Forum ouvrier

Numéro 50 - 23 juillet 2020

La pandémie comme prétexte pour fouler aux pieds
les droits des travailleurs

Tout en oeuvre pour défendre
les droits de tous et de toutes!

Dites non! à la Loi 195 de l'Ontario - Steve Rutchinski

Les travailleurs prennent la parole
Le retrait  de la loi 195 en Ontario exigé lors d'une conférence de
presse syndicale

Les arrêtés ministériels du gouvernement du Québec sont inacceptables
- Entrevue avec Benoît Taillefer


La pandémie comme prétexte pour fouler aux pieds les droits des travailleurs

Tout en oeuvre pour défendre les droits de
tous et de toutes!

Utilisant la pandémie comme prétexte, les gouvernements de tout le pays se livrent à des activités intéressées inacceptables. Alors que les travailleurs ont clairement pris position contre le retour « à la normale »  un état de fait qui continue d'aggraver la pandémie  les gouvernements utilisent la situation pour enlever toute voix aux travailleurs. Déjà, l'offensive qui est menée pour que le système de santé serve le profit privé a conduit à un nombre disproportionné de décès dus à la COVID-19 qui se sont produits dans des établissements privés de soins de longue durée aux conditions déplorables. Par exemple, CBC a indiqué en juin que 85,2% des décès dans les établissements de soins de longue durée dans l'est de l'Ontario se sont produits dans des établissements qui fonctionnent pour le profit. Déjà, l'offensive antisociale, les stratagèmes pour payer les riches et l'impunité mise de l'avant par les gouvernements depuis 20 ans et plus ont entraîné une détérioration complète des conditions sociales.

Lorsque la classe dirigeante a commencé à promouvoir l'offensive antisociale, elle a déclaré avec arrogance qu'elle conduirait à la prospérité. Toutes les mesures qu'elle a prises ont rendu les riches plus riches et les pauvres plus pauvres et ont produit une usurpation de plus en plus de pouvoirs par les intérêts privés étroits. La privatisation, l'élimination de toute trace de l'État-providence et les « changements de politiques fiscales et budgétaires » se sont accompagnés d'attaques contre les syndicats et contre tous les arrangements du passé par lesquels les travailleurs pouvaient négocier les salaires, les conditions de travail et la sécurité en cas de maladie, d'accident ou de retraite. L'arrogance est telle que les travailleurs ne sont inclus dans aucune discussion sur la direction de l'économie ou sur la politique et les affaires sociales, politiques et culturelles. Le système politique qui prétend que le peuple est représenté par l'élection de partis politiques pour former des gouvernements n'a aucune crédibilité ou légitimité parce que le peuple ne contrôle aucun aspect du système électoral, depuis ceux qui sont choisis pour les représenter et qui utilisent son nom pour adopter et mettre en place des politiques, jusqu'aux politiques qui sont adoptées et aux décisions qui sont prises.

Tel est le coeur du problème qui révèle la nécessité du renouveau politique. C'est grâce à la lutte de la classe ouvrière contre la fraude, la corruption et les déclarations cyniques des gouvernements que le peuple dispose encore d'une certaine sécurité. L'utilisation de la pandémie comme prétexte pour justifier des pouvoirs de police d'urgence est condamnable. Les travailleurs doivent la dénoncer sans équivoque et y mettre fin.

Les gouvernements du Québec, de l'Ontario et de l'Alberta décrètent et mettent en oeuvre des mesures antisociales drastiques, utilisant la pandémie pour se donner toutes sortes de pouvoirs au nom du plus grand bien et de la relance de l'économie. Les travailleurs ont le droit d'être consultés, de participer à définir la direction de l'économie et de faire partie intégrante, sur une base égale, de toutes les décisions prises parce qu'elles les affectent et affectent leur vie et celle de leur famille.

