Numéro 140 - 26 novembre 2016

In Memoriam

¡Hasta la victoria siempre, Fidel!


13 août 1926 - 25 novembre 2016

In Memoriam
¡Hasta la victoria siempre, Fidel!
Message du président Raúl Castro
Décret du deuil national - Conseil d'État de la République de Cuba
Note de presse sur les hommages nationaux à Fidel - Commission organisatrice


Événements
Vigiles en hommage à la vie et l'oeuvre révolutionnaires de Fidel


En souvenir de la vie et l'oeuvre de Fidel Castro
Déclaration du Réseau canadien pour Cuba
Les principes valent plus que la vie elle-même - Fidel Castro, 1994
Cent images de la révolution cubaine - 1953-1996



In Memoriam

¡Hasta la victoria siempre, Fidel!

C'est avec une grande tristesse que le Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste) a appris que le vendredi 25 novembre, à 22 h 29, le camarade Fidel Castro Ruz, dirigeant de la Révolution cubaine toujours victorieuse, est décédé.

Nous transmettons nos sincères condoléances en cette triste occasion au camarade Raúl Castro et à l'ensemble des dirigeants cubains, à tout le peuple cubain et à son Parti communiste ainsi qu'à la famille du camarade Fidel.

Le camarade Fidel vivra dans nos coeurs dans la mort comme dans la vie, nous inspirant à affronter tous les obstacles au progrès humain et social, à sortir des sentiers battus et à atteindre de nouveaux sommets dans toutes nos entreprises. Que l'esprit révolutionnaire, la fidélité aux principes et la grande générosité qui ont caractérisé l'action de Fidel occupent nos pensées en ce jour de douleur.

¡Hasta la victoria siempre !

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Message du président Raúl Castro

Message du président du Conseil d'État et du Conseil des ministres de Cuba, le général d'armée Raúl Castro, annonçant au peuple cubain et au monde la mort du dirigeant de la Révolution cubaine Fidel Castro.

* * *

Cher peuple de Cuba,

C'est avec un profond chagrin que j'informe notre peuple et les amis de Notre Amérique et du monde qu'aujourd'hui 25 novembre, à 22 h 29 est décédé le Commandant en Chef de la Révolution Cubaine, Fidel Castro Ruz. En vertu de la volonté expresse du camarade Fidel, ses restes seront incinérés. Dans les premières heures de demain, samedi 26 novembre, la commission qui organise les funérailles donnera à notre peuple, une information détaillée de l'organisation de l'hommage posthume qui sera rendu au fondateur de la Révolution cubaine. Jusqu'à la victoire, toujours !

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Décret du deuil national

Le Conseil d'État de la République de Cuba a décrété neuf jours de deuil national à partir de 6 heures du 26 novembre jusqu'à 00 heures du 4 décembre 2016 à l'occasion du décès du commandant en chef, Fidel Castro.

Tous les spectacles et activités publiques seront suspendus durant le deuil, le drapeau cubain sera mis en berne dans les édifices publics et militaires. La radio et la télévision transmettront une programmation spéciale.

(CubaMinrez, 26 novembre 2016)

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Note de presse sur les hommages
nationaux à Fidel

La Commission organisatrice du Comité central du Parti communiste de Cuba, de l'État et du gouvernement chargé des hommages funèbres du commandant en chef Fidel Castro Ruz informe la population qu'à compter du 28 novembre, de 9 à 22 h, et jusqu'au 29 novembre de 9 h à 12 h, elle pourra rendre à son leader l'hommage qui lui est dû au mémorial José Martí de La Havane.

Les 28 et 29 novembre, de 9 h à 22 h, aux endroits qui seront annoncés opportunément dans chaque localité, dont la capitale, nous aurons la possibilité de rendre hommage en tant que Cubains à notre leader historique et de signer le serment solennel de respect envers le concept de Révolution qu'il a exprimé le 1er mai 2000, en tant qu'expression de notre volonté de poursuivre ses idées et la construction de notre socialisme.

Le 29 novembre, à 19 h, un meeting de masse se tiendra sur la place de la Révolution José Martí, dans la capitale.

Le lendemain, ses cendres seront transportées, le long de l'itinéraire qui rappelle celui de la Caravane de la liberté en janvier 1959, jusqu'à Santiago de Cuba où elles arriveront le 3 décembre.

Ce jour-là, 3 décembre 2016, un meeting de masse se tiendra sur la place Antonio Maceo, à 19 h.

La cérémonie d'inhumation se déroulera le 4 décembre, à 7 h, au cimetière de Santa Ifigenia.

La revue militaire et la marche du peuple combattant pour le soixantième anniversaire du débarquement des expéditionnaires du yacht Granma sont renvoyées au 2 janvier 2017.

(Cubaminrex-Granma, 26 novembre 2016)

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Événements

Vigiles en hommage à la vie et l'oeuvre révolutionnaires de Fidel

Partout au pays des vigiles sont organisées pour rendre hommage à Fidel et exprimer la grande solidarité des Canadiens avec le peuple cubain et sa révolution. Joignez-vous à nous!


Toutes les vigiles ont lieu le dimanche 27 novembre

Montréal
19 h

Consulat cubain, 4546 boulevard Décarie

Ottawa
18 h à 20 h

Ambassade de la République de Cuba, 388 rue Main

Toronto
17 h à 18 h 30

Consulat cubain, 5353 rue Dundas O.

Vancouver
16 h à 18 h

CBC Plaza, 700 rue Hamilton

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En souvenir de la vie et l'oeuvre de Fidel Castro

Déclaration du Réseau canadien pour Cuba


Fidel s'entretient avec  les Cinq Héros cubains peu après leur retour à Cuba le 28 février 2015.

C'est avec grande tristesse et le coeur lourd que le mouvement de solidarité et d'amitié Canada-Cuba a appris la nouvelle du décès de Fidel Castro, le dirigeant historique de la Révolution cubaine. La tristesse profonde que nous ressentons tous au Canada est partagée par les forces progressistes, antiguerre et pro-justice sociale à travers le monde.

Fidel occupe une place au panthéon des champions des peuples qui ont fait une contribution ineffaçable à la lutte mondiale pour la libération et l'émancipation.

Fidel n'est plus mais il vit toujours. Il incarne les meilleures traditions de l'humanité et appartient donc à l'humanité dans le sens le plus profond du terme.

Bien que le coeur de Fidel ait cessé de battre dans la soirée du vendredi 25 novembre, son legs et son travail se continuent dans la Révolution cubaine qui est un exemple vivant qu'un monde meilleur est possible.

La vie de Fidel est la personnification même de la lutte des exploités et des opprimés. Le légendaire homme de théâtre Bertolt Brecht a exprimé cette essence quand il a écrit : « Il y a des hommes qui luttent un jour et ils sont bons, d'autres luttent un an et ils sont meilleurs, il y a ceux qui luttent pendant de nombreuses années et ils sont très bons, mais il y a ceux qui luttent toute leur vie et ceux-là sont les indispensables ».

¡Viva Fidel !
¡Hasta la Victoria Siempre !

26 novembre 2016





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Les principes valent plus que la vie elle-même

Discours prononcé par le président Fidel Castro Ruz, le premier secrétaire du Comité central du Parti communiste de Cuba et président du Conseil d'État et du Conseil des ministres, à l'occasion de la clôture de la Rencontre mondiale de solidarité avec Cuba, qui s'est déroulée au théâtre Karl Marx, le 25 novembre 1994, An 36 de la Révolution ».

***

Chers amis, et avec quel plaisir je le dis : chers amis ! Il m'est difficile de faire le compte rendu, la synthèse de ce qui s'est passé au cours de cette rencontre ; je peux tout au plus me livrer à quelques réflexions.

Nous avons vu défiler ici -- par ordre de bataille, pourrait-on dire -- les meilleurs sentiments, les meilleures idées de notre siècle. Nous avons parlé ici de toutes les nobles choses qui ont été le fruit de la préoccupation de l'humanité au cours d'une période déjà longue. Vous avez exposé, d'une manière ou d'une autre, les valeurs pour lesquelles l'humanité a combattu et a lutté tout au long de ce siècle qui s'achève.

Les questions qui ont soulevé le plus d'inquiétude au cours de cette longue lutte pour l'indépendance, contre le colonialisme, contre le néocolonialisme, contre l'impérialisme, la lutte des peuples pour l'égalité, pour la justice, pour le développement, pour la souveraineté, qui n'a jamais été aussi menacée qu'aujourd'hui ; la lutte pour la justice sociale, la lutte contre l'exploitation, la lutte contre la pauvreté, la lutte contre l'ignorance, la lutte contre les maladies, la lutte en faveur de tous les laissés-pour-compte, de tous les démunis, la lutte pour la dignité, le respect envers les femmes; la lutte pour l'unité entre les peuples et les races; la lutte pour la paix; toutes ces valeurs et plus encore, et ici ont été présents, non pas tous car il aurait été impossible de les rassembler dans 1 000 théâtres, ni même dans 100 000 théâtres comme celui-ci, des personnes généreuses, désintéressées, altruistes, qui représentent ce que l'humanité a de meilleur. Si nous voulions une réunion de personnes de valeur, de personnes possédant une profonde sensibilité humaine et morale, nous l'avons eue, car ces personnes étaient présentes ici.

La capacité qu'a l'homme d'être bon, de se sacrifier, d'être généreux m'émerveille toujours, et à chaque fois que nous recevons un visiteur dans ce pays je l'observe, je l'analyse, j'essaye de comprendre sa manière de penser, ses sentiments et mon admiration devant tant de valeurs humaines est illimitée.

Beaucoup de gens que nous connaissons, qui ont été nos amis, qui ont été solidaires et qui ont été des exemples de sensibilité, de solidarité et de générosité humaine ne sont pas avec nous aujourd'hui. C'est l'impression, impérissable, inoubliable, que nous garderons, en premier lieu, de cette rencontre.

Comment s'est-elle déroulée ? Tous ceux avec qui j'ai parlé m'ont dit que tout s'était bien passé. Cette réunion n'a pas ressemblé à tant d'autres où tous ceux qui le souhaitaient prenaient la parole, ce qui donnait lieu à une interminable série de discours. Nous en avons entendu ici de nombreux, excellents, brillants, profonds et brefs, mais une rencontre de plusieurs jours qui se serait résumée à une série de discours n'aurait pas été une bonne rencontre.

Il y a donc eu des discours, des interventions, des questions et des réponses ; les commissions se sont réunies pour discuter de divers sujets ; ceux qui n'ont pas pris la parole ici l'ont fait là-bas, et nous avons réussi le miracle de voir des centaines de personnes intervenir, même s'il a été impossible que toutes le fassent.

Des centaines de personnes ont parlé, et je crois que l'on a plus ou moins recueilli le sentiment de tous. C'est pour cela qu'il faut féliciter ceux qui ont organisé et qui ont dirigé cette rencontre (applaudissements) qui, malgré les différences, n'a rien eu à voir avec la Tour de Babel, car même si les langues étaient différentes et même souvent les points de vue politiques puisque les participants venaient de 109 pays, l'unanimité a prévalu dans le sentiment noble de solidarité avec notre peuple (applaudissements).

Le blocus s'est avéré le point névralgique de la réunion. Bien des personnes ont parlé du blocus, les camarades ont expliqué, il n'y a donc pas grand-chose à ajouter. Mais, en essence, qu'est-ce que le blocus ? Le blocus, ce n'est pas seulement l'interdiction, décrétée par les États-Unis, de faire du commerce avec notre pays, qu'il s'agisse de technologie, d'équipements, d'aliments ou d'autre chose. Le blocus, cela signifie que l'on ne peut même pas vendre à Cuba une aspirine pour soulager un mal de tête, ou un médicament contre le cancer qui puisse sauver une vie ou apaiser la douleur d'un malade qui se trouve dans la phase finale de la vie ; rien, on ne peut absolument rien vendre à Cuba.

Le blocus ne se résume pas à l'interdiction d'accorder un crédit ou une facilité financière. Le blocus ne signifie pas seulement la fermeture totale des activités économiques, commerciales et financières de la part des États-Unis, la nation la plus riche du monde, la nation la plus puissante du monde en matière économique et militaire, qui est située à 90 milles marins de nos côtes, mais aussi à quelques centimètres, sur le territoire occupé de la Base navale de Guantanamo. L'empire puissant est non seulement près de nous, il est parmi nous ; il n'est pas seulement à côté de nous avec ses idées, sa conception et sa philosophie, il est parmi nous, représenté par cette partie heureusement minoritaire qui adhère aux conceptions, à la philosophie et aux idées qui sont diffusées depuis tant d'années à travers le monde.

L'empire ne fait pas de commerce de marchandises avec Cuba, il veut par contre exporter des idées et les pires ; il n'exporte ni des aliments, ni des médicaments, ni de la technologie, ni des équipements, mais il exporte des quantités fabuleuses d'idées. Ce qui se passe c'est qu'auparavant le marché était plus large et l'empire exportait des idées partout, mais surtout il en exportait en quantité dans le camp socialiste, dans l'ancienne Union soviétique et d'autres pays. Aujourd'hui l'empire n'a d'idées contre-révolutionnaires que pour nous, un stock énorme et des moyens de diffusion puissants, immenses, infinis. Dans ce commerce -- mais un commerce dans une seule direction, parce qu'en ce qui nous concerne nous ne disposons pas de ces moyens considérables, de ces énormes systèmes de communication qui coûtent des millions, des milliards de dollars par an -- nous sommes condamnés à recevoir, et non pas à échanger.

