Supplément

Numéro 447 juillet 2020

Anniversaire de la Constitution du Canada de 1867

Une revendication moderne de l'égalité

La « Terre neuve » et la résistance héroïque
des Mi'kmaq et des Béothuk

- Tony Seed -


À titre d'information
Pourquoi le Canada était appelé un « dominion »
Les Lettres patentes accordées à Jean Cabot et la prérogative royale




Anniversaire de la Constitution du Canada de 1867

Une revendication moderne de l'égalité

Extraits du livre Pour faire face à l'avenir de Hardial Bains écrit durant le référendum sur l'Accord de Charlottetown en 1992.

La revendication d'un droit est l'expression du degré de développement de la personnalité humaine selon les conditions de l'époque. Il s'agit ici de la personnalité humaine en tant que genre, en tant que reflet approprié de son époque, en tant que produit de l'être social. La revendication de l'égalité est donc aussi un produit de l'histoire. La revendication moderne de l'égalité consiste à réclamer le même statut politique et social pour tous les êtres humains, ou du moins pour tous les citoyens de l'État ou tous les membres de la société, du fait de la communauté de leur nature humaine, du fait qu'ils sont tous des êtres humains.

La personnalité ou la civilisation humaine a évolué au fil des millénaires selon les conditions de chaque époque. Elle a été marquée par certaines époques et souvent elle a à son tour marqué les époques, son propre développement donnant naissance à la revendication que les conditions soient changées.

Dans les communautés primitives les plus anciennes, l'égalité des droits s'appliquait tout au plus aux hommes, l'exclusion des femmes, des esclaves et des étrangers étant considérée comme allant de soi.

Chez les Grecs et les Romains les inégalités entre les hommes étaient beaucoup plus significatives que l'égalité réalisée dans certains domaines. Dans la civilisation grecque on distinguait Grecs et barbares, hommes libres et esclaves, citoyens et étrangers. Les Romains faisaient une distinction entre citoyens romains et sujets romains, bien que ces distinctions, à l'exception de celle entre homme libre et esclave, aient progressivement disparu. Ainsi est apparue l'égalité entre citoyens privés, c'est-à-dire entre hommes libres, qui donna naissance au droit romain, un système élaboré de lois fondé sur la propriété privée.

Dans le contexte européen il y avait, à l'époque médiévale, le roi et la noblesse qui possédaient terres et châteaux et tiraient leurs richesses du servage. En raison du droit divin, tous les droits appartenaient au roi qui gouvernait de concert avec l'Église. En 1215, avec la Grande Charte, les barons anglais obligèrent le roi à leur remettre une partie de ses droits.

Dans l'empire germanique fut développée une hiérarchie sociale et politique complexe comme on en n'avait jamais vue qui mit au rancart toute notion d'égalité pour des siècles à venir. Plus tard, avec le développement historique, il apparut pour la première fois un système d'États nationaux dans lequel les États s'influençaient mutuellement tout en se protégeant les uns des autres. C'est au sein de ces États nationaux qu'apparut plus tard la notion d'égalité des membres d'un corps politique spécifique.

C'est finalement l'époque de la Renaissance, soit la deuxième moitié du quinzième siècle, en Europe occidentale, qui nous amène à l'orée des temps modernes. Une nouvelle forme de production, la production capitaliste, se fit jour, d'abord en Italie dans les années 1400 et s'étendant vite à toute l'Europe. Fondée d'abord sur l'artisanat, sur la manufacture au vrai sens du terme, elle était l'embryon de la grande industrie d'aujourd'hui. Le pouvoir royal, qui reposait sur les citoyens des villes, renversa le pouvoir féodal de la noblesse et donna naissance aux grandes monarchies nationales, au sein desquelles prirent naissance de nouveaux États modernes et la nouvelle société bourgeoise.

Les grandes découvertes géographiques et scientifiques de l'époque propulsèrent ce mouvement vers l'avant. Les découvertes, comme celle de Christophe Colomb, dont les voyages permirent de constater que la terre était ronde, et celle de Copernic qui prouva que la terre tourne autour du soleil, renforcèrent la confiance de l'homme en lui-même. La découverte de la boussole ouvrit la voie aux grandes croisades aventurières. Les caravelles, les embarcations rapides et légères du quinzième et du seizième siècles permirent les grandes traversées à la recherche de nouvelles terres. C'est alors seulement que ces pays découvrirent le monde et que furent jetés les fondements du commerce international. L'invention de l'imprimerie en 1450 aida à la propagation des écrits de l'Antiquité, de l'éducation et de la culture. La découverte de la poudre à canon, ramenée de Chine par Marco Polo, mit fin à l'invincibilité des forteresses du Moyen-Âge.

Si ces facteurs conduisirent à un développement sans précédent des forces productives, ils apportèrent aussi une nouvelle forme d'exploitation des travailleurs dans les manufactures et des paysans, une exploitation encore plus brutale qu'auparavant. Les contradictions sociales et la lutte des classes s'accentuèrent. Les habitants des nouvelles terres étaient impitoyablement pillés. Le féodalisme fut ébranlé par de nombreuses insurrections populaires.

Ces changements aidèrent à la naissance de la nouvelle conception du monde de la vie et de l'homme, qui trouva son expression dans l'humanisme, et libérèrent l'homme de l'exploitation féodale et de l'oppression obscurantiste. Les humanistes dénoncèrent l'hypocrisie du clergé qui inculquait à l'homme le mépris des choses de ce monde afin de mieux vivre dans un paradis dans l'au-delà. Ils apprirent à l'homme à rechercher le bonheur par l'activité pratique et par l'application de la science. L'homme était maintenant l'objet premier de la science, de la philosophie, de la littérature et des arts. Les droits de l'homme doivent être défendus. L'homme doit être brave et audacieux et doit être doté d'une pensée indépendante. Il doit donc soumettre à la critique tout ce qui l'entoure. Ces qualités ne s'acquièrent pas par l'accumulation de titres de noblesse, mais par l'activité quotidienne.

La nouvelle culture n'était pas une continuation de la culture du Moyen-Âge, qui fut une période de noirceur et d'ignorance, mais de cette culture créée par la civilisation gréco-romaine. On notera chez les humanistes une admiration de l'Antiquité dans toutes leurs entreprises. Ils étaient convaincus de l'impossibilité de créer quoi que ce soit sans imiter les réalisations anciennes, qu'ils croyaient insurpassables. Engouffrés dans le culte de l'Antiquité, nombre d'humanistes rédigèrent leurs ouvrages en latin, langue demeurée incompréhensible pour le peuple. Cependant, des humanistes progressistes luttèrent pour l'unité nationale et commencèrent à écrire dans les langues nationales.

Tout le système médiéval d'éducation était remis en question. De solides coups furent portés à l'idéologie religieuse et à la scolastique, un courant philosophique apparu au onzième siècle en opposition aux sciences et fondé non pas sur l'analyse de la réalité, mais sur les dogmes de l'Église. L'étude de l'Antiquité donna un élan aux sciences expérimentales qui commencèrent à s'affranchir de la téléologie, doctrine religieuse selon laquelle le monde obéit à une finalité.

Il faut cependant garder à l'esprit que tous ces nouveaux avantages de la société étaient l'apanage exclusif des couches qui pouvaient s'en permettre le loisir. Le peuple était exploité à outrance, sans culture et sans instruction. On ne lui reconnaissait aucun droit. Sur le plan économique, le commerce avait beaucoup dépassé en importance les seuls échanges entre les pays d'Europe et le commerce intérieur de ces pays. L'Europe fut envahie par l'or et l'argent de l'Amérique. L'industrie artisanale ne pouvait plus satisfaire la demande croissante ; dans les grandes industries des pays les plus avancées, elle fut remplacée par la manufacture. Les changements formidables survenus dans les conditions économiques exigeaient des changements dans les structures politiques. Le commerce intérieur, le commerce international et surtout le commerce mondial exigeaient l'égalité des droits pour les marchands. Ces derniers devaient pouvoir échanger leurs biens sur une base égale, du moins dans leur champ respectif. Le passage de l'artisanat à la manufacture suppose l'existence d'hommes libres, affranchis des entraves de la corporation, libres de vendre leur force de travail, jouissant de l'égalité des droits en tant que parties contractantes.