Il est temps de rejeter toutes les affirmations selon lesquelles de tels changements législatifs sont constitutionnels ou peuvent être rendus constitutionnels ou acceptables si un système illusoire de freins et contrepoids prévaut. Il n'y a pas de « freins et contrepoids » dans le cadre du diktat du gouvernement. Il y a l'effort des riches pour tout contrôler et les luttes héroïques des travailleurs et de leurs organisations pour les tenir en échec. Mais la division de la société entre ceux qui ont usurpé le pouvoir par la corruption, la fraude et la force et ceux qui sont censés se soumettre sans résistance est au coeur de l'anarchie, du chaos et de la violence qui prennent la forme d'injustices et d'abus les plus odieux de tous genres, et qui prévalent aujourd'hui.

Tout le monde doit dénoncer l'utilisation des pouvoirs de police d'urgence à des fins criminelles et intéressées dans le but de payer les riches. Non à la Loi 195 de l'Ontario, Loi de 2020 sur la réouverture de l'Ontario (mesures adaptables en réponse à la COVID-19), qui habilite le cabinet à rendre permanents les arrêtés temporaires adoptés durant l'état d'urgence dû à la COVID-19. Non au projet de loi 61 du Québec, Loi visant la relance de l'économie du Québec et l'atténuation des conséquences de l'état d'urgence sanitaire déclaré le 13 mars 2020 en raison de la pandémie de la COVID-19 et à la Loi 10 de l'Alberta, Loi de 2020 sur la modification de la santé publique (pouvoirs d'urgence) qui visent à faire la même chose.

La situation à laquelle sont confrontés les travailleurs est devenue une bataille pour la démocratie où toutes les mesures antidémocratiques abominables doivent être abrogées, ainsi qu'une bataille pour la démocratie dans laquelle les travailleurs doivent s'investir du pouvoir décisionnel. Cela commence par prendre position contre l'inacceptable, prendre la parole, décider quelles mesures peuvent être mises en oeuvre à tout moment pour résoudre la crise en leur faveur et donner une nouvelle direction à l'économie. Les travailleurs ne peuvent pas se permettre de simplement réagir à chaque attaque qui est lancée contre eux mais doivent aussi apprendre à être proactifs. Ceux qui utilisent avec arrogance leurs positions de pouvoir et de privilège pour faire des choses qui causent de si grands dommages à la société et au peuple doivent être renversés. Ils ne doivent pas être remplacés par d'autres qui vont faire la même chose mais par les travailleurs eux-mêmes.

Abrogeons les lois antiouvrières et antisociales!
Non aux « pouvoirs d'urgence »!
C'est MAINTENANT le temps d'agir !

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Dites non! à la Loi 195 de l'Ontario


Le 7 juillet, le gouvernement de l'Ontario a déposé le projet de loi 195, Loi de 2020 sur la réouverture de l'Ontario (mesures adaptables en réponse à la COVID-19) pour donner le pouvoir au cabinet de prolonger les arrêtés temporaires qui ont été émis pendant l'état d'urgence de la COVID-19 une fois que l'urgence est levée. La majorité des décrets qui ont été émis supplante d'une façon ou d'une autre les conventions collectives des travailleurs, en particulier celles des travailleurs de première ligne dans les hôpitaux, les établissements de soins de longue durée, les résidences pour retraités, etc. Mais la portée du projet de loi est bien plus grande et atteint les employés des conseils scolaires, des services sociaux, des réseaux d'égouts et de distribution d'eau potable et bien d'autres encore.

Le projet de loi 195 a passé l'étape de la deuxième et troisième lecture le 21 juillet et a reçu la sanction royale le même jour. La nouvelle loi entrera en vigueur le jour où elle sera promulguée par le Cabinet. Cette loi est une expression de plus de l'offensive antisociale qui détruit le tissu social, comme l'a fait la loi 124 adoptée l'an dernier qui a imposé un gel de salaire de trois ans à tous les travailleurs du secteur public de l'Ontario.