Mais le blocus n'est pas que cela ; le blocus est une guerre économique contre Cuba, une guerre économique ; c'est la persécution tenace, constante, de toute démarche économique de Cuba partout dans le monde. Les États-Unis travaillent activement, par l'intermédiaire de leurs missions diplomatiques, exerçant des pressions contre tout pays qui souhaite faire du commerce avec Cuba, contre toute entreprise qui souhaite faire du commerce ou investir à Cuba, exerçant des pressions ou punissant tout bateau qui transporte des marchandises vers Cuba ; c'est la guerre universelle, avec cette puissance immense en leur faveur, contre l'économie de notre pays, au point de se livrer à des démarches individuelles, y compris auprès de personnes, d'individus qui tentent de développer n'importe quelle activité économique en rapport avec notre pays.

Ils l'appellent euphémiquement embargo ; nous appelons cela un blocus, mais ce n'est ni un embargo ni un blocus : c'est la guerre ! Un genre de guerre qu'on ne livre aujourd'hui contre aucun pays au monde, à l'exception de Cuba.

Mais non seulement nous avons été obligés de supporter un blocus en ces année de Révolution ; nous avons aussi dû supporter l'hostilité incessante sur le terrain politique, depuis les tentatives d'assassinats contre les dirigeants de la Révolution jusqu'au sabotage direct et continuel de notre économie, en passant par toutes les formes de subversion et de déstabilisation.

Pendant 35 ans nous avons été victimes de sabotages en tout genre. Je ne parle pas seulement des attaques pirates, des invasions mercenaires, des sales guerres qui nous ont été imposées dans les montagnes et dans les plaines, des tentatives continuelles de déstabilisation dans tous les domaines, mais de sabotages directs à l'aide d'explosifs et d'engins incendiaires.

Notre pays a même fait l'objet de guerres chimiques, avec l'introduction d'éléments toxiques, et de guerres biologiques, avec l'introduction de fléaux et de maladies qui se sont abattus sur les plantes, les animaux et la population. Il n'y a pas une arme, pas un moyen qui n'ait été utilisé contre notre pays et contre notre Révolution par les autorités et le gouvernement des États-Unis.

Et ce n'est pas moi qui le dis. De temps en temps on voit apparaître un de ces papiers qu'ils lâchent ou publient au bout de 25 ans, bien qu'il y en ait qu'ils gardent 50, 100 ans, et d'autres dont on dit qu'ils moisissent pendant plus de 200 ans dans les tiroirs et qui iront finir aux mains des petits-enfants et arrières petits-enfants des générations actuelles, leur révélant les atrocités qu'ont commises ceux-là mêmes qui se posent en « champions » de la liberté et des droits de l'homme.

La guerre livrée contre la Révolution cubaine a été une guerre totale, absolue ; et il ne s'agit pas d'une vieille guerre, car elle persiste, car on trouve toujours des plans de sabotage contre notre économie, contre nos industries stratégiques.

À l'heure actuelle il y a des organisations très proches du gouvernement des États-Unis qui préparent des attentats contre les dirigeants de la Révolution -- que personne n'aille penser que c'est une chose qui appartient au passé ; c'est une chose très actuelle, des plans de sale guerre, d'infiltration de mercenaires armés qui viennent pour tuer, pour saboter, pour créer un climat d'insécurité et porter la mort dans n'importe quel recoin de notre pays. Je le dis et j'assume toute la responsabilité de mes paroles : ce sont des plans que les États-Unis ourdissent actuellement contre nous. C'est bien plus qu'un blocus économique.

Cette politique s'accompagne d'une persistante campagne de calomnies et de diffamation contre notre pays visant à justifier leurs crimes, et à présent on brandit bien haut la bannière des droits de l'homme : les droits de l'homme dans la bouche de ceux qui ont commis et commettent toutes sortes d'atrocités contre notre pays.

Nous le faisions remarquer récemment au Haut-Commissaire des Nations unies pour les droits de l'homme, avec qui nous avons eu une longue conversation : la violation la plus brutale et la plus cruelle des droits de notre peuple est celle que l'on commet actuellement en essayant d'anéantir, d'amener à se rendre par la faim et la maladie onze millions de Cubains (applaudissements).

Les États-Unis parlent de droits de l'homme alors qu'ils ont eux-mêmes exterminé les anciens habitants de leur pays, sa population autochtone, ses indigènes. Comment oublier cette époque, cette tradition de collectionner les scalps des Indiens ? Ils ont tué plus d'Indiens que de bisons, et ils ont même fini par exterminer les bisons (applaudissements).

Ils ont agrandi leur État en volant le territoire des autres, ils se sont étendus en arrachant des terres, en dépouillant leur voisin, d'une manière ou d'une autre, de millions de kilomètres carrés de territoire. Ils ont volé au Mexique plus de la moitié de son territoire (applaudissements), ils occupent toujours Porto Rico (applaudissements), ils veulent dévorer Cuba depuis plus de 150 ans ; ils sont intervenus des dizaines de fois dans des pays d'Amérique latine ; ils ont imposé le canal au Panama. Et je ne parle que de ce qui s'est passé de ce côté du monde, sur notre continent. Je ne parle pas de la guerre du Vietnam, du Laos et du Cambodge, ni de ce qu'ils ont fait ailleurs (applaudissements).

Quelle histoire ! Et quel paradoxe que ce projet de Loi 187 -- qui ne date pas d'il y a 100 ans, ni même d'il y a cent jours ; il date de quelques semaines à peine --, dont le but est de fermer l'accès aux soins médicaux et à l'éducation aux enfants des sans-papiers, aux familles des sans-papiers sur ce qui fit un jour partie du territoire mexicain !

De quel respect des droits de l'homme parle-t-on ? Quelle idée se font-ils de l'être humain ? Comment peut-on concevoir qu'on refuse des soins à un enfant malade, alors que d'un autre côté on affecte 300 milliards de dollars au budget de guerre et à la fabrication des armes les plus sophistiquées qui aient jamais existé ?

Il n'est pas besoin de remonter dans le passé. Il suffit de jeter un coup d'oeil sur les temps modernes. Depuis l'avènement de la Révolution, quelle a été l'histoire de la politique extérieure des États-Unis, de ces champions de la liberté et des droits de l'homme ? Ils ont établi une alliance étroite avec les régimes les plus répressifs et sanglants qui aient existé dans le monde.

Si nous pensons à l'Europe, nous nous souvenons qu'immédiatement après la Première Guerre mondiale eut lieu l'alliance entre les États-Unis et le fascisme espagnol, qui fut instauré avec les armes de Hitler et de Mussolini et qui causa des millions de morts.

Nous ne pouvons pas oublier non plus leur alliance avec le régime sud-vietnamien ni leur guerre de génocide contre le peuple du sud et du nord. Nous ne pouvons pas oublier non plus la guerre de Corée, un pays qui fut complètement rasé, réduit en poussière. Comment oublier Hiroshima et Nagasaki (applaudissements), où ils se servirent de l'arme nucléaire -- ce qui n'était absolument pas nécessaire ou, du moins ils auraient pu l'utiliser contre une installation militaire quelconque et non pas contre une population civile de centaines de milliers d'habitants -- pour inaugurer l'ère de la terreur atomique dans le monde ?

Nous ne pouvons pas oublier non plus leur alliance avec l'Afrique du Sud de l'apartheid (applaudissements). Nous ne pouvons pas oublier que l'apartheid a fabriqué des armes nucléaires, et que quand nous-mêmes combattions dans le sud de l'Angola contre le régime de l'apartheid aux côtés des Angolais, l'Afrique du Sud possédait déjà des armes nucléaires et que ces armes pouvaient être utilisées contre les soldats cubains et angolais. Mais bien sûr il s'agissait de l'Afrique du Sud, du racisme et du fascisme !

Eux, qui ont monté tout un scandale et qui ont même lancé des menaces de guerre sous prétexte que les Nord-Coréens voulaient fabriquer des armes nucléaires, ont toléré, permis et accepté par des voies indirectes que l'Afrique du Sud fabrique des armes nucléaires.

Mais rapprochons-nous de notre continent et de notre époque : comment oublier la sale guerre livrée contre le Nicaragua, organisée à travers des mercenaires armés et qui a tué et mutilé des dizaines de milliers de Nicaraguayens ? Qui peut oublier cela si ce n'est le « champion » de la liberté !, le « champion » des droits de l'homme ?

Comment oublier la sale guerre du Salvador, le soutien accordé par le gouvernement des États-Unis à un gouvernement génocidaire, auquel ils ont remis des millions en armes sophistiquées pour écraser la rébellion du peuple ? Une guerre qui a fait plus de 50 000 morts !

Et qu'est-ce qui a été à l'origine de la guerre des Malouines ? Tout simplement ceci : les États-Unis se servaient du Bataillon 401 des Forces spéciales argentines pour leur sale guerre contre le Nicaragua et contre le Salvador, et celui-ci rendait des services si agréables et si brillants aux États-Unis qu'il s'est cru en droit d'occuper les Malouines.

Ce qui n'a rien à voir avec le droit de l'Argentine sur les Malouines que nous avons toujours défendu (applaudissements), mais les militaires argentins ont cru que le moment était venu de se faire rembourser les services qu'ils rendaient aux États-Unis en Amérique centrale, ils croyaient en outre que les États-Unis les appuieraient dans cette aventure militaire -- ce fut en définitive une aventure, parce que ce n'est pas une manière de faire la guerre. Les guerres se font ou ne se font pas, et si on les fait il faut aller jusqu'au bout si elles sont justes (applaudissements) --, et ils ont envahi les Malouines. Mais lorsque les États-Unis ont eu à choisir entre leurs alliés et antécesseurs britanniques et le gouvernement militaire argentin, ils ont choisi les premiers et les ont appuyés.

Comment oublier ce qui s'est passé au Guatemala depuis l'époque de Arbenz, dans les années cinquante (applaudissements), lorsqu'un gouvernement populaire élu par le peuple tenta de réaliser une réforme agraire pour aider les paysans et les communautés indigènes ? Tout de suite ils ont recouru à la sale guerre, à l'invasion mercenaire. Et ensuite, que s'est-il passé ? Que s'est-il passé jusqu'à ce jour ? Plus de 100 000 disparus dans un pays où pendant plusieurs décennies la catégorie de prisonnier politique n'existait pas parce que tous ceux qui avaient été arrêtés avaient disparu.

Jusqu'à aujourd'hui, qui a ravitaillé ce gouvernement, qui l'a entraîné, qui l'a préparé ? Les « champions » de la liberté et des droits de l'homme !

Et que s'est-il passé au Chili sous le gouvernement populaire de Salvador Allende ? (Applaudissements). Ils ont conspiré contre lui, son économie a été soumise à diverses formes de blocus et ils ont peu à peu créé les conditions pour le coup d'État militaire, qui se solda par des milliers et des milliers de personnes disparues ou assassinées.

Et que s'est-il passé en Argentine sous le gouvernement militaire auquel je faisais allusion ? On parle d'au moins 15 000 disparus (quelqu'un du public crie : Trente mille !). J'ai dit au moins parce que je ne tiens pas à ce qu'on dise que j'exagère, et on affirme que ce fut 30 000 ; certains disent même qu'il y en eut davantage. Considérons ce chiffre comme un minimum. Mais est-ce vraiment peu, 15 000 disparus ?

Et qui armait ce gouvernement ? Qui le soutenait ? Qui lui accordait son soutien politique ? Qui utilisait ses services en Amérique centrale ? Les « champions » de la liberté et des droits de l'homme !

Que s'est-il passé en Uruguay ? Et au Brésil ? Qui a appuyé les putschistes et les tortionnaires, ceux qui assassinaient et faisaient disparaître les gens ? Qui est intervenu à Saint-Domingue lors de la rébellion de Caamano ? (applaudissements). Qui a envahi la Grenade (applaudissements), le Panama ? (applaudissements). Les « champions » de la liberté et des droits de l'homme !

Lequel, parmi ces gouvernements, fut harcelé ? Lequel, parmi les gouvernements que j'ai mentionnés, fut soumis à un blocus ? Auquel d'entre eux refusèrent-ils les crédits et le commerce ? À combien d'entre eux cessèrent-ils de vendre des armes et du matériel de guerre ? Combien d'entre eux n'ont-ils pas entraîné aux actions subversives, à l'art du crime, des disparitions et des tortures ? Et ce sont eux qui soumettent Cuba à un blocus, ce sont eux qui calomnient Cuba, qui accusent Cuba de violations des droits de l'homme pour justifier leurs crimes contre notre peuple.

Et Cuba est, je le dis sans passion, le pays qui a le plus fait pour l'être humain (applaudissements prolongés).

