Le Marxiste-Léniniste

Numéro 37 - 16 septembre 2017

Supplément

150e anniversaire de la publication du tome I du Capital le 14 septembre 1867-

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Das Kapital et son auteur Karl Marx en 1869

150e anniversaire de la publication du tome I du Capital le 14 septembre 1867
Les trois sources et les trois parties constitutives du marxisme - Lénine
La théorie marxiste de la plus-value conserve encore toute sa valeur
- Hardial Bains


150e anniversaire de la publication du tome I du Capital le 14 septembre 1867

Les trois sources et les trois parties
constitutives du marxisme

La doctrine de Marx suscite, dans l'ensemble du monde civilisé, la plus grande hostilité et la haine de toute la science bourgeoise (officielle comme libérale), qui voit dans le marxisme quelque chose comme une « secte malfaisante ». On ne peut s'attendre à une autre attitude, car dans une société fondée sur la lutte des classes, il ne saurait y avoir de science sociale « impartiale ». Toute la science officielle et libérale défend, de façon ou d'autre, l'esclavage salarié, tandis que le marxisme lui a déclaré une guerre implacable. Demander une science impartiale dans une société fondée sur l'esclavage salarié est d'une naïveté aussi puérile que de demander aux fabricants de se montrer impartiaux dans la question de savoir s'il convient de diminuer les profits du Capital pour augmenter le salaire des ouvriers.

Mais ce n'est pas tout. L'histoire de la philosophie et de la science sociale montre en toute clarté que le marxisme n'a rien qui ressemble à du « sectarisme » dans le sens d'une doctrine repliée sur elle-même et ossifiée, surgie à l'écart de la grande voie du développement de la civilisation universelle. Au contraire, le génie de Marx est d'avoir répondu aux questions que l'humanité avancée avait déjà soulevées. Sa doctrine naquit comme la continuation directe et immédiate des doctrines des représentants les plus éminents de la philosophie, de l'économie politique et du socialisme.

La doctrine de Marx est toute-puissante, parce qu'elle est juste. Elle est harmonieuse et complète ; elle donne aux hommes une conception cohérente du monde, inconciliable avec toute superstition, avec toute réaction, avec toute défense de l'oppression bourgeoise. Elle est le successeur légitime de tout ce que l'humanité a créé de meilleur au XIXe siècle : la philosophie allemande, l'économie politique anglaise et le socialisme français.

C'est à ces trois sources, aux trois parties constitutives du marxisme que nous nous arrêterons brièvement.

I

La philosophie du marxisme est le matérialisme. Au cours de toute l'histoire moderne de l'Europe et surtout à la fin du XVIIIe siècle, en France, où se déroulait une lutte décisive contre tout le fatras du moyen âge, contre la féodalité dans les institutions et dans les idées, le matérialisme fut l'unique philosophie conséquente, fidèle à tous les enseignements des sciences naturelles, hostile aux superstitions, au cagotisme, etc. Aussi les ennemis de la démocratie s'appliquèrent-ils de toutes leurs forces à « réfuter » le matérialisme, à le discréditer, à le calomnier ; ils défendaient les diverses formes de l'idéalisme philosophique qui de toute façon se réduit toujours à la défense ou au soutien de la religion.

Marx et Engels défendirent résolument le matérialisme philosophique et ils montrèrent maintes fois ce qu'il y avait de profondément erroné dans toutes les déviations par rapport à cette doctrine fondamentale. C'est dans les ouvrages d'Engels : Ludwig Feuerbach et l'Anti-Dühring que leurs vues sont exposées avec le plus de clarté et de détails, et ces ouvrages, comme le Manifeste du Parti communiste, sont les livres de chevet de tout ouvrier conscient.

Mais Marx ne s'arrêta pas au matérialisme du XVIIIe siècle, il poussa la philosophie plus en avant. Il l'enrichit des acquisitions de la philosophie classique allemande, surtout du système de Hegel, lequel avait conduit à son tour au matérialisme de Feuerbach. La principale de ces acquisitions est la dialectique, c'est-à-dire la théorie de l'évolution, dans son aspect le plus complet, le plus profond et le plus exempt d'étroitesse, théorie de la relativité des connaissances humaines qui nous présentent l'image de la matière en perpétuel développement. Les récentes découvertes des sciences naturelles — le radium, les électrons, la transformation des éléments — ont admirablement confirmé le matérialisme dialectique de Marx, en dépit des doctrines des philosophes bourgeois et de leurs « nouveaux » retours à l'ancien idéalisme pourri.