La Loi 195 met fin officiellement à l'état d'urgence, mais permet que les décrets d'urgence émis en vertu de la Loi sur la protection civile et la gestion des situations d'urgence (LPCGSU) soient maintenus par décret du lieutenant-gouverneur en conseil (i.e. le cabinet provincial). Alors que les décrets d'urgence en vertu de la LPCGSU devaient être renouvelés tous les 14 jours, la Loi 195 prévoit qu'ils peuvent être renouvelés par le cabinet pour des périodes de 30 jours jusqu'à un maximum d'un an et les pouvoirs conférés par la Loi peuvent être prolongés pour une autre année. Les décrets peuvent aussi être modifiés afin qu'ils s'appliquent à d'autres personnes ou groupes.

La Loi comprend aussi des dispositions d'exécution sévères bien qu'il ne soit pas précisé comment elles seront interprétées et mises en oeuvre.

Des lignes de piquetage d'information ont immédiatement été organisées pour dénoncer cette attaque contre les droits des travailleurs. Les travailleurs et leurs syndicats sont en train de discuter comment y répondre. Michael Hurley, le président du Conseil des syndicats d'hôpitaux de l'Ontario, division du Syndicat canadien de la fonction publique (CSHO/SCFP) qui représente 50 000 travailleurs d'hôpitaux, a tenu des conférences de presse à North Bay, Sudbury et dans d'autres villes pour informer le public et l'appeler à appuyer les travailleurs contre le projet de loi 195. L'Association des infirmières et infirmiers de l'Ontario (AIIO) a organisé deux sessions d'information en ligne et mobilisé des milliers de membres dans la discussion sur l'impact du projet de loi 195 sur les infirmières et les patients. L'Union internationale des employés de service - Division soins de santé (UIES) représentant 60 000 travailleurs de première ligne en Ontario, a dénoncé le projet de loi 195 comme un « cadeau à l'industrie des soins de longue durée fonctionnant pour le profit pour qu'elle outrepasse les conventions collectives en offrant plus de quarts de travail à des travailleurs nouveaux et payés à un salaire plus bas ».

D'autres organisations syndicales telles Unifor, les Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce (TUAC) et la Fédération du travail de l'Ontario (FTO) ont elles aussi dénoncé fermement les actions du gouvernement Ford. L'Association canadienne des libertés civiles (ACLC) a qualifié le projet de loi 195 de « prise de pouvoir antidémocratique » et a lancé l'appel aux députés provinciaux ontariens d'y résister.

« Le projet de loi 195 donnerait essentiellement au premier ministre et aux ministres le pouvoir d'imposer des arrêtés d'urgence qui restreindraient dramatiquement des droits et des libertés fondamentaux sans devoir mobiliser le processus législatif ou les membres de l'Assemblée législative », écrit l'ACLC. L'association dénonce le fait que les pouvoirs spéciaux « dureraient au moins un an et peuvent être prolongés par l'Assemblée législative une année à la fois, indéfiniment. Les pouvoirs qu'ont les gouvernements en vertu de lois d'urgence sont censés être exceptionnels. Le projet de loi 195 ferait de l'exercice de ces pouvoirs la 'nouvelle normalité'.

Les pouvoirs dont disposent le premier ministre et le Cabinet en vertu de la LPCGSU sont considérables. Ils ont notamment le pouvoir d'émettre des décrets qui sont jugés nécessaires et essentiels dans une situation dangereuse qui « risquerait de causer un grave préjudice à des personnes ou d'importants dommages à des biens ». Aucune information ou évaluation n'est fournie qui permettrait de juger si le gouvernement a fait quoi que ce soit pour prévenir ou réduire « un grave préjudice à des personnes ou d'importants dommages à des biens », ou ce qu'il a fait et quelles ont été les conséquences de ses actions pour les Ontariens.