C'est ce contexte qui a façonné la revendication de l'égalité contemporaine. Les rapports économiques exigeaient l'égalité et la liberté, mais le régime politique y faisait obstacle. C'est aux grands hommes du dix-huitième siècle, surtout en France, qu'incomba la tâche de transcender la pensée de la période antérieure. L'oeuvre la plus représentative de cette époque, qu'on appelle le Siècle des Lumières, fut l'Encyclopédie, publiée entre 1750 et 1789 à Paris par Denis Diderot avec l'aide de Jean le Rond d'Alembert, et comprenant les contributions de quelque quarante autres « philosophes », notamment de Jean-Jacques Rousseau, Voltaire, Montesquieu, Quesnay, Fontenelle, le baron d'Holbach et Buffon, de même que l'apport anonyme d'innombrables ouvriers et artisans consultés pour leur expertise de la mécanique, de la construction et des instruments techniques. Elle fut influencée par des hommes comme Condillac et Helvétius. L'Encyclopédie, « dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers », constitua un recueil de la connaissance humaine accumulée jusqu'à ce jour. C'était surtout une arme dans la lutte contre tous les préjugés de l'Ancien Régime. Les encyclopédistes se mirent à vulgariser et à propager les résultats de la révolution scientifique dans l'espoir qu'elle serve à encourager la transformation de la société. C'était une contribution colossale au changement social en ce qu'elle canalisait l'ensemble de la connaissance humaine dans l'effort de réforme sociale. Évidemment, la vulgarisation des réalisations de la révolution scientifique devait nécessairement conduire à une remise en cause fondamentale et bouleversante de toutes les idées et de tous les préceptes à la base de la société sous l'Ancien Régime. Robert Niklaus, dans un essai intitulé Le Siècle des Lumières, écrit :

La soif du savoir et la curiosité intellectuelle avaient comme objet le monde extérieur. La connaissance de l'histoire, des langues et des religions des habitants de pays étrangers ; des nouveaux développements dans les sciences, surtout la physique, les mathématiques, les sciences naturelles et la médecine, changèrent le climat d'opinion dans l'ensemble du monde civilisé. On attira l'attention sur l'éthique, la politique et l'économie de l'homme social, mais au centre se trouvait l'homme individuel, sa nature, son bonheur, son rapport avec le cosmos, les fonctionnements de sa pensée...

Friedrich Engels écrit dans son Anti-Duhring :

Les grands hommes qui, en France, ont éclairé les esprits pour la révolution qui venait [...] ne reconnaissaient aucune autorité extérieure, de quelque genre qu'elle fût. Religion, conception de la nature, société, organisation de l'État, tout fut soumis à la critique la plus impitoyable ; tout dut justifier son existence devant le tribunal de la raison ou renoncer à l'existence. La raison pensante fut la seule et unique mesure à appliquer à toute chose. Ce fut le temps où, comme dit Hegel, le monde était mis sur sa tête, en premier lieu dans ce sens que le cerveau humain et les principes découverts par sa pensée prétendaient servir de base à toute action et à toute association humaine, et, plus tard, en ce sens plus large, que la réalité en contradiction avec ses principes fut inversée en fait de fond en comble. Toutes les formes antérieures de société et d'État, toutes les vieilles idées traditionnelles furent déclarées déraisonnables et jetées au rebut ; le monde ne s'était jusque-là laissé conduire que par des préjugés ; tout ce qui appartenait au passé ne méritait que pitié et mépris. Enfin, le jour se levait ; désormais, la superstition, l'injustice, le privilège et l'oppression devaient être balayés par la vérité éternelle, la justice éternelle, l'égalité fondée sur la nature, et les droits inaliénables de l'homme.

Cette défense des droits de l'homme et du besoin d'un monde meilleur sur la terre annonçait le début des temps modernes. Dans son livre Les philosophes, Norman L. Torrey écrit que

...les idées que nous avons de ce qui constitue les principes fondamentaux de la démocratie trouvent leur origine dans les écrits des « philosophes ».

Il poursuit :

D'Alembert explique que le sens de l'équité, le besoin de découvrir une loi précédant toutes les lois positives et écrites [...] provient d'avoir fait l'expérience de l'injustice, une théorie dont la grande passion de la justice chez Voltaire fut un exemple remarquable.

John Morley fait remarquer dans son ouvrage Diderot and the Encyclopaedists :

Lorsqu'on affirme que les encyclopédistes ont amorcé un travail politique, on veut dire qu'ils ont examiné à la lumière des idées nouvelles les institutions, les usages et tout ce qui touchait au bien-être et au bonheur véritables de la France, comme la nutrition qui influe sur la santé et la force du Français individuel. Ce sont les encyclopédistes qui agitèrent les opinions en France contre les inégalités de la tyrannie coloniale et les abominations du commerce des esclaves. Ils démontrèrent la folie, l'inutilité et la cruauté d'un régime fiscal qui faisait mourir la terre. [...] C'est ce groupe d'auteurs qui comprirent les premiers le grand principe de la société moderne, le mérite de l'industrie productrice. [...] attirant l'attention du public général sur les causes de la détérioration forcée de l'agriculture française, notamment les restrictions imposées au commerce des céréales, l'arbitraire des impôts et l'exode des populations vers les grandes villes. [...] Lorsqu'on dit, donc, que les encyclopédistes ont délibérément préparé la voie à une révolution politique, rappelons que leur véritable accomplissement fut de jeter la lumière de la raison sur les doléances pratiques.

Par contre,

...pas un seul « philosophe » ne fut un véritable démocrate. Dans leurs écrits se trouvent les origines intellectuelles de la révolution française, mais ils n'étaient pas des révolutionnaires. Dans son ouvrage De l'esprit des lois, Montesquieu se porte à la défense des privilèges seigneuriaux dont il trace les origines et dont il jouissait en tant que membre de la noblesse. Sa théorie de l'équilibre des pouvoirs invoquait la nécessité d'une chambre des lords comme facteur de stabilisation entre le roi et la chambre basse. Voltaire, en tant que propriétaire foncier bienveillant, se méfiait du peuple, en proie à la superstition et au fanatisme, et croyait que la monarchie constitutionnelle serait la meilleure solution pour la France. Rousseau partageait avec Platon la méfiance des démocraties et la croyance presque universelle que les procédures administratives démocratiques étaient impossibles dans une grande nation. Le gouvernement représentatif, croyaient-ils, menait inévitablement à l'usurpation et à la corruption. Face à ce dilemme, Montesquieu proposa une république fédérée, ou une société de sociétés, qui pourrait sauver les institutions démocratiques et sauvegarder la force de ses membres.

Résumant la contribution politique des encyclopédistes, Robert Niklaus écrit :

On sait que pendant longtemps les « philosophes » ont misé leurs espoirs de réforme sur l'institution d'un législateur idéal qui assurerait le bonheur et la vertu [...] et c'est avec réticence et très tard qu'ils se détournèrent, par désespoir, de la monarchie pour épouser les idéaux républicains souvent inspirés de Rousseau, que très peu ont d'ailleurs vraiment compris. Durant la première époque ils se soucièrent davantage de réformes pratiques touchant le commerce et l'industrie, et de réformes civiles qui permettraient aux hommes de faire tout ce que les lois permettaient de faire. Ils n'ont pas réclamé la liberté politique, comme le révèle une lecture attentive de l'Encyclopédie à l'article « Liberté ». Ils ne désiraient pas voir abolir toute forme de censure ; ils voulaient qu'on nomme un censeur favorable à leur cause. Ils attaquèrent implacablement les inégalités du système social, et l'idée d'un contrat social comme base de la société gagna du terrain, avec son implication que si le souverain rompt le contrat tacite entre son sujet et lui-même, il peut être révoqué.

La notion de consentement populaire de Rousseau fournit une base rationnelle à la révolution qui devait s'insurger contre la conception des droits telle qu'exprimée par la déclaration de Louis XIV : « L'État, c'est moi. » Le précepte de Rousseau, « tous les hommes naissent égaux », servit à expliquer comment l'homme naturel pouvait être dénaturalisé et refaçonné en l'homme civil, comment la liberté civile pouvait se substituer à la liberté naturelle et comment l'égalité pouvait être reconquise par une société fondée sur la volonté générale du peuple souverain. Le Contrat social se voulait le fondement logique de toute autorité légitime. Les principes généraux du Contrat social comprennent 1a notion qu'aucun homme n'a d'autorité naturelle sur les autres et donc que les rois n'ont pas de droit divin. L'individu, en tant qu'unité de base, renonce à ses droits naturels en faveur de l'État, dans lequel il est à la fois souverain et sujet. Il propose la notion de droits civils qui supplantent les forces naturelles et réfute le droit du plus fort. La force, écrit-il, demeure une cour d'appel de dernière instance et justifie la révolution contre la tyrannie ou l'usurpation des pouvoirs politiques.

Voici comment le problème se pose chez Rousseau :

Je suppose les hommes parvenus à ce point où les obstacles qui nuisent à leur conservation dans l'état de nature l'emportent, par leur résistance, sur les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état. Alors cet état primitif ne peut plus subsister ; et le genre humain périroit s'il ne changeoit de manière d'être.

Or, comme les hommes ne peuvent engendrer de nouvelles forces, mais seulement unir et diriger celles qui existent, ils n'ont plus d'autre moyen, pour se conserver, que de former par agrégation une somme de forces qui puisse l'emporter sur la résistance, de les mettre en jeu par un seul mobile et de les faire agir de concert.

Cette somme de forces ne peut naître que du concours de plusieurs ; mais la force et la liberté de chaque homme étant les premiers instruments de sa conservation, comment les engagera-t-il sans se nuire et sans négliger les soins qu'il se doit ?

Il explique cette difficulté dans les termes suivants :

« Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s'unissant à tous, n'obéisse pourtant qu'à lui-même, et reste aussi libre qu'auparavant. » Tel est le problème fondamental dont le Contrat social donne la solution.

