Les arrêtés ministériels du gouvernement du Québec sont inacceptables
- Entrevue avec Benoît Taillefer -
Piquetage devant l'hôpital de
Rivière-des-Prairies, à Montréal, le 29
juin
2020
Benoît Taillefer est vice-président en santé
et
sécurité au travail du Syndicat des travailleurs
et travailleuses du
CIUSSS du Nord-de-l'Île-de-Montréal
Forum ouvrier :
Comment se passe l'intégration des milliers de
nouveaux préposés aux
bénéficiaires à formation réduite qui en sont
maintenant rendus aux
stages dans les CHSLD et que les préposés en place
doivent former en
vertu d'un arrêté ministériel ?
Benoît
Taillefer : Je
dois d'abord dire que je n'ai absolument
aucun problème à ce que des personnes viennent se
joindre
à nous, qui ont de
bons salaires. En même temps, il y a des gens qui
sont là
depuis
longtemps, qui voient des gens arriver qui n'ont
pas eu à tout
faire pour devenir à temps plein, comme les quarts
de travail de
jour, soir,
de nuit, sept jours sur sept de disponibilité,
etc. Je suis
content pour
les jeunes qui arrivent au travail. Je suis moins
content pour ceux qui
se sont battus pour avoir des postes et qui après
des
années n'ont
toujours pas accès à des postes à temps plein et
qui se sentent lésés.
Le problème c'est que le gouvernement ne négocie
pas. Il
va sur la place publique et il décrète.
Quand nous, de bonne foi, on demande que la
valeur des
travailleurs et travailleuses en santé soit
reconnue, quand on demande
des augmentations de salaire pour tous les bas
salariés, qui sont en
fait un rattrapage salarial pour les 20
dernières années, il nous
rit au visage.
En ce moment, alors que la formation de ces
nouveaux
préposés vient de commencer, les travailleurs et
les
travailleuses
m'appellent, me parlent de surcharge de travail,
d'imposition d'une
tâche de formation en plus de leur tâche
régulière, au lieu d'y aller
par le volontariat. En plus, cinq dollars par jour
pour faire cela,
c'est ridicule. Pendant qu'on forme quelqu'un
comme il faut, parce
qu'on parle d'êtres humains, qu'il faut
transmettre aux nouveaux
le
meilleur de ce que nous savons, nous ne sommes pas
en train de faire
notre travail. Et nos travailleurs et
travailleuses ne sont pas
remplacés pendant qu'ils font de la formation. Ils
doivent faire
à la
fois leur travail et la formation. On parle ici de
former des personnes
qui ont fait un peu de théorie et qui n'ont pas
d'expérience terrain.
Et nous sommes dans une situation où nos membres
nous parlent
d'une
surcharge de travail qui existait déjà dans les
conditions de la
pandémie et qu'ils doivent maintenant faire cette
formation en
plus. Nous sommes en train de vérifier tout cela,
pour monter un
dossier
sérieux sur le sujet.
Encore une fois, nous faisons face à un beau
discours
politique selon lequel les anges gardiens sont
précieux et doivent être
valorisés, mais ce n'est pas ce qu'on voit sur le
terrain.
FO : Les gouvernements
utilisent le
contexte de la pandémie pour gouverner par arrêtés
ministériels. Quelle
est ton opinion à ce sujet ?
BT : Le
gouvernement fait preuve d'opportunisme
politique. Il se sert de la crise de la COVID-19.
Les arrêtés
ministériels ne sont pas une façon acceptable de
gouverner. Nous avons
une convention négociée et signée de bonne foi. Et
maintenant on nous
impose arrêté ministériel après arrêté ministériel
qui viennent bafouer
nos droits et on n'a pas un mot à dire. Je
comprends que nous sommes en
crise et qu'il y a des urgences, mais il y a des
limites. Il y a des
limites à rendre ton monde malade. Quand on est
rendu que tu ne peux
plus prendre des vacances pendant l'été alors
qu'il y a des gens qui
sont épuisés, qu'il y a des travailleurs et des
travailleuses de la
santé qui sont morts sur le terrain, et plus
de 5 000
personnes qui sont mortes de la COVID-19 au
Québec, dont une grande
partie dans les CHSLD, cela dénote une absence
totale de reconnaissance
des travailleurs et des travailleuses. Et
pourtant, les experts de la
santé sont bel et bien ceux et celles qui font le
travail et qui
malheureusement en meurent parfois. Il est temps
que l'on porte
attention à nos préoccupations et revendications,
surtout lorsqu'il
s'agit de notre santé et sécurité. Le gouvernement
doit arrêter
d'adopter des arrêtés ministériels et doit
discuter de bonne foi avec
les syndicats.