La plupart des décrets d'urgence qui ont été émis en vertu de l'état d'urgence actuel à cause de la pandémie de la COVID-19 prescrivent qu'en dépit de quelque convention collective que ce soit, les employeurs peuvent fixer les priorités en ce qui a trait aux effectifs et peuvent redéployer unilatéralement le personnel à volonté, changer les horaires de travail ou les affectations de quarts de travail, annuler des vacances, engager de la main-d'oeuvre à temps partiel, temporaire et contractuelle et avoir recours à des volontaires pour accomplir des tâches qui appartiennent à une unité de négociation. Les procédures de griefs sont annulées pour toute question qui est traitée dans le décret.

La seule intention qu'expriment ces décrets est d'éliminer le rôle que jouent les syndicats sur tous ces fronts. Le fait que les syndicats ont entièrement coopéré pour faire en sorte que la population soit protégée est ignoré, tout comme est ignoré le fait que ce sont les travailleurs qui savent ce qu'il faut faire à leurs endroits de travail pour que tous soient protégés. Il n'existe absolument aucune justification légitime à ces pouvoirs spéciaux.

Il n'existe aucun cas où les termes et les conditions de travail prévues dans les conventions collectives ont causé « un grave préjudice à des personnes ». Les professionnels et les travailleurs de la santé ont fait plus que ne l'exigent leurs fonctions, au péril de leur vie, pour s'occuper des malades et des aînés. En fait, les conditions de travail des professionnels et des travailleurs de la santé sont les conditions de vie des aînés et de ceux qui ont besoin de soins dans notre société.

La pandémie de la COVID-19 a confirmé ce que les travailleurs n'ont cessé de dire: que la privatisation, les compressions dans les services, la dégradation des salaires et des conditions de travail des travailleurs de la santé, l'engagement de travailleurs temporaires, à temps partiel, et toute l'approche d'abandonner les gens à leur sort ont causé un grave préjudice à la société. L'annulation de conventions collectives pendant l'état d'urgence de la pandémie n'a rien fait pour « réduire le risque » pour quiconque, et encore moins pour les travailleurs de la santé et les patients qui reçoivent des soins. Le fait que la situation est utilisée pour miner la lutte des syndicats pour arrêter la détérioration des conditions de travail des travailleurs et leur capacité de les négocier n'est rien d'autre que de la fraude, de la corruption et un abus de pouvoir.

Chaque jour, pendant cette pandémie, les travailleurs de première ligne ont lutté pour leur sécurité et celle du public. Les travailleurs doivent continuer de prendre la parole à la défense de leurs droits contre cette offensive antisociale et pour une direction de la société centrée sur l'être humain. C'est en poursuivant leur réclamation à ce qui leur revient de droit qu'une « nouvelle normalité » qui sert la société sera créée.

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Les travailleurs prennent la parole

Le retrait de la loi 195 en Ontario exigé lors d'une conférence de presse syndicale


Les infirmières demandent l'abrogation de la Loi 124 qui a imposé un gel de salaire de trois ans à tous les travailleurs du secteur public de l'Ontario.

Le 21 juillet, Michael Hurley, le président du Conseil des syndicats d'hôpitaux de l'Ontario, la division du Syndicat canadien de la fonction publique (CSHO/SCFP) et Steven Barrett, un avocat en droit du travail de la firme Goldblatt Partners, ont organisé une conférence de presse pour mettre en lumière l'impact de ce qui était alors le projet de loi 195 sur les droits des travailleurs d'hôpitaux et pour exiger qu'il soit abrogé. Les extraits ci-dessous sont tirés des réponses de Michael Hurley aux questions des médias dont le Forum ouvrier sur l'impact du projet de loi et la détermination du syndicat à forcer le gouvernement à l'abroger par la lutte de masse des travailleurs.