Les clauses du Contrat social, écrit-il, se résument à une seule :

L'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté : car, premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous ; et la condition étant égale pour tous, nul n'a intérêt de la rendre onéreuse aux autres.

En conclusion :

Enfin, chacun se donnant à tous ne se donne à personne ; et comme il n'y a pas un associé sur lequel on n'acquière le même droit qu'on lui cède sur soi, on gagne l'équivalent de tout ce qu'on perd, et plus de force pour conserver ce qu'on a. [...]

À l'instant, au lieu de la personne particulière de chaque contractant, cet acte d'association produit un corps moral et collectif, composé d'autant de membres que l'assemblée a de voix, lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi commun, sa vie et sa volonté. Cette personne publique, qui se forme ainsi par l'union de toutes les autres, prenait autrefois le nom de cité, et prend maintenant celui de république ou de corps politique, lequel est appelé par ses membres État quand il est passif, souverain quand il est actif, puissance en le comparant à ses semblables. À l'égard des associés, ils prennent collectivement le nom de peuple, et s'appellent en particulier citoyens, comme participant à l'autorité souveraine, et sujets, comme soumis aux lois de l'État. Mais ces termes se confondent souvent et se prennent l'un pour l'autre ; il suffit de les savoir distinguer quand ils sont employés dans toute leur précision.

En résumé la conception de la souveraineté de Rousseau est

...que la volonté générale peut seule diriger les forces de l'État selon la fin de son institution, qui est le bien commun ; car, si l'opposition des intérêts particuliers a rendu nécessaire l'établissement des sociétés, c'est l'accord de ces mêmes intérêts qui l'a rendu possible. C'est ce qu'il y a de commun dans ces différents intérêts qui forme le lien social ; et s'il n'y avoit pas quelque point dans lequel tous les intérêts s'accordent, nulle société ne sauroit exister. Or, c'est uniquement sur cet intérêt commun que la société doit être gouvernée.

Le pouvoir souverain, dit-il, peut être transmis, mais pas la volonté.

Cette conception rendait les peuples d'Europe et d'Amérique conscients de leurs droits dans les conditions données. Les industriels et les marchands s'enrichissaient continuellement, mais restaient dépourvus de droits politiques. Les fonctions supérieures de l'État demeuraient entre les mains de la grande noblesse qui conservait jalousement son pouvoir et réprimait impitoyablement tout mouvement organisé. Le maintien de la cour royale engouffrait des sommes énormes. Le régime d'imposition était si onéreux qu'il provoqua nombre d'insurrections paysannes et des rébellions dans les colonies.

La révolution française porta un solide coup aux fondements du vieil ordre féodal. Une nouvelle classe, la bourgeoisie, s'empara du pouvoir et accapara l'autorité. La Guerre d'indépendance américaine donna naissance aux États-Unis d'Amérique. Ces grands accomplissements du dix-huitième siècle ont été suivis de deux siècles de bouleversements et de croissance dans tous les domaines.

Conclusion

Le système de partis et le processus politique se sont progressivement discrédités tout au long du vingtième siècle. L'électorat réclame un rôle dans les prises de décision du gouvernement. Les crises nationales servent de prétexte pour escamoter le problème, à tel point que durant ces crises les gouvernements parviennent à s'imposer en tant que représentants de la volonté de la nation. Ce fut le cas durant la première et la deuxième guerres mondiales. L'exemple le plus récent de ce phénomène est le ralliement de l'opinion publique américaine à l'appel de George Bush durant la guerre du Golfe. Une fois la supposée crise nationale terminée, le public a demandé qu'il s'occupe de l'économie.

Ce n'est pas un hasard si la notion de « volonté nationale » se substitue parfois à la « volonté populaire ». Or, la première relève de la nation, la seconde relève des rapports entre les citoyens et le corps politique. Ils ne sont pas interchangeables.

Le monde doit se pencher sur la déficience du système démocratique et du processus politique, car ni l'un ni l'autre ne représente le corps politique d'aujourd'hui. Au dix-huitième et au dix-neuvième siècles, ils représentaient le corps politique constitué par les classes possédantes qui s'étaient emparé du pouvoir politique, que ce soit dans les métropoles ou dans les colonies.

Au cours des deux derniers siècles le droit de vote est devenu universel. Aujourd'hui il s'applique aux femmes ; il s'applique aussi à ceux que l'Angleterre impériale considérait jadis comme « races inférieures ». Au Canada, le droit de vote est devenu véritablement universel lorsqu'il a été accordé aux peuples autochtones. Or, une fois le droit de vote reconnu comme universel, une contradiction se fait jour entre les détenteurs des droits politiques et les détenteurs du pouvoir politique. Cette carence de la démocratie n'a jamais été corrigée.

Le pouvoir politique apparu au dix-huitième et dix-neuvième siècles représentait un corps politique bien précis. Les notions de gouvernement représentatif, gouvernement populaire et gouvernement responsable concordaient en général aux valeurs des classes possédantes qui formaient le corps politique. La souveraineté juridique et la souveraineté politique s'harmonisèrent. Mais dès que les partis politiques au parlement ne représentent plus les corps constitués des électeurs, le conflit refait surface, le mécontentement populaire assume une importance primordiale et les pouvoirs en place s'efforcent de précipiter une crise nationale pour escamoter le problème. Le besoin de renouveler la démocratie demeure, le système politique étant infirmé par cette contradiction entre le corps politique qui détient le pouvoir et le corps politique qui détient un pouvoir nominal. Il existe aussi un besoin de renouveler le Canada : la nécessité d'incorporer toutes les Canadiennes et tous les Canadiens dans la nation canadienne. Il faut donner aux droits humains une définition et une garantie politique. Il faut aussi donner aux droits nationaux une garantie politique. Ce sont les conditions universelles du renouvellement de la démocratie.

Si la fin de la guerre froide a placé à l'ordre du jour le besoin de renouveler les démocraties, ce n'est pas la première fois que la question se pose. Le fait que le pouvoir politique ne représente plus, politiquement l'ensemble de l'électorat qui aujourd'hui englobe tous les êtres humains, et non plus seulement les citoyens ayant une propriété, est une carence de la démocratie qui doit être corrigée. II faut inventer les moyens de donner un pouvoir réel à l'électorat. Tel est le problème fondamental aujourd'hui.

Le problème du renouvellement du Canada se pose d'une façon un peu différente. C'est un problème qui concerne la nation et en particulier la fédération, la façon dont elle a été formée et l'état dans lequel elle se trouve aujourd'hui. En faisant du Canada une fédération, l'Acte d'Amérique du Nord britannique proclamait que les décisions du parlement anglais s'appliqueraient dans les domaines autres que ceux relatifs au partage des pouvoirs. Bref, pour régir tout ce qui a trait au rapport entre le citoyen et le gouvernement, le Canada a hérité du droit constitutionnel et non constitutionnel anglais, soit l'ensemble des législations du parlement britannique depuis la Conquête des Normands. Jusqu'en 1949, la plus haute cour canadienne était le Comité judiciaire du Privy Council siégeant à Londres et était en grande partie composée de juges anglais. Les développements du common law anglais étaient incorporés plus ou moins automatiquement au droit canadien. Depuis 1949, les décisions prises en Angleterre n'ont plus force de loi au Canada, mais la Cour suprême leur réserve une grande considération. Depuis 1982, le parlement britannique ne peut plus adopter de loi s'appliquant au Canada.

Quand nous disons que le Canada arrive à maturité, nous devons reconnaître que la réalisation du gouvernement autonome en 1867 fut la première étape ; la seconde étape fut l'abolition de l'autorité de la cour et du parlement anglais dans les affaires judiciaires du Canada, en 1949. La troisième étape fut le rapatriement de la Constitution en 1982, dérobant le parlement britannique du droit d'amender la Constitution canadienne et de son veto en matière législative canadienne. L'étape finale sera le renouvellement de la démocratie et de la nation. Le renouvellement signifie qu'il faut renouveler les parties composantes de la fédération afin de reconnaître : 1. le fait que les arrangements coloniaux concernant le Québec et les nations indiennes doivent être corrigés ; 2. le fait que le Canada est aujourd'hui constitué de citoyens de quelque quarante-cinq nationalités différentes et que toutes les langues et toutes les cultures sont égales ; 3. le fait que le partage des pouvoirs tel qu'établi en 1867 doit être renouvelé afin de répondre à la situation économique et politique, nationale et internationale contemporaine.

Le renouvellement de la démocratie doit donc passer par la rédaction d'une nouvelle constitution qui reconnaîtra la démocratie du corps politique et la souveraineté du peuple et définira les droits et les devoirs des citoyens, les sujets, et les droits et devoirs que les citoyens cèdent à leurs élus, leur gouvernement. Bref, elle doit définir un processus de prises de décision qui soit démocratiquement adopté et résoudre le problème de la participation des citoyens au gouvernement. Un des droits humains sur le plan politique est le droit de participer à l'administration des affaires de la société à laquelle on appartient. Les êtres humains, en raison même de leur existence, vivent en société et réclament à la société le droit au logement, à un moyen de subsistance, à l'éducation, à la santé et au bien-être. La société doit satisfaire ces réclamations et les reconnaître comme des droits, non pas comme des énoncés de principe. Ces réclamations découlent du droit d'être, le droit qui appartient à l'humain dès la naissance. La naissance est en soi une réclamation faite à la société. Ce droit ne peut jamais être supprimé.

