Le Marxiste-Léniniste

Supplément

Numéro 13
                 6 avril 2019

Les origines de l'OTAN

Les événements entourant
la création de l'OTAN

La division anglo-américaine de l'Allemagne au service
de visées anticommunistes

- Dougal MacDonald -
La géopolitique de l'atlantisme – Le discours du « rideau de fer »
de Winston Churchill de 1946

- Tony Seed -




Les origines de l'OTAN

Les événements entourant la création de l'OTAN

Célébration de la victoire sur le Japon dans la Deuxième Guerre mondiale en Chine

Les origines de l'OTAN remontent à la trahison par les impérialistes anglo-américains des accords conclus entre les puissances alliées lors des conférences de Yalta et de Postdam, qui visaient d'abord et avant tout à dénazifier, démilitariser, démocratiser et décentraliser l'Allemagne. Les peuples du monde, qui étaient sortis de la Deuxième guerre mondiale en une seule humanité, avançaient sur la voie de la paix, de la liberté et de la démocratie. Le nombre de personnes qui avaient joint les rangs des partis communistes, qui étaient à l'avant-garde de la lutte contre le nazisme, le fascisme et le militarisme japonais, est une indication importante de l'enthousiasme des peuples à ouvrir une voie du progrès en libérant leur pays du joug colonial et en établissant des systèmes sociaux centrés sur les besoins des êtres humains, et non ceux des capitalistes. En 1935, il y avait 81 partis communistes dans le monde, avec 1 860 000 membres, et après la Deuxième Guerre mondiale, il y en avait 70 avec plus de 30 000 000 membres. La croissance sans précédent des partis communistes, qui avaient été aux premières lignes de la lutte contre le fascisme, offrait un contraste frappant avec l'exemple d'autres armées, comme celles des États-Unis, du Canada et de Pologne, dont les soldats et les équipements étaient demeurés inutilisés en Grande-Bretagne pendant plusieurs années jusqu'à ce que leurs chefs militaires et politiques aient pu déterminer dans quel sens la guerre allait se développer.

En Europe, un continent possédant de vastes ressources et une économie socialisée, les expressions les plus spectaculaires de la résistance populaire et du rôle des peuples dans le rejet des modèles des institutions libérales des États européens, qui n'avaient pas résolu le problème du fascisme et de l'antisémitisme, sont peu connues aujourd'hui. Cependant, les résultats majoritaires ou quasi-majoritaires remportés par les communistes et leurs alliés de la résistance antifasciste lors de différentes élections d'après-guerre en Belgique, en France, en Italie, en Hongrie et en Tchécoslovaquie, de 1946 à 1948, attestent qu'une crise révolutionnaire frappait les puissances anglo-américaines, la bourgeoisie européenne et leur système social et économique. Lorsque le parlement municipal de Berlin, constitué en novembre 1946, a tenu des élections, les deux partis ouvriers ont remporté une majorité des deux tiers.

Les allusions à la Révolution française de 1789 étaient chose courante et le symbolisme révolutionnaire est revenu à la mode. Écrivant au sujet de ce ferment en France, l'historien anglais Rod Kedward écrit :

« Le tableau qui se dessine est celui d'une période d'euphorie dans laquelle les résistants ont comblé le vide du pouvoir avec une forte expression d'idéaux populaires et patriotiques, ont mis sur pied des comités locaux pour administrer le ravitaillement, organiser le recrutement dans l'armée et rétablir leurs comités sur une base plus égale, juste et fraternelle. Il n'y a peu d'exemples en France depuis 1789 où les mots d'ordre de la révolution ont inspiré un respect aussi universel. Pendant au moins un mois, avant que le poids de la restructuration de l'économie et de la poursuite de la guerre ne commence à saper l'optimisme populaire, il existait une croyance répandue que la société française pouvait être refondue pour donner des chances égales à chacun. C'était un idéal que les résistants se rappellent avec fierté. C'était une période, selon plusieurs, pendant laquelle des hommes et des femmes des plus humbles ont été temporairement aux commandes de leur propre histoire. »[1]

Le journaliste et politicien québécois Gérard Pelletier, qui a été membre du cabinet de Pierre Trudeau dans les années 1960 et 1970, a écrit à propos de cette période et de ce qu'il décrit comme une indécision « qui m'a tenu dans l'angoisse pendant de longs mois » et des interrogations qui ont duré des mois parmi de jeunes intellectuels québécois et français, soulignant que de nombreux intellectuels religieux se sont tournés vers le communisme pour en faire un prolongement logique de leur foi chrétienne. Il  écrit: «Dans un climat d'extrême pénurie, de presque famine, un immense espoir de selvait qui annonçait un monde changé, la fin des injustices et des inégalités. Le vieux rêve révolutionnaire, ressuscité par les jeunes issus de la Résistance, reprenait vie. Mais cette fois, ce n'était pas la Déclaration des Droits de l'Homme qui le sous-tendait. C'était le marxisme. Il ne s'agissait plus seulement de choisir entre deux partis ni même deux doctrines économiques. Il fallait choisir entre deux conceptions de la vie, deux explications du monde, deux modes de pensée qui engageaient la personne tout entie`re, et la totalité de l'activité humaine.»[2]

Tous les développements de l'époque exprimaient une humanité forgée dans le creuset de sa lutte commune et de son front uni pour vaincre l'Allemagne nazie, l'Italie fasciste et le Japon militariste. Le théâtre de la guerre n'était pas seulement l'Europe mais l'Asie et l'Afrique. Les peuples d'Amérique latine et des Caraïbes se sont également joints au front antifasciste de multiples manières, notamment par des détachements de partisans qui ont commencé leur combat dans les Brigades internationales pour sauver la République espagnole en 1939. De grands sacrifices ont été consentis pour remporter la victoire antifasciste.

Le besoin de s'assurer que l'agression et la guerre impérialistes et le fascisme ne ravageraient plus jamais l'humanité était à l'ordre du jour. L'OTAN avait pour mission de bloquer ces aspirations, mais les peuples du monde, alors et aujourd'hui, comme on le voit dans la mobilisation pour la paix, la liberté et les démocraties populaires, continuent de garantir la marche avant vers le progrès et l'aspiration de l'humanité à une société propre à l'existence humaine.

Dans ce supplément, LML publie deux articles pour informer les lecteurs sur les événements qui sont liés à la création de l'OTAN.