Quelle Révolution a été plus noble, plus généreuse ? Quelle Révolution a témoigné plus de respect à l'être humain ? Et pas seulement en tant que Révolution victorieuse installée au pouvoir, mais depuis les débuts mêmes de notre lutte révolutionnaire, où furent établis des principes inviolables ; car ce qui fit de nous des révolutionnaires, c'est précisément le rejet de l'injustice, le rejet du crime, le rejet de la torture. Et pendant notre guerre, qui dura 25 mois et fut intense, nous capturâmes des milliers de prisonniers, mais il n'y eut pas un seul cas de violence physique contre l'un d'entre eux pour obtenir une information quelconque, même pas au milieu de la guerre (applaudissements), il n'y eut pas un seul cas d'assassinat de prisonnier ; ce que nous faisions, c'était les remettre en liberté -- nous leurs confisquions leurs armes, car c'était ce qui nous intéressait le plus, et nous traitions avec toute la considération qu'ils méritaient ces fournisseurs d'armes (rires et applaudissements). Au début on leur avait fait croire qu'on les tuerait tous, et pour cela ils résistaient jusqu'au bout ; mais lorsqu'ils découvrirent le véritable comportement de l'Armée rebelle, ils commencèrent à déposer plus facilement les armes lorsqu'ils étaient encerclés, perdus. Il y eut des soldats qui se rendirent trois fois parce qu'ils avaient été mutés d'un front à l'autre et ils avaient de l'expérience en matière de reddition (rires et applaudissements).

Mais le plus important c'est que ces principes de ne jamais recourir à la torture, au crime, la Révolution cubaine les a maintenus sans une seule exception (applaudissements), quoi qu'on dise, quoi qu'on écrive ; et on sait que les gens à la solde de la CIA ont écrit pas mal de pamphlets mensongers.

Existe-t-il un exemple semblable dans l'histoire ? L'histoire a connu beaucoup de révolutions, et en général elles furent dures, très dures : la Révolution en Angleterre, d'abord, et ensuite la Révolution française, la Révolution russe, la Guerre civile espagnole et la Révolution mexicaine. Nous avons pas mal d'expérience en matière de révolutions et on a beaucoup écrit sur elles ; quant aux contre-révolutions, on se garde bien d'en parler ; les révolutions sont souvent généreuses et les contre-révolutions sont invariablement impitoyables ; les communards de Paris sont bien placés pour le dire (applaudissements). Dans le cas de Cuba il n'y a pas eu une seule exception. Il n'existe pas dans l'histoire de la Révolution cubaine un seul cas de personne torturée, et je pèse mes mots --, un seul cas de crime politique, un seul cas de disparition. Dans notre pays on ne trouve pas ces escadrons de la mort qui prolifèrent comme des champignons dans beaucoup de pays de ce continent (du public on crie des noms de plusieurs pays). Vous parlez pour nous ! (applaudissements). Nous avons préféré ne pas citer de noms, mais on a vu de tout sur notre continent.

Et pourquoi ne pas mentionner les États-Unis, où des hommes comme Martin Luther King et beaucoup d'autres ont été sauvagement assassinés parce qu'ils défendaient les droits civils, un pays où en règle générale la peine de mort n'est appliquée qu'aux Noirs et aux Hispanos ?

Dans notre pays on ne connaît pas bon nombre de ces phénomènes qu'on rencontre dans d'autres, les enfants assassinés dans les rues pour éviter le spectacle de la manche et même pour combattre le vol. La Révolution a liquidé la mendicité, la Révolution a liquidé le jeu, la Révolution a liquidé les drogues, la Révolution a liquidé la prostitution.

Bien entendu, il peut y avoir certains cas, malheureusement, ou certaines tendances qui sont les conséquences des difficultés économiques et de l'ouverture du pays à l'étranger ; il y a quelques jineteras, nous ne le nions pas, on en voit quelques-unes sur la Cinquième Avenue, mais il ne faut pas prendre le risque de confondre des personnes décentes avec des jineteras (applaudissements). Il y a des cas, mais on lutte contre, on ne tolère pas la prostitution, on ne légalise pas la prostitution (applaudissements).

On peut avoir quelques enfants envoyés par leurs parents qui s'adressent à un touriste pour lui demander un chewing-gum ou autre chose ; ces phénomènes se présentent dans cette situation spéciale que nous vivons, au milieu des grandes difficultés économiques que nous traversons après le durcissement du blocus, mais ils n'existaient pas aux temps normaux de la Révolution.

On ne voit pas d'hommes qui dorment sur les trottoirs enveloppés dans des journaux malgré la grande pauvreté actuelle ; il n'y a pas un seul être humain sans abri et sans sécurité sociale dans notre pays, malgré notre grande pauvreté actuelle (applaudissements). Les vices que l'on observe quotidiennement dans les sociétés capitalistes n'existent pas dans notre pays ; ce fut une oeuvre de la Révolution.

Il n'y a pas un seul enfant sans école et sans instituteur, il n'y a pas un seul citoyen sans assistance médicale même avant de naître. Ici nous commençons à nous occuper d'un citoyen alors qu'il se trouve encore dans le ventre de sa mère, dès les premières semaines après sa conception (applaudissements).

Nous sommes le premier pays du monde pour le nombre de médecins per capita, malgré la période spéciale (applaudissements), je dis bien du monde et pas du tiers monde ; le premier pays du monde, devant les Nordiques, les Canadiens et tous ceux qui figurent à l'avant-garde de la santé publique. En faisant passer le taux de mortalité infantile de plus de 60 à 10 pour mille enfants nés vivants, sans compter les autres programmes de santé infantile qu'elle a mis en place, la Révolution a sauvé la vie de plus de 300 000 enfants.

Nous sommes le premier pays du monde pour le nombre d'instituteurs et de professeurs per capita (applaudissements), malgré les calamités que nous sommes en train de supporter ; nous sommes le premier pays du monde pour le nombre d'instructeurs d'art per capita, nous sommes le premier pays du monde pour le nombre de professeurs d'éducation physique et sportive per capita (applaudissements).

Et c'est ce pays qui est victime d'un blocus, c'est ce pays que l'on tente de force à se rendre par la faim et la maladie !

Certains voudraient qu'on lève le blocus et qu'en échange nous capitulions, nous renoncions à nos principes politiques, nous renoncions au socialisme et à nos formes démocratiques (exclamations de Non, Jamais!).

À la réunion de Rio, on a même vu émettre un document assez confus, malgré la noble résistance des gouvernements du Brésil et du Mexique et d'autres, et sur l'insistance de pays qui sont très proches des États-Unis, je ne veux citer aucun nom, un document un peu confus -- qui peut être interprété de plusieurs manières, mais dans lequel certains voient la position des États-Unis -- qui conditionne la levée du blocus à des changements politiques.

Des changements politiques ? Y a-t-il un seul pays qui ait procédé à plus de changements politiques que le nôtre ? Qu'est-ce qu'une Révolution, sinon le changement politique le plus profond et le plus extraordinaire ? (applaudissements). Nous avons fait cette Révolution il y a plus de 35 ans, et tout au long de ces 35 ans nous avons procédé à des changements politiques, nous n'avons pas recherché une démocratie formelle, aliénante, qui divise les peuples, qui les fragmente, nous avons cherché une démocratie qui unisse réellement les peuples et qui rende viable ce qui est le plus important et essentiel, à savoir la participation constante du peuple à la politique et aux questions fondamentales de sa vie (applaudissements). Nous avons même apporté il y a peu de temps des modifications à la Constitution, en vertu du principe selon lequel le peuple propose et élit (applaudissements).

Je ne critique personne, mais dans la plupart des pays du monde, même en Afrique, qu'est-on en train d'introduire avec le néolibéralisme et le néocolonialisme et toutes ces choses, sinon les systèmes occidentaux ? ; des gens qui n'ont jamais entendu parler de Voltaire, de Danton, de Jean-Jacques Rousseau, qui n'ont jamais entendu parler des philosophes de l'Indépendance des États-Unis - souvenez-vous comment Bolivar, sur notre continent, se montrait réticent à l'heure de copier mécaniquement les systèmes européens et nord-américains, qui ont conduit nos pays à la catastrophe, à la division, à la subordination, au néocolonialisme ; nous voyons les sociétés se fragmenter en mille morceaux, des sociétés qui doivent unir leurs efforts pour le développement ; on leur a imposé non pas le pluripartisme, mais le multipartisme ou le centipartisme, parce qu'il y a des centaines et des milliers de partis.

Nous avons travaillé, nous avons élaboré notre propre système, nous ne l'avons copié sur personne ; nous avons établi le principe de savoir qui propose en premier lieu et ce sont les citoyens qui proposent. On peut être d'accord ou non, mais c'est un système aussi respectable que la démocratie grecque dont on parle tant, sans esclaves et sans serviteurs. Parce que la démocratie grecque, c'étaient quelques personnes qui se réunissaient sur une place, ils étaient si peu nombreux qu'à cette époque où les micros n'existaient pas, ils se réunissaient tous sur une place pour y tenir des élections (rires et applaudissements). Les esclaves ne participaient pas, les serviteurs ne participaient pas ; aujourd'hui non plus, d'ailleurs.

Lorsqu'on analyse les résultats des élections on se rend compte qu'aux États-Unis on vient d'élire un nouveau Congrès, où l'on observe d'ailleurs des tendances ultra-conservatrices et d'extrême-droite ; mais ce sont des affaires internes des États-Unis. Je vous assure, je vous jure, que pour normaliser nos relations nous n'avons pas exigé des États-Unis qu'ils renoncent à ce système (rires et applaudissements). Calculez par exemple qu'au moins 80 % des gens doivent voter, et il se trouve que 38 % ont décidé de voter et c'est tout (rires), et les autres ont dit : « je vais à la plage » ou « je vais au cinéma » (rires) ou « je reste me reposer à la maison. C'est une chose qui arrive chez les « champions » de la liberté, des droits de l'homme et des droits civils (applaudissements).

Dans de nombreux pays d'Amérique latine c'est la même chose, beaucoup de personnes ne votent même pas ; car les esclaves et les serfs disent : « Pourquoi voter, si rien ne change pour moi ? »

Comme il est difficile de nous mettre d'accord ! Car en effet, l'influence des médias est chaque jour plus grande, et le noeud d'obstacles qui se dresse devant les forces populaires est chaque fois plus difficile à surmonter.

Au contraire, plus de 95 % des citoyens prennent part à nos élections, et personne n'est obligé de voter, et même ceux qui ne sont pas pour la Révolution vont voter, même s'ils votent blanc, pour ne pas élire celui-ci ou celui-là ; ou pour élire celui-ci ou celui-là.

Chez nous - je le répète - ce sont les citoyens qui proposent, le peuple propose et élit. De sorte que les possibilités d'être élu pour un citoyen sont infiniment plus grandes que dans n'importe quel autre pays.

Une bonne preuve : je conversais avec une délégation mexicaine et ils m'ont dit : « Avec nous est venue la benjamine des députés » - « Quel âge a-t-elle ? » « Vingt-cinq ans ». J'ai été agréablement surpris, mais soudain je me suis rappelé que nous avions plusieurs députés de moins de vingt ans, car les étudiants, à partir du secondaire, participent au processus de choix des candidats, avec toutes les organisations de masse (applaudissements).

Les paysans participent au processus de choix des candidats ; l'organisation des femmes participe au processus de choix des candidats ; les syndicats aussi, et les Comités de défense de la Révolution, et il y a de nombreux étudiants qui sont députés à l'Assemblée nationale, et des femmes, des paysans, des ouvriers, des travailleurs et des intellectuels, des gens de tous les secteurs. Ce n'est pas le Parti qui propose. Le Parti ne propose pas et n'élit pas, il veille à ce que tous les principes et toutes les règles soient respectés, mais il ne participe à aucun de ces processus électoraux. Voilà comment les choses se passent dans notre pays.

L'une des dernières modifications du règlement électoral établit que chaque candidat à la députation doit obtenir plus de 50 % des votes valides.

Alarçon a expliqué quelques-unes de ces choses, et il rappelait avec une revue en main - il a l'avantage de parler anglais et de temps en temps il peut lire des revues nord-américaines (rires) -, comment un monsieur avait englouti vingt-cinq millions de dollars dans sa campagne pour être membre du Congrès. Quelle est cette démocratie ? Combien de personnes ont vingt-cinq millions de dollars à dépenser dans une campagne ? À Cuba, on n'a même pas besoin de dépenser vingt-cinq dollars, peut-être le ticket de bus pour aller voter le jour des élections : voilà la dépense du citoyen cubain (applaudissements).

Quelle est cette démocratie qui exige qu'on soit millionnaire pour pouvoir disposer de tous les moyens possibles pour persuader ses électeurs ? Et ensuite, on les oublie jusqu'aux prochaines élections, quatre ou cinq ans plus tard, on ne s'occupe jamais plus d'eux, pas une seule fois, on les oublie.

Dans notre pays on peut être révoqué de ses responsabilités, depuis le délégué de circonscription jusqu'au fonctionnaire au plus haut niveau, n'importe qui peut être élu et aussi démis de ses fonctions. C'est notre système, nous ne prétendons pas que les autres l'appliquent, il serait absurde de prétendre que c'est un modèle ; mais c'est celui que nous avons adopté, personne ne nous l'a imposé, aucun gouverneur ou conseiller nord-américain n'est venu établir un code électoral ici, comme ils le faisaient auparavant.

La Constitution, nous l'avons faite nous-mêmes (applaudissements), le Code électoral, nous l'avons fait nous-mêmes, le système, nous l'avons pensé et nous l'avons développé nous-mêmes, et c'est ce que vous êtes en train de défendre : le droit du pays à créer ses lois, le système économique, politique et social qu'il estime pertinent. Agir autrement est impossible, absurde, toute autre prétention est une folie, et ces fous prétendent que tout le monde doit faire exactement ce qu'ils font, mais ce qu'ils font ne nous plaît pas (applaudissements).

C'est pour cela que la suppression du blocus en échange de concessions politiques, en échange de concessions qui lèsent la souveraineté de notre pays est inacceptable. C'est absolument inacceptable, révoltant, irritant et réellement nous préférons mourir plutôt que de renoncer à notre souveraineté (applaudissements prolongés).