La crise politique, la crise causée par le fait que la souveraineté juridique et la souveraineté politique ne concordent pas, ne sera pas résolue sans un dénouement de la crise constitutionnelle, sans reconnaître le besoin de rédiger une nouvelle constitution qui donne aux Canadiennes et aux Canadiens : 1. un renouvellement de leur fédération, et 2. une constitution politique qu'ils puissent faire leur, non pas une constitution qui soit comprise uniquement par ceux qui sont de tradition anglaise. Il ne s'agit pas de tout jeter par la fenêtre. Les Canadiens voudraient enchâsser dans leur constitution les fruits de la civilisation humaine. Il ne s'agit pas d'élaborer une constitution parfaite ; il s'agit d'apprendre de notre expérience de la démocratie et de l'expérience des autres depuis le dix-huitième siècle et d'y apporter notre contribution.

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La « Terre neuve » et la résistance héroïque des Mi'kmaq et des Béothuk


La résistance des Mi'kmaq se poursuit encore aujourd'hui. CI-dessus ils défendent de  façon militante leurs droits ancestraux en bloquant les opérations de fracturation hydraulique près de Rexton, au Nouveau-Brunswick, le 7 octobre 2013.

Le navigateur vénitien Giovanni Caboto (Jean Cabot), mandaté par Henri VII d'Angleterre, a touché terre à Terre-Neuve, le 24 juin 1497. Croyant qu'il s'agissait d'une île au large des côtes de l'Asie, il l'a baptisée « Terra Nova » (Terre-Neuve)[1].

Selon le mandat de ce roi de « conquérir, occuper et posséder » les terres des « païens et des infidèles », Caboto a effectué la reconnaissance des côtes de Terre-Neuve et a débarqué également sur la rive nord de l'île du Cap-Breton en Nouvelle-Écosse[2].

Il est retourné en Angleterre le 6 août 1497 et a emmené avec lui trois Mi'kmaq, introduisant ainsi l'esclavage des personnes humaines en Amérique du Nord. Cela pourrait être la raison de sa disparition en 1498 à son retour à Terre-Neuve avec cinq navires. Lorsque ses navires sont arrivés dans le nord de l'île du Cap-Breton, les Mi'kmaq les ont attaqués. Un seul navire est retourné en Angleterre, les quatre autres, dont celui de Caboto qui en était le capitaine, ne sont jamais revenus. La famille de Caboto s'est enrichie de la traite négrière. Son fils Sébastien, alors qu'il travaillait pour le roi d'Espagne en 1529, aurait acheté « de 50 à 60 esclaves ... au Brésil, pour ... les vendre à Séville ».[3]

La Charte royale stipulait que le roi Henri VII prenait possession « du dominion, du titre et de la juridiction » sur toutes les terres « découvertes » par Caboto. C'est le fondement sur lequel a été créé le « Dominion du Canada », en tant que personne morale présumée[4]. Caboto, partant de Bristol, un port stratégique de la traite négrière atlantique, représentait les maisons de commerce, d'échanges et d'expédition - telles que Lloyds de Londres et la banque Barclays - qui ont amassé une richesse fabuleuse grâce à l'enlèvement forcé d'Africains et ont ensuite financé à l'aide de leur butin la confédération néocoloniale du Canada, créée en 1867, et ses chemins de fer.

À son retour en Angleterre, Caboto a fait ses récits à propos d'une mer grouillante de poissons. Les flottes de pêche coloniales européennes ont commencé à faire à chaque été des voyages vers les Grands Bancs de Terre-Neuve.

Au départ, les Mi'kmaq et les Béothuk, malgré à certains moments leur réticence, ont traité les visiteurs comme des égaux politiques à bien des égards et étaient prêts à faire du commerce et à permettre aux Européens de débarquer brièvement et de sécher la morue. En 1500, Gaspar Corte-Real, un marchand d'esclaves financé par le Portugal, a capturé plusieurs Mi'kmaq. Il a parcouru les côtes de Terre-Neuve et du Labrador avec trois navires, kidnappant 57 « hommes esclaves » (Béothuk) pour les vendre afin de financer le coût de l'expédition et réclamer les terres au nom du Portugal. Sa conviction que Nitassinan regorgeait de prisonniers potentiels l'a amené à l'appeler Labrador, « la source de matière pour le travail ». Lui et son navire se sont également perdus en mer, bien que les deux autres soient revenus au Portugal.

En 1504, les Bretons pêchaient au large des côtes du pays des Mi'kma'ki. Les pêcheurs ont séché leurs prises à terre et ont commencé à échanger de la fourrure avec les Mi'kmaq, donnant naissance à un nouveau produit et à des rêves européens de plus grandes richesses. En 1507, des pêcheurs normands amenèrent sept autres prisonniers béothuks en France. Cela a nui à toutes les relations futures entre les Béothuk, les Mi'kmaq et les pêcheurs.

Joao Alvares Fagundes (1521-1525), Giovanni da Verrazano (1524) et Esteban Gomez (1525) suivirent en Mi'kma'ki.

La « découverte » du Kanata par la France

L'explorateur français Jacques Cartier a jeté l'ancre à la Baie-des-Chaleurs au Nouveau-Brunswick, en 1534. Alarmé par les centaines de Mi'kmaq en canot qui agitaient des peaux de castor, Cartier a ordonné de tirer des coups de canon au-dessus de leurs têtes. Les Mi'kmaq, qui étaient prêts à faire du commerce, ont dû battre en retraite. Cartier a commencé à commercer avec eux après avoir été rassuré qu'il ne s'agissait pas d'une attaque hostile. Il a ensuite envoyé des prisonniers autochtones en France. Il a touché terre le 24 juillet dans la baie de Gaspé sur un territoire habité par les Haudenosaunee. Les Français ont érigé une grande croix et Cartier a revendiqué la possession des terres au nom du roi de France, François 1er. Questionné par les Haudenosaunee, Cartier a déclaré que la croix n'était qu'un marqueur de navigation. Plus tard, Cartier a été guidé vers le village (Kanata) de Stadacona (aujourd'hui la ville de Québec) par deux jeunes Haudenosaunee. Il a désigné toute la région au nord du fleuve Saint-Laurent du nom de « Canada » - une désignation de colonisateur qui a éventuellement englobé une bande massive de l'île aux Tortues, où un État-nation est né plus tard sur un territoire comprenant des centaines de nations qui existaient déjà à travers l'étendue de ce qui s'appelle maintenant le Canada[5].

Une épidémie inconnue avait déjà frappé les Maritimes en 1564-1570, décimant la population des Mi'kmaq.

La lettre patente rattachée à la « découverte » de Gilbert : Terre-Neuve

Le 5 août 1583, Sir Humphrey Gylberte (Sir Humphrey Gilbert) a reçu une subvention de la reine Élisabeth I pour découvrir et occuper au cours des six prochaines années un site pour une colonie qui n'est pas déjà aux mains des Européens[6]. Bien que lui-même puisse y détenir des terres et les céder à d'autres, elles seraient à leur tour entièrement détenues par la Couronne et sa colonie devait être régie par des lois en accord avec celles de l'Angleterre. Lui, avec son demi-frère Sir Walter Raleigh, était déjà un colonisateur grâce aux plantations coloniales anglaises en Irlande gaélique (Ulster et Munster). Le 11 juin 1583, il quitte l'Angleterre en suivant le tracé bien connu de la flotte de pêche jusqu'aux Grands Bancs, et tente de coloniser Terre-Neuve.

Gilbert n'a pas résisté au froid et à la famine en raison du manque de ressources. Il a néanmoins revendiqué officiellement Terre-Neuve et les Maritimes. La France, citant le voyage de Jacques Cartier et la doctrine de la « découverte », s'est opposée à cette revendication. Gilbert a perdu le 29 août un navire au large de l'île de Sable, ce qui a été enregistré comme la première « catastrophe maritime » au Canada. Il s'est ensuite noyé le 9 septembre lors d'une tempête près des Açores.

En 1584, Sir Walter Raleigh a fait reconduire la lettre patente de Gilbert en sa faveur, excluant cette fois-ci Terre-Neuve de son champ d'application, et il a tenté d'établir sans succès une série de colonies de plantations sur l'île Roanoke. Bien que l'île soit située au large des côtes de la Caroline du Nord, il l'a nommée comme faisant partie de la terre appelée Virginie, en l'honneur de la reine Élisabeth, qui était appelée la reine vierge.

En 1586, le typhus s'est propagé parmi la population mi'kmaq déjà affaiblie qui a vu de nouveau de nombreuses vies sacrifiées à l'épidémie mortelle apportée aux Maritimes par les Européens.

Chaque monarque et sa famille, à partir d'Élisabeth Tudor, étaient des financiers et des bénéficiaires de ce commerce de la chair humaine.