Approfondissant et développant le matérialisme philosophique, Marx le fit aboutir à son terme logique, et il l'étendit de la connaissance de la nature à la connaissance de la société humaine. Le matérialisme historique de Marx fut la plus grande conquête de la pensée scientifique. Au chaos et à l'arbitraire qui régnaient jusque-là dans les conceptions de l'histoire et de la politique succéda une théorie scientifique remarquablement cohérente et harmonieuse qui montre comment, d'une forme d'organisation sociale, surgit et se développe, par suite de la croissance des forces productives, une autre forme, plus élevée, comment par exemple le capitalisme naît du féodalisme.

De même que la connaissance de l'homme reflète la nature qui existe indépendamment de lui, c'est-à-dire la matière en voie de développement, de même la connaissance sociale de l'homme (c'est-à-dire les différentes opinions et doctrines philosophiques, religieuses, politiques, etc.) reflète le régime économique de la société. Les institutions politiques s'érigent en superstructure sur une base économique. Nous voyons, par exemple, comment les différentes formes politiques des Etats européens modernes servent à renforcer la domination de la bourgeoisie sur le prolétariat.

La philosophie de Marx est un matérialisme philosophique achevé, qui a donné de puissants instruments de connaissance à l'humanité et surtout à la classe ouvrière.

II

Après avoir constaté que le régime économique constitué la base sur laquelle s'érige la superstructure politique, Marx réserve essentiellement son attention à l'étude de ce régime économique. L'oeuvre principale de Marx, Le Capital, est consacrée à l'étude du régime économique de la société moderne, c'est-à-dire capitaliste.

L'économie politique classique antérieure à Marx naquit en Angleterre, le pays capitaliste le plus évolué. Adam Smith et David Ricardo, en étudiant le régime économique, jetèrent les bases de la théorie de la valeur-travail. Marx continua leur oeuvre. Il donna un fondement strictement scientifique à cette théorie et la développa de façon conséquente. Il montra que la valeur de toute marchandise est déterminée par le temps de travail socialement nécessaire à sa production.

Là où les économistes bourgeois voyaient des rapports entre objets (échange d'une marchandise contre une autre), Marx découvrit des rapports entre hommes. L'échange de marchandises exprime le lien établi par l'intermédiaire du marché entre les producteurs isolés. L'argent signifie que ce lien devient de plus en plus étroit, unissant en un tout indissoluble toute la vie économique des producteurs isolés. Le capital signifie le développement continu de ce lien : la force de travail de l'homme devient une marchandise. Le salarié vend sa force de travail au propriétaire de la terre, des usines, des instruments de travail. L'ouvrier emploie une partie de la journée de travail à couvrir les frais de son entretien et de celui de sa famille (le salaire) ; l'autre partie à travailler gratuitement, en créant pour le capitaliste la plus-value, source de profit, source de richesse pour la classe capitaliste.

La théorie de la plus-value constitue la pierre angulaire de la théorie économique de Marx.

Le capital créé par le travail de l'ouvrier opprime l'ouvrier, ruine les petits patrons et crée une armée de chômeurs. Dans l'industrie, la victoire de la grosse production est visible d'emblée ; nous observons d'ailleurs un phénomène analogue dans l'agriculture : la supériorité de la grosse exploitation agricole capitaliste s'accroît, l'emploi des machines se généralise, les exploitations paysannes voient se resserrer autour d'elles le noeud coulant du capital financier, elles déclinent et se ruinent sous le joug de leur technique arriérée. Dans l'agriculture, les formes du déclin de la petite production sont autres, mais le déclin lui-même est un fait incontestable.

Le capital qui bat la petite production conduit à augmenter la productivité du travail et à créer une situation de monopole pour les associations de gros capitalistes. La production elle-même devient de plus en plus sociale : des centaines de milliers et des millions d'ouvriers sont réunis dans un organisme économique coordonné, tandis qu'une poignée de capitalistes s'approprient le produit du travail commun. L'anarchie de la production grandit : crises, course folle à la recherche de débouchés et, de là, existence non assurée pour la masse de la population.

