fondé sur des prises de positions politiques indépendantes pour un projet d’édification nationale à leur avantage.
Le débat sur les oléoducs
Les intérêts privés engagés dans l’édification d’empire au sein du système impérialiste mondial d’États dirigé par les États-Unis ont imposé à la société canadienne un ordre du jour antisocial et un soi-disant débat sur les oléoducs. Comme point de départ, la classe ouvrière doit examiner l’origine du débat et ses prémisses. Comment être pour ou contre un ordre du jour qui provient des intérêts monopolistes privés peut-il devenir un débat central sur la direction de l’économie ?
Les monopoles de l’énergie cherchent à faire approuver leurs projets d’oléoducs, qui sont principalement ou entièrement destinés à l’exportation de bitume brut. Les travailleurs de l’énergie et de la construction savent que les oléoducs qui sont proposés ne vont pas résoudre les problèmes de l’économie en Alberta ou dans le reste du Canada ou amener de la stabilité dans leur vie ou dans la vie des autres Canadiens. Cela fait longtemps que le mouvement ouvrier organisé en Alberta demande que le pétrole soit valorisé et raffiné en Alberta et au Canada, que le secteur de l’industrie pétrochimique soit développé et que les oléoducs et les autres projets d’infrastructure soient construits avec de l’acier et d’autres produits manufacturés canadiens. Le gouvernement de l’Alberta sait aussi très bien qu’une économie qui repose sur l’extraction, le transport et l’exportation de pétrole brut vers des marchés incertains alors que le monde est inondé de pétrole n’est pas une solution. De plus, et cela est central à toute discussion sur l’économie, les nations autochtones ont affirmé leur droit de décider et sont déterminées à exercer leur droit à un consentement libre et informé.
Pourquoi alors la classe ouvrière est-elle visée par ce débat où les monopoles de l’énergie revendiquent des oléoducs pour exporter le pétrole brut et leurs adversaires revendiquent une « nouvelle loi d’airain du développement énergétique » selon laquelle « ce dont on ne veut pas dans sa cour ne doit se retrouver dans la cour de personne ».
Ce débat détourne la classe ouvrière et ses alliés des véritables défis de l’édification nationale. À ce moment de l’histoire, les intérêts privés monopolistes sont engagés dans une édification d’empire qui ne connaît pas de limites et dans les préparatifs de guerre. Leur programme antisocial qui repose sur le droit de monopole et vise à détruire le droit public dans le monde entier détruit tout le tissu social et les gouvernements de droits que les peuples aient pu se donner depuis la Deuxième Guerre mondiale.
Si un ordre du jour prosocial décidé par le peuple, pour une nouvelle direction de l’économie demande toujours à émerger, c’est en partie à cause des ordres du jour étrangers au peuple qu’imposent les monopoles et du bruit assourdissant qui est fait au sujet de leurs propres projets, comme les oléoducs. Une réponse pour ou contre étouffe la discussion sur la voie vers l’avant et paralyse la pensée.
La classe ouvrière doit s’arrêter un moment et dire : Un instant ! Nous avons nos propres opinions indépendantes au sujet de l’édification nationale, qui doivent être discutées pour que nous puissions trouver une voie prosociale vers l’avant. Dans un Canada moderne, c’est le peuple qui doit établir l’ordre du jour de l’économie et de la vie sociale. Des positions indépendantes sont requises qui défendent l’intérêt public et non les intérêts privés étroits de puissants autocrates. Si le peuple et son droit public ne sont pas au centre de la discussion, déterminant l’ordre du jour en ce qui concerne la direction de l’économie et les conditions de vie, tout se consume dans le chaos, les crises, l’insécurité et le pouvoir arbitraire sans limites sous le contrôle des intérêts privés agissant en dictateurs.
Une nouvelle direction de l’ économie requiert tout d’abord une nouvelle façon de décider d’une direction qui est au service de l’intérêt public et qui restreint le droit de monopole. La classe ouvrière fait face au défi de développer son travail d’organisation pour trouver cette nouvelle façon de décider et de déterminer l’ordre du jour et mobiliser le peuple pour qu’il l’assume. Il n’y a pas d’autre force sociale qui soit capable de le faire. Aucune force sociale autre que la classe ouvrière organisée n’a le nombre, la capacité, le désir intuitif et la conscience sociale de son rôle clé dans notre société moderne pour déterminer comment élaborer et établir un ordre du jour d’édification nationale et rallier le peuple autour d’une nouvelle direction pour qu’elle devienne une réalité. C’est un défi que la classe ouvrière relève.
Note
1. Le manifeste Un bond vers l’avant a été publié le 15 septembre 2015 sous le titre «Manifeste pour un Canada fondé sur le souci de la planète et la sollicitude des uns envers les autres». On le trouve ici.