Au XVIIIe siècle, la Grande-Bretagne, qui s'était imposée face aux empires coloniaux néerlandais, espagnol et français, gouvernait les mers avec un système de bases navales et militaires d'outre-mer comme Halifax, et est devenue le premier trafiquant d'êtres humains au monde avec un quasi-monopole sur le commerce de la morue. Environ la moitié de tous les Africains réduits à l'esclavage ont été transportés sur des navires britanniques. Près de 80 % des revenus de la Grande-Bretagne étaient liés à ces activités.

Un siècle et demi plus tard, en 1756, sur ordre du roi George II, le gouverneur Lawrence de la Nouvelle-Écosse a déporté jusqu'à 10 000 Acadiens qui ont refusé de prêter serment d'allégeance à la Grande-Bretagne. Cette déportation est connue sous le nom du Grand Dérangement. Parallèlement, n'ayant pas pu arrêter la résistance des Mi'kmaq, des primes ont été versées pour les scalps des Mi'kmaq et des Acadiens. De nombreux Acadiens se sont enfuis dans les forêts et ont mené une guérilla aux côtés des guerriers mi'kmaq, menant une série d'opérations militaires contre les Britanniques. (Beaucoup d'autres sont morts en mer ou se sont installés à différents endroits. Beaucoup sont devenus les Cajuns de la Louisiane.)

En 1758, plus de 400 bateaux de pêche se rassemblaient chaque été autour de Terre-Neuve et dans la région des Maritimes. Le développement de la pêche en atlantique, source apparemment inépuisable de protéines bon marché, est inextricablement lié à la traite des esclaves le long de l'Atlantique, qui a permis le développement du système capitaliste et la consolidation des États nationaux en Europe. Plus tard, il a constitué la base de la richesse des principales familles de la Nouvelle-Écosse et de la Nouvelle-Angleterre coloniales.

À cette époque, des millions d'autochtones avaient déjà été décimés en Amérique du Sud et dans les Caraïbes.

Le 500e anniversaire de l'accostage de Caboto

En 1997, à l'occasion du cinq-centième anniversaire de l'arrivée de Caboto, la souveraine du Canada, la reine Élisabeth II, est venue en visite au pays à l'initiative des gouvernements canadien et britannique. Selon elle, l'arrivée de Caboto « représentait le début géographique et intellectuel de l'Amérique du Nord moderne » - la doctrine eurocentrique de la découverte[7]. Comme on le sait, à Terre-Neuve s'est produit le génocide des Béothuk. La reine Élisabeth avait raison - le modèle y était établi. En ce qui concerne les peuples autochtones, bien sûr, le modèle établi était le génocide. Les Béothuk ont été exterminés dans les années 1830. En 1867, la population des Mi'kmak avait été réduite à quelque 2 000 personnes. Les Inuits sont passés d'environ 500 000 avant le contact avec les Européens à quelque 102 000 en 1871.

Lorsque la reine Élisabeth II a visité Sheshatshiu au Labrador, la réception a été « mitigée », car « les manifestants brandissaient des pancartes qui dénonçaient sa visite[8]

Des femmes innues manifestent au milieu des années 80 contre les survols de l'OTAN et pour l'autodétermination de leur patrie qu'elles appellent Nitassinan.

Selont la Presse canadienne : « Les Autochtones ont déclaré qu'il était insultant de célébrer l'arrivée de l'explorateur John Cabot en Amérique du Nord en raison de l'impact dévastateur de la colonisation sur eux. La visite de la Reine dans cette communauté riveraine (Bonavista) de 1 200 personnes s'est démarquée de plusieurs façons. Des chiens recoupaient son itinéraire recouvert de sable et il n'y avait pas d'Union Jack ou d'unifolié en vue. Il n'y avait aucun signe d'optimisme observé lors d'événements précédents cette semaine[9] ... » 

À Sheshatshiu, le 26 juin 1997, les chefs de la communauté innue lui ont présenté une lettre qui se lisait en partie :

« L'histoire de la colonisation ici a été lamentable et a gravement démoralisé notre peuple qui se tourne maintenant vers l'alcool et l'autodestruction. Nous avons le taux de suicide le plus élevé en Amérique du Nord. Des enfants de 12 ans se sont suicidés récemment. Nous nous sentons impuissants à empêcher les projets miniers de grande envergure actuellement prévus et beaucoup d'entre nous sommes amenés à discuter d'une simple compensation financière, même si nous savons que les mines et les barrages hydroélectriques détruiront nos terres et notre culture et que l'argent ne nous sauvera pas.

« La partie du Labrador qui représente le Nitassinan a été revendiquée comme sol britannique jusqu'à très récemment (1949), alors que sans nous consulter, votre gouvernement l'a cédée au Canada. Nous n'avons cependant jamais signé de traité avec la Grande-Bretagne ou le Canada, et nous n'avons jamais renoncé à notre droit à l'autodétermination.

« Le fait que nous soyons devenus financièrement dépendants de l'État qui viole nos droits est le reflet de notre situation désespérée. Cela ne signifie pas que nous acquiesçons à ces violations.

« Nous avons été traités comme un non-peuple, sans plus de droits que les caribous dont nous dépendons et qui sont désormais eux-mêmes menacés par les exercices de guerre de l'OTAN et d'autres soi-disant développements. Malgré cela, nous demeurons un peuple dans le sens le plus complet du mot. Nous n'avons pas abandonné et nous cherchons maintenant à reconstruire notre fierté et notre estime de soi[10]. »

Le 30 juin 2004, feu Keptin Saqamow Reginald Maloney a ouvert le Symposium international d'Halifax sur les médias et la désinformation à l'Université Dalhousie en offrant un accueil fraternel au nom de son peuple aux participants d'Amérique du Nord, d'Europe et d'Asie. « La plus grande désinformation à laquelle nous avons été confrontés est celle de la 'doctrine de la découverte' des puissances coloniales espagnole, portugaise et britannique, qui nous dévaste encore aujourd'hui », a-t-il déclaré dans son discours de bienvenue[11]. 

Le 12 octobre 2013, la société des guerriers mi'kmaq et la Première Nation Elsipogtog au Nouveau-Brunswick, qui bloquaient une opération de fracturation hydraulique d'un monopole du Texas, ont exigé en tant que leur droit que le gouvernement « produise des documents qui prouvent la doctrine de la découverte de Cabot ».

La question n'est pas la reine, mais pourquoi le pouvoir politique ne représente pas tous les êtres humains. Les Premières Nations et différents collectifs du peuple canadien ont défendu leurs droits face aux nouveaux arrangements du milieu du XIXe siècle qui ont engendré la Confédération du Canada, et leur résistance est remarquable et sans pareille. La juste demande des peuples autochtones d'une reconnaissance de leurs droits n'est pas l'expression d'« intérêts spéciaux », mais d'un problème qui concerne tout le corps politique qui ne peut être résolu que par des arrangements modernes qui garantissent les droits sur la base qu'ils sont inaliénables et qu'ils appartiennent à tous du fait que tous sont des êtres humains.

Notes

1. La source principale de cet article est « Mi'kmaq & First Nations Timeline (75,000 BC – 2000 AD) : Eclipse & Enlightenment », de Tony Seed et de l'équipe de rédaction du périodique Shunpiking Magazine, Halifax, 2000. Autre source : Richard Sanders.

Contrairement à tous les récits européens traditionnels de la « découverte » de l'Amérique, qui plaçaient les Vikings en tête, suivis de Colomb, des preuves anthropologiques irréfutables situent les Africains dans les Amériques depuis le IXe siècle. Bien avant l'arrivée des Européens sur les côtes des Amériques, ce qui indique que les Africains ont déjà voyagé vers les Amériques, y compris le Québec, et que les Mi'kmaq des Maritimes ont atteint l'Europe et l'Afrique.

Dans un récit antérieur à la « découverte » officielle de l'Amérique, « en 1398, le prince Henry Sinclair, un Écossais, aurait atterri à Cape Caruso, Guysborough, voyageant à Pictou et Stellarton, resta avec les Mí'kmaq pendant un an, construisit un navire puis retourna en Écosse. L'histoire est contestée, mais, selon Kerry Prosper d'Afton, des motifs des Mi'kmaq de cette époque sont clairement évidents aujourd'hui dans le domaine Sinclair en Écosse qu'il avait visité.

L'extrait suivant de Un passé, un avenir, le premier volume du rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, publié en octobre 1996, reflète le récit européen traditionnel de la découverte :

« Les premiers contacts entre les peuples autochtones et les Européens furent sporadiques et remontent apparemment à un millier d'années environ, à l'époque où des Vikings venus d'Islande et du Groenland auraient atteint les côtes de l'Amérique du Nord. Des vestiges archéologiques attestent d'un peuplement à L'Anse-aux-Meadows sur la péninsule nord de ce qui est maintenant Terre-Neuve. Les sagas scandinaves contiennent de nombreux récits de ces premières expéditions et d'incursions sur la côte du Labrador. Mention y est faite de contacts avec les indigènes qui étaient vraisemblablement les Béothuks, sur l'île de Terre-Neuve, et les Innus, sur la côte du Labrador.