Tout en augmentant la dépendance des ouvriers envers le capital, le régime capitaliste crée la grande puissance du travail unifié.

Marx a suivi le développement du capitalisme depuis les premiers rudiments de l'économie marchande, l'échange simple jusqu'à ses formes supérieures, la grande production.

Et l'expérience de tous les pays capitalistes, vieux et neufs, montre nettement d'année en année à un nombre de plus en plus grand d'ouvriers la justesse de cette doctrine de Marx.

Le capitalisme a vaincu dans le monde entier, mais cette victoire n'est que le prélude de la victoire du Travail sur le Capital.

III

Lorsque le régime féodal fut renversé et que la « libre » société capitaliste vit le jour, il apparut tout de suite que cette liberté équivalait à un nouveau système d'oppression et d'exploitation des travailleurs. Aussitôt diverses doctrines socialistes commencèrent à surgir, reflet de cette oppression et protestation contre elle. Mais le socialisme primitif était un socialisme utopique. Il critiquait la société capitaliste, la condamnait, la maudissait ; il rêvait de l'abolir, il imaginait un régime meilleur ; il cherchait à persuader les riches de l'immoralité de l'exploitation.

Mais le socialisme utopique ne pouvait indiquer une véritable issue. Il ne savait ni expliquer la nature de l'esclavage salarié en régime capitaliste, ni découvrir les lois de son développement, ni trouver la force sociale capable de devenir le créateur de la société nouvelle.

Cependant, les révolutions orageuses qui accompagnèrent partout en Europe, et principalement en France, la chute de la féodalité, du servage, montraient avec toujours plus d'évidence que la lutte des classes est la base et la force motrice du développement.

Aucune liberté politique n'a été conquise sur la classe des féodaux sans une résistance acharnée. Aucun pays capitaliste ne s'est constitué sur une base plus ou moins libre, démocratique, sans qu'une lutte à mort n'ait mis aux prises les différentes classes de la société capitaliste.

Marx a ceci de génial qu'il fut le premier à dégager et à appliquer de façon conséquente l'enseignement que comporte l'histoire universelle. Cet enseignement, c'est la doctrine de la lutte des classes.

Les hommes ont toujours été et seront toujours en politique les dupes naïves des autres et d'eux-mêmes, tant qu'ils n'auront pas appris, derrière les phrases, les déclarations et les promesses morales, religieuses, politiques et sociales, à discerner les intérêts de telles ou telles classes. Les partisans des réformes et améliorations seront dupés par les défenseurs du vieux régime aussi longtemps qu'ils n'auront pas compris que toute vieille institution, si barbare et pourrie qu'elle paraisse, est soutenue par les forces de telles ou telles classes dominantes. Et pour briser la résistance de ces classes, il n'y a qu'un moyen : trouver dans la société même qui nous entoure, puis éduquer et organiser pour la lutte, les forces qui peuvent — et doivent de par leur situation sociale — devenir la force capable de balayer le vieux et de créer le nouveau.

Seul le matérialisme philosophique de Marx a montré au prolétariat la voie à suivre pour sortir de l'esclavage spirituel où végétaient jusque-là toutes les classes opprimées. Seule la théorie économique de Marx a expliqué la situation véritable du prolétariat dans l'ensemble du régime capitaliste.

Les organisations prolétariennes indépendantes se multiplient dans le monde entier, de l'Amérique au Japon, de la Suède à l'Afrique du Sud. Le prolétariat s'instruit et s'éduque en menant sa lutte de classe ; il s'affranchit des préjugés de la société bourgeoise, il acquiert une cohésion de plus en plus grande, il apprend à apprécier ses succès à leur juste valeur, il retrempe ses forces et grandit irrésistiblement.

(Publié en mars 1913 dans « Prosvéchtchénié », n• 3 consacré au 13e anniversaire de la mort de Marx. Ce journal a été interdit par le gouvernement tsariste en juin 1914, à la veille de la Première Guerre mondiale.)