Il faut aussi que les employeurs comprennent que
les
syndicats ne sont pas des ennemis, mais des
partenaires. Pas des
cogestionnaires, des partenaires. Surtout en ce
qui concerne la santé
et la sécurité, et la COVID-19 est une question de
santé et de
sécurité. Je représente des gens qui font le
travail. Ils savent de
quoi ils parlent et ils doivent être écoutés et
consultés.
Je continue à croire qu'il faut que le syndicat
soit
plus impliqué. Il doit y avoir des communications
qui impliquent les
syndicats tous les jours. Je sais que cela se
fait dans certains
de
nos centres. Des réunions d'équipe sur l'heure du
midi pour faire le
point sur la situation, où les infirmières et les
préposés participent.
Lorsque tu fais partie prenante de la solution,
tu vas
l'appliquer. Quand on te l'impose et qu'elle n'a
pas de sens, c'est
plus difficile à appliquer. Pour que les choses
fonctionnent bien, il
doit y avoir valorisation, reconnaissance et
respect de l'autonomie.
Quand les préposés perdent ces trois concepts-là,
ce qu'on entend sur
le terrain c'est « on sait bien, nous sommes juste
des préposés ».
La dévalorisation des préposés aux bénéficiaires
est un sérieux
problème.
Le gouvernement cherche à faire en sorte que la
situation demeure la même. Les employeurs aussi.
On nous donne des
informations, des directives, et nous, on devient
une voie de service.
Mais nous, quand on veut communiquer des choses,
revendiquer ou
proposer, on n'est pas écouté.
On ne peut pas revenir à ce qu'on appelle le «
business
as usual ». Il faut comprendre qu'il y a une
problématique
majeure. Il y a une surcharge de travail en
général, on n'a pas le
temps de donner des soins que j'appellerais
psychosociaux. Je comprends
que nous ne sommes pas des professionnels de
l'intervention
psychosociale, mais l'accompagnement que nous
donnons aux gens en fin
de vie est quand même un accompagnement
psychosocial. Qui sont les plus
proches des bénéficiaires, à part la famille, que
les préposés ?
Et
beaucoup de bénéficiaires n'ont pas de famille.
Ils sont abandonnés.
C'est avec les préposés qu'ils peuvent
communiquer, exprimer leur
désarroi, leurs besoins. On n'a pas le temps de
leur apporter ce type
de soins. On l'a déjà eu, mais on ne l'a plus. On
l'avait il y
a 30 ans, quand j'ai commencé dans le métier,
et c'était
merveilleux. On est presque à la course
maintenant.
Amener 10 000 nouvelles personnes ne va
pas créer un miracle
en soi. Il faut qu'on soit capable de faire un
travail digne de ce nom,
digne de ce qu'est un préposé aux bénéficiaires.
Entendons-nous bien. Il y a eu des correctifs qui
ont
été apportés. Maintenant, il y a des masques à
l'entrée des CHSLD. Il y
a un gardien à chaque entrée. Les gens entrent par
une seule porte. Tu
n'entres pas par où tu veux. Les portes sont
surveillées 24 heures
sur 24. Tu dois signer en entrant. Les
travailleurs et
travailleuses qui ont des symptômes doivent le
déclarer. S'ils en ont,
ils sont retournés chez eux, payés, ça c'est bien.
Il y a des gestes
qui sont faits pour limiter la propagation de la
COVID-19.
Il reste que dans les CHSLD, il y a eu une crise
fondamentale. La COVID aura permis de lever le
voile sur les multiples
aberrations du réseau de la santé. Vouloir ramener
les
choses comme
elles l'étaient, c'est être complètement dans le
champ. On doit tirer les leçons qui s'imposent de
la COVID-19.
Cet article est paru dans
Numéro 50 - Numéro 50 - 23 juillet 2020
Lien de l'article:
Les arrêtés ministériels du gouvernement du Québec sont inacceptables - Entrevue avec Benoît Taillefer
Site Web: www.pccml.ca
Email: redaction@cpcml.ca
|