« Ces premières expéditions maritimes vikings se seraient poursuivies jusque dans les années 1340 et les navigateurs auraient atteint des régions arctiques comme Ellesmere et l'île de Baffin où ils auraient rencontré des Inuits. Les légendes inuites semblent confirmer les sagas scandinaves sur ce point. Les fondateurs du village de L'Anse-aux-Meadows étaient des agriculteurs, mais leur première activité économique semble avoir été l'exportation de bois au Groenland ainsi que la traite des fourrures. Les conflits avec les Autochtones auraient commencé peu après la création de la colonie. Les Vikings semblent donc, quelques années à peine après leur arrivée, avoir abandonné le village et avec lui, la première expérience coloniale européenne en Amérique du Nord.

« Par la suite, les contacts commerciaux se sont poursuivis par intermittence avec d'autres Européens, au fur et à mesure des arrivées de navigateurs d'origine basque, anglaise, française et autres, en quête de ressources naturelles comme le bois, le poisson, les fourrures, les baleines, le morse et l'ours polaire. »

2. Caboto est venu armé d'hypothèses similaires à celles des colonialistes espagnols plus au sud. Ainsi, les lettres patentes délivrées à John Cabot par le roi Henri VII ont donné à l'explorateur des instructions pour saisir les terres et les centres de population des territoires « nouvellement fondés » afin d'empêcher d'autres nations européennes concurrentes à faire de même :

« Et voulons que ledit Jean et ses fils, ou leur héritiers et associés, soumettent, occupent et possèdent toutes les dites villes, cités, châteaux et isles par eux découvertes, comme nos vassaux et lieutenans, nous réservant le domaine, la souveraineté et la juridiction des mêmes villages, villes, châteaux et terre ferme ainsi découverte. »

L'historien Hans Koning fait remarquer :

« Dès le début, les Espagnols considéraient les Amérindiens comme des esclaves naturels, des bêtes de somme, une partie du butin. Quand les forcer à travailler jusqu'à la mort était plus économique que de les traiter avec un peu d'humanité, ils les faisaient travailler jusqu'à ce que mort s'ensuive.

« Les Anglais, d'autre part, considéraient les peuples autochtones comme n'ayant aucune utilité pour eux. Ils les considéraient comme des adorateurs du diable, des sauvages qui ne pouvaient être sauvés par l'église, et les exterminer devenait de plus en plus une politique acceptée. »

Hans Koning, « The Conquest of America : How The Indian Nations Lost Their Continent », Monthly Review Press, New York, 1993, p. 46

3. Cité par J.A. Williamson, The Cabot Voyages and Bristol Discovery Under Henry VII, 1962

4. Alors que le roi a donné à Cabot « la pleine et libre autorité, permission et puissance de naviger dans tous les pays, contrées et mers d'orient, d'occident et du nord » afin « de chercher, découvrir et trouver quelques isles, contrées, régions ou provinces que ce puisse être, appartenantes aux Païens ou Infidèles, et dans quelque partie du monde que ce soit », il y avait une mise en garde importante, comme le souligne Richard Sanders. La permission donnée à Cabot ne s'appliquait qu'aux terres « jusqu'à présent inconnues à tous les Chrétiens ». Avec cette permission impériale de mener une guerre sans fin de pillage contre les non-chrétiens, Cabot et « ses fils, héritiers ou associés » ont acquis le droit exclusif de régner en tant que « vassaux et lieutenans » du roi. En échange, ils étaient « tenus et obligés » de payer au roi Henri « en argent ou en marchandises la cinquième partie du profit entier de tous les fruits, profits, gains et marchandises ». Le « profit » était défini comme « tous les fruits, profits, gains et marchandises ».

« John Cabot and Britain's Fictitious Claim on Canada : Finding our National Origins in a Royal Licence to Conquer », Richard Sanders, Press for Conversion !, Magazine of the Coalition to Oppose the Arms Trade, numéro 69

5. « Hoping Against Hope ? The Struggle Against Colonialism in Canada », une série de documentaires audio en trois parties, les productions Praxis Media et Nova Scotia Public Interest Research Group, 2007.

6. « Sa vision (de Gilbert) d'une gentilhommerie anglaise transplantée au Nouveau Monde pour exploiter les vastes et nouvelles terres américaines dans un décor féodal n'était pas complètement dépourvue de sens pratique (de fait, elle devait être réalisée plus tard, dans une certaine mesure, au Maryland) ; cependant, ses projets étaient beaucoup trop ambitieux par rapport à ses ressources et la façon dont il disposait de vastes étendues de terre qu'il n'avait même jamais vues dénote chez lui un certain manque de scrupule. »

David B. Quinn, « Gilbert, Sir Humphrey », dans le Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, University of Toronto/Université Laval, 2003, accédé le 28 juin 2020.

7. Les visions eurocentriques se sont développées avec l'essor de la traite négrière. L'eurocentrisme est une manifestation spécifique de l'ethnocentrisme. L'ethnocentrisme c'est :

« (1) la croyance en la supériorité inhérente à son propre groupe et à sa propre culture, accompagnée d'un sentiment de mépris pour les autres groupes et cultures ; (2) une tendance à considérer les groupes ou cultures étrangers en fonction de la sienne. »

La conception eurocentrique du monde considère toutes les personnes d'ascendance africaine ou autre comme des êtres sous-humains, sans histoire ni pensée, destinés à la servitude. Avant l'émergence de la traite négrière européenne, il n'existait aucune idéologie raciste uniforme ou universelle.

8. Vancouver Province, le 25 juin 1997

9. « Labrador protest : Royal visitors get mixed reception », Michelle McAfee, Canadian Press, Victoria Times-Colonist, p. A10, 27 juin 1997

10.  Letter from Innu People to Queen Elizabeth II

11. « In Memoriam -- Reginald Maloney: A Reflection by Tony Seed », 6 décembre 2013

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À titre d'information

Pourquoi le Canada était appelé un «dominion»

Tonya Gonnella Frichner donne l'explication suivante du mot dominion tel qu'il est utilisé dans le nom donné au Canada lors de sa constitution en 1867. Tonya était professeure dans l'État de New York et également avocate et activiste très respectée dont la vie universitaire et professionnelle était consacrée à la poursuite des droits humains pour les peuples autochtones. L'explication est extraite de « Impact sur les peuples autochtones du concept juridique international connu sous le nom de Doctrine de la découverte, qui a servi de fondement à la violation de leurs droits humains », Forum permanent des Nations unies sur les questions autochtones, le 3 février 2010. Elle explique :

L'idée de propriété du Vieux Monde était bien exprimée par le mot latin dominium : de dominus et par le sanskrit domanus (celui qui soumet). Dominus porte le même sens principal (celui qui a maîtrisé), et prend naturellement un sens plus large pour signifier « maître, possesseur, seigneur, propriétaire, propriétaire ».

Dominium tire du mot dominus la signification de « la propriété absolue » avec une signification juridique spéciale de « propriété, droit de propriété ». (Lewis et Short, A Latin Dictionary, 1969)

Dominatio prolonge le sens du mot pour en faire « règne, dominium » et ... « avec une signification secondaire odieuse, celle du pouvoir illimité, du dominium absolu, de la seigneurie, de la tyrannie, du despotisme. » Le pouvoir politique issu de la propriété - le dominium - était en fait la domination. (William Brandon, New Worlds for Old, 1986, p.121)

Les réclamations et les affirmations des États de « domination » et de « souveraineté sur » les peuples autochtones et leurs terres, territoires et ressources remontent à ces significations désastreuses transmises depuis l'époque de l'empire romain et à une histoire de déshumanisation des peuples autochtones. C'est à l'origine des problèmes des droits humains des peuples autochtones aujourd'hui.

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Les Lettres patentes accordées à Jean Cabot
et la prérogative royale

Voici un extrait des Lettres patentes du roi Henri V11 accordée le 5 mars 1498 à Jean Cabot et ses trois fils, Louis, Sébastian et Sancius, pour la découverte des terres nouvelles et inconnues. Les lettres patentes et autres instructions données aux voyageurs vers le « nouveau monde » illustrent comment la Grande-Bretagne et la France avaient initialement des plans ambitieux pour des aventures impérialistes en Amérique du Nord qui tenaient peu compte des droits des peuples autochtones.

Les lettres patentes à Jean Cabot

« Henri, par la grâce de Dieu, roi d'Angleterre et de France, et seigneur d'Irlande : à tous ceux qui ces présentes Lettres verront, Salut.