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La théorie marxiste de la plus-value conserve
encore toute sa valeur

Marx a découvert la loi économique du développement de la société capitaliste, la loi de la plus-value. Il a montré que le but de la production sous le capitalisme est le profit, qui représente le travail non payé de la classe ouvrière, la valeur nouvelle créée par les travailleurs au cours du processus de production capitaliste en sus de la valeur de leurs salaires. Marx a été le premier à découvrir l'origine du profit capitaliste dans l'exploitation de la classe ouvrière. Il a montré que sous le capitalisme, la production se développe à travers des crises et des bouleversements en raison de l'anarchie de la production, anarchie qui a sa racine dans la contradiction fondamentale du mode de production capitaliste, la contradiction entre le caractère social de la production et l'appropriation capitaliste privée des fruits de la production. À un certain stade, la croissance des forces productives entre en conflit avec la croissance des profits, avec l'appropriation capitaliste privée. C'est alors qu'éclate la crise, caractérisée par un phénomène apparemment illogique : il y a une surabondance de biens, mais les travailleurs, ne pouvant se les payer, vivent dans le besoin. Marx a prédit tous les traits de la société capitaliste telle que nous la connaissons en se basant sur la loi économique du développement du capitalisme. À partir de cette loi, il a pu formuler la loi générale et absolue de l'accumulation capitaliste, qui affirme qu'à mesure que le capitalisme se développe et que la richesse se concentre entre les mains de la bourgeoisie, la condition de la classe ouvrière va nécessairement se détériorant : les riches s'enrichissent et les pauvres s'appauvrissent.

« L'armée industrielle de réserve est d'autant plus nombreuse que la richesse sociale, le capital en fonction, l'étendue et l'énergie de son accroissement, donc aussi la masse absolue du prolétariat et la force productive de son travail, sont plus considérables. Les mêmes causes qui développent la force expansive du capital développent la force de travail disponible. La grandeur relative de l'armée industrielle de réserve s'accroît donc en même temps que les ressorts de la richesse. Mais plus cette armée de réserve grossit, comparativement à l'armée active du travail, plus grossit la surpopulation consolidée, excédent de population, dont la misère est inversement proportionnelle aux tourments de son travail. Plus s'accroît enfin cette couche des Lazare de la classe salariée, plus s'accroît aussi le paupérisme officiel. Voilà la loi absolue, générale, de l'accumulation capitaliste . »[1]

Marx en concluait que le système capitaliste serait frappé par des crises cycliques d'une ampleur toujours plus grande et que seul le renversement du mode de production capitaliste par la révolution violente du prolétariat avec ses alliés pouvait mettre fin à cette situation.[2] Ainsi, raisonnait Marx, la propriété privée capitaliste et les rapports de production capitalistes seraient renversés et remplacés par la propriété sociale des moyens de production, ce qui permettrait d'abolir la contradiction entre le caractère social de la production et les rapports de propriété existants.

Avec la loi de la plus-value, Marx découvrait l'origine et le développement du profit capitaliste et mettait à nu la « loi économique du développement de la société moderne ». Ce problème avait laissé perplexes tous les économistes avant lui. Bien que s'approchant plus ou moins de la théorie de la valeur-travail, ces derniers n'avaient pas su expliquer scientifiquement l'origine du profit. Engels a expliqué :

« Marx a également découvert la loi particulière du mouvement du mode de production capitaliste actuel et de la société bourgeoise qui en est issue. La découverte de la plus-value a, du coup, fait ici la lumière, alors que toutes les recherches antérieures aussi bien des économistes bourgeois que des critiques socialistes s'étaient perdues dans les ténèbres. » [3]

Après la première crise industrielle de 1825, et après son accession définitive au pouvoir en France et en Angleterre vers 1830, la bourgeoisie, devant la montée de la lutte de classe du prolétariat, s'est désintéressée complètement de la recherche d'une économie politique scientifique. Marx a expliqué dans la postface de la deuxième édition allemande du Capital :

« En France et en Angleterre, la bourgeoisie s'empare du pouvoir politique. Dès lors, dans la théorie comme dans la pratique, la lutte des classes revêt des formes de plus en plus accusées, de plus en plus menaçantes. Elle sonne le glas de l'économie bourgeoise scientifique. Désormais, il ne s'agit plus de savoir si tel ou tel théorème est vrai, mais s'il est bien ou mal sonnant, agréable ou non à la police, utile ou nuisible au capital. La recherche désintéressée fait place au pugilat payé, l'investigation consciencieuse à la mauvaise conscience, aux misérables subterfuges de l'apologétique. » [4]