Notes

1. Citations tirées de France and the Second World War : Occupation, Collaboration and Resistancem Peter Davies, Routledge, Londres , 2001. Traduction : LML

2. Gérard Pelletier, Les années d'impatience (1950-1960), Stanké, Montréal, 1983

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Les événements entourant la création de l'OTAN

La division anglo-américaine de l'Allemagne au service de visées anticommunistes

« L'histoire me sera indulgente car j'ai l'intention de l'écrire. »
- Winston Churchill[1]

Selon les historiens anglo-américains et anticommunistes, le soi-disant blocus de Berlin et le pont aérien de Berlin de 1948-1949 auraient signalé le début de la guerre froide par l'Union soviétique. Mais c'est Winston Churchill qui a lancé la guerre froide en mars 1946 en attaquant l'Union soviétique dans son discours à Fulton, au Missouri, au sujet du « rideau de fer » : « De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l'Adriatique, un rideau de fer s'est abattu sur le continent. Derrière cette ligne se trouvent toutes les capitales des anciens États d'Europe centrale et orientale. »[2] Churchill faisait ainsi écho à son mentor Joseph Goebbels, le ministre nazi de la propagande. Voyez cette citation de Goebbels un an plus tôt : « Si le peuple allemand déposait les armes, les Soviétiques, en vertu de l'entente signée par Roosevelt, Churchill et Staline, occuperaient toute l'Europe de l'Est et du Sud-Est, et la majeure partie du Reich. Un rideau de fer tomberait sur cet énorme territoire contrôlé par l'Union soviétique derrière lequel les nations seraient décimées. »[3]

Occupation de l'Allemagne après la guerre, de 1945 à 1949

Quels sont donc les faits concernant le « blocus de Berlin » et le « pont aérien de Berlin » ? En vertu de l'Accord de Postdam de 1945 conclu à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les quatre puissances alliées ont divisé l'Allemagne vaincue en quatre zones : soviétique, américaine, britannique et française. La ville de Berlin était située dans la zone soviétique, mais les gouvernements militaires des quatre pays étaient représentés dans son administration. Une des principales décisions prises à Postdam en vue d'établir un État allemand démocratique dans l'après-guerre concernait la nécessaire unité économique entre les quatre zones. Dès le début, cependant, les impérialistes américains ont poursuivi une politique de division plutôt que d'unification de l'Allemagne et d'isolement de l'Union soviétique, à commencer par la fusion des zones américaine et britannique en une zone appelée Bizone, vite devenue Trizone avec l'incorporation de la France.

En 1948, les États-Unis et les autres puissances occidentales ont annoncé leur intention de former une Allemagne de l'Ouest séparée. L'« Allemagne de l'Est » n'existait pas à ce moment-là. L'Union soviétique a appelé à des pourparlers entre les quatre puissances pour résoudre la question, mais les puissances occidentales ont ignoré son appel et introduit une réforme séparée de la monnaie dans la partie occidentale, alors que l'Accord de Postdam prévoyait l'unité économique, ce qui est impossible sans une monnaie unifiée. L'introduction par les puissances occidentales du nouveau deutschmark à Berlin visait à déstabiliser non seulement l'économie d'une partie de Berlin, mais de toute la zone soviétique dont Berlin faisait partie. C'était une guerre menée sur le front économique. L'Union soviétique a alors institué des restrictions sur les déplacements en provenance ou à destination de Berlin, lesquelles ont été qualifiées de « blocus » par les puissances occidentales.

Les puissances occidentales ont répondu à ces restrictions justifiées en instituant le 24 juin 1948 un « pont aérien sur Berlin » pour transporter de la nourriture sous la propagande mensongère que la population de Berlin était affamée et « victime de famine ». Dans des buts de propagande contre l'Union soviétique, ce pont aérien totalement non nécessaire a livré de la nourriture à la population dite « victime du blocus » dans les zones non soviétiques de Berlin, et cela, jusqu'au 12 mai 1949. Dans un geste de bonne foi, l'Union soviétique a immédiatement offert suffisamment de nourriture pour nourrir toute la population de Berlin (et non seulement celle de la zone soviétique), ce qu'elle a fait à partir de juillet 1948. Les puissances occidentales pendant ce temps ont continué à répandre de fausses allégations, disant par exemple que l'Union soviétique refusait de négocier, que les Soviétiques s'apprêtaient à renverser le gouvernement municipal de Berlin, que les Soviétiques souhaitaient une nouvelle guerre mondiale, etc.

En août 1948, réunies à Moscou, les quatre puissances ont finalement accepté de lever les restrictions sur les déplacements et introduit une monnaie uniforme à Berlin, mais les impérialistes américains ont eu tôt fait de briser l'entente et ont poursuivi leurs activités hostiles parce que ces changements nuisaient à leurs plans de forcer la partition de l'Allemagne et de créer un État allemand séparé. Les impérialistes voulaient former un bloc militaire agressif dirigé contre l'Union soviétique et les démocraties populaires, et détourner l'attention des problèmes de la paix, du désarmement et de la dénazification. Les impérialistes américains cherchaient depuis le début à diviser l'Allemagne, une politique qu'ils ont appliquée plus tard en Corée et au Vietnam.

L'histoire démontre combien hypocrites sont les sermons des impérialistes aujourd'hui au sujet d'une Allemagne enfin réunifiée, quand on sait que ce sont eux qui ont délibérément divisé l'Allemagne à l'époque.

L'histoire de Berlin permet de voir comment opère la falsification historique qui répète des mensonges sur le passé objectif et supprime, même par la force, la présentation de la vérité. Hitler a dit : « Un mensonge répété dix fois reste un mensonge ; répété dix mille fois il devient une vérité. » Joseph Goebbels, son ministre de la Propagande, était un maître de la technique du gros mensonge. Les nazis ont toujours appuyé leurs mensonges par la force. Le mensonge d'Hitler selon lequel la Pologne avait attaqué l'Allemagne a été suivi de l'invasion de la Pologne le 1er septembre 1939, provoquant la mort de plus de trois millions de Polonais.

Les impérialistes américains ont appris à l'école d'Hitler et des nazis. Ils ont hérité de la technique du gros mensonge et l'ont utilisée durant la guerre froide pour empêcher les peuples du monde de se doter d'une conception du monde sur la base de laquelle poursuivre leur mouvement pour la paix, au lieu d'être divisés en deux camps, les deux posant une menace de guerre, alors que les vrais problèmes de la paix restent sans solution.

Notes

1. Churchill à la conférence des puissances alliées à Potsdam en 1945

2. Discours du « rideau de fer » de Churchill au Westminster College de Fulton, au Missouri, le 5 mars 1946

3. Tiré de 'Das Jahr 2000' du journal Das Reich du 25 février 1945, pp 1-2

(Extraits de « Le mur de Berlin a été érigé sur des faussetés », Dougal MacDonald, LML, 9 novembre 2010)

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La géopolitique de l'atlantisme - Le discours du « rideau de fer » de Winston Churchill de 1946

Winston Churchill et le président des États-Unis, Harry Truman, arrivent au
Westminster College de Fulton, au Missouri, le 5 mars 1946, où Churchill a prononcé son discours belliciste du « Rideau de fer ».