« Le projet de loi accorde aux employeurs de tout le secteur de la santé le droit d'agir de façon unilatérale. Un employeur n'est pas tenu de tenir compte des conventions collectives existantes. Il peut vous faire passer d'un emploi à l'autre, d'un quart de travail à l'autre. Il peut vous mettre à pied sans avis. Il peut faire venir quelqu'un de l'extérieur pour faire votre travail. Il peut annuler tous vos congés et vos vacances et un des changements les plus significatifs est qu'il peut prendre toutes ces mesures, peu importe qu'il y ait des cas de COVID-19 ou non. Tous les employeurs du domaine de la santé sont autorisés en vertu de cette législation à fonctionner sans égard aux droits compris dans les conventions collectives même si la plupart des hôpitaux et des centres de soins de longue durée en Ontario n'ont pas de cas de COVID. Et ces mesures sont d'une durée d'un an et elles sont renouvelables — ce pourrait être pour deux ans, trois ans. Nous avons dit au gouvernement : 'Écoutez, s'il y a une autre éclosion de COVID, d'Ebola ou de typhoïde, vous pouvez être certains que nous allons être flexibles, comme nous l'avons été au mois de mars. Mais suspendre nos droits de façon permanente n'est pas acceptable.'

« Il faut tenir compte du prix que la main-d'oeuvre a déjà payé pour l'échec du gouvernement provincial à l'approvisionner en protection adéquate. C'est un fait, et dans le contexte de la situation mondiale, le taux d'infection des travailleurs de la santé comparativement au taux de cas publics de la COVID est d'environ 6 % alors qu'en Ontario il est de 17,4 %, un taux trois fois plus élevé. Malgré tout, les gens sont allés travailler, ils ont fourni les soins et se sont mis à risque et, avec raison, ils ont été très applaudis pour leurs actions. On peut leur faire confiance, on peut compter sur eux. Nous demandons au gouvernement de leur faire confiance, de compter sur le fait qu'advenant une autre éclosion, ils seront là pour la population comme ils l'ont été depuis le début.

« Il y aura une contestation juridique de ce projet de loi. Mais nous espérons faire bouger le gouvernement avant d'entamer les procédures. Nous allons tout faire pour atteindre cet objectif.

« Nous allons faire un grand travail d'organisation et nous ne serons pas seuls. Nous espérons le faire avec d'autres syndicats, par exemple, organiser des rassemblements régionaux qui respectent la distanciation sociale et des manifestations provinciales. Nous avons l'appui de la Fédération du travail et des conseils du travail en Ontario. Nous allons demander à tous de nous aider à faire pression sur le gouvernement, à appuyer notre campagne de courriels et nos efforts sur les médias sociaux pour disséminer notre message et participer à toutes nos manifestations. J'ai confiance qu'ensemble nous pouvons être très efficaces. »

Au nom du cabinet juridique Goldblatt Partners, Steven Barrett a expliqué le fondement juridique à deux volets de la demande du CSHO/SCFP d'abrogation du projet de loi 195. D'abord, le projet de loi est une violation de plusieurs décisions de la Cour suprême du Canada qui défendent le droit à la négociation collective en vertu de la liberté d'association inscrite dans la Charte. Il a dit que le fait que le projet de loi 195 déclare officiellement que l'urgence face à la COVID-19 est terminée prive le gouvernement de l'argument juridique d'invoquer l'urgence pour justifier sa violation des droits de négociation collective. Ensuite, le projet de loi 195 fait suite à la loi 124, Loi visant à mettre en oeuvre des mesures de modération concernant la rémunération dans le secteur public de l'Ontario, que le gouvernement a adoptée en 2019, avant la pandémie, qui limite l'augmentation de la rémunération des travailleurs du secteur public à 1 % par année sur une période de trois ans. Une des réalités mises en lumière par la COVID-19, a dit Barrett, est que les travailleurs du SCFP que le CSHO représente ont un salaire beaucoup trop bas. Or, la Loi 124 les empêche, sur une période de trois ans, de négocier des augmentations adéquates qui reconnaissent le caractère essentiel et crucial des services qu'ils dispensent, que ce soit avant ou pendant la pandémie. Il a dit que le projet de loi 195 aggrave l'attaque anticonstitutionnelle qu'on retrouvait dans la Loi 124.

