Les rapports des Forces armées
canadiennes sur les résidences
pour aînés en Ontario et au Québec
La crise révèle que le pouvoir de
décision doit être retiré des mains de ceux qui
sont inaptes à gouverner
- Peggy Morton -
La publication des rapports des Forces armées
canadiennes (FAC) sur les conditions dans les
établissements de soins de longue durée en Ontario
et au Québec a été suivie par les promesses du
premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, et du
premier ministre du Québec, François Legault, de
s'attaquer à la crise des soins de longue durée et
des soins aux personnes âgées. Le rapport de
l'Ontario sur cinq résidences de soins de longue
durée a été publié le 20 mai 2020 et
communiqué aux médias le 26 mai. Le rapport
sur 25 résidences québécoises a été publié
le 27 mai 2020.
Les médias ont porté une grande attention à ces
rapports et le terme « maltraitance » est le
mot qui revient le plus souvent dans les titres au
sujet des rapports de l'Ontario. En réponse, la
ministre ontarienne des Soins de longue durée,
Merrilee Fullerton, a déclaré que le gouvernement
de l'Ontario allait créer une « commission
d'enquête indépendante » chargée d'examiner
le secteur des centres de soins de longue durée de
la province. Le premier ministre Legault a annoncé
que le gouvernement allait former et
embaucher 10 000 nouveaux préposés aux
bénéficiaires avec des emplois à temps plein
garantis à 26 dollars l'heure. Cette
annonce était liée à une demande de maintien de la
présence des militaires dans les maisons de soins
de longue durée jusqu'en septembre, demande que le
ministre de la Défense, Harjit Sajjan, a déjà
rejetée.
Les travailleurs de la santé et leurs
organisations, les familles, les défenseurs des
personnes âgées, les organisations des aînés et
bien d'autres ont réagi en soulignant que depuis
des années, ils dénoncent les conditions de vie et
de travail inhumaines dans les centres pour
personnes âgées et demandent une augmentation des
investissements dans les soins aux personnes
âgées, la fin de la propriété et du contrôle
privés et un secteur des soins aux personnes âgées
qui soit moderne et humain.
Manifestation contre les mesures d'austérité en
santé en mai 2016 à Montréal, y compris
devant le CHSLD Vigi Mont-Royal, celui dont tous
les 226 patients et 148 travailleurs ont été
infectés et 70 résidents sont décédés de la
COVID-19.
Dans tout le pays il y a indignation de voir les
gouvernements réagir ainsi aux rapports de l'armée
alors qu'ils ont fermé les yeux sur les rapports,
les études et les enquêtes menés par les
travailleurs de la santé et leurs organisations,
les conseils des résidents, les défenseurs des
personnes âgées, les familles, les universitaires
et d'autres personnes qui depuis des années
dénoncent les problèmes dans le secteur des soins
aux personnes âgées et exigent l'augmentation du
financement et un système moderne dans lequel les
droits des résidents et des travailleurs qui s'en
occupent sont respectés.
Le personnel médical des forces armées n'est pas
formé pour le travail dans les centres de soins de
longue durée, mais les gouvernements ont choisi
cette option plutôt que de mobiliser ceux qui sont
disposés à faire ce travail et ont l'expérience
requise. Au Québec, la proposition des étudiants
en fin de formation en sciences infirmières qui
sont pleinement qualifiés pour fournir les soins
nécessaires dans les centres d'hébergement et de
soins de longue durée (CHSLD) a été ignorée. En
Ontario, l'Ordre des infirmières et infirmiers de
l'Ontario a proposé de mobiliser les infirmières à
la retraite, les infirmières praticiennes et les
étudiantes en soins infirmiers, mais le
gouvernement Ford n'était pas intéressé. Ce
dernier a rejeté la proposition de l'Association
médicale de l'Ontario (AMO) de mettre en place des
centres mobiles d'évaluation de COVID-19, gérés
par des médecins, dans les centres de soins de
longue durée. L'AMO a également proposé de fournir
plus de soutien administratif aux directeurs
médicaux des centres de soins de longue durée,
mais cette proposition a également été rejetée.
Les travailleurs rapportent qu'à Montréal-Nord,
des militaires ont été envoyés travailler dans les
« zones chaudes » (des zones où les résidents
sont infectés par la COVID-19), tandis que des
travailleurs expérimentés et spécialisés qui
étaient dans des zones chaudes ont été envoyés
dans des zones froides où les patients n'étaient
pas infectés, et ce, à l'intérieur d'un même quart
de travail. Cela ne devrait jamais avoir lieu du
point de vue de la lutte contre l'infection, sans
parler du fait que les travailleurs expérimentés
ont été remplacés par des travailleurs qui n'ont
pas été formés à ce travail.[1]
Il est maintenant évident que la santé et la
sécurité des membres des forces armées n'étaient
pas non plus bien protégées. Trente-neuf
militaires déployés dans des centres de soins de
longue durée ont été infectés par la COVID-19. Ils
travaillent 12 heures par jour, sept jours
par semaine.
Il est très légitime de se demander pourquoi tant
d'importance est donnée à ces rapports. Ces
rapports et leur publication font passer l'armée
pour un organisme chef de file dans la gestion de
crise en santé publique.[2]
Malgré un travail acharné, le personnel militaire
n'a aucune expertise dans la prestation de soins
ou l'encadrement médical ou administratif des
soins aux personnes âgées ni dans l'évaluation et
le suivi de la situation. Le rapport sur l'Ontario
vient confirmer ce que l'on savait déjà sur les
conditions inhumaines qui existent dans les
centres de soins de longue durée, mais les
rapports sur la plupart des centres se concentrent
sur ce que les aides-soignants « n'ont pas
fait », plutôt que sur le système dans lequel
ils travaillent et qui gère ce système. Dans un de
ces rapports, l'auteur est très explicite sur le
fait que le manque de personnel met les
travailleurs de la santé dans l'impossibilité de
s'occuper comme il le faut des résidents, tandis
que d'autres rapports blâment le personnel et
semblent indifférents face au stress extrême et
aux conditions impossibles vécus par les
travailleurs de la santé. Un des rapports semble
surtout s'attacher à démontrer que les militaires
sont plus humains et plus compétents que le
personnel des centres de soins de longue durée.