Les derniers présidents des États-Unis, à l'instar de leurs prédécesseurs, exigent que leur direction soit acceptée parce que, disent-ils, ils sont les seuls à pouvoir établir un ordre international pouvant instaurer la paix et la stabilité. Avant l'apparition de la doctrine qui affirme que les États-Unis sont la nation indispensable à laquelle tous doivent se soumettre, cet ordre a toujours été assimilé aux intérêts et aux exigences d'une « communauté internationale ». Dans cet esprit, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a récemment lancé un appel à peine voilé à un coup d'État contre le gouvernement constitutionnel du Venezuela et demandé que « la communauté internationale s'unisse immédiatement au peuple vénézuélien » parce que « le moment d'une transition démocratique est venu ».

La prétention de représenter « la communauté internationale » vient de leur adhésion à la conception raciste des impérialistes anglo-américains après la Deuxième Guerre mondiale selon laquelle les « nations de langue anglaise » devraient décider et diriger le destin du monde. Pour eux, la « communauté internationale » est assimilée aux « nations de langue anglaise » (États-Unis, Grande-Bretagne, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) et comprend celles qui, de façon pragmatique, y sont assimilées. C'est ce que le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, et la ministre des Affaires étrangères du Canada, Chrystia Freeland, avancent aujourd'hui lorsqu'ils prétendent parler au nom d'une « communauté internationale » autoproclamée qui dicte qui sont les représentants du peuple du Venezuela. Le but de cette vision du monde raciste est de détourner l'attention de l'essentiel de la question : le non-respect du droit des nations de décider elles-mêmes de leurs affaires intérieures sans ingérence étrangère, consacré dans la Charte des Nations unies.

Le document le plus significatif dans lequel cette vision raciste est élaborée et qui exprime les objectifs et le mandat de l'OTAN est le discours du « rideau de fer » de Winston Churchill du 5 mars 1946. Ce discours a été prononcé à peine six mois après la victoire sur le Japon, après que son parti conservateur eut été écrasé lors des élections en Angleterre et alors que la crise dans laquelle l'Empire britannique était plongée s'aggravait. Winston Churchill a redécouvert à la fois la doctrine raciale de la « destinée manifeste » atlantiste, proclamée par Théodore Roosevelt au tournant du siècle dernier, et la doctrine hitlérienne de la « menace bolchevique ».

Le discours du « rideau de fer », qui a provoqué un véritable tollé, a été prononcé au Westminster College de Fulton, dans le Missouri où, officiellement, Churchill était allé recevoir un diplôme honorifique. Ce collège peu connu est situé à 240 kilomètres de la ville natale du président Truman qui s'y est rendu pour présenter Churchill. La présence de Truman était nécessaire, car cette mise en scène ne pouvait être montée sans lui. Il est évident que Truman était présent non seulement pour présenter Churchill à l'auditoire, mais aussi pour souligner son importance et garantir une forte couverture médiatique.

Il ne fait aucun doute que Truman et Churchill s'étaient entendus sur le contenu du discours et en avaient évalué les conséquences. « À la lumière de la ferme détermination de Truman de cesser de 'chouchouter' les Soviétiques, Truman est probablement à l'origine de ce discours », estime l'historien américain D. F. Fleming. Comme on le sait, le premier ministre britannique, Clement Attlee, le secrétaire aux Affaires étrangères britanniques, Ernest Bevin, ainsi que le président Truman et le secrétaire d'État américain James Byrnes savaient que ce discours allait être prononcé et avaient donné leur accord. Lester Pearson a également lu un brouillon de ce discours et s'est vanté d'en avoir écrit une phrase.[1] En d'autres termes, la « célébrité » de Churchill devait être utilisée pour justifier toutes sortes d'infamies et d'agressions. L'ensemble des faits prouvent que Churchill n'a pas exprimé ses opinions personnelles, il a énoncé le programme antisoviétique de l'élite dirigeante de Grande-Bretagne, des États-Unis d'Amérique et du Canada.

En Grande-Bretagne, Churchill n'aurait pas pu annoncer publiquement la guerre froide contre l'Union soviétique. Un tel discours aurait été très embarrassant pour lui à cette époque. Le peuple soutenait fermement l'Union soviétique et son dirigeant, Joseph Staline, qui avait conduit son peuple à la brillante victoire sur les hordes nazies qui avaient envahi l'Union soviétique. Les peuples de Grande-Bretagne avaient subi de lourdes pertes pendant la guerre et venaient de chasser du pouvoir Churchill et son parti lors de l'élection générale de 1945. Leur opposition à la politique étrangère de l'ancien gouvernement que Churchill devait maintenant formuler dans le discours de Fulton aurait été sans équivoque. En raison de la situation en Grande-Bretagne, les dirigeants du gouvernement travailliste social-démocrate n'ont pas osé exprimer officiellement leur solidarité envers Churchill ; ils devaient le faire quelques années plus tard. C'était une autre affaire aux États-Unis où le gouvernement prônait ouvertement les idées antisoviétiques de Churchill. La présence de Truman à Fulton a montré l'importance que l'élite américaine au pouvoir attachait à ce discours. De plus, les États-Unis ont été obligés, à cause de leur position dans le monde impérialiste, de jouer un rôle de premier plan dans l'exécution du plan proposé par Churchill.

L'Union soviétique, qui avait vaincu les fascistes au prix d'énormes pertes humaines et matérielles, était préoccupée uniquement par la reconstruction de ce qui avait été détruit par les agresseurs, par l'avancement sur la voie de l'édification socialiste et par la défense vigoureuse de la cause de l'humanité qui réclamait la libération et la paix, contre la guerre. Pourtant, au grand étonnement de son auditoire, le conférencier invité a annoncé que le monde était sous la menace directe et immédiate d'une autre guerre mondiale et de la tyrannie, et que la cause de cette menace était l'Union soviétique et le mouvement communiste international.

Churchill a déclaré dans son discours que son objectif principal était de proposer la création d'une « association fraternelle des peuples anglophones ». Il a déclaré que cela comprenait « une relation particulière entre le Commonwealth et l'Empire britanniques d'une part, et les États-Unis d'autre part. [...] Une association fraternelle exige non seulement une amitié croissante et une compréhension mutuelle entre nos deux systèmes de société vastes mais analogues, mais également la continuation des relations étroites entre nos conseillers militaires, menant à l'étude commune de dangers potentiels, à la similitude de nos armements et de nos manuels d'instruction ainsi qu'à l'échange d'officiers et de cadets dans les hautes écoles techniques. Elle devrait comprendre la continuation des efforts actuels en faveur de la sécurité mutuelle par l'utilisation commune de toutes les bases militaires navales et aériennes qu'un de nos pays possède, partout dans le monde.