C'est dans les années 1840 que Marx a commencé à élaborer sa doctrine économique en s'appuyant sur la loi économique du développement de la société moderne. Dès lors, l'économie politique scientifique et le marxisme étaient synonymes. La rigueur scientifique devenait synonyme de parti-pris prolétarien, car le marxisme avait montré qu'on ne peut mettre fin aux crises et aux autres maux du capitalisme qu'en abolissant le système capitaliste lui-même, que seul le renversement de l'ordre bourgeois par la révolution permettra de changer la condition de la classe ouvrière, de briser les chaînes de l'esclavage salarié qui lie l'ouvrier au capital.

Avec le passage du capitalisme au stade du capitalisme monopoliste et de l'impérialisme, toutes ses contradictions s'exacerbent à l'extrême. La révolution, loin d'être une perspective qui s'éloigne, s'impose à l'ordre du jour comme une nécessité, comme la solution à toutes ces contradictions, elle devient un problème posé et à résoudre. Aujourd'hui, comme à l'époque où Marx a fait son analyse minutieuse de la production de marchandises sous le capitalisme, l'ouvrier n'a rien à vendre que sa force de travail ; il est un esclave salarié forcé de s'offrir sur le marché pour gagner sa vie. Le développement de la grande production, la concentration implacable de la production et du capital entre les mains d'une poignée de riches, la croissance du capital financier, l'exportation de capitaux vers tous les coins du globe, la division du monde entre les puissances impérialistes, tout cela n'a pas infirmé les lois économiques du capitalisme découvertes par Marx. Les conditions objectives actuelles ne font que confirmer la valeur de la doctrine économique de Marx.

C'est la justesse indéniable de la doctrine économique de Marx et la grande force de ses enseignements qui contraignent la bourgeoisie à jeter tous ses apologistes dans l'arène contre le marxisme, dans le but de le « réfuter ». Aujourd'hui comme par le passé, ces apologistes présentent des arguments pour justifier l'exploitation des travailleurs et le système du profit capitaliste. Du temps de Marx, ils prétendaient que le capitaliste avait droit à un « retour sur son investissement » « du fait de son abstinence », pour « compenser les risques encourus » ou pour « payer son salaire de gérant ». Mais de telles explications n'ont pu résister à la doctrine scientifique qui prouvait que, peu importe la justification que l'on invente pour les profits, les intérêts, les rentes et les autres gains réalisés par les propriétaires bourgeois, ces « retours sur l'investissement » n'avaient qu'une origine : le travail vivant de la classe ouvrière et des autres travailleurs. La bourgeoisie niait totalement la théorie de la valeur-travail. Elle identifiait la valeur au prix et soutenait que les prix étaient déterminés par le rapport entre « l'offre et la demande », et plus particulièrement par les préférences subjectives des consommateurs, de telle sorte qu'il n'y avait et ne pouvait y avoir de mesure objective de la valeur du travail.

C'est avec cette théorie psychologique de la valeur que les économistes bourgeois espéraient écarter la théorie de la valeur-travail et justifier la répartition inégale des fruits du travail entre les exploiteurs et les exploités, entre les riches et les pauvres. W.S. Jevons, un des fondateurs de la théorie psychologique de la valeur basée sur la philosophie utilitariste, a également élaboré une théorie selon laquelle les crises périodiques du capitalisme s'expliquent par le cycle des taches solaires ! Et dire que cette nouvelle version de la théorie de la valeur est apparue simultanément en Angleterre, en Autriche et en France précisément en 1871, année de batailles acharnées de classe, année de la révolte du prolétariat parisien et de la proclamation de la Commune de Paris !