Il y a bien des années que nous vivons avec le blocus, mais il convient de réfléchir sur un fait : au triomphe de la Révolution, il existait un certain monde ; aujourd'hui, après 35 ans de Révolution, il existe un autre monde. Le monde a changé, mais il n'a pas changé dans le sens du progrès ; en réalité il a changé dans le sens de la régression, car le monde bipolaire ne plaisait à personne, mais le monde monopolaire nous plaît encore beaucoup moins.

Au triomphe de la Révolution, il existait un monde bipolaire. Les États-Unis nous imposent le blocus presque dès le début, ils commencent à nous supprimer les marchés du sucre, ils nous coupent le ravitaillement en combustible. Imaginez un peu la jeune Révolution dans ces conditions ! Évidemment, ils nous suppriment la fourniture des machines, des pièces de rechange, de tout ; mais l'URSS existait, et le camp socialiste aussi.

Ce fut une chance pour nous parce que, face au blocus que nous imposaient les États-Unis ici, à 90 milles, il existait une autre force dans le monde, un autre mouvement dans le monde qui avait une origine révolutionnaire et qui était en contradiction avec l'impérialisme américain. Grâce à ce mouvement, nous pûmes trouver des marchés pour notre sucre, du pétrole, des matières premières, des aliments, beaucoup de choses. Tout cela a été expliqué ici.

Nous bénéficions de prix préférentiels ; mais il faut dire que Cuba ne fut pas la seule à bénéficier de prix préférentiels, la Convention de Lomé établit des prix préférentiels pour le sucre et d'autres produits pour beaucoup de pays qui sont d'anciennes colonies. Même aux États-Unis, lorsqu'ils étaient un important marché pour notre sucre, avant qu'on nous supprime nos quotas pour les redistribuer dans toute l'Amérique latine et dans d'autres parties du monde, il existait aussi des prix préférentiels. Quatre-vingt pour cent du sucre dans le monde est commercialisé sur la base de prix préférentiels. Et tout à fait en accord avec les principes de la doctrine politique, les pays socialistes nous payaient à des prix préférentiels.

C'était la politique que nous défendions pour tous les pays du tiers monde, car c'était l'unique manière de réduire la différence qui existait entre les pays développés et les pays sous-développés. C'était une revendication du monde, c'était une revendication de tous les pays du tiers-monde. Et même ainsi c'était correct, car bien qu'on nous accordât des prix préférentiels, produire du sucre en Union soviétique coûtait bien plus que ce qu'ils payaient pour celui qu'ils nous achetaient. Mais de toute manière, ces prix préférentiels étaient pour nous un avantage car nous pouvions acheter du combustible, des matières premières et beaucoup d'autres choses.

Dans cette situation survient l'écroulement du camp socialiste et de l'URSS, et le blocus s'intensifie. Tant que le camp socialiste et l'URSS existaient, nous nous arrangions mieux, nous nous supportions mieux. Et même dans ces conditions, notre économie s'est accrue presque pendant trente ans, et nous avons atteint un développement social extraordinaire.

Mais c'est dans ce monde qu'est née la Révolution cubaine, il n'y en avait pas d'autre, il n'y avait pas d'autre alternative pour ce pays assiégé par la plus grande puissance du monde ; c'est pourquoi la disparition du camp socialiste et de l'URSS a été pour nous un coup si terrible, car non seulement le blocus demeure, mais il se durcit encore. De sorte que notre pays a perdu 70 % de ses importations et je me demande combien de jours il aurait pu tenir, une semaine, 15 jours, un mois (applaudissements). Comment y serions-nous parvenus si le peuple n'avait pas soutenu la Révolution ? Comment aurions-nous pu résister, vraiment, sans notre système politique, sans notre système démocratique, sans la participation directe du peuple à toutes les questions fondamentales, qui constitue la véritable démocratie ? (applaudissements)

Quel autre pays latino-américain aurait pu résister après la perte de 70 % de ses importations ? Quel pays européen aurait pu supporter une telle épreuve ? Dès la veille les hommes politiques auraient hésité, auraient capitulé, mais nous avons de la dignité, nous avons le sens de l'honneur et nous sommes attachés à nos principes (applaudissements). Pour nous, les principes valent plus que la vie elle-même, nous n'avons jamais négocié les principes, jamais ! (applaudissements).

Lorsque nous aidions les révolutionnaires d'Amérique centrale, les Nord-Américains disaient qu'ils lèveraient le blocus si nous cessions de les aider, mais jamais une telle idée ne nous est passée par la tête (applaudissements). À d'autres occasions ils se disaient disposés à lever le blocus si nous cessions d'aider l'Angola et d'autres pays d'Afrique, mais nous n'avons jamais songé à négocier nos relations avec d'autres pays. Dans d'autres circonstances ils promettaient de lever le blocus si nous rompions nos relations avec l'Union soviétique, mais jamais cela ne nous est venu à l'esprit, car nous ne sommes pas un parti ou une direction politique qui négocie ses principes. À ce prix le blocus ne cesserait jamais d'exister, car nous ne sommes pas disposés à le payer.

Cette situation nous a conduits à la période spéciale.

Nous étions en train de mettre en oeuvre d'excellents projets avant la catastrophe socialiste, des projets excellents à tous points de vue, nous avions entrepris un processus de rectification des erreurs et des tendances négatives, des erreurs anciennes et nouvelles, des tendances anciennes et nouvelles et nous réalisions un travail intense lorsqu'est survenue cette débâcle qui nous a conduits à ce que l'on pourrait appeler un double blocus, car aussitôt après la désintégration du camp socialiste et celle de l'URSS, et même avant la désintégration de l'URSS, les États-Unis ont fait pression plus que jamais, et pas en vain, pour interrompre le commerce et les relations économiques entre les anciens pays du camp socialiste et l'URSS, et Cuba.

Notre pays s'est ainsi vu en butte à un double blocus, et cependant il fallait sauver la patrie, il fallait sauver la Révolution et il fallait sauver le socialisme -- nous disons sauver les conquêtes du socialisme, car nous ne pouvons pas dire en ce moment que nous construisons le socialisme ; nous défendons ce que nous avons fait, nous défendions nos conquêtes --, un objectif fondamental dans un monde qui avait changé d'une manière radicale et où tout le pouvoir de l'empire se retournait contre nous ; car les États-Unis n'imposent aucune condition à la Chine par exemple, un grand pays, un pays immense qui défend les idées du socialisme ; ils n'imposent pas non plus de conditions au Vietnam, pays merveilleux et héroïque. On ne leur impose pas de blocus, mais on en impose un à Cuba. Mettez-vous à la place de notre Parti et de notre direction. Et dans des conditions comme jamais il n'en a existé, nous voulons sauver la Patrie, la Révolution et les conquêtes du socialisme. Quelles mesures devons-nous prendre dans ce monde d'aujourd'hui, un monde qui, bien sûr, n'existera pas toujours ? Ceux qui pensent que le néolibéralisme est pour le capitalisme le nec plus ultra, l'ascension au ciel et à l'éternité du ciel se font des illusions (applaudissements). Le monde nous donnera encore bien des leçons. Il serait trop long d'expliquer ce qu'il adviendra de tout cela, nous en aurions pour très longtemps si nous voulions approfondir le sujet, mais pour eux le néolibéralisme est éternel.

On parle aujourd'hui de la globalisation de l'économie. Nous allons voir ce que cette globalisation laissera aux pays du tiers-monde lorsque tous les mécanismes de défense dont celui-ci dispose aujourd'hui auront disparu, et il lui faudra soutenir la concurrence sur le plan de la technologie, soutenir la concurrence face à l'immense développement des pays capitalistes développés, qui tenteront alors d'exploiter plus que jamais les ressources naturelles et la main d'oeuvre bon marché du tiers-monde pour accumuler sans cesse plus de capital. Mais ce capitalisme super-développé, comme celui des pays d'Europe, par exemple, génère de plus en plus de chômage, plus il se développe plus il génère de chômage. Que se passera-t-il avec nos pays ? Nous assisterons à la globalisation des différences, des injustices sociales, de la misère.

Mais ce monde est celui dans lequel nous vivons et dans lequel nous devons développer nos relations commerciales et échanger nos produits, dans lequel il nous faut survivre ; c'est pourquoi nous devons nous adapter à ce monde et adopter les mesures que nous jugeons indispensables, dans un objectif très clair.

Ce qui ne veut pas dire que tout ce que nous sommes en train de faire soit uniquement le résultat de la nouvelle situation ; nous avions déjà entrepris des changements et l'idée de l'introduction de capital étranger est même antérieure à la période spéciale : nous avions compris qu'il était impossible de développer certains secteurs, certaines branches si nous n'avions ni capital ni technologie pour le faire, parce que les pays socialistes ne disposaient pas de cette technologie. Mais nous avons été obligés de procéder à une plus grande ouverture, nous avons été obligés de procéder à ce que nous pourrions appeler une ouverture assez large à l'investissement étranger. Ceci a été expliqué ici : Cuba, dans les circonstances actuelles, sans capital, sans technologie et sans marchés, ne pourrait pas se développer ; ce qui explique que les mesures, les changements et les réformes que nous adoptons actuellement, dans un sens ou dans l'autre, ont pour but, comme on l'a signalé à cette conférence, de sauvegarder l'indépendance, la Révolution -- car la Révolution est la source de tout le reste -- et les conquêtes du socialisme, ce qui veut dire que nous voulons préserver le socialisme ou le droit à continuer de construire le socialisme lorsque les circonstances le permettront (applaudissements prolongés).

Nous faisons des changements mais sans renoncer à l'indépendance et à la souveraineté (applaudissements) : nous faisons des changements, mais sans renoncer au véritable principe : le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple qui, traduit en langage révolutionnaire, veut dire gouvernement des travailleurs, par les travailleurs et pour les travailleurs (applaudissements prolongés et exclamations de « Fidel !, Fide1 ! ». Ce n'est pas le gouvernement des bourgeois, par les bourgeois et pour les bourgeois ; ce n'est pas le gouvernement des capitalistes, par les capitalistes et pour les capitalistes ; ce n'est pas le gouvernement des transnationales, par les transnationales et pour les transnationales ; ce n'est pas le gouvernement de l'impérialisme, par l'impérialisme et pour l'impérialisme (applaudissements).

C'est là la grande différence, quels que soient les changements et les réformes que nous entreprenions. Si nous renoncions un jour à cela, nous renoncerions à la raison d'être de la Révolution (applaudissements).

Nous avons été solidaires avec le monde, mais il ne nous appartient pas de parler de cette solidarité. Lorsqu'il s'agit de solidarité, en ce qui nous concerne nous devons agir au maximum et en parler au minimum, car nous n'allons pas faire ici l'auto-apologie de notre conduite.

Il y a quelques minutes, avant le début de cette dernière partie de notre rencontre, un camarade disait : « Cuba a fait un nombre de choses incroyables ! Lorsqu'on entend parler les visiteurs d'un pays ou d'un autre, lorsqu'on les entend parler de médecins, de boursiers, de personnes qui se font former ici, d'une activité, d'une autre et d'une autre encore, on se rend compte que tout au long de ces année notre pays a fait beaucoup de choses. » Et c'est que pour nous, la solidarité, l'internationalisme est un principe, et je dirais plus, un principe sacré (applaudissements).

Je donnerai quelques chiffres à titre d'exemple : plus de 15 000 médecins cubains ont prêté leurs concours gratuitement dans des dizaines de pays pendant ces années de Révolution, plus de 15 000 personnes ont accompli des missions internationalistes comme médecins (applaudissements), plus de 26 000 instituteurs et professeurs en ont fait autant. Je me demande si un autre petit pays, ou un pays moyen ou même grand a égalé ce record.

Il suffit de dire qu'à un certain moment nous avions trois fois plus de médecins qui travaillaient gratuitement dans le tiers-monde que l'Organisation mondiale de la santé elle-même (applaudissements), et nous n'avions pas beaucoup de ressources, nous avions des ressources minimes, nous ne comptions que sur l'honneur de nos travailleurs de la santé et sur leur vocation internationaliste. Combien de vies ont-ils sauvées ? Et je me demande : est-ce juste d'imposer un blocus à un pays qui a agi de la sorte ? (exclamations de « Non » !).

Combien de centaines de milliers d'enfants avons-nous éduqués grâce a nos instituteurs qui ont travaillé à l'étranger ? Et nous n'avons pas seulement envoyé des instituteurs, nous avons envoyé aussi des professeurs universitaires ; nous avons fondé des écoles de médecine dans divers pays du monde. Est-ce juste d'imposer un blocus à un pays qui a fait tout cela et qui, dans une certaine mesure, continue de le faire ?

Un demi-million de Cubains a accompli des missions internationalistes de tous types, un demi-million ! (applaudissements).

Les Africains ont été très nobles, très généreux, et ils ont voulu rappeler à cette occasion l'aide solidaire apportée par Cuba dans la lutte contre le colonialisme, dans la lutte contre l'agression étrangère, dans la lutte contre l'apartheid et le racisme.