« Sçavoir faisons que nous avons donné et accordé, et par ces présentes donnons et accordons, pour nous et nos successeurs, à notre bien-aimé Jean Cabot, citoyen de Venise, à Louis, Sébastien et Santius, fils dudit Jean, et à leurs héritiers et associés, et à chacun d'eux, pleine et libre autorité, permission et puissance de naviguer dans tous les pays, contrées et mers d'orient, d'occident et du nord, sous nos bannières et drapeaux, avec cinq vaisseaux de quelque charge et grandeur qu'ils puissent être, et de prendre dans les dits vaisseaux autant d'hommes et de matelots qu'ils jugeront à propos, à leurs propres frais et dépens ; de chercher, découvrir et trouver quelques isles, contrées. régions ou provinces que ce puisse être appartenant aux Païens ou Infidèles, et dans quelque partie du monde que ce soit, jusqu'à présent inconnue à tous les Chrétiens : Nous leur avons permis à eux, leurs héritiers et associés, et à chacun d'eux, et leur avons donné pouvoir d'arborer nos drapeaux et pavillons dans tous les villages, villes, châteaux, isles ou terre ferme qu'ils auront nouvellement découverts ; et voulons que le dit Jean et ses fils, ou leurs héritiers et associés, soumettent, occupent et possèdent toutes les dites villes, cités, châteaux et isles par eux découvertes, comme nos vassaux et lieutenants, nous réservant le domaine, la souveraineté et la juridiction des mêmes villages, villes, châteaux et terre ferme ainsi découverte ; à condition cependant que ledit Jean et ses fils, et héritiers et leurs députés seront tenus et obligés de nous payer en argent ou en marchandises, la cinquième partie du profit entier de tous les fruits, profits, gains et marchandises qui proviendront de cette navigation pour chacun de leurs voyages, toutes les fois qu'ils arriveront dans notre port de Bristol (où ils seront obligés de débarquer et non ailleurs), déduction préalablement faite de toutes les dépenses ; leur accordons à eux et à leurs héritiers et associés que toutes terres fermes, isles, villages, villes, châteaux, et places quelles qu'elles puissent être, qu'ils auront le bonheur de découvrir, ne pourront être fréquentées et visitées par aucun de nos sujets sans la volonté dudit Jean et de ses fils et leurs associés, sous peine de confiscation tant des vaisseaux que de toutes et chacunes des marchandises de tous ceux qui auront la témérité de naviguer dans tous les lieux ainsi découverts. [...] En témoignage de quoi nous leur avons délivré les présentes, sous notre propre sceau, à Westminster, le 5 mars de la onzième année de notre règne. »

Dans le contexte européen, tous les droits appartenaient au roi de par le droit divin, lequel régnait en collaboration avec l'Église. En 1215, la Magna Carta (la Grande Charte) est signée par laquelle la noblesse féodale oblige le roi à lui céder certains de ses droits. Le roi ou la reine a émis des chartes royales sous l'autorité de la prérogative royale qui continue à ce jour dans le système parlementaire non représentatif de Westminster imposé au Canada en 1867. Les chartes sont des documents juridiques qui décrètent les concessions, en particulier les concessions de terres, par le souverain à ses sujets.
Le pouvoir et l'autorité du roi et de la reine sont presque absolus, comme le montre le commentaire suivant sur les lois de l'Angleterre par William Blackstone :

« Et, premièrement, la loi accorde au roi l'attribut de souveraineté, ou de prééminence. On dit qu'il a la dignité impériale, et dans les chartes avant la conquête est souvent appelé basileus et imperator, les titres respectivement assumés par les empereurs d'Orient et d'Occident. Son royaume est déclaré être un empire, et sa couronne impériale, par de nombreux actes du Parlement, en particulier les statuts 24 Hen. VIII. c. 12. et 25 poule. VIII. c. 28 ; qui, en même temps, déclarent que le roi est le chef suprême du royaume en matière civile et ecclésiastique, et par conséquent inférieur à aucun homme sur terre, dépendant d'aucun homme, responsable devant aucun homme. »

Entre 1754 et 1763, les généraux britanniques ont ensuite monopolisé le pouvoir entre leurs mains par les conquêtes faites au nom de la couronne.

Par une série d'actes, les Britanniques ont modifié la Prérogative royale pour inclure une nouvelle base qui rend légitime l'assujettissement des peuples autochtones et inclure dans la sphère du pouvoir politique les hommes des classes possédantes dont le pouvoir était absolu. La Proclamation royale de 1763, l'un des décrets coloniaux les plus importants émis après la cession par la France du Canada aux Britanniques (Traité de Paris qui a scellé la guerre de Sept Ans), interdisait explicitement l'octroi « selon toute prétention quelle qu'elle soit » de n'importe quelle terre qui « n'a pas été cédée ou achetée par nous » des peuples autochtones :

« Attendu qu'il est juste, raisonnable et essentiel pour Notre intérêt et la sécurité de Nos colonies de prendre des mesures pour assurer aux nations ou tribus sauvages qui sont en relations avec Nous et qui vivent sous Notre protection, la possession entière et paisible des parties de Nos possessions et territoires qui ont été ni concédées ni achetées et ont été réservées pour ces tribus ou quelques-unes d'entre elles comme territoires de chasse [...]. »

Elle interdit ensuite tout achat privé et prescrit la procédure par laquelle la Couronne acquiert les terres ainsi réservées et le moment où elles sont nécessaires à la colonisation.

Hardial Bains écrit dans Pour faire face à l'avenir[1], publié dans le cadre de la campagne pour défaire l'Accord de Charlottetown de 1992  :

« La Proclamation royale du 7 octobre 1763 plaçait le pouvoir politique entre les mains d'un Conseil exécutif composé d'un gouverneur et d'un Conseil nommé par le Colonial Office à Londres. C'était un pouvoir administré directement sous l'autorité souveraine du roi d'Angleterre qui se faisait conseiller par le parlement anglais du dix-huitième siècle. La proclamation prévoyait la formation d'une assemblée populaire 'dès que les conditions le permettront'.

En 1767, toute l'Île-du-Prince-Édouard a été accordée en l'espace d'un jour par décret royal à quelques douzaines de « grands propriétaires ».

« L'Acte de Québec fut abrogé et remplacé par l'Acte constitutionnel de 1791. Cet acte divisait le Québec en Haut-Canada et Bas-Canada et attribuait l'autorité législative au gouverneur ou lieutenant-gouverneur qui était conseillé par le Conseil législatif et l'assemblée dans chacune des deux colonies. Le Conseil législatif était nommé par le gouverneur avec sept représentants du Haut-Canada et dix-neuf du Bas-Canada. Les membres du Conseil étaient nommés à vie. Le président d'assemblée était aussi nommé par le gouverneur. En plus du Conseil législatif, la couronne introduisit une forme de processus électoral divisant les colonies en districts électoraux chargés d'élire 16 membres à l'Assemblée du Haut-Canada et 50 à l'Assemblée du Bas-Canada, avec une stipulation introduisant le système censitaire par lequel les électeurs et les élus devaient être des hommes et possédants. Ces assemblées se réunissaient une fois par année et étaient élues pour quatre ans. Le gouverneur avait le pouvoir de les révoquer. Une loi adoptée par l'assemblée législative et le Conseil législatif nommé pouvait être rejetée par le gouverneur ou ce dernier pouvait laisser la Couronne en décider. Une loi entérinée par le gouverneur pouvait être révoquée par le parlement anglais durant les deux années suivant son adoption. Le gouverneur et le Conseil exécutif étaient constitués d'une Cour d'appel, ayant le droit d'en appeler au Privy Council de Londres en dernier recours. »

En 1967, la Confédération telle qu'elle est apparue n'a pas fourni une conception moderne de la démocratie qui met fin à l'esclavage. La Confédération n'a pas été négociée sur la base d'une union libre et volontaire avec les peuples autochtones, ni soumise à l'approbation ou au rejet de la population des Canadas dans un vote démocratique dans aucune des colonies, à l'exception du Nouveau-Brunswick où elle a été défaite. Mis en vigueur en 1867, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique - en termes modernes appelés Loi constitutionnelle de 1867 - a mis en place un gouvernement central qui préserve la souveraineté de la Reine. La concentration du pouvoir exécutif, par la conquête, se perpétue jusqu'au XXIe siècle sous la forme du fédéralisme exécutif et de la démocratie parlementaire de Westminster. Le Dominion du Canada était le nom couramment utilisé jusque vers la Deuxième Guerre mondiale. Invoquant la providence du Dieu biblique des Israélites, l'État néocolonial s'est inspiré de l'Ancien Testament et du psaume pour le roi Salomon (Psaume LXXIL) : « Sa domination s'étendra d'une mer à une autre, et depuis le fleuve jusqu'aux extrémités de la terre. »

La Charte royale de la Compagnie de la Baie d'Hudson

Le 2 mai 1670, Charles II accordait une charte royale à la Compagnie de la baie d'Hudson (CBH) dirigée par son cousin le prince Rupert du Rhin et la Compagnie des aventuriers d'Angleterre, dans laquelle on peut lire que « le Gouverneur et la Compagnie des aventuriers d'Angleterre faisant le commerce dans la baie d'Hudson auront quant à eux le droit légal d'utiliser un sceau commun pour toutes les affaires d'ordre commercial et juridique qui seraient portées à l'attention d'un représentant officiel de tout tribunal. Ils ont aussi le droit de modifier le sceau de la Compagnie en tout temps.