Un thème récurrent est que les placards de
fournitures sont verrouillés, qu'il y a un manque
de fournitures de base, dont la literie, et que le
personnel a peur d'utiliser trop de fournitures.
Plusieurs exemples sont donnés pour dire que le
personnel n'utilise pas les équipements de
protection individuelle (ÉPI) conformément aux
procédures acceptées de contrôle des infections,
mais sans préciser si les ÉPI étaient adéquats et
en quantité suffisante, comment le nouveau
personnel est entrainé le cas échéant, si
formation il y a, ou s'il y a suffisamment de
temps alloué pour changer de blouse et de masque
en passant d'un patient à l'autre (ce qui n'est
évidemment pas le cas). L'impression est laissée
que le personnel est indifférent ou incompétent.
Les rapports sur chacun des cinq centres de soins
de longue durée de l'Ontario contiennent tous
l'affirmation que tous les problèmes signalés ont
été discutés de manière « collégiale » avec
la « direction » des établissements. Et ils
concluent que la direction a indiqué qu'elle
s'attaquerait aux problèmes. Il n'est pas fortuit
que le gouvernement ait été forcé de prendre le
contrôle de quatre des résidences le lendemain des
« discussions collégiales » avec la «
direction ».
Ajoutez à cela les promesses du gouvernement de
tenir une commission sur cette « mauvaise gestion
», et vous avez une désinformation de premier
ordre. Qui essaie-t-on de tromper ici ? Qui est
cette « direction » sinon les représentants des
cartels mafieux qui ont pris le contrôle de ces
établissements, les dirigent comme une mafia et
qui reçoivent des fonds du gouvernement, volent
les résidents et leurs familles, les dieux de la
peste qui ont créé cette situation en premier
lieu? Quelles mesures l'armée attendait-elle de
ces cartels et quelles conclusions le public
est-il censé tirer, si ce n'est que le problème se
limite à une « gestion » incompétente ?
Les
rapports de l'armée ont des relents d'intentions
et de motivations cachées et montrent
certainement que ceux qui sont
en position d'autorité en ce moment ne sont pas
aptes à gouverner. Ils font partie d'un effort
concerté pour dissimuler le fait que les
travailleurs de ces résidences ont été et
demeurent un grand atout, mais ne peuvent pas
s'acquitter de leurs fonctions tant que le système
moderne de prestation de services de santé est
entravé par des intérêts privés étroits qui
fonctionnent comme des cartels et des coalitions.
Ces établissements sont exploités par des fonds
spéculatifs et ce secteur est dominé par les
cartels pharmaceutiques, les cartels qui
contrôlent la technologie à tous les niveaux ainsi
que les services de buanderie, d'alimentation, de
nettoyage — tous de connivence avec le système de
gouvernement formé par des partis cartellisés dont
la responsabilité première est de priver le peuple
de tout pouvoir décisionnel. Les droits des
personnes âgées ne peuvent être garantis tant que
ce sera le cas.
Les travailleurs et les professionnels de la
santé dénoncent depuis des années la détérioration
de leurs conditions de travail, font valoir que
celles-ci sont les conditions de vie des résidents
et luttent pour l'augmentation des investissements
dans les soins aux personnes âgées. Que les
gouvernements se disent maintenant «
étonnés » par les rapports des FAC montre
qu'ils n'ont pas l'intention de faire quoi que ce
soit, si ce n'est, bien sûr, donner plus de
fonds de l'État à des intérêts privés qui
promettent d'améliorer la situation.
Le problème auquel font face les gouvernements
dans tout le pays, c'est qu'ils ne peuvent
convaincre ni les travailleurs de la santé, ni les
familles, ni le peuple que le statu quo peut
continuer dans le secteur des soins aux personnes
âgées. Ils sont également confrontés au problème
suivant : ce sont les travailleurs, les
familles et les personnes âgées elles-mêmes qui
savent ce qu'il faut faire et qui sont les plus
motivés à corriger la situation.
Faire appel aux militaires et déclarer que leurs
rapports sont d'une grande importance et ont une
grande autorité montre une tentative désespérée de
préserver le statu quo et de garder le pouvoir de
décision fermement entre les mains des riches,
même si cela signifie mettre sous le contrôle de
l'armée des institutions qui étaient auparavant
des institutions publiques. La crise révèle que
ces institutions appartiennent au passé, que la
privatisation est un désastre et que le pouvoir de
décision doit être retiré des mains de ceux qui
sont inaptes à gouverner.
Notes
1. Voir : « Entrevues :
Benoît Taillefer, vice-président en santé et
sécurité au travail du Syndicat des travailleurs
et travailleuses du CIUSSS du
Nord-de-l'Île-de-Montréal » dans Forum
Ouvrier du 28 mai 2020
2. Voir : « L'intensification
des exercices de guerre durant la
COVID-19 : l'écrasement d'un Snowbird »,
Tony Seed, dans LML du 27
mai 2020
(Photos : Pierre Turbis, FIQ)
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 37 - 30 mai 2020
Lien de l'article:
Les
rapports des Forces armées canadiennes sur les résidences
: La crise révèle que le pouvoir de décision doit
être retiré des mains de ceux qui sont inaptes à
gouverner - Peggy Morton
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