Comme je l'ai déjà dit ici, nos soldats combattaient dans le sud de l'Angola, 40 000 hommes, 40 000 hommes (applaudissements), qui aux côtés des troupes angolaises, ont combattu héroïquement. Il y avait des Cubains dans le sud de l'Angola, face aux Sud-Africains, après la bataille de Cuito Cuanavale, et au moment de notre contre-offensive dans le sud-ouest de l'Angola, ces hommes étaient même exposés au danger des armes nucléaires. Nous le savions et dans la distribution des forces lors de cette offensive il avait été tenu compte de la possibilité de voir l'ennemi utiliser des armes nucléaires.

À un moment donné, il y avait à Cuba 25 000 boursiers étrangers (applaudissements). Cuba était le pays au monde à avoir le plus grand nombre de boursiers étrangers per capita, mais nous ne nous en sommes jamais vantés ; nous accomplissions simplement notre devoir, comme nous l'enseigna Marti, nous avons fait tout ce qui était à notre portée pour aider les autres pays.

Je crois que cette extraordinaire rencontre, que vos nobles, généreuses et solidaires paroles, reflètent en partie l'histoire solidaire de notre propre Révolution (applaudissements). Ceci nous stimule et nous encourage à poursuivre la lutte.

À l'heure où nous vivons il existe de grandes options : l'option de la liberté, l'option de la souveraineté, l'option de l'indépendance, l'option de la justice sociale.

La justice sociale en tant qu'idée acquiert une telle force face au néolibéralisme, qui est la négation de tout principe de justice, que même quelques organismes internationaux en parlent. La Banque interaméricaine de développement parle de plus en plus de la nécessité de justice sociale dans cet hémisphère. Même la Banque mondiale parle de la nécessité de justice sociale dans cet hémisphère ! Ils sont les champions du néolibéralisme et ils parlent de justice sociale, car ils se rendent compte que les différences sont énormes et qu'elles continuent de se creuser et ils rêvent d'un néolibéralisme, d'un capitalisme assorti de justice sociale ; ils ont peur que la misère, la faim et la pauvreté minent les bases de ce néolibéralisme auquel ils se consacrent aujourd'hui et c'est pourquoi ils parlent de justice sociale.

Mais nous savons que seuls les peuples peuvent appliquer la justice sociale et que le néolibéralisme et la justice sociale sont incompatibles, inconciliables (applaudissements) ; qu'un monde superdéveloppé et un monde sous-développé sont incompatibles, inconciliables ; que le premier sera toujours plus riche et le second toujours plus pauvre, c'est une réalité irréfutable.

Votre présence ici démontre que les idées justes vivent, que les idées nobles vivent, que les valeurs vivent. Et il faut multiplier ces idées, ces valeurs, comme Jésus-Christ a multiplié les poissons et les pains (applaudissements).

L'Église parle d'une option pour les pauvres et cela nous parait extrêmement positif ; mais je pense que le monde actuel a besoin de quelque chose de plus qu'une option : il a besoin d'une lutte énergique, tenace et conséquente des pauvres (applaudissements et exclamations de : « Fidel ! Fidel ! »). J'aurais dû parler d'églises plutôt que de l'Église, car il ne s'agit pas seulement de l'Église catholique.

Il faut une lutte de tous les instants contre les causes qui sont à l'origine de la pauvreté (applaudissements) ; il faut une lutte de tous les instants contre le capitalisme, contre le néolibéralisme et contre l'impérialisme (applaudissements), jusqu'au jour où l'on cessera de parler des milliers de millions d'êtres humains qui ont faim, qui sont privés d'écoles, d'hôpitaux, de travail, de toit, qui n'ont même pas de quoi satisfaire leurs besoins les plus élémentaires.

La population de notre planète approche des six milliards d'habitants, elle est quatre fois ce qu'elle était il y a à peine 100 ans. Des menaces multiples pèsent aujourd'hui sur l'humanité, et pas seulement des menaces de type social, mais également de type économique, politique et militaire.

Ici quelqu'un disait qu'aujourd'hui on donne aux guerres le nom de « missions humanitaires », « opérations en faveur de la paix ». Les guerres nous menacent de tous côtés, les interventionnismes nous menacent de tous côtés ; mais le monde est également menacé par la destruction des conditions naturelles de vie, par la destruction de l'environnement, un problème qui attire de plus en plus l'attention et émeut de plus en plus la conscience de l'être humain. L'effort qu'il nous incombe de déployer sur tous les fronts pour sauver l'humanité de ces dangers est immense.

Et quelle est l'origine historique de cette situation ? Peut-on nier que c'est le colonialisme, le néocolonialisme et l'impérialisme ? Peut-on nier que c'est le capitalisme ? Nous en sommes pleinement conscients, quels que soient les revers qu'aient subis le mouvement progressiste, le mouvement révolutionnaire et le mouvement socialiste.

Mais nous tenons à le dire ici, chers camarades : Nous ne retournerons pas au capitalisme ! (applaudissements). Ni au capitalisme sauvage -- ou quel que soit le nom que veuille lui donner Perez Esquivel, capitalisme cannibale ou capitalisme modéré, si tant est que cela existe --, nous ne voulons pas y retourner, et nous n'y retournerons pas ! (applaudissements).

Nous sommes conscients de nos devoirs et de nos obligations. Nous avons résisté déjà pendant près de cinq ans dans des conditions très difficiles, alors que certains pensaient que la Révolution cubaine disparaîtrait rapidement de la surface de la terre.

Nous travaillons avec ténacité et de plus en plus, mettant de plus en plus l'accent sur les choses subjectives, sur nos propres erreurs, sur nos propres déficiences, insistant sur les facteurs subjectifs pour que les facteurs objectifs ne deviennent pas un prétexte pour justifier nos déficiences.

Nous devons élever encore beaucoup plus le niveau de conscience de notre peuple. Ainsi nous devons lui expliquer pourquoi il faut retirer l'excès d'argent en circulation, et les mesures appropriées pour le retirer sans appliquer de thérapies de choc ; rechercher l'efficacité dans l'agriculture, dans l'industrie.

Je sais que vous êtes préoccupés -- vous l'avez dit ici -- par le problème de la production d'aliments. Je dois vous dire que nous sommes obligés de produire des aliments sans engrais, sans pesticides, sans désherbants, sans combustible bien souvent, en recourant à la traction animale, devant nourrir une population dont 80 % vit dans les zones urbaines à l'inverse de la Chine et à l'inverse du Vietnam, nous avons 20 % de la population vivant à la campagne et 80 % vivant dans les villes. Chez eux, c'est le contraire, 75 % ou 80 % à la campagne, et 20 ou 25 % dans les villes.

Nous manquons même de main-d'oeuvre à la campagne. Notre agriculture a été mécanisée, comme d'ailleurs une grande partie de l'activité du pays. Notre récolte sucrière a été mécanisée. Quelqu'un demandait s'il était réellement indiqué de produire du sucre. Nous n'avons pas d'autre alternative que de produire du sucre, nous devons en produire ; bien sûr, il revient plus cher si les sucreries et les machines produisent moins parce que nous manquons d'engrais et si l'irrigation est insuffisante, par exemple. En général nous savons comment produire des aliments, mais nous avons dû faire face à une grande pénurie de ces produits nécessaires pour la production des aliments.

Il nous a fallu développer d'autres secteurs. On a déjà parlé ici du tourisme, qui est devenu une nécessité et qui n'a pas été lancé pendant les premières années de la Révolution, car il a ses bons et ses mauvais côtés. Mais comme nous ne pouvons pas vivre avec l'espoir de pouvoir nous enfermer dans une tour d'ivoire, nous devons nous mêler aux problèmes de ce monde, en sachant que la vertu nait de la lutte contre le vice et que parfois du fumier naissent de magnifiques fleurs (applaudissements) ; nous devons nous habituer à vivre avec ce genre de problèmes, nous avons besoin de ces intrants nécessaires à la production d'aliments.

Pour l'élevage nous nous sommes également retrouvés sans alimentation, sans irrigation et sans combustible.

Les problèmes auxquels nous avons dû faire face ne sont pas faciles à résoudre, mais nous les affrontons, en répartissant le peu que nous avons entre beaucoup et non pas en répartissant beaucoup entre quelques-uns (applaudissements). Nous partageons ce que nous avons.

Cependant, dans ces conditions incroyablement difficiles -- je le répète -- il n'y a à Cuba aucune école sans instituteur, aucun enfant sans école, aucun malade sans médecin et sans hôpital ; nous maintenons la sécurité sociale, nous maintenons notre mouvement de développement de la culture, de développement du sport ; et pendant cette période spéciale, nous avons même remporté la cinquième place aux Jeux olympiques (applaudissements). Ceci vous donne une idée de l'effort que nous réalisons dans ces conditions exceptionnellement difficiles.

De sorte que lorsqu'on partage le peu qu'on possède entre beaucoup, on peut faire beaucoup de choses, et il y a une infinité de pays dans le monde qui possèdent beaucoup plus que nous et qui font peu de choses (applaudissements).

Cette rencontre touche à sa fin et, réellement, elle est et elle restera pour nous une leçon impérissable et nous espérons beaucoup de cette bataille que vous vous proposez de livrer avec nous pour vaincre le blocus, pour vaincre l'hostilité déchaînée contre notre pays, pour défendre l'espérance. Ce n'est pas que nous soyons prédestinés au rôle d'espérance. Nous ne nous considérons pas comme un peuple prédestiné, nous sommes un petit peuple, un peuple modeste, auquel l'histoire en ces circonstances particulières a assigné la mission de défendre ce que nous sommes en train de défendre : nos idéaux les plus sacrés, nos droits les plus sacrés. Vous voyez cela comme une espérance.

Nous comprenons ce que signifierait pour toutes les forces progressistes, pour toutes les forces révolutionnaires, pour toutes les forces éprises de paix et de justice dans le monde, l'écrasement de la Révolution cubaine par les États-Unis, et pour cela nous considérons que notre devoir le plus élémentaire et le plus sacré envers vous est de défendre la Révolution, même au prix de notre vie (applaudissements).

Merci, merci, cent fois merci, merci infiniment (applaudissements).

Permettez-moi de proclamer une fois de plus :

Le Socialisme ou la Mort !
La Patrie ou la Mort !
Nous vaincrons !
Vive la Solidarité !

(Cris de : « Viva! ») (Ovation)

(Discussion, Revue trimestrielle, Hiver 94-95)

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Cent images de la révolution cubaine -- 1953-1996


La photographie de Fidel, Raúl Castro et Che Guevara qui figure sur la couverture de Cien Imagenes de la Revolucion Cubana

Cet ouvrage s'ouvre sur une photographie d'une forte intensité : le 1er août 1953, un jeune Fidel Castro au vivac, la prison de Santiago de Cuba et derrière lui sur le mur, par une coïncidence inexpliquée que ses geôliers n'ont pu éviter, se trouve un portrait de Marti. La dernière photographie, du 1er mai 1996, s'étend en un flash lumineux sur la foule rassemblée à la Place de la Révolution de La Havane, comme si l'énergie contenue de la première image jaillissait et se révélait sur cet espace public.


Sous le signe de Marti, Fidel Castro au vivac de Santiago de Cuba, 1953

L'ensemble de ces photographies couvrent quatre décennies de l'histoire de Cuba au cours desquelles celle-ci semble se densifier et avancer bien plus rapidement avec des symboles et des légendes qui en marquent chaque instant : quatre décennies où les Cubains se sont donnés corps et âme, sans aucune mesquinerie, à cette aventure de transformation, de combat et de création, où le parcours personnel de chacun s'est intégré à ce voyage collectif et tous et chacun ont fait face à l'impossible sans crainte et, encore et toujours, ont conquis leurs nombreux démons et investi dans cette vie dure, grisante et complète, dans cette vie unique, le meilleur d'eux-mêmes.

En janvier 1960, Nicolás Guillén confiait être sidéré par la qualité étonnante que le temps a donnée à cette première année de la révolution victorieuse : 1959 est passé « aussi vite que l'éclair », mais était composé de jours « annonciateurs » et « denses ». En seulement douze mois, quelque chose d'essentiel a changé dans l'air, sur la terre de l'île, en particulier son peuple : « Nous assistons à la naissance d'une nouvelle sensibilité, enracinée dans une conception rare de devoir civique, nous dit le poète, et c'est une sensibilité qui se manifeste par une autre manière de pratiquer l'identité cubaine, de comprendre le patriotisme, de faire preuve d'honnêteté privée et publique. »

Les gens que nous découvrons dans ces photographies, dans les tranchées, aux moissons, au travail volontaire, dans les marches et les rassemblements, apportent avec eux (et c'est un privilège secret que les photographes parviennent à capturer) une conscience très précise et bien définie de l'importance de leurs actes, de la cohérence plus grande que chaque personne, ses idéaux et son travail assument lorsqu'on entreprend une véritable révolution. Ils ont changé le destin d'une île qui semblait vouée à l'avilissement et à la désintégration, en même temps qu'ils comprennent qu'il s'agit d'une guerre importante, d'un duel avec l'impossible qui dépasse les frontières de l'île. « Chaque homme , souligne Nicolás, chaque femme et même chaque enfant sait ce qu'il a dans ses mains et n'est pas disposé à se le laisser arracher. » [1]

Une curieuse synthèse entre engagement politique et d'autres aspects de l'humanité est externalisée dans les nombreuses photographies que contient notre livre : les protagonistes de ces images se montrent dans leurs multiples dimensions, dans leur intégralité. Vous avez (pour l'expliquer mieux et avec plus d'éloquence) la milicienne en uniforme, portant son fils avec la plus grande tendresse que l'on puisse imaginer et le mariage du milicien, souriant aux plaisanteries de ses compañeros, aux risques et aux difficultés qui l'attendent dans un camp et à l'Histoire avec un H majuscule ainsi qu'a son histoire personnelle (ou sont-elles les mêmes ?) lorsqu'il passe au bras de son épouse sous une haie de canons.