Lorsque le capitalisme a atteint son stade monopoliste, les théoriciens révisionnistes ont cherché à leur tour à discréditer la doctrine économique marxiste en s'appuyant sur ce qu'ils appelaient les « nouvelles données » du développement économique. Ils prétendaient que la concentration du capital et l'évincement de la petite production ne se poursuivaient que très lentement dans l'industrie et pas du tout dans l'agriculture ; que les crises se faisaient de plus en plus rares et moins aiguës ; que les cartels et les trusts permettraient d'enrayer les crises définitivement ; et que la théorie de « l'effondrement » n'était pas valable parce que les antagonismes de classe s'atténuaient. En somme, ils soutenaient que les contradictions du capitalisme s'émoussaient et même disparaissent avec son passage au state du capitalisme monopoliste.

Lénine s'est élevé contre les révisionnistes qui cherchaient à dénaturer les conclusions de Marx, à en supprimer la définition des lois économiques du développement du capitalisme et la doctrine de la lutte de classe. Il a montré que le capitalisme s'était développé selon la loi économique découverte par Marx, que c'est par la concentration du capital et de la production qu'il était passé au stade du capitalisme monopoliste, et que les antagonismes de classe s'en étaient trouvés intensifiés. Il a souligné :

« La réalité ne tarda pas à montrer aux révisionnistes que l'époque des crises n'était pas révolue : une crise succéda à la prospérité. Les formes, la succession, la physionomie de certaines crises s'étaient modifiées ; mais les crises demeuraient partie intégrante, inéluctable du régime capitaliste. Les cartels et les trusts, en unifiant la production, aggravaient en même temps aux yeux de tous l'anarchie de la production, l'incertitude du lendemain pour le prolétariat et l'oppression du capital ; ils envenimaient ainsi, à un degré inconnu jusque-là, les antagonismes de classe. » [5]

Dans son ouvrage monumental L'impérialisme, stade suprême du capitalisme, Lénine a montré comment le capitalisme était passé au stade du capitalisme monopoliste, au stade de l'impérialisme capitaliste. S'appuyant sur les lois économiques découvertes par Marx, il a décrit le développement des traits du capitalisme monopoliste, de son caractère parasitaire et moribond : la concentration du capital et de la production et l'apparition des monopoles ; la naissance du capital financier par la fusion, sous la domination des banques, du capital industriel et du capital bancaire ; l'exportation de capitaux et la division du monde entre les monopoles capitalistes et les puissances impérialistes. Il a décrit l'impérialisme comme le stade du capitalisme où la révolution est à l'ordre du jour, où elle est un problème posé et à résoudre. De plus, il a analysé l'action de la loi économique fondamentale du capitalisme dans les conditions du capitalisme monopoliste, et en a conclu que les capitalistes cherchent à s'accaparer le profit maximum en exigeant un tribut de toutes les cellules de la société.

Le capital financier, concentré en quelques mains et exerçant un monopole de fait, prélève des bénéfices énormes et toujours croissants sur la constitution de firmes, les émissions de valeurs, les emprunts d'État, etc., affermissant la domination des oligarchies financières et frappant la société tout entière d'un tribut au profit des monopolistes. » [6]

Staline a formulé cette loi avec précision dans son ouvrage Les problèmes économiques du socialisme en URSS. Il a montré que la loi de la plus-value, qui explique l'origine et le développement du profit capitaliste, demeure la loi économique fondamentale du capitalisme, et que, même si l'action de cette loi est en quelque sorte modifiée dans les conditions de l'impérialisme, ses principes restent toujours les mêmes. Staline a conclu que les traits principaux et les exigences de la loi économique fondamentale du capitalisme moderne pouvaient se formuler ainsi :

« assurer le maximum de profit capitaliste en exploitant, en ruinant, en appauvrissant la majeure partie de la population d'un pays donné ; en asservissant et en dépouillant de façon systématique les peuples des autres pays, notamment ceux des pays arriérés ; enfin, en déclenchant des guerres et en militarisant l'économie nationale en vue d'assurer le maximum de profits. » [7]

Staline réfutait ainsi le point de vue des révisionnistes modernes comme Browder et Tito qui prétendaient que le capitalisme monopoliste aux États-Unis était un « capitalisme jeune », que l'économie socialiste était compatible avec le marché capitaliste et la circulation capitaliste des marchandises, ainsi qu'avec l'action de la loi de la valeur en tant qu'agent régulateur de la production et de la distribution. [...]