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Les arrêtés ministériels du gouvernement du Québec sont inacceptables


Piquetage devant l'hôpital de Rivière-des-Prairies, à Montréal, le 29 juin 2020

Benoît Taillefer est vice-président en santé et sécurité au travail du Syndicat des travailleurs et travailleuses du CIUSSS du Nord-de-l'Île-de-Montréal

Forum ouvrier : Comment se passe l'intégration des milliers de nouveaux préposés aux bénéficiaires à formation réduite qui en sont maintenant rendus aux stages dans les CHSLD et que les préposés en place doivent former en vertu d'un arrêté ministériel ?

Benoît Taillefer : Je dois d'abord dire que je n'ai absolument aucun problème à ce que des personnes viennent se joindre à nous, qui ont de bons salaires. En même temps, il y a des gens qui sont là depuis longtemps, qui voient des gens arriver qui n'ont pas eu à tout faire pour devenir à temps plein, comme les quarts de travail de jour, soir, de nuit, sept jours sur sept de disponibilité, etc. Je suis content pour les jeunes qui arrivent au travail. Je suis moins content pour ceux qui se sont battus pour avoir des postes et qui après des années n'ont toujours pas accès à des postes à temps plein et qui se sentent lésés.

Le problème c'est que le gouvernement ne négocie pas. Il va sur la place publique et il décrète.

Quand nous, de bonne foi, on demande que la valeur des travailleurs et travailleuses en santé soit reconnue, quand on demande des augmentations de salaire pour tous les bas salariés, qui sont en fait un rattrapage salarial pour les 20 dernières années, il nous rit au visage.

En ce moment, alors que la formation de ces nouveaux préposés vient de commencer, les travailleurs et les travailleuses m'appellent, me parlent de surcharge de travail, d'imposition d'une tâche de formation en plus de leur tâche régulière, au lieu d'y aller par le volontariat. En plus, cinq dollars par jour pour faire cela, c'est ridicule. Pendant qu'on forme quelqu'un comme il faut, parce qu'on parle d'êtres humains, qu'il faut transmettre aux nouveaux le meilleur de ce que nous savons, nous ne sommes pas en train de faire notre travail. Et nos travailleurs et travailleuses ne sont pas remplacés pendant qu'ils font de la formation. Ils doivent faire à la fois leur travail et la formation. On parle ici de former des personnes qui ont fait un peu de théorie et qui n'ont pas d'expérience terrain. Et nous sommes dans une situation où nos membres nous parlent d'une surcharge de travail qui existait déjà dans les conditions de la pandémie et qu'ils doivent maintenant faire cette formation en plus. Nous sommes en train de vérifier tout cela, pour monter un dossier sérieux sur le sujet.

Encore une fois, nous faisons face à un beau discours politique selon lequel les anges gardiens sont précieux et doivent être valorisés, mais ce n'est pas ce qu'on voit sur le terrain.

FO : Les gouvernements utilisent le contexte de la pandémie pour gouverner par arrêtés ministériels. Quelle est ton opinion à ce sujet ?

BT : Le gouvernement fait preuve d'opportunisme politique. Il se sert de la crise de la COVID-19. Les arrêtés ministériels ne sont pas une façon acceptable de gouverner. Nous avons une convention négociée et signée de bonne foi. Et maintenant on nous impose arrêté ministériel après arrêté ministériel qui viennent bafouer nos droits et on n'a pas un mot à dire. Je comprends que nous sommes en crise et qu'il y a des urgences, mais il y a des limites. Il y a des limites à rendre ton monde malade. Quand on est rendu que tu ne peux plus prendre des vacances pendant l'été alors qu'il y a des gens qui sont épuisés, qu'il y a des travailleurs et des travailleuses de la santé qui sont morts sur le terrain, et plus de 5 000 personnes qui sont mortes de la COVID-19 au Québec, dont une grande partie dans les CHSLD, cela dénote une absence totale de reconnaissance des travailleurs et des travailleuses. Et pourtant, les experts de la santé sont bel et bien ceux et celles qui font le travail et qui malheureusement en meurent parfois. Il est temps que l'on porte attention à nos préoccupations et revendications, surtout lorsqu'il s'agit de notre santé et sécurité. Le gouvernement doit arrêter d'adopter des arrêtés ministériels et doit discuter de bonne foi avec les syndicats.