Le Cubain des années 1960 devient meilleur et plus complet et est rempli de bonheur devant sa condition. Sur ces photographies, on le voit se développer, pas seulement sur le plan politique ; on le voit atteindre une dimension digne et humaine, qu'il n'avait pas connue auparavant. Nous voyons l'étincelle dans ses yeux (cette étincelle d'émotion, d'espièglerie, de perspicacité rapide) devenir plus claire, plus pure et plus noble. Nous ne trouverons pas de héros figés, de papier mâché dans nos centaines de photos : à chaque étape, nous sommes frappés par leur authenticité, leur force, le frémissement qui vient de l'intérieur et monte à la surface, du plus profond à l'action.


La Première déclaration de La Havane, discours de Fidel Castro, Place de la Révolution,
2 septembre 1960

Dans cet ouvrage, le développement du Cubain se présente à nous de deux façons : dans les expressions, les gestes, le comportement des personnages anonymes capturés par l'appareil photo et les innombrables actes qui donnent du poids et un sens à un nouvel espace symbolique né en 1959 : ce qui était la Place civique à l'époque coloniale de farce, de criminalité et de négation de l'esprit public est rebaptisée Place de la Révolution José Marti et devient un lieu exceptionnel d'échanges entre les masses populaires et leurs dirigeants. Le Che nous a laissé une description de cette « méthode presque intuitive » de communication :

« Le maître de celle-ci est Fidel, dont le mode particulier d'intégration avec le peuple peut être apprécié en le voyant en action. Dans les grands rassemblements publics, vous pouvez observer quelque chose comme le dialogue de deux diapasons dont les vibrations en induisent d'autres, nouvelles, dans l'autre. Fidel et la masse populaire commencent à vibrer dans un dialogue d'intensité croissante jusqu'à ce qu'il atteigne un point culminant dans une fin abrupte couronnée de nos cris de guerre et de nos cris de victoire. » [2]

La photographie de Korda intitulée El Quijote de la farola [Don Quichotte du lampadaire] capture une scène du 26 juillet 1959 et nous dit quelque chose de plus. Environ deux mois plus tôt, à La Plata, dans la Sierra Maestra, Fidel et le Conseil des ministres avaient signé la Loi sur la réforme agraire, et ce jour-là se tenait le premier rassemblement de masse pour commémorer l'assaut de la Moncada, et La Havane et la Place de la Révolution étaient remplies de campesinos venus de toute l'île. Comme dans la meilleure de nos cent photographies, le Don Quichotte au chapeau de paille qui règne sur la foule, avec sa silhouette longiligne et dégingandée, un cigare fumé à moitié et l'expression de celui qui vit en harmonie avec lui-même et avec son destin, nous attire vers les circonstances spécifiques (le rassemblement des paysans, la réforme agraire) et en même temps, évoque une métaphore qui va au-delà de la situation et des personnages photographiés.

Avec ce campesino donquichottesque perché pour l'éternité au sommet d'un lampadaire, le noble des utopies, le chevalier sur une rosse efflanquée et affreuse qui attaque l'injustice et l'impossible dans une lutte inégale avec les armes de ses ancêtres et une armure en carton, entre dans le livre et doit défaire les intrigues des nombreux prêtres, barbiers et bacheliers qui veulent le lier (nous lier) au conformisme, à la philosophie de la soumission, à la sagesse médiocre des benêts et des esprits bornés.

Il y a beaucoup de donquichottisme non conformiste et combatif dans le Cuba qui défend ses droits contre toute attente. La Presse nationale, fondée en 1960, a été inaugurée avec la publication de 400 000 exemplaires de L'Ingénieux Noble Don Quichotte de la Manche , en quatre volumes, qui ont été vendus (vingt-cinq cents) dans les kiosques à journaux. De cette façon, les gens qui ont réussi à surmonter un autre impossible, l'analphabétisme, pouvaient lire l'immortel roman de Cervantes, et le dernier chevalier errant est devenu une présence familière parmi nous. Rarement, une grande œuvre littéraire a reçu un accueil aussi riche, prolifique et massif. « Une fois de plus, je sens les côtes de Rossinante sous mes talons, je reprends la route avec mon bouclier au bras », a annoncé le Che à ses parents avant de partir pour le Congo.[3]


Fidel signe, le 17 mai 1959, dans la Sierra Maestra, la Loi de la réforme agraire.

Si pour le bœuf docile qui tous les matins accepte paisiblement le joug et l'avoine délicieuse abondante, si pour le gros bon sens de la bourgeoisie être un « Don Quichotte » est considéré comme la pire des insultes, la révolution assume ce symbole naturellement, dans son sens le plus noble et le plus créatif. Dans la force du Non qui revient sans cesse dans la tradition éthique cubaine, dans le Non qui refuse de renoncer face aux circonstances les plus difficiles et rejette l'impossible à sa simple mention, il y a un donquichottisme obstiné et fertile présent. En retraçant la tradition éthique cubaine, Cintio Vitier interprète la Protestation de Baraguá à la lumière du Non qui brille dans le meilleur de l'identité cubaine. Lorsqu'en 1878, les possibilités de poursuivre la lutte pour l'indépendance semblaient avoir été épuisées,

« l' 'impossible' a surgi devant Cuba et a provoqué une possibilité plus profonde et plus créative : le Non d'Antonio Maceo, la négation de la négation, aux Manguiers de Baraguá. Son refus d'accepter les faits objectifs qui semblaient fermer définitivement la porte à la révolution lui a permis de donner un nouveau souffle à la patrie. Tous les exploits militaires légendaires de Maceo sont bien pâles face à la majesté morale pure de la Protestation de Baraguá, une image cimentée dans la fierté et l'espoir du peuple, une fondation nouvelle de Cuba par un acte de foi révolutionnaire. » [4]

« Pour notre peuple, rien n'est impossible », a dit Fidel, devant le palais présidentiel, le 20 janvier 1961, en saluant les miliciens à leur retour à la vie civile après une mobilisation massive. Le même jour, à Santiago de Cuba, lors d'un rassemblement similaire, Raúl a déclaré : « Nous avons détruit le mythe que sans les Américains, nous mourrions de faim. » [5] Tandis que ces événements sont célébrés à La Havane et à Santiago, les derniers diplomates américains repartent chez eux après la rupture des relations diplomatiques, leur retrait venant confirmer qu'en effet rien n'est impossible, que les mythes maléfiques ont été fracassés : le fatalisme géographique, les lois de la gravitation annexionniste, les « sorts infernaux ».

Avec Moncada, selon José Lezama Lima, ces « sorts » qui immobilisaient les Cubains ont commencé à se dissiper. La révolution a conféré le potens (« ce qui est infiniment possible ») qui est la potentialité illimitée de l'homme, sa capacité d'une création poétique et historique d'une ampleur encore inexplorée :

« Maintenant que le possible, que le potens a été acquis par le Cubain [...]. La révolution cubaine signifie que tous les sorts négatifs ont été détruits. L'anneau qui est tombé dans l'étang, comme dans les mythologies anciennes, a été retrouvé. » [6]

Un des sorts qu'il fallait détruire, le sort le plus diabolique et paralysant de l'impossible, a été résumé dans la phrase souvent répétée sous la république néocoloniale : « Les Américains ne vont pas permettre cela ». C'est le syndrome de l'Amendement Platt, l'épée de Damoclès de l'intervention, qui a survécu à l'amendement constitutionnel odieux et est devenu une partie essentielle d'une culture dépendante et imbécile. La philosophie plattiste de « ils-ne-vont-pas-le-permettre » avait été sérieusement ébranlée par la réforme agraire, la nationalisation des sociétés yankee et les autres mesures révolutionnaires, mais elle a été défaite définitivement lors des journées de Girón, qui apparaissent ici avec la puissance et la chronologie rapide d'une série de photographies : le 15 avril, les bombardements et le sang abondant du combattant de la milice Eduardo García Delgado [7], le 16, l'événement à l'angle de la 23e et de la 12e, aux funérailles de ceux qui sont tombés quelques heures avant et les mitrailleuses et les fusils pris pour défendre maintenant le socialisme et, le 17 avril, Fidel sur le champ de bataille à la Playa Girón.


Voici comment l'Empire a goûté à la défaite dans son arrière-cour, l'Amérique latine a été un peu plus libre et un mot maudit comme le socialisme (quelque chose que jamais, au grand jamais, en aucune circonstance, les « Américains » n'auraient permis) s'est implanté profondément dans la conscience du peuple avec la notion d'indépendance (« acceptable » seulement, bien sûr, dans des manifestations de façade), et personne sur l'île n'a plus jamais regardé vers le Nord pour se demander jusqu'où nous pouvions aller ou ce que « les Américains » penseraient de nous.

Bien sûr, la philosophie qu'ils-ne-vont-pas-permettre-cela... tire son origine et a été maintenue par l'appétit impérial pour l'île, né à l'époque de Thomas Jefferson et demeuré inchangé jusqu'à Torricelli et Helms. La représentation géopolitique qui imagine Cuba comme une sorte d' « île fruitière » déterminée par le sort ou le destin ou quelque chose du genre pour servir de nourriture pour « le géant des sept lieues » a été un des piliers de l'impossible, et les Cubains ont pu observer l'ombre d'un voisinage aussi dangereux dès leurs premières aspirations à l'indépendance. Le 1er janvier 1959, l'« île-fruitière » a radicalement renoncé à sa condition ; elle est devenue « le fruit défendu », empoisonné, et dès ce jour-là, avec un gouvernement Eisenhower qui a accueilli les assassins et les tortionnaires qui fuyaient la justice populaire, une politique d'hostilité a été mise en place qui a eu recours au répertoire d'attaques le plus diversifié : Giron, La Coubre, les complots pour assassiner Fidel et d'autres dirigeants, les infiltrations, l'appui aux bandes armées, la guerre bactériologique, les stations de radio et de télévision aux missions subversives, les diffamations, les pressions diplomatiques, le blocus, les lois infâmes comme la loi Helms-Burton. Autrement dit, « les Américains » ont pris au sérieux qu'il y avait des choses qu'ils « ne pouvaient pas permettre », et ont utilisé tout leur pouvoir pour ne pas le permettre et ont échoué.

Le 23 octobre 1962, les grands titres de la presse déclaraient que « la nation s'est levée armes à la main, prête à repousser toute attaque ». La mémoire collective des Cubains est restée marquée par ces heures où ce peuple, selon le témoignage de Roberto Fernández Retamar, entre les bombes qui allaient presque certainement pleuvoir / et les missiles qui ont finalement été renvoyés / [...] a mis son uniforme de milicien / pour faire ce qu'il avait à faire . [8] Quelque 300 000 réservistes et soldats ont été mobilisés : des hommes et des femmes de tous âges se sont enrôlés dans la milice, ont rejoint les brigades sanitaires, fait des dons de sang dans les hôpitaux, remplacé ceux qui avaient été mobilisés dans les industries et les autres endroits de travail, et sont devenus un exemple collectif de courage et de force morale, en se tenant debout au milieu du jeu d'échecs calculé joué par les grandes puissances qu'a été « la guerre froide ». Dans ses adieux à Fidel, le Che a une pensée spéciale pour ce moment « de dangers et de principes » :

« À tes côtés, j'ai senti la fierté d'appartenir à notre peuple durant les jours ensoleillés et tristes de la crise caribéenne. Rarement un homme d'État a-t-il brillé autant que toi durant ces jours-là ; je suis fier également de t'avoir suivi sans vacillation, de n'avoir fait qu'un avec ta façon de penser, de voir et d'apprécier les dangers et les principes. [9]


Un bataillon de miliciens marche le long du Malecón à La Havane.

Il y a une photographie emblématique de Corrales qui évoque l'atmosphère au jour le jour de la crise d'octobre : ce qu'on pourrait appeler « le danger au quotidien » qui s'accompagne « des principes au quotidien » . Un bataillon de miliciens le long du Malecón, à La Havane, avec leurs vieux fusils et leurs vestes usées alors que « le Nord » les punit et qu'ils sont frappés par les rafales de pluie et les vagues de la mer déchaînée. En regardant l'image, vous pouvez presque toucher la bise glaciale qui fait s'agiter le drapeau et transperce leurs corps humides comme un couteau. Partout sur l'île, planent sur ces hommes et leurs familles les plus terribles menaces impériales, celles d'un blocus naval, des attaques aériennes massives et même d'un recours aux armes nucléaires. Ces fusils et la marche sombre du bataillon vers qui sait quel endroit sur la côte peuvent sembler « donquichottesques » sinon inutiles devant l'énormité de l'ennemi. De la photo elle-même, si on l'examine attentivement, émerge lentement, contre toute attente, le Non de Baraguá. Cela commence à évoquer Don Quichotte écrasant le bachelier Samson Carrasco, et nous assistons à une autre « fondation de Cuba par un acte de foi révolutionnaire » et réalisons qu'un bataillon comme celui-là, même s'il devait être décimé et rayé de la carte, donnerait « un nouveau souffle à la patrie ».