Aujourd'hui, la bourgeoisie est toujours aussi déterminée à « réfuter » la théorie marxiste de la plus-value, à obscurcir l'origine du profit et à dépeindre le système d'esclavage salarié sous des couleurs chatoyantes. En 1983, les impérialistes ont même attribué le prix Nobel d'économie à un « savant » professeur, G. Debreu, qui a consacré toute sa vie à chercher en vain un substitut à la théorie marxiste de la plus-value. Le président de Gulf Canada prétend que c'est la bourgeoisie, les monopoles et les multinationales qui créent la richesse, tandis que les travailleurs ne font que consommer ! La bourgeoisie ne cesse de chanter sa ritournelle voulant que la croissance économique et le bien-être du peuple dépendent entièrement des profits des corporations, que la croissance des profits soit nécessaire à l'expansion économique, et ainsi de suite. Elle soutient que la crise actuelle résulte, du moins en grande partie, d'une chute des profits. Selon ce « raisonnement », la solution de la crise passe par une hausse des profits. Cette idée est poussée à la limite par les idéologues bourgeois, qui répètent sans arrêt que les profits sont la clé de la « création d'emplois » et que les travailleurs ne peuvent mieux servir leurs intérêts qu'en acceptant de sacrifier leurs salaires et leurs conditions de travail (et jusqu'à leur sécurité d'emploi et leurs emplois mêmes !), afin d'accroître les profits des employeurs et de préserver ainsi des emplois ou en « créer » de nouveaux.

Par ces prétentions saugrenues, la bourgeoisie s'offre une farce cruelle aux dépens des travailleurs et des larges masses du peuple. Tant la théorie marxiste de la plus-value que la réalité elle-même démentent les dires de la bourgeoisie à propos des bénéfices qu'apporteraient les profits aux travailleurs. Les profits des monopoles et des multinationales se sont accrus considérablement en 1983, mais cette « relance » n'a pas créé d'emplois pour les chômeurs. Au contraire, le chômage se maintient autour de 11 pour cent, un des niveaux les plus élevés que l'histoire ait connus. Malgré cela, la bourgeoisie et ses media persistent à colporter leur propagande trompeuse. Le bien-être du peuple ne préoccupe pas la bourgeoisie ; « créer des emplois » ne l'intéresse pas. Sa préoccupation est de s'assurer le profit maximum par l'exploitation des travailleurs et en frappant d'un tribut la société tout entière.

La loi de la plus-value continue d'opérer aujourd'hui. Telle que modifiée dans son action à l'époque de l'impérialisme, elle demeure la loi économique fondamentale du capitalisme moderne. La loi de la plus-value n'a pas besoin d'amendements » ni de « corrections », comme le prétendent les révisionnistes et les opportunistes. Au contraire, on ne peut comprendre le développement actuel de l'économie capitaliste, caractérisé par des crises périodiques et par l'approfondissement constant de la crise générale, sans se référer à cette loi économique fondamentale du capitalisme moderne. [...]

Notes

1. Marx, K., Le Capital, Éditions sociales, Paris, 1976, Livre 1, p. 465.

2. L'idée que « la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine de l'État et de la faire fonctionner pour son propre compte » est un principe fondamental du marxisme. Voir : Marx, K. « La guerre civile en France », Marx et Engels, Oeuvres choisies , tome 2, Éditions du progrès, Moscou, 1970,p. 230.

3. Engels, F., "Discours sur la tombe de Karl Marx", Marx et Engels, Oeuvres choisies, tome 3, Éditions du Progrès, Moscou, 1978, p. 167.

4. Marx, K., Le Capital. Livre 1, op. cit., p. 17.

5. Lénine, V.1., "Marxisme et révisionnisme", Oeuvres complètes. tome 15, Éditions sociales, Éditions du Progrès, Paris, Moscou, 1967, p. 31-32

6. Lénine, V.I., "L'impérialisme, stade suprême du capitalisme", Oeuvres complètes, tome 22, Éditions sociales, Éditions en langues étrangères, Paris, Moscou ; 1960, p. 252.

7. Staline, J., "Les problèmes économiques du socialisme en U.R.S.S.", Oeuvres choisies, op. cit., p. 599.

(Source : Centre de ressources Hardial Bains : Les idées de Karl Marx sont immortelles, 1983)

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