« Une telle association permettrait peut-être de doubler la mobilité des forces navales et aériennes américaines. Elle augmenterait sensiblement celle des forces de l'Empire britannique et mènerait très probablement, au fur et à mesure que le monde se calmera, à d'importantes économies financières. [...] Finalement nous pourrons voir naître [...] le principe d'une citoyenneté commune, mais contentons-nous de laisser cette décision au destin dont le bras étendu apparaît déjà clairement à beaucoup d'entre nous. »

Churchill apportait de l'eau au moulin de l'élite dirigeante des États-Unis, de Grande-Bretagne et d'autres pays :

« Prenez garde, vous dis-je ! Le temps risque de nous manquer. Ne laissons pas libre cours aux événements jusqu'à ce qu'il soit trop tard. »

Quelle était la cible de l'alliance militaire anglo-américaine ? Churchill a été très clair. Il a dit qu'il était contre « le danger croissant pour la civilisation chrétienne » et contre « la menace bolchevique », la révolution socialiste en développement. Il a exigé une prépondérance anglo-américaine du pouvoir contre l'Union soviétique, en référence à l'Europe de l'Est.

Il a expliqué que l'Europe et le monde étaient divisés en deux sphères d'influence, l'une dirigée par les États-Unis, l'autre par l'URSS, c'est-à-dire en deux camps, a déclaré officiellement la guerre froide et formulé le mandat initial de l'OTAN, puis a lancé l'idée d'un bloc militaire de nations partageant des idéaux communs, prétendument sous l'égide des Nations unies. Churchill a déclaré :

« Nous avons beau instituer des tribunaux et des magistrats, ils ne pourront pas fonctionner sans police. L'Organisation des Nations unies doit être équipée dès le départ d'une force armée internationale » dont les escadrilles « porteraient l'uniforme de leur propre pays, mais avec des insignes différents. Elles ne seraient pas appelées à intervenir contre leur propre nation, mais pour le reste elles seraient sous les ordres de l'organisation mondiale. [...] J'aurais voulu déjà qu'elle soit prise après la Première Guerre mondiale et je suis fermement convaincu qu'elle pourra l'être maintenant. »

D'une part, Churchill annonçait « une relation particulière entre le Commonwealth et l'Empire britanniques et les États-Unis » et d'autre part déclarait la guerre froide à l'Union soviétique. Il a proclamé que l'Europe et le monde anglo-américain étaient des victimes :

« De Stettin dans la Baltique jusqu'à Trieste dans l'Adriatique, un rideau de fer est descendu à travers le continent. Derrière cette ligne se trouvent toutes les capitales des anciens États de l'Europe centrale et orientale. Varsovie, Berlin, Prague, Vienne, Budapest, Belgrade, Bucarest et Sofia, toutes ces villes célèbres et les populations qui les entourent se trouvent dans ce que je dois appeler la sphère soviétique, et toutes sont soumises, sous une forme ou sous une autre, non seulement à l'influence soviétique, mais aussi à un degré très élevé et, dans beaucoup de cas, à un degré croissant, au contrôle de Moscou. [...]

« Je ne crois pas que la Russie soviétique désire la guerre. Ce qu'elle désire, ce sont les fruits de la guerre et une expansion illimitée de sa puissance et de ses doctrines. »[2]

C'était la première fois que l'expression « une relation particulière » était utilisée, mais pas celle de « rideau de fer » qui allait devenir populaire auprès des propagandistes de la guerre froide. Dans l'édition de 1948 de Familiar Quotations de Bartlett, on lit : « Selon le London Times, l'expression 'rideau de fer' a été inventée par von Krosigk, ministre des Finances de Hitler, et a été utilisée par Goebbels, dans sa propagande quelques années avant que M. Churchill ne l'adopte. » Ce qui n'a pas empêché le communiste britannique R. Palme Dutt d'écrire à l'époque : « La formule est universellement reconnue comme ayant été inventée par le génie de sir Winston Churchill. »[3]

La notion de rideau de fer de Churchill était la salve qui allait justifier toutes les brutalités pour garder asservis les peuples et les nations. Elle rappelait ce que les chauvins anglo-américains craignaient le plus : un monde où tous les peuples et nations seraient libres. Au lieu d'un monde uni contre le fascisme et la réaction, pour la paix, la liberté, l'indépendance et la démocratie, les chauvins anglo-américains ont divisé l'humanité en défendant les forces antidémocratiques et impérialistes et en créant deux camps.

En condamnant les transformations démocratiques dans les pays de l'Europe de l'Est, Churchill a indiqué ce qu'il avait en tête pour ces pays. « Seule Athènes - la Grèce et ses gloires immortelles - est libre de décider de son avenir dans des élections contrôlées par des observateurs britanniques, américains et français », a-t-il déclaré. Mais Athènes était le symbole de la honte dont Churchill s'était couvert en décembre 1944 lorsqu'il avait ordonné à ses troupes et aux collaborateurs nazis locaux d'ouvrir le feu sur les Grecs non armés qui manifestaient pour soutenir les partisans grecs, alliés de la Grande-Bretagne dans la guerre, en raison de l'influence du parti communiste dans le mouvement de résistance.

Churchill a recommandé le recours à la force contre l'URSS, et le plus tôt sera le mieux - alors que les États-Unis possédaient la bombe atomique tandis que l'Union soviétique ne l'avait pas encore développée. Churchill a laissé clairement entendre que cela signifiait l'utilisation de la force militaire contre l'URSS. « Ce que j'ai pu voir chez nos amis et alliés russes pendant la guerre, m'a convaincu qu'il n'y a rien qu'ils admirent autant que la force », a-t-il dit. Il proposait de réaliser en 1946 « une bonne entente sur tous les points avec la Russie ». Cela signifiait que si l'Union soviétique ne capitulait pas devant la menace du recours à la force, il serait alors nécessaire de déclencher une guerre préventive contre elle.

Churchill ne se satisfaisait plus du principe traditionnel britannique de l'équilibre des forces que la Grande-Bretagne avait suivi dans le continent européen en montant les pays les uns contre les autres. « C'est pourquoi la vieille doctrine d'un équilibre des forces est hasardeuse. Nous ne pouvons nous permettre, s'il est en notre pouvoir de l'éviter, de nous appuyer sur des marges étroites et d'éveiller ainsi les tentations d'une épreuve de force », a-t-il déclaré. Au nom de Truman, il a présenté la nouvelle politique des impérialistes anglo-américains qui allait par la suite être connue sous le nom de politique de « position de force » ou de « la paix par la force ».

La « bonne entente sur tous les points avec la Russie », que Churchill espérait, devait être soutenue « par toute la force du monde anglophone et de toutes ses connexions ». L'idée était d'imposer la domination mondiale anglo-américaine. Ce n'était pas une idée nouvelle.