Il faut aussi que les employeurs comprennent que les syndicats ne sont pas des ennemis, mais des partenaires. Pas des cogestionnaires, des partenaires. Surtout en ce qui concerne la santé et la sécurité, et la COVID-19 est une question de santé et de sécurité. Je représente des gens qui font le travail. Ils savent de quoi ils parlent et ils doivent être écoutés et consultés.

Je continue à croire qu'il faut que le syndicat soit plus impliqué. Il doit y avoir des communications qui impliquent les syndicats tous les jours. Je sais que cela se fait dans certains de nos centres. Des réunions d'équipe sur l'heure du midi pour faire le point sur la situation, où les infirmières et les préposés participent.

Lorsque tu fais partie prenante de la solution, tu vas l'appliquer. Quand on te l'impose et qu'elle n'a pas de sens, c'est plus difficile à appliquer. Pour que les choses fonctionnent bien, il doit y avoir valorisation, reconnaissance et respect de l'autonomie. Quand les préposés perdent ces trois concepts-là, ce qu'on entend sur le terrain c'est « on sait bien, nous sommes juste des préposés ». La dévalorisation des préposés aux bénéficiaires est un sérieux problème.

Le gouvernement cherche à faire en sorte que la situation demeure la même. Les employeurs aussi. On nous donne des informations, des directives, et nous, on devient une voie de service. Mais nous, quand on veut communiquer des choses, revendiquer ou proposer, on n'est pas écouté.

On ne peut pas revenir à ce qu'on appelle le « business as usual ». Il faut comprendre qu'il y a une problématique majeure. Il y a une surcharge de travail en général, on n'a pas le temps de donner des soins que j'appellerais psychosociaux. Je comprends que nous ne sommes pas des professionnels de l'intervention psychosociale, mais l'accompagnement que nous donnons aux gens en fin de vie est quand même un accompagnement psychosocial. Qui sont les plus proches des bénéficiaires, à part la famille, que les préposés ? Et beaucoup de bénéficiaires n'ont pas de famille. Ils sont abandonnés. C'est avec les préposés qu'ils peuvent communiquer, exprimer leur désarroi, leurs besoins. On n'a pas le temps de leur apporter ce type de soins. On l'a déjà eu, mais on ne l'a plus. On l'avait il y a 30 ans, quand j'ai commencé dans le métier, et c'était merveilleux. On est presque à la course maintenant. Amener 10 000 nouvelles personnes ne va pas créer un miracle en soi. Il faut qu'on soit capable de faire un travail digne de ce nom, digne de ce qu'est un préposé aux bénéficiaires.

Entendons-nous bien. Il y a eu des correctifs qui ont été apportés. Maintenant, il y a des masques à l'entrée des CHSLD. Il y a un gardien à chaque entrée. Les gens entrent par une seule porte. Tu n'entres pas par où tu veux. Les portes sont surveillées 24 heures sur 24. Tu dois signer en entrant. Les travailleurs et travailleuses qui ont des symptômes doivent le déclarer. S'ils en ont, ils sont retournés chez eux, payés, ça c'est bien. Il y a des gestes qui sont faits pour limiter la propagation de la COVID-19.

Il reste que dans les CHSLD, il y a eu une crise fondamentale. La COVID aura permis de lever le voile sur les multiples aberrations du réseau de la santé. Vouloir ramener les choses comme elles l'étaient, c'est être complètement dans le champ. On doit tirer les leçons qui s'imposent de la COVID-19.

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