« Afin de soutenir leurs activités d'exploration, les membres de l'expédition ont demandé qu'eux-mêmes et leurs successeurs soient investis du droit exclusif de faire le commerce dans toutes les eaux (mers, détroits, baies, rivières, lacs, anses et ruisseaux) et sous toutes les latitudes où ils font de l'exploration dans la zone d'accès au détroit d'Hudson, ainsi que sur toutes les terres et dans tous les pays et territoires, tant sur la côte que dans les limites de toutes les eaux de la région n'appartenant pas actuellement à nos sujets ou aux sujets de tout autre prince ou État chrétien. »

La Charte accordait à une entreprise le monopole du commerce dans la baie et la propriété de toutes les terres drainées par les rivières se déversant dans la baie. La CBH a établi une présence coloniale anglaise dans le Nord-Ouest et une route pour concurrencer la France dans la traite des fourrures. De nombreuses contestations infructueuses sont apparues face à la légitimité et l'exactitude de la concession de terres.

La Compagnie de la baie d'Hudson, la Canadian Land Company et la British American Land Company comptaient toutes des propriétaires britanniques d'esclaves au sein de leur conseil d'administration. Une grande partie des profits de Barings, qui s'est enrichie de l'esclavage et de la Loi sur l'abolition de l'esclavage de 1833, ont été réexportés pour financer la confédération néocoloniale du Canada créée en 1867 et l'expansion ferroviaire et territoriale des États coloniaux américain et canadien durant les années 1800[2]. La traite des esclaves a constitué la base de la richesse de nombreuses familles dominantes de l'aristocratie, parmi lesquelles le « père de la Confédération », Sir John A. Macdonald, qui avait un lien familial personnel direct avec l'esclavage. MacDonald était d'ailleurs lui-même un ardent architecte du génocide[3].

La richesse amassée par la Banque de Nouvelle-Écosse et la Banque Royale - toutes deux fondées à Halifax - provenait à l'origine de l'important commerce des produits de la pêche de l'Atlantique pour fournir des protéines aux plantations d'esclaves (le commerce triangulaire) dans les Caraïbes, ainsi que de la construction de navires négriers - euphémiquement décrits par les historiens comme « le commerce des Antilles » - et plus tard dans le commerce du sucre, du rhum et du café, l'exploitation des chemins de fer, le transport maritime, l'électricité, la bauxite et d'autres ressources minières, ainsi que les aventures militaires. Les propriétaires d'esclaves basés à Londres ont joué un rôle important dans la colonisation, l'exploitation et l'expansion du Canada jusqu'aux années 1800.

La famille royale

Henry VII, le bienfaiteur royal de Giovanni Caboto, en 1497 - l'année de la première expédition de Cabot - a écrasé la deuxième rébellion des Cornouailles, tuant 2000 personnes et vendant des milliers de rebelles capturés en esclavage.

Plus tard, de l'esclavage et de la déportation des Irlandais vers les colonies britanniques des Antilles à l'enlèvement des Africains, la Couronne britannique a tiré une grande partie de ses vastes richesses personnelles de l traite des esclaves.

Dans The Open Veins of Latin America, Eduardo Galeano décrit comment la reine Elizabeth I d'Angleterre (1558-1603) est devenue en 1562 une partenaire commerciale du pirate anglais, le capitaine John Hawkins, « le père anglais de la traite négrière »[4]. La participation officielle des Anglais à la traite des esclaves africains a commencé cette année-là et les Noirs ont été expulsés d'Angleterre par la loi de 1596 d'Élizabeth I.

La reine Elizabeth I du Conseil privé a émis des lettres aux maires de seigneur des grandes villes affirmant que « des plongeurs fin blackmoores a dans ce domaine, de quel type de gens là - bas sont déjà ici pour Manie ... Le plaisir de Sa Majesté est donc que ces types de personnes soient envoyées au pays. »

En conséquence, un groupe d'esclaves a été arrêté et remis à un marchand d'esclaves allemand, Caspar van Senden, en « paiement » des fonctions qu'il avait exercées.

En 1632, le roi Charles Ier accorda un permis pour transporter des esclaves de Guinée d'où dérive le nom de la pièce de monnaie du royaume - la guinée. Charles II était actionnaire de la Compagnie royale d'Afrique qui soutirait de vastes profits de la traite négrière, payant des dividendes de 300 %, bien que seulement 46 000 des 70 000 esclaves expédiés entre 1680 et 1688 aient survécu à la traversée. Son gouverneur et principal actionnaire, James, duc de York, a fait tatouer les initiales « DY » sur la fesse ou la poitrine gauche de chacun des 3 000 Noirs que son entreprise a emmenés chaque année dans les « îles du sucre ». La princesse Henrietta (« Minette »), soeur du roi, avait également des parts. Dans la compagnie qui l'a précédé, Royal Adventurers into Africa (1660-1672), les actionnaires comprenaient quatre membres de la famille royale, deux ducs, un marquis, cinq comtes, quatre barons, sept chevaliers et le « philosophe de la liberté » John Locke[5].

De son côté, la famille royale ne s'est jamais excusée pour son rôle intime dans la traite des esclaves de l'Atlantique et le génocide des peuples autochtones, ni a-t-elle été contrainte de payer un seul centime en réparations.

Notes

1. Hardial Bains, Pour faire face à l'avenir, MELS, 1992, p. 13

2. Barings, bastion du capital financier britannique, était l'agent financier du Canada à Londres. La banque Barings était à l'origine de l'union forcée des Canadas en 1841. R.T. Naylor a remarqué que Baring Brothers étaient les vrais Pères de la Confédération. Il a agi à titre d'agent financier exclusif pour la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick ainsi que pour le Haut-Canada avec George Carr Glyn, un gros investisseur dans les colonies. Au cours du dernier quart du XIXe siècle, Baring Brothers finançait un quart de la construction de tous les chemins de fer américains ainsi que les chemins de fer Intercolonial, Grand Trunk et Canadian Pacific au Canada. Une ville ferroviaire de la Colombie-Britannique a été rebaptisée Revelstoke en l'honneur du principal partenaire de la banque, Edward Baring, 1er baron Revelstoke, commémorant son rôle dans l'obtention du financement nécessaire à l'achèvement du chemin de fer Canadien Pacifique.

Certaines informations sur Barings et les sociétés foncières sont tirées des ouvrages suivants : Dr Laurence Brown, The esclavery connections of Northington Grange, Université de Manchester, 2010 ; Peter Austin, Baring Brothers and the birth of Modern Finance, Londres, Pickering & Chatto, 2007, p. 63 ; et Nicholas Draper et al, Legacies of British Slave-owner : Colonial Slavery and the Formation of Victorian Britain, Cambridge University Press, 2014. Draper et d'autres ont créé à l'University College de Londres un centre de recherche pour l'étude de l'héritage des possessions britanniques d'esclaves. De plus amples informations sur leur travail et des liens vers une base de données des indemnités versées lors de l'abolition aux anciens propriétaires d'esclaves sont disponibles sur [LINK to :https ://www.ucl.ac.uk/lbs/project/project].

3. Le beau-père de Macdonald, Thomas James Bernard, possédait une plantation de canne à sucre près de Montego Bay en Jamaïque, avec 96 esclaves africains. Il reçut 1 723 livres sterling d'« indemnisation » du gouvernement britannique en vertu de la Loi sur l'abolition de l'esclavage de mars 1833, une somme considérable sachant que le salaire annuel d'un travailleur qualifié en Grande-Bretagne à l'époque était d'environ 60 livres sterling. Macdonald a épousé en 1867 la fille de Bernard, Agnès, 1re baronne Macdonald d'Earnscliffe. Macdonald a dû démissionner en 1873 lorsque le scandale du Canadien Pacifique a révélé qu'il avait reçu du propriétaire du chemin de fer Canadien Pacifique des dons pour sa campagne électorale. Voir aussi « Le règne de terreur de Sir John A. MacDonald », Tony Seed, LML, le 3 octobre 2017.

4. La première expédition d'esclaves menée en 1562 par Hawkins a été faite avec une flotte de trois navires et 100 hommes. Il a fait sortir clandestinement 300 Noirs de la Guinée portugaise « en partie par l'épée, en partie par d'autres moyens ». Un an après avoir quitté l'Angleterre, Hawkins est retourné en Angleterre « avec succès et beaucoup de gains pour lui-même et les aventuriers qui l'ont suivi ». La reine Élisabeth était furieuse : « C'était détestable et j'en appellerai à la vengeance du ciel sur les acteurs », se serait-elle écriée. Mais Hawkins lui a dit qu'en échange des esclaves, il avait une cargaison de sucre, de peaux, de perles et de gingembre des Caraïbes, et « elle a pardonné le pirate et est devenue son partenaire commercial ».

Élisabeth I l'a soutenu en lui prêtant pour une deuxième expédition, sur le Jesus of Lubeck, un navire de 700 tonnes acheté pour Henri VIII pour la marine royale.

Eduardo Galeano, Open Veins of Latin America : Five Centuries of the Pillage of a Continent, traduit par Cedric Belfrage, New York, Monthly Review Press, 1997. p.80 ; James Walvin, Black Ivory : Slavery in the British Empire, Londres, Harper Collins, 1992, p. 25.

5. L'idée de l'infériorité intrinsèque des non-Européens est notable dans l'ouvrage de John Locke Essai sur l'entendement humaine (1690)

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