« L'association fraternelle des peuples anglophones attachés aux idéaux de la démocratie et de la liberté intéressait depuis longtemps Winston Churchill et constituait son plus grand espoir pour l'avenir de l'humanité. » Son projet littéraire, commencé dans les années 1930, était son livre en quatre volumes Une histoire des peuples anglophones. On sait que Churchill a travaillé à sa rédaction tout au long de la Deuxième Guerre mondiale.[4]

À la suite de la percée de la ligne Maginot et de l'humiliation de Dunkerque, Churchill a posé un « geste grandiose » envers la France en proposant une citoyenneté commune. (« Je remercie Dieu pour l'armée française », a déclaré Churchill à maintes reprises.) Churchill prônait l'assujettissement de la France à l'Angleterre sous les auspices des États-Unis et soutenait que « nous pourrons voir naître le principe d'une citoyenneté commune » pour les États-Unis et l'Angleterre.[5]

Churchill croyait que si la Grande-Bretagne et les États-Unis pouvaient éliminer les mouvements révolutionnaires et soumettre l'Union soviétique à leur volonté, ils seraient en mesure d'assurer leur domination sur le monde pour les cent prochaines années. Dans son discours de Fulton, il a dit :

« Si la population du Commonwealth anglophone se joint effectivement à celle des États-Unis, avec tout ce qu'une telle coopération implique dans les airs, sur les mers, partout sur le globe, dans les sciences et l'industrie, et dans la force morale, alors aucun équilibre tremblant, précaire entre les forces en présence ne servira de tentation à l'ambition et à l'aventure. [...] Si toutes les forces et les convictions morales et matérielles de la Grande-Bretagne se joignent aux vôtres dans une association fraternelle, alors les routes de l'avenir deviendront claires, non seulement pour nous, mais pour tous, non seulement pour le présent, mais pour le siècle à venir. »

Avec un orgueil napoléonien, Churchill a annoncé son intention de définir la mission de l'humanité et d'expliquer comment elle devait être accomplie. Il a fait remarquer qu'à la fin des années 1930, devant l'imminence d'une deuxième guerre mondiale, il avait été le seul à avoir donné les bons conseils sur la façon de l'éviter, mais ses efforts avaient échoué parce que ceux qui étaient au pouvoir à l'époque s'étaient avérés incapables de comprendre l'importance de ses propositions.

C'était plus que son habituelle autoglorification. Par là, il voulait dire que les conseils qu'il donnait à l'humanité dans son discours étaient aussi bien fondés et justifiés que son attitude à la veille de la Deuxième Guerre mondiale.

L'idée maîtresse du discours de Fulton était la suivante : l'Union soviétique est la principale menace à la sécurité et à la liberté de toutes les autres nations et, par conséquent, l'humanité doit s'unir sous la direction anglo-américaine et conjurer cette menace par le recours à la force. Churchill voulait dresser le monde entier contre l'Union soviétique.

Ce discours a été prononcé moins d'un an après que l'Union soviétique, au prix de sacrifices et de souffrances énormes, eut assuré la défaite du fascisme et contribué à la libération des peuples asservis ; grâce à ces sacrifices, l'Angleterre avait été sauvée de la destruction imminente ; et ce que les experts militaires anglo-américains pensaient, la Grande-Bretagne et les États-Unis auraient été encore en guerre avec le Japon en Extrême-Orient si l'Union soviétique n'était pas intervenue aux côtés des Alliés, assurant ainsi la conclusion rapide de la guerre. La vérité est maintenant connue au sujet de la préparation de l'opération Unthinkable ordonnée par Churchill, l'« opération impensable », un plan de guerre contre l'Union soviétique qui devait commencer le 1er juillet 1945 avec 112-113 divisions, dont 10-12 divisions allemandes, gardées intactes dans le Schleswig-Holstein et dans le sud du Danemark jusqu'au printemps de 1946.[6]

Le discours de Churchill est marqué par une haine pour les peuples de l'Union soviétique, dont le crime était de construire leur propre vie selon leurs propres désirs et façons de penser, et non comme il l'aurait voulu. Churchill avait combattu la Révolution d'Octobre en Russie et organisé le bloc interventionniste des 14 États, dont les États-Unis et le Canada, en 1918, 1919 et 1920, qui a été vaincu par l'Armée rouge. Il devait déclarer : « L'échec à étrangler le bolchévisme à sa naissance et d'amener la Russie, alors effondrée, par un moyen ou par un autre dans le système démocratique général, est lourd de conséquences pour nous aujourd'hui. »[7] Puis, tout au long des années 1920, il a prêché contre la menace de la « révolution rouge », ne perdant jamais une occasion de traiter les dirigeants bolcheviques d'« assassins meurtriers et ministres de l'enfer ».

En plus de reprendre les théories du complot judéobolchevique des hitlériens, Churchill faisait la promotion frénétique du chauvinisme national, de la division raciale des peuples entre peuples supérieurs et peuples inférieurs dans le but de semer la discorde et de les rallier aux objectifs des impérialistes anglo-américains et des classes réactionnaires dominantes.

Caricature soviétique de Churchill livrant son fameux discours de 1946 avec deux drapeaux: « Un rideau de fer sur l'Europe ! » et « Les Anglo-Saxons doivent gouverner le monde ! » À l'arrière plan: Hitler et Goebbels.

L'essence de la politique des cercles dominants britanniques et français au cours de cette période a été montrée par Joseph Staline dans un entretien avec la Pravda. Dénonçant le vrai sens de cet appel, Staline explique :

« En fait, M. Churchill se trouve actuellement dans la position d'un fauteur de guerre. Et il ne s'y trouve pas seul. Il a des amis, non seulement en Angleterre, mais également aux États-Unis. »

Staline poursuit que dans son discours à Fulton, Churchill rappelait de manière frappante Hitler :

« Hitler a commencé la préparation à la guerre par sa proclamation d'une théorie raciale, où il déclarait que seules les personnes de langue allemande représentaient une nation 'véritable' au sens complet du mot. M. Churchill, également, commence la préparation à la guerre par une théorie raciale, en affirmant que seules les nations de langue anglaise sont des nations - dans toute l'acception du mot - appelées à diriger les destinées du monde entier. [...] La théorie raciale anglaise amène M. Churchill et ses amis à la conclusion que les nations de langue anglaise, en tant que seules 'véritables', doivent régner sur les autres nations du monde. En fait, M. Churchill et ses amis, en Angleterre et aux États-Unis, présentent aux nations ne parlant pas anglais quelque chose comme un ultimatum : 'Reconnaissez de bon gré notre domination, et tout alors ira bien ; dans le cas contraire, la guerre est inévitable. [...] Il n'y a aucun doute que la position prise par M. Churchill est une position qui mène à la guerre, un appel à la guerre contre l'URSS. »[8]

Les réactions au discours de Churchill

Le discours de Churchill-Truman a été accueilli avec indignation et par des condamnations véhémentes dans les cercles démocratiques de divers pays, y compris aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en France. Le discours de Churchill a créé un climat d'inquiétude. Plusieurs constataient qu'il s'agissait d'un appel à déclencher une autre guerre mondiale. Plus d'une centaine de députés travaillistes au parlement britannique ont condamné les propos de Churchill. La réaction du gouvernement canadien a été obséquieuse. Le meneur de claque, Lester Pearson, a avoué dans un communiqué officiel : « La réaction populaire et médiatique au discours de M. Churchill au Westminster College correspond à ce que je m'attendais. Elle est partagée, mais les opinions critiques sont tout de même prépondérantes. »