Ce serait facile de décrire les objectifs de Martí comme étant « donquichottesques » lorsqu'il a préparé sans relâche le soulèvement de 1895. Non seulement proposait-il d'arracher Cuba aux griffes de l'Espagne coloniale, prêt à mettre à contribution « jusqu'au dernier homme et la dernière peseta » de l'île et à édifier une république indépendante « avec tous et pour le bien de tous », mais il voulait aussi arrêter la progression de l'Empire du nord, jeter les bases d'une Amérique latine libre et unie et contribuer à l'équilibre mondial « encore chancelant ». Le « donquichottisme » de Marti a été repris par la Révolution de 1959 et plusieurs de ses objectifs doivent leur réalisation et leur expression à la marque laissée sur l'île, sur le monde et son équilibre par les Cubains qui peuplent nos cents images.


Des volontaires cubains luttent aux côtés des Angolais dans leur guerre de libération contre l'Afrique du Sud.


Fidel en territoire libéré au Vietnam en 1973

Le caractère internationaliste et la vocation de « la guerre nécessaire » et de la République qu'elle laissait entrevoir semblent encore aujourd'hui, par des voies mystérieuses, former le sang et la substance de cette « sensibilité nouvelle » que Nicolás a découverte pour nous en 1960. Lorsque les sentiments patriotiques et la défense des valeurs nationales sont renforcés, il n'y a pas de place pour le chauvinisme ou pour une vision étroite de nos efforts dans « cette conception hors du commun du devoir civique ». Au contraire, l'identification avec « les pauvres de la terre » se renforce de jour en jour, pas seulement parmi l'avant-garde mais au sein des masses. Ce peuple reconnaît sa cause dans la cause de beaucoup d'autres peuples et la solidarité prend forme dans cette façon nouvelle de « pratiquer la cubanité ».

Plusieurs images de l'internationalisme d'un Cuba révolutionnaire nous interpellent : le Che, nos combattants en Angola, nos médecins et enseignants, les enfants de Tchernobyl, Fidel dans le territoire libéré du Vietnam du Sud, avec Salvador Allende ou Mandela. Des photographies plus récentes (Fidel à Cartagena de Indias, à La Paz, à Montevideo, alors qu'il est reçu par des milliers d'hommes et de femmes qui saluent en lui la plus haute expression de la dignité latino-américaine) nous présentent l'autre côté de l'internationalisme pratiqué par les Cubains : la solidarité que la Révolution a reçue tout au long de son existence et qui est devenue beaucoup plus large et plus efficace depuis l'effondrement du « socialisme véritable » européen. En 1995, la manifestation populaire à Montevideo répond de manière symbolique, après plus de trente ans, à la réunion de janvier 1962 à Punta del Este, en Uruguay, des ministres des Affaires étrangères qui avait expulsé Cuba de l'OÉA.

Il y a des photographies qui touchent à différents aspects de l'œuvre de la Révolution : la santé, l'éducation, la culture, les sports. D'autres nous rappellent des moments d'une importance particulière : le 1er mai 1980, par exemple, avec la marche le long du Malecón de plus d'un million de Cubains devant l'ancienne ambassade des États-Unis, connue sous le nom de Seconde marche du peuple combattant.


Seconde marche du peuple combattant, le 1er mai 1980

Deux photographies (l'inauguration d'une garderie et la relance des micro-brigades) évoquent le processus de rectification qui a été initié en 1986. Le pays intensifiait les préparatifs pour se défendre, seul, face aux menaces de Reagan qui, trois ans plus tôt, avait envahi la Grenade et déclaré sa détermination à contenir « l'expansion communiste en Amérique centrale » par le fer et le feu alors qu'il affûtait sa rhétorique belliciste contre Cuba et le Nicaragua. Dans cette conjoncture, Fidel dénonce un ennemi intérieur qui essentiellement est aussi dangereux que l'ennemi extérieur. La société cubaine réalise qu'en son sein, dans sa structure officielle et son tissu social, existent des « mécanismes diaboliques », des « erreurs et des tendances négatives » qui, en fait, peuvent endommager irrémédiablement les fondements mêmes de la Révolution : « il ne s'agit pas ici d'une campagne ; c'est une grande bataille, un grand processus, une grande lutte ininterrompue », une « contre-offensive stratégique » qui fait appel à la « richesse morale » et à « l'esprit critique » du peuple pour faire face aux distorsions, à la corruption, à l'irrationalisme qui existent dans « la logique » des technocrates, « la tendance créole vers le chaos, l'anarchie et le manque de respect de la loi », la démoralisation, le « copismo » [ attitude visant à copier les modèles des autres - note de la rédaction], l'attitude d'éviter la controverse et ce « genre de mysticisme, de rêve [...] à l'effet que les mécanismes allaient résoudre tous les problèmes ».


À gauche : Fidel ouvre une garderie ; à droite, les micro-brigades sont relancées.

Avec ce processus, avec la volonté de rectifier et l'autocritique sans détour et courageuse qui l'accompagne, la Révolution cubaine démontre une nouvelle fois ses réserves morales, son esprit antibureaucratique, sa capacité d'autorenouvellement intelligent et de combattre et surmonter les formes de l'impossible qui pourrait surgir (et ressurgir) en son sein. En fait, lorsque nous exorcisons à partir de positions révolutionnaires les démons « créoles » et ceux qui se sont développés dans d'autres expériences socialistes, nous n'œuvrons pas seulement pour Cuba « mais pour la cause du socialisme en général ».

« C'est un long combat qui je crois ne concerne pas uniquement notre Révolution. Il a été prouvé que ce problème a surgi à d'autres endroits. C'est prouvé. Ici des privilèges, ailleurs quelque chose d'autre, ici et là la démoralisation, et on en arrive à un point où les masses, confuses, démoralisées, deviennent les victimes de quiconque leur raconte des contes de fées, démagogue, pseudo-révolutionnaire ou pseudo-démocrate.[10]

Deux de ces centaines d'images ont été prises lors d'une cérémonie à Camagüey : la célébration en 1989 du 26 juillet. Il y avait une bruine qui ne s'arrêtait pas (on voit des gouttes sur l'uniforme de Fidel et quelques parapluies dépassent de la foule silencieuse, debout en rangs, écoutant attentivement le discours), et en arrière-plan, une fois encore, sur un panneau, un portrait de Marti, et une citation sur «notre moralité et notre honneur ». Ce n'est pas simplement une cérémonie de plus : elle a été tenue à un moment décisif dans l'histoire du siècle. Bush venait d'effectuer une tournée triomphale en visitant la Pologne et la Hongrie où les forces de la restauration capitaliste jouissaient déjà d'un poids décisif ; en URSS les soi-disant réformateurs consolidaient leurs positions tandis que les contradictions nationales et interethniques s'aiguisaient en même temps que d'autres tensions internes ; l'Empire et la réaction organisaient les funérailles du socialisme, au milieu d'une chorale assourdissante à laquelle s'étaient joints les opportunistes et les repentis.

En ce jour de pluie, devant une foule silencieuse qui devenait de plus en plus consciente des défis sans précédent qui attendent Cuba, Fidel a évoqué les « missiles moraux » qui ont été installés parmi nous durant la Crise d'octobre et qui n'ont pas quitté l'île :

« Nous devons mettre en garde l'impérialisme de ne pas avoir tant d'illusions à propos de notre Révolution et contre l'idée que notre Révolution ne serait pas en mesure de résister si une débâcle se produisait dans la communauté socialiste ... »


Célébration du 26 juillet 1989, la Journée de la rébellion, à Camagüey

Même s'il arrivait que l'URSS se désintègre, « si demain ou un autre jour nous nous réveillons [...] avec la nouvelle que l'URSS s'est désintégrée [...], même dans ces circonstances, Cuba et la Révolution cubaine continueront de combattre et continueront de résister ! » De plus, « lorsqu'il est question de la défense, nous avons appris depuis longtemps à compter uniquement sur nos propres forces [...] Même les pires situations ne nous effraient pas, ni la pire prémisse ou la pire hypothèse ! » [11]


Fidel avec de jeunes étudiants qui étudient Lénine

À partir de 1989, la Révolution cubaine se heurte à nouveau à l'impossible. Trois ou quatre mois après la cérémonie immortalisée par la photo, voilà qu'on célèbre la chute du mur de Berlin. Certains se mettent à théoriser sur un « effet domino » par lequel tous les pays socialistes se mettraient à tomber un après l'autre. Les évènements en Europe de l'Est semblent confirmer ces prophéties : l'avènement annoncé avec fanfare d'un monde unipolaire et d'un quatrième Reich beaucoup plus puissant et totalitaire que celui dont rêvait Hitler ; le capitalisme et le marché sont portés aux nues d'un bout à l'autre de la planète comme étant le système conçu par la providence pour sauver l'humanité ; toute objection au capitalisme, aussi timide soit-elle, est immédiatement disqualifiée comme étant un moment de folie déplorable, une spéculation absurde, malsaine et contre nature, une illusion donquichottesque fiévreuse. À certains endroits, les statues de Marx et Lénine sont remplacées par celles de Scrooge McDuck, l'oncle millionnaire de Donald Duck. Des partis communistes changent de nom, disparaissent ou se fractionnent tandis que d'autres éléments de la gauche ne savent plus à quel saint se vouer et sombrent dans la confusion la plus totale, alors que d'autres s'écroulent, comme le mur lui-même, et tentent d'enterrer leur passé rouge » par l'autoflagellation et l'autocritique et se bousculent pour saluer les vainqueurs et leur veau d'or.

En décembre 1989, les Yankees envahissent le Panama, bombardent le pays et enterrent les gens tués avec des bulldozers. En février 1990, le Front sandiniste perd ses élections sous la pression des États-Unis et de « contras » armés jusqu'aux dents, instrument ignominieux du chantage impérial. En janvier 1991 a lieu la première mondiale télévisée (diffusée sur une plus vaste échelle que la Soirée des Oscars) du spectacle de guerre, la Guerre du Golfe, où la Rome étasunienne affiche son impunité et les technologies modernes de sa puissance destructrice. En février, suite à un débat sur une loi d'exportation, le Sénat des États-Unis approuve l'amendement Mack, prélude à la « loi Torricelli ». Aussi, en septembre de la même année, on annonce l'effondrement officiel de l'Union soviétique. À Cuba, le peuple et ses dirigeants ainsi que le Parti qui défend sans broncher son nom et ses idéaux réitèrent le Non ! de Maceo et commencent leur longue et pénible lutte d'endurance.


À la défense de Cuba révolutionnaire, en 1990

Il y a des photographies, bien qu'en nombre insuffisant, qui traitent des exploits tranquilles des Cubains dans la vie quotidienne extrêmement difficile de la Période spéciale. Un jour, il faudra un ouvrage rempli de photographies consacrées uniquement à ces années au cours desquelles le peuple a lutté avec toute son énergie, son imagination, sa force et sa créativité pour exprimer le Non ! qui était requis par un impossible aussi colossal. Bien sûr, on trouvera dans ce recueil de photographies, pour la même raison qu’elle figure dans cet ouvrage, Fidel avec son peuple le 5 août 1994, aux premières lignes, au moment où des éléments lumpen (non patriotiques par définition) font cadeau à l'empire d'un soi-disant « conflit interne ». Cet ouvrage devra aussi comprendre une prise de la foule rassemblée un an plus tard, en 1995, devant le Castillo de La Punta : à ce moment-là, des centaines de milliers de résident de La Havane remplissent l'esplanade du Malecon, Prado, San Lazaro, pour déclarer que le 5 août est et sera toujours le jour de la Révolution, une de ces dates non réclamées que nous avons décidé de nous approprier et de faire briller. [12]


Fidel aux premières lignes avec le peuple cubain, le 5 août 1994

Un jour, cette affiche, sans vie et vide comme les cérémonies organisées par Batista pour le Centenaire de Marti, s'est aussi animée de signification et s'est mise à briller. Un simple portrait accroché dans le bureau du chef de la prison comme un geste stérile, formel et offensant, prend une signification inattendue dans la première photographie du livre. Une autre photographie, prise le 11 avril 1995, cent ans après l'arrivée de Marti, représente l'hommage personnel de Fidel dans l'environnement escarpé et rocheux de La Playita de Cajobabo. La pensée de Marti et l'homme lui-même sont présents dans la première déclaration de la Havane en septembre 1960, et dans la deuxième de février 1962, ainsi qu'à la Moncada et dans « L'Histoire m'acquittera », et dans chaque digne Cubain du 26 juillet 1989, et dans les « masses mestizos, industrieuses et inspirantes du pays », cette « masse intelligente et créatrice de blancs et de noirs » [13] qui continuent de surmonter les épreuves et les obstacles des dernières années.

La relation de Fidel avec l'Histoire (qu'on voit si bien dans les photos de Playitas et d'autres de l'ouvrage) n'est pas celle, froide et cérébrale, d'un académicien, bien qu'elle soit fondée sur une mine d'informations qui vont souvent dans les moindres détails. Elle n'est pas non plus celle du politicien traditionnel qui se réfère au passé pour appuyer son programme actuel sur d'illustres antécédents, ni un simple exercice rhétorique. Fidel traite de l'histoire pour la comprendre intellectuellement, en analyser les tours et les détours, ses évènements et ses personnalités, et en extraire les leçons essentielles. Mais il vit cette histoire avec « l'âme d'un guérilléro » et y cherche de la matière pour planifier ce Cuba qui est « possible », ce Cuba qui recevra la reconnaissance unanime uniquement de la « postérité ». De la prison Isla de Pinos, dans une lettre du 3 mars 1954, il parle de l'influence qu'a exercée le livre « Chroniques de la guerre » de Miro Argenter sur ceux qui ont pris d'assaut la Moncada. « C'était pour nous une véritable bible », dit-il.