L'influent chroniqueur Walter Lippmann, a dit Pearson, « pensait qu'une alliance avec le Royaume-Uni et les dominions pouvait tenir la route, mais qu'une alliance avec l'Empire britannique était une tout autre paire de manches. C'est la vieille crainte enracinée d'être lié à l''impérialisme', une crainte qui est amplifiée alors que le système colonial britannique est confronté à un soulèvement d'après-guerre de nationalisme indigène qui pourrait très bien se manifester violemment. S'il était peut-être possible de soutenir le Royaume-Uni, soutenir la Malaisie, la Birmanie et Hong-Kong l'était moins, bien que les deux pouvaient difficilement être séparés. C'est ce qui laissait perplexe 'l'école Lippmann'. »[9]

L'attaque de Churchill contre Staline à cause de la soi-disant « division de l'Europe » a légitimé la falsification perfide de toutes les ententes importantes entre la Grande-Bretagne, les États-Unis et l'Union soviétique qui étaient en cours, de Téhéran, Yalta et Potsdam. Selon Jacob Heilbrunn, qui écrivait pour le Los Angeles Times en 2005, Joseph McCarthy et ses semblables ont élaboré des arguments contre « ce qui était perçu comme un modèle d''apaisement' au sein du Parti démocrate. En parallèle, la 'gauche' trotskiste prétendait que Staline avait 'trahi' la résistance française, les communistes grecs et même les Palestiniens. La droite, elle, prétendait que Roosevelt avait 'trahi' l'Europe de l'Est à la conférence de Yalta en promettant aux Soviétiques une sphère d'influence incontestée dans la région. »[10]

Jacob Heilbrunn ajoute : « Un élément de la mythologie que la droite a élaborée à cette époque était qu'Alger Hiss, qui pendant la guerre a été assistant au secrétaire d'État Edward Stettinius Jr. - et qui a été accusé au cours des années suivantes d'être un espion soviétique et condamné pour parjure – avait joué un rôle déterminant pour convaincre Roosevelt de conspirer avec Staline contre Churchill. C'est nul autre que Joseph McCarthy qui avait déclaré en février 1950 que 'si le temps le permettait, il serait peut-être bien d'examiner de plus près le fait que Hiss était le principal conseiller de Roosevelt à Yalta alors que ce dernier avait de sérieux problèmes de santé et était épuisé physiquement et mentalement'. Plus tard, des conservateurs comme Ronald Reagan allaient dénoncer le fait que les négociations avec l'Union soviétique présageaient un nouveau 'Yalta'. Lisez vous-mêmes le protocole de Yalta. Nulle part n'est-il question de 'division' du continent, d'une région ou d'un pays. Ni en existe-t-il des traces ne serait-ce qu'informelles. Les puissances ont ensemble décidé de la division d'une ville, Berlin, sous un commandement unifié. Ce sont les historiens anglo-américains eux-mêmes qui sont les auteurs de l'histoire sans fondement de la 'division de l'Europe'. Ce sont les États-Unis qui, unilatéralement, ont divisé Berlin pour ensuite, de façon unilatérale encore une fois, proclamer l'existence de l'Allemagne de l'Ouest en contravention de l'Accord de Potsdam. »[11]

Pendant sa visite aux États-Unis en mai 1943, Churchill a avancé l'idée de « citoyenneté commune » entre les pays anglo-saxons et a proposé que la structure de leur alliance militaire soit préservée après la guerre et que les deux pays puissent collaborer sur les questions saillantes de leur politique étrangère. Il a ensuite laissé transparaître ses intentions dans toute leur laideur en élaborant dans son exhortation que seules les nations « anglophones » étaient les nations vraiment inestimables, et en les appelant à décider du destin du monde. Churchill leur attribuait la « constance intellectuelle, la persistance dans l'atteinte de leurs objectifs et la grande simplicité dans leurs prises de décisions ». Il s'agit bien sûr de la supériorité morale des valeurs anglo-américaines, aujourd'hui brandie avec fébrilité, au nom de l'« euro-atlantisme », des « valeurs transatlantiques » et de la « communauté internationale » - les mêmes qui ont largué des bombes humanitaires sur l'Afghanistan, la Libye, la Syrie et qui menacent de faire de même au Venezuela. On réitère ici l'idéologie de la supériorité anglo-saxonne qu'on érige en justification pour la nouvelle puissance impérialiste américaine qui, par la guerre hispano-américaine de 1898, a dévoré les Amériques et les Philippines – la « mission civilisatrice » du « fardeau de l'homme blanc ». Dans toute leur « grandeur », les nations « anglophones » préconisent la division du monde entre peuples supérieurs et inférieurs, entre États supérieurs et inférieurs.

L'appel de Churchill n'était pas destiné seulement aux « peuples anglophones », mais était aussi une incitation à la guerre civile de tous les nationalistes bourgeois et les forces chauvines en Europe centrale et de l'Est qui avaient été rassemblés pendant la Deuxième Guerre mondiale sous la tutelle anglo-américaine - « toutes les capitales des anciens États de l'Europe centrale et de l'Est. Varsovie, Prague, Vienne, Budapest et Sofia, toutes ces villes renommées et les populations qui s'y trouvent » - où la question nationale était devenue l'une des questions les plus profondes et qui avait été prise en main par le peuple sous forme de nouvelles démocraties populaires. Ces forces émigrées avaient fui en 1945 vers Munich occupé par la Troisième Armée américaine où elles étaient réformées en forces politiques et terroristes clandestines.

L'atlantisme

« Je suis pour la nation mondiale », dit le raciste de la doctrine anglo-saxonne, « mais ma nation est précisément cette nation mondiale. » Sur la base de cette vision, toutes les autres nations doivent s'adapter à cette nation anglo-américaine, se dissoudre en elle, perdre leur identité nationale et oublier à tout jamais leurs traditions, leur philosophie et leur culture intellectuelle nationales. Ainsi, on ne prend pas comme point de départ les réalisations de chaque peuple. La philosophie et la culture intellectuelle de chaque peuple traitent des problèmes qui leur sont propres, comme l'expliquait Hardial Bains, « elles font ressortir les personnalités qui sauront s'attaquer à ces problèmes et, qui sait, rien ne dit qu'on ne dépassera pas les développements réalisés en philosophie dans le monde. »[12]

La théorie cosmopolite et la géopolitique de l'atlantisme forment l'un des principaux fondements de l'OTAN et de l'effort mondial pour la suprématie anglo-américaine – l'anglosphère – en déclarant que l'unité culturelle et la communauté d'intérêts de tous les peuples du lac Atlantique sont une « culture mondiale » (lire anglo-américaine et euroculture) et l'influence réciproque et la pénétration des cultures. Il s'agit bel et bien d'une doctrine eurocentriste et raciste.

L'« atlantisme » signifie l'« unité spirituelle » de la « communauté nord-atlantique », c'est-à-dire de ces pays qui chevauchent l'océan Atlantique. L'« Union atlantique » repose essentiellement sur une union anglo-saxonne. C'est une stratégie successive qui adopte différentes formes politiques d'unité atlantique selon les différentes périodes offensives de l'impérialisme américain. Cette stratégie est au coeur de la Destinée manifeste et de la doctrine Monroe.[13]

La proclamation de la doctrine Truman en 1947 et du plan Marshall en 1948 signifiait que l'essentiel du projet de politique étrangère avait été accepté en tant que politique d'État américaine. Suite aux efforts des États-Unis, de la Grande-Bretagne et du Canada, l'OTAN a été établie en tant que bloc militaire et politique agressif en 1949. C'était le programme de Fulton en action.

Les Canadiens doivent voir que c'est de cela qu'il s'agit lorsque le gouvernement du Canada parle des « valeurs » que le Canada embrasse comme justification pour sa participation à l'OTAN. Tel que mentionné, Lester Pearson s'est personnellement enorgueilli d'avoir contribué au discours de Churchill et le Canada est passé à l'offensive pour préconiser la division de l'Allemagne, de l'Europe et de l'humanité. Les dossiers d'après-guerre du ministère des Affaires extérieures, parallèlement à tout leur verbiage au sujet de leur nouveau « non-colonialisme », « universalisme » et « internationalisme », étaient imprégnés des préjugés des bâtisseurs d'empire du XIXe siècle.

Le 19 mars 1946, George Ritchie, premier secrétaire au ministère des Affaires extérieures puis ambassadeur du Canada en Allemagne de l'Ouest, aux Nations unies et aux États-Unis, écrivait candidement qu'il s'agissait d'une « lutte de pouvoir » et que le Canada fait partie « de l'équipe anglo-saxonne ».[14]

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les Canadiens et d'autres peuples du monde ont versé leur sang au cours de cinq années de guerre acharnée dans l'intérêt de la démocratie, de la liberté et de l'indépendance, et non dans le but d'échanger la domination des Hitler contre celle des Churchill. Ils n'ont pas été d'accord avec la création de l'alliance belliciste de l'OTAN quatre ans plus tard et n'ont pas eu leur mot à dire. Aujourd'hui, la grande majorité de la population mondiale n'accepte pas de se soumettre à un nouvel esclavage au nom d'une « communauté internationale » défendue par les Trudeau et les Trump. Ils auront leur mot à dire en défendant le droit de toutes les nations de décider de leurs propres affaires sans ingérence étrangère.

Note

1. Les commentaires de Pearson sur le discours de Churchill révèlent la duplicité libérale et comment, même en 1946, le gouvernement canadien se livrait à des intrigues pour former un nouveau bloc militaire agressif :

« Enfin, les propositions de M. Churchill ont été violemment attaquées par ceux qui voient dans une Organisation des Nations unies le seul espoir d'une paix forte et universelle, ou presque universelle. Ils estiment, et avec raison, qu'une alliance militaire anglo-américaine pourrait affaiblir et détruire l'Organisation des Nations unies. M. Churchill, bien sûr, a tenté de combattre ces craintes par son argument « dans la demeure de Notre Père il y a de la place pour tous. » Mais il n'a pas réussi. Il aurait pu avoir plus de succès s'il avait élargi la base de ses propositions « d'association fraternelle » pour inclure tous les États épris de paix, qui pourraient souhaiter renforcer leurs relations de défense au sein de l'Organisation des Nations unies. De ce point de vue, et à mon opinion d'autres, il aurait été préférable que M. Churchill plaide en faveur du renforcement de l'Organisation des Nations unies et de la modification de la Charte, si nécessaire, pour que ce renforcement soit possible. Il aurait alors été dans une bien meilleure position pour soutenir l'idée que si un État, ou plus d'un, bloquait un tel renforcement, une relation spéciale entre les autres serait justifiée. Toutefois, il est assez clair que M. Churchill n'avait pas cela à l'esprit dans son discours. Il pensait à une association militaire étroite des peuples anglophones uniquement.

« Dans l'ébauche du discours que j'ai lue, il était question de l'opportunité de maintenir le Commandement combiné des chefs d'état-major. J'ai mentionné à l'époque à Lord Halifax que je pensais que ce serait indésirable même pour les autorités militaires américaines et britanniques qui espéraient beaucoup son maintien, mais pensaient que la meilleure façon de le faire était de ne pas attirer l'attention sur la question, mais de laisser les arrangements du temps de guerre continués tranquillement. Lord Halifax a accepté et la phrase en question a été modifiée par la suite. Toutefois, ainsi amendée, il était assez clair à quoi elle faisait référence ; suffisamment claire pour provoquer une discussion qui pourrait nuire à ces arrangements en les mettant en lumière. L'article ci-joint d'Arthur Krock dans le New York Times est intéressant à cet égard.

« Vous avez peut-être aussi remarqué qu'une question a été posée au président Truman lors de la conférence de presse de jeudi dernier sur ce point. M. Truman a expliqué que le Commandement combiné des chefs d'état-major fonctionnait toujours parce que la paix n'avait pas encore été officiellement conclue, mais que cette situation ne durerait pas beaucoup plus longtemps, espérait-il. Cette partie des remarques de M. Churchill a donc peut-être nui plutôt qu'aidé la cause qu'il espérait promouvoir, soit l'association la plus étroite possible des forces armées des deux pays. » [Notre souligné]

[...]

« Si aucun succès réel n'est obtenu à une telle conférence (comme celle des trois grands), alors les États-Unis et le Royaume-Uni devraient convertir les Nations unies en un agent vraiment efficace pour préserver la paix et prévenir l'agression. Il faut donc la réviser radicalement. Si les Russes s'opposent à une telle révision, approuvée par d'autres, il faut créer une nouvelle organisation qui, en tant que gardienne de la paix pour toutes les nations, et pas seulement les nations anglophones, peut fonctionner sans les Russes et, en dernier recours, contre eux. » (Mike : Memoirs of the Rt. Hon. Lester B. Pearson, Volume Two : 1948-1957, Toronto, University of Toronto Press. Traduit de l'anglais par LML)

En même temps, l'ambassadeur du Canada en URSS, Hume Wrong, reconnaissait dans ses dépêches que l'Union soviétique ne se préparait pas du tout à la guerre.