« À maintes reprises, dira Fidel, il nous a accompagnés dans nos réflexions sur la marche immortelle de l'Armée d'invasion, faisant revivre chaque bataille avec émotion et essayant d'en extraire autant de détails tactiques et stratégiques que possible. Et même lorsque les temps ont changé, et avec eux l'art du combat, tous ces gestes partent d'un sentiment immuable, le seul qui rende possible l'impossible et force la postérité à croire de façon unanime ce que plusieurs contemporains considéraient impossible à croire. Les pages de « Chroniques de la guerre » regorgent de ce sentiment, et si quelqu'un peut lire ces pages sans sentir son sang bouillir, sans partager cette foi, sans que son âme ne brûle d'un désir d'émulation et que son visage ne devienne rouge de colère devant l'affront, alors cette personne n'est pas née avec l'âme d'un guerillero. » [14]


Fidel Castro à la plage de Playitas en 1995

Des années plus tard, alors que « ce que plusieurs contemporains considéraient impossible à croire » s'est déjà produit, que la Révolution a triomphé et a été consolidée, Fidel reprend une des idées centrales de cette lettre. Cintio Vitier nous le rappelle lorsqu'il évoque « cette confiance nourrie d'analyse, contagieuse, qui irradie et attire par le magnétisme moral de son héroïsme », qui donne naissance au miracle renouvelé de l'unité et fait en sorte que « tout ce qui semblait impossible, comme Fidel l'a dit lui-même le 26 juillet 1971, devient possible ». [15]

Foi et analyse, histoire et avenir : l'insistance de Fidel à ne pas perdre le fil, la continuité, le dialogue avec les fondateurs de la nation, oui, un regard vers le passé, certes, mais une orientation de tous les instants vers l'avenir. Le Cuba imaginé, qui est anticipé ou esquissé, entre les revers et les succès, qui est perçu avec plus ou moins de clarté mais n'en est pas moins toujours là, dans le flux et le reflux, comme dans la potens de Lezama. Les poètes en général captent / le passé / vague et nostalgique / ou le présent immédiat avec ses feux et ses réverbérations subtils , nous rappelle le poète Miguel Barnet dans son poème « Fidel ». Combien c'est difficile cependant de capter l'avenir / et de lui trouver une place à jamais / dans la vie des poètes / de tous les humains. [16]

L'histoire et son influence sur ce qui est créé, les réverbérations du présent, le façonnement laborieux de l'avenir : autant de références qui dans une révolution sont juxtaposées et, contre toute attente, s'entremêlent, se nourrissent l'une l'autre et engendrent la légende qui crée un autre espace et une autre temporalité. Voici des photographies qui nous font découvrir la transfiguration de la réalité en mythologie. Ces photographies sont miraculeuses parce qu'elles captent un moment clé de ce parcours indéfinissable : l'environnement et les personnages y prennent un relief qui n'est plus conforme à l'objectivité historique mais à un moment autre, où les contours sont troubles et la scène se déroule au-delà des dates et des calendriers et commence à entrer dans un temps mythique. Nous voyons le visage du Che, avec son béret et ses cheveux longs, qui regarde dans le vide, ou peut-être vers l'avenir, un cliché de Korda capté pendant un évènement en 1960, qui occupe une place d'honneur parmi les images essentielles du 20e siècle, se joignant à celles sur lesquelles devront se pencher les érudits du nouveau millénaire pour comprendre même un peu ce siècle ébranlé. C'est une des contributions qu'ont faites les photographes cubains à l'héritage symbolique universel, à la mémoire de tous ceux et celles qui, d'une façon ou d'une autre, se sont agrippés à l'idée de l'émancipation.

La silhouette de Celia Sanchez, accentuée par un rayon de lumière, et coupée de façon à ce qu'elle apparaisse en surimpression d'une autre photo en arrière-plan, une photo du Che, une image portant le sceau de la mort, appartient à cette catégorie où fusionnent saga et histoire. L'héroïne qui vit et travaille parmi nous, la légende vivante, est surimposée à celle du héros légendaire assassiné en Bolivie quelques mois avant qu'Osvaldo Salas ne crée ce double hommage avec ses lentilles. Cela faisait longtemps que Celia Sanchez était devenue « Celia » pour le peuple ; « Celia », simplement. Elle était déjà mythe et réalité, mythe et création palpable, et le peuple la voyait comme l'ange gardien de Cuba, de Fidel, de la Révolution. Athées et croyants priaient pour elle, chacun à sa façon, et la sentaient très proche de leurs problèmes, grands et petits, comme une grande sœur, ou une amie irremplaçable qui soigne et nourrit les malades et les enfants. Ce cliché de Celia par Salas dit tout cela et plus encore, sans que les mots soient nécessaires et mieux que les mots pourraient le faire.

Camilo Cienfuegos, simplement « Camilo », comme « Celia » était un autre des mythes qui se sont immédiatement enracinés dans la conscience populaire. Le 28 octobre 1959, seulement dix mois après le triomphe révolutionnaire, il a soudainement disparu en mer, et nous a laissé un vide, une cicatrice. Il est là, dans certaines des photographies les plus légendaires : en mai 1957 dans la Sierra avec Fidel, Raúl, Celia, Almeida ; puis le 8 janvier 1959, la seule année où il a été connu et aimé par tous les Cubains, lors de l'arrivée de Fidel à La Havane ; le même 8 janvier, quelques heures plus tard, présidant la cérémonie à Columbia [ l'ancien camp Columbia, un complexe militaire établi d'abord en tant que base américaine en 1899 - note de la rédaction ] durant laquelle plusieurs pigeons ont survolé le podium et dont un s'est perché sur l'épaule de Fidel, qui en tant qu'athée a vu cela comme un symbole et les croyants comme un signe de Dieu ou des dieux ; et le 10 mars, détruisant les murs militaires de Colombia, et en septembre, avec Raúl et Hart lors de la remise de l'installation militaire convertie en école au ministère de l'Éducation ; à la tête de la cavalerie le 26 juillet, faisant un commentaire drôle, entre les cavaliers et les drapeaux, à l'homme barbu chevauchant à sa droite. Avec ce commentaire et les sourires de Camilo et de « l'homme barbu » , nous détectons dans l'œuvre épique la présence de la plaisanterie, de l'humour, le sourire cubain, le sourire du milicien lors de son mariage, du coupeur de cannes noires (plus noires encore parce qu'il coupait la canne brûlée), qui devient tout à coup ce rire chaleureux, sans retenue et purificateur qui nous a si bien servi contre l'impossible.

Camilo, Celia, Che, Roa, Haydée, Fidel, Raúl et les personnages innombrables, inconnus et vibrants qui habitent ce livre : l'histoire, le mythe, les jours chargés et intenses, joyeux et tristes, les sorts décapités, les dangers, les principes et le rire cubain, le dialogue dans la Plaza des deux diapasons, un donquichottisme tenace qui continue et ne faiblit pas et donne un nouveau souffle à la patrie et aux « autres terres ». Le sentiment immuable qui rend possible l'impossible, la foi nourrie par une analyse qui ne prend pas de repos, et se propage, rayonne, attire par le magnétisme moral de l'héroïsme, et sauve la situation qui semblait perdue. L'avenir attrapé et installé à jamais dans la vie de tous les humains, et les nombreuses dates vides que nous allons faire briller. Dans une centaine d'images, nous voyageons à travers une révolution qui a démenti tous les manuels, les schémas dessinés d'avance et les dogmes, qui a fait mentir les plattistes, les théoriciens des « conditions objectives et subjectives », les prophètes de malheur, les neveux de Scrooge McDuck, ceux qui ont accusé Marti d'être « fou » et « utopique », ceux chez qui « l'habitude de la servilité » est tellement enracinée que cela les conduit à « présumer que l'impuissance qu'ils reconnaissent en eux-mêmes existe chez nous ». [17]

Pedro Álvarez Tabio doit être félicité pour son travail de recherche et de sélection, pour nous offrir un panorama visuel aussi percutant de notre grande histoire et en même temps (peut-on faire autrement ?) de notre histoire personnelle, qui ont été et sont une et même chose. Dans ce livre, les Cubains de tous les âges retrouveront ce qui est le plus pur et le plus digne de nous-mêmes. Pour beaucoup, des souvenirs de moments forts du passé seront enclenchés, et les plus jeunes pourront partager les souvenirs des autres et se les approprier. Ils sentiront « leur sang bouillir, pleins de foi en l'humanité » s'ils examinent ces images « avec l'âme d'un guerillero », et regardent ces cent images comme les combattants du 26 juillet lisent les Chroniques de Miró Argenter. Merci aussi bien sûr aux artistes comme Korda, Corrales et Salas, qui ont admirablement combiné leurs talents et leur vocation pour les témoignages pour produire les meilleures œuvres rassemblées ici, et à tous les photographes cubains qui ont préservé ces fragments vigoureux de la vie, réalité et légende. Grâce à eux, nous pouvons regarder ce recueil de photographies à partir du présent et admirer sans se lasser la dimension épique de la lutte cubaine contre l'impossible, la stature de nos héros, et de tant d'hommes et de femmes, de trois ou quatre générations, qui ensemble ont porté plus haut la résistance de l'île, son intégrité morale, sa ténacité et sa capacité à répéter le Non de Maceo, de Marti, de Fidel.

La Havane, juillet 1996

Notes

1. Nicolas Guillen : « Tiempos de victoria y lucha », Lunes de Revolución, 4 janvier 1960. Prosa de prisa, Editorial Arte y Literatura, Havana, 1975, t. II, p. 265.

2. Ernesto Che Guevara : « El socialismo y el hombre en Cuba » (lettre de 1965 à Carlos Quijano, éditeur de Marcha, Montevideo). Revolución, letras, arte, Editorial Letras Cubanas, Havana,, 1980, p. 36.

3. Ernesto Che Guevara : « Carta a sus padres ». Obras 1957-1967, Casa de las Américas, Havana,, 1970, t. II, p. 693.

4. Cintio Vitier : Ese sol del mundo moral, Siglo XXI Editores, México, 1975, p. 67.

5. Cronología : 25 años de Revolución (1959-1983), Editora Política, Havana,, 1987, p. 24.

6. Jose Lezama Lima : « A partir de la poesía » (1960). La cantidad hechizada, Ediciones Unión, Havana, 1970, pp. 50-51. Dans « El 26 de Julio : imagen y posibilidad » (La Gaceta de Cuba, novembre-décembre 1968), il déclare que l'assaut de la Moncada « n'était pas un échec, c'était un test décisif de la possibilité et de l'image de notre contrepoint historique, proche de la mort, le plus grand test, tel qu'il doit être ». Les Cubains, a-t-il dit, « avaient perdu le sens profond de leurs symboles [...]. Mais le 26 juillet a brisé les sorts infernaux apporté la joie, puis déclenché le temps de l'image comme un polyèdre dans la lumière, ». Imagen y posibilidad, Editorial Letras Cubanas, Havana, 1981, pp. 20-21.

7. Nicolas Guillen : « La sangre numerosa ». Dans : Poesía completa, Editorial Letras Cubanas, Havana, 1973, t. II, p. 143 : Cuando con sangre escribe / FIDEL este soldado que por la Patria muere...

 8. Roberto Fernandez Retamar : "Sonata para pasar esos días y piano" (Poesia reunida, 1966). Dans : Palabra de mi pueblo, Editorial Letras Cubanas, Havana, 1989, p. 87.

 9. Ernesto Che Guevara : "Carta a Fidel." Dans : Obras..., ed. cit., pp. 697-698.

10. Déclaration de Fidel à la 10e session régulière de l'Assemblée nationale du Pouvoir populaire, le 3 juillet 1986. Version publiée dans Granma , le 4 juillet et reproduite dans Cuba Socialista de septembre-octobre 1986, page 124. Les citations sont prises du numéro de Cuba Socialista, dans lequel sont rassemblées les interventions importantes de Fidel « relatives au processus de rectification des erreurs et des tendances négatives faites aux réunions et aux événements tenus entre le 19 avril et le 26 juillet ».

11. Fidel Castro : Socialismo, ciencia del ejemplo (booklet), Editora Política, Havana, 1989, p. 30.

12. Roberto Fernandez Retamar : "Que veremos arder" (1970). Dans : Palabra de mi pueblo, ed. cit., p. 122. Les héros de Moncada et de Sierra n'avaient pas de nom / Personne ne savait leur nom. Les dates / étaient vides comme l'est une maison vide.../Maintenant, ceux qui n'ont pas de nom / ou dont les noms sont inconnus / préparent les flammes dans l'ombre / des dates vides qui vont bientôt s'enflammer.

13. José Martí : "Carta a Manuel Mercado," 18 mai 1895. Dans : Obras completas, Editorial Nacional de Cuba, Havana, 1963, t. XX, p. 162.

14. Lettre citée par Mario Menda : La prisión fecunda, Editora Política, Havana, 1980, p. 34.

15. Cintio Vitier : Ese sol..., ed. cit., pp. 180-181.

16. Miguel Barnet : "Fidel" (Carta de noche 1983). Dans : Con pies de gato, Ediciones Unión, La Havane, 1993, p. 159.

17. José Martí : "El remedio anexionista," Patria, New York, 2 juillet 1892. Dans : Obras completas, ed. cit., t. 11, p. 49.

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