2. Cité dans Daniel Yergin, Shattered Peace : The Origins of the Cold War and the National Security State, Boston : Houghton Mifflin, Co., 1977, pp. 175-6. Traduit de l'anglais par LML

3. La formulation de « rideau de fer » a été utilisée des millions de fois par les anticommunistes. Le communiste britannique R. Palme Dutt souligne : « Cette formulation,... en fait a été utilisée en ce sens... par Joseph Goebbels dans un éditorial publié dans Das Reich le 25 février 1945... [elle] continue d'être utilisée de tout côté sans reconnaissance de son origine nazie. Si des redevances devaient être payées pour son utilisation chaque fois par les publicistes et les politiciens occidentaux à l'auteur originel, l'ombre de Goebbels serait maintenant l'ombre la plus riche de l'Hadès. »

Dans cet article, Goebbels écrivait :

« Si le peuple allemand déposait ses armes, les Soviétiques, conformément à l'accord conclu entre Roosevelt, Churchill et Staline, occuperaient toute l'Europe de l'Est et du Sud-Est avec la plus grande partie du Reich. Un rideau de fer tomberait sur cet immense territoire dominé par l'Union soviétique, derrière lequel les nations seraient massacrées. »

Le « mégaphone nazi » lui-même a sans doute repris ce terme d'un article du journal de propagande de la Wehrmacht, Signal, publié en 1943 dans lequel le terme rideau de fer est utilisé :

« Celui qui a écouté l'interrogatoire d'un prisonnier de guerre soviétique sait qu'une fois le barrage brisé, un flot de paroles commence alors qu'il tente de faire comprendre ce qu'il a vécu derrière le mystérieux rideau de fer qui sépare plus que jamais le monde de l'Union soviétique. »

Cité dans Behind the Iron Curtain, Randall Bytwerk (Derrière le rideau de fer, Randall Bytwerk). Citation traduite de l'anglais par LML

4. Dans un discours prononcé le 27 avril 1941 à la suite de l'invasion du Danemark, de la Hollande, de la Belgique et de la France par l'Allemagne nazie, qui a mis fin à la « drôle de guerre », Churchill a cité le poète Arthur Hugh Clough :

Tandis que les vagues lassées en vain se brisent,
Ne semblent avancer péniblement d'un pouce,
Progressant tout au loin parmi anses et criques,
L'océan monte alors silencieusement.
Ce n'est pas seulement par les croisées, à l'est,
Que lorsqu'entre le jour, entre aussi la lumière ;
En face paraît le soleil – lent, combien lent !
Mais regarde à l'ouest s'illuminer la terre.

5. Dans un article du journal britannique The Times du 8 mai 1945, on lisait : « Incapable d'arrêter la ruée allemande vers la côte, [le général français] Weygand réforma ses armées derrière la Somme et l'Aisne et une petite force expéditionnaire britannique débarqua en renfort. Il était trop tard, et le 14 juin les Allemands entrèrent à Paris, qui avait été déclarée ville ouverte. De Bordeaux, où il s'était retiré, le gouvernement français a demandé au gouvernement britannique de le libérer de son obligation de ne pas conclure une paix séparée. À cela, le gouvernement britannique - le gouvernement de coalition que M. Churchill avait formé un mois auparavant - était prêt à y consentir si d'abord la flotte française se réfugiait dans les ports britanniques.

« Mais la proposition britannique allait plus loin.

« Il a offert l'union des deux États avec une citoyenneté commune si la France se battait. Le gouvernement français a rejeté cette proposition, M. Reynaud, qui l'avait soutenu avait démissionné, et l'octogénaire Pétain qui l'avait remplacé allait devenir la figure centrale dans l'épisode le plus humiliant de l'histoire française. (The Long Road To Victory ; A Historical Narrative And A Chronological Register Of The Events Of The War In Europe And Africa 1939-1945, London, Printing House Square 1945. Traduit de l'anglais par LML)

6. 1945 – Opération Unthinkable, naissance de la guerre froide, Yuriy Rubtsov 25 mai 2015, Strategic culture

7. Discours prononcé le 31 mars 1949 au Massachusetts Institute of Technology

8. Interview au sujet du discours de M. Churchill à Fulton, mars 1946. Staline, Oeuvres, Tome XVI, NBE, Paris, 1975

9. Ambassadeur aux États-Unis du secrétaire d'État aux affaires extérieures, DESPATCH 511, Washington, 11 mars 1946

10. « Once Again, the Big Yalta Lie », Jacob Heilbrunn, Los Angeles Times, 10 mai 2005

11. Ibid

12. Extrait de l'allocution de Hardial Bains à la Conférence « Regard sur la philosophie indienne – la période zéro », Montréal, juillet 1992, cité dans Discussion (hebdomadaire), Vol.1, Numéro 2, 1992

13. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le journaliste Walter Lippmann, dans un livre publié en 1944 intitulé United States War Aims (Les buts de la guerre des États-Unis), une suite à un autre livre sur la politique étrangère des États-Unis, a brossé le portrait des affinités culturelles et historiques des deux côtés de l'Atlantique – ce qu'il décrivait comme étant la « civilisation atlantique ».

Charles Cogan, adjoint de recherche principal à la Kennedy School de l'Université Harvard, a écrit sur l'influence de Lippmann dans un article de 2009 intitulé « Relations extérieures américaines et européennes » :

« Petit à petit, remplissant un vide spirituel tout en fournissant une raison d'être stratégique et morale pour le nouvel engagement des États-Unis en Europe, un certain nombre d'intellectuels américains et européens semblent avoir adopté le thème de l'influent journaliste Walter Lippmann. » (International Relations, Volume 1, UNESCO/EOLSS, 2009)

Cogan souligne que, dans l'après-guerre, une étude commune sur le même thème a été publiée par le Français, Jacques Godechot, et l'Américain, Robert Palmer, intitulée The Problem of the Atlantic. Cogan cite les auteurs comme suit:

« Lippmann est sans doute le premier à se servir de l'expression 'Communauté atlantique'. Pour lui, la Communauté atlantique était un regroupement politique et économique, mise en place peu à peu par toutes les grandes puissances en bordure de l'océan, consolidée par la 'Charte atlantique' et destinée à se développer à l'avenir grâce au principe de bon voisinage et à l'organisation d'échanges économiques de plus en plus nombreux.

Dans Les objectifs de la guerre des États-Unis et d'autres écrits, Lippmann propose une série d''orbites' qui coexisteraient de façon pacifique après la guerre : une orbite atlantique, une orbite soviétique et une éventuelle orbite chinoise. Pour Lippmann, selon son biographe Ronald Steele, l''objectif premier' de la responsabilité américaine était le bassin de l'Atlantique des deux côtés, et les îles du Pacifique- en d'autres mots, la communauté atlantique plus une stratégie de 'l'eau bleue' de bases navales et de flottes qui rôdent les océans. En dehors de ces régions, il ne devrait pas y avoir d'engagements militaires ou politiques permanents. »

Le terme « atlantique » ne plaisait pas aux Français. La difficulté éprouvée par la France vis-à-vis l'accent sur les affinités atlantiques et liant l'Ancien Monde au Nouveau, était que l'Atlantique, comme le disait Jacques Godechot et Robert Palmer, avait été dominée par l'Angleterre à partir du XVIIIe siècle qui à la fin du XIXe siècle a été remplacée par une domination américaine, britannique et canadienne. Ainsi, l'« Atlantique » était un monde dont la France ne pouvait espérer prendre la tête.

14. Ritchie était le descendant d'une famille de loyalistes de premier plan qui s'était réfugiée dans la vallée de l'Annapolis, en Nouvelle-Écosse, à la suite de la Révolution américaine, avec des Africains réduits à l'esclavage.

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