Numéro
140 - 26 novembre 2016
In
Memoriam
¡Hasta la victoria siempre, Fidel!
13 août 1926 - 25
novembre 2016
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In
Memoriam
• ¡Hasta la victoria siempre, Fidel!
• Message du président Raúl
Castro
• Décret du deuil national -
Conseil d'État de la République de Cuba
• Note de presse sur les hommages nationaux
à Fidel - Commission organisatrice
Événements
• Vigiles en hommage à la vie et
l'oeuvre révolutionnaires de Fidel
En souvenir de la vie et
l'oeuvre de Fidel Castro
• Déclaration du Réseau canadien
pour Cuba
• Les principes valent plus que la vie
elle-même - Fidel Castro, 1994
• Cent images de la révolution cubaine
- 1953-1996
In Memoriam
¡Hasta la victoria siempre, Fidel!
C'est avec une grande
tristesse que le Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste)
a appris que le vendredi 25 novembre, à 22 h 29,
le camarade Fidel Castro Ruz, dirigeant de la Révolution cubaine
toujours victorieuse, est décédé.
Nous transmettons nos sincères
condoléances en cette triste occasion au camarade Raúl
Castro et
à l'ensemble des dirigeants cubains, à tout le peuple
cubain et à son Parti communiste ainsi qu'à la famille du
camarade Fidel.
Le camarade Fidel vivra dans nos coeurs dans la mort
comme dans la vie, nous inspirant à affronter tous les obstacles
au progrès humain et social, à sortir des sentiers battus
et à atteindre de nouveaux sommets dans toutes nos entreprises.
Que l'esprit révolutionnaire, la fidélité aux
principes et la grande générosité qui ont
caractérisé l'action de
Fidel occupent nos pensées en ce jour de douleur.
¡Hasta la
victoria siempre !
Message du président Raúl Castro
Message du président du Conseil d'État et
du Conseil des ministres de Cuba, le général
d'armée Raúl Castro, annonçant au peuple cubain et
au
monde la mort du dirigeant de la Révolution cubaine Fidel
Castro.
* * *
Cher peuple de Cuba,
C'est avec un profond chagrin que j'informe notre
peuple
et les amis de Notre Amérique et du monde
qu'aujourd'hui 25 novembre, à 22 h 29 est
décédé le Commandant en Chef de la
Révolution Cubaine, Fidel Castro Ruz. En vertu de la
volonté expresse du camarade Fidel, ses restes seront
incinérés. Dans les premières heures de
demain, samedi 26 novembre, la commission qui organise les
funérailles donnera à notre peuple, une information
détaillée de l'organisation de l'hommage posthume qui
sera rendu au fondateur de la Révolution cubaine. Jusqu'à
la victoire, toujours !
Décret du deuil national
- Conseil d'État de la
République de Cuba -
Le Conseil d'État de la République de
Cuba a décrété neuf jours de deuil national
à partir de 6 heures du 26 novembre
jusqu'à 00 heures du 4 décembre 2016
à l'occasion du décès du commandant en chef, Fidel
Castro.
Tous les spectacles et activités publiques
seront suspendus durant le deuil, le drapeau cubain sera mis en berne
dans les édifices publics et militaires. La radio et la
télévision transmettront une programmation
spéciale.
Note de presse sur les hommages
nationaux à Fidel
- Commission organisatrice -
La Commission organisatrice du Comité central du
Parti communiste de Cuba, de l'État et du gouvernement
chargé des hommages funèbres du commandant en chef Fidel
Castro Ruz informe la population qu'à compter du 28
novembre, de 9 à 22 h, et jusqu'au 29 novembre
de 9 h à 12 h, elle pourra
rendre à son leader l'hommage qui lui est dû au
mémorial José Martí de La Havane.
Les 28 et 29 novembre, de 9 h
à 22 h, aux endroits qui seront annoncés
opportunément dans chaque localité, dont la capitale,
nous aurons la possibilité de rendre hommage en tant que Cubains
à notre leader historique et de signer le serment solennel de
respect envers le concept de Révolution qu'il a exprimé
le 1er mai 2000, en tant qu'expression de notre
volonté de poursuivre ses idées et la construction de
notre socialisme.
Le 29 novembre, à 19 h, un meeting de
masse se tiendra sur la place de la Révolution José
Martí, dans la capitale.
Le lendemain, ses cendres seront transportées,
le long de l'itinéraire qui rappelle celui de la Caravane de la
liberté en janvier 1959, jusqu'à Santiago de Cuba
où elles arriveront le 3 décembre.
Ce jour-là, 3 décembre 2016, un
meeting de masse se tiendra sur la place Antonio Maceo,
à 19 h.
La cérémonie d'inhumation se
déroulera le 4 décembre, à 7 h, au
cimetière de Santa Ifigenia.
La revue militaire et la marche du peuple combattant
pour le soixantième anniversaire du débarquement des
expéditionnaires du yacht Granma
sont renvoyées au 2
janvier 2017.
Événements
Vigiles en hommage à la vie et l'oeuvre
révolutionnaires de Fidel
Partout au pays des vigiles sont organisées pour
rendre hommage à
Fidel et exprimer la grande solidarité des Canadiens avec le
peuple
cubain et sa révolution. Joignez-vous à nous!
Toutes les vigiles ont lieu le dimanche 27 novembre
Montréal
19
h
Consulat cubain, 4546 boulevard Décarie
Ottawa
18
h à 20 h
Ambassade
de
la
République
de
Cuba,
388
rue
Main
Toronto
17
h à 18 h 30
Consulat cubain, 5353 rue Dundas O.
Vancouver
16
h à 18 h
CBC
Plaza,
700
rue
Hamilton
En
souvenir de la vie et l'oeuvre de Fidel Castro
Déclaration du Réseau canadien pour Cuba
Fidel s'entretient avec les Cinq Héros cubains peu
après leur retour à Cuba le 28 février 2015.
C'est avec grande tristesse et le coeur lourd que le
mouvement de solidarité et d'amitié Canada-Cuba a appris
la nouvelle du décès de Fidel Castro, le dirigeant
historique de la Révolution cubaine. La tristesse profonde que
nous ressentons tous au Canada est partagée par les forces
progressistes, antiguerre et pro-justice sociale à travers le
monde.
Fidel occupe une place au
panthéon des champions des peuples qui ont fait une contribution
ineffaçable à la lutte mondiale pour la libération
et l'émancipation.
Fidel n'est plus mais il vit toujours. Il incarne les
meilleures traditions de l'humanité et appartient donc à
l'humanité dans le sens le plus profond du terme.
Bien que le coeur de Fidel ait cessé de battre
dans la soirée du vendredi 25 novembre, son legs et son
travail se continuent dans la Révolution cubaine qui est un
exemple vivant qu'un monde meilleur est possible.
La vie de Fidel est la personnification même de
la lutte des exploités et des opprimés. Le
légendaire homme de théâtre Bertolt Brecht a
exprimé cette essence quand il a écrit : « Il
y a des hommes qui luttent un jour et ils sont bons, d'autres luttent
un an et ils sont meilleurs, il y a ceux qui luttent pendant de
nombreuses années et ils sont
très bons, mais il y a ceux qui luttent toute leur vie et
ceux-là sont les indispensables ».
¡Viva Fidel !
¡Hasta la Victoria Siempre !
Les principes valent plus que la vie elle-même
- Fidel Castro, 1994 -
Discours prononcé par le président
Fidel Castro Ruz, le premier secrétaire du Comité central
du Parti communiste de Cuba et président du Conseil
d'État et du Conseil des ministres, à l'occasion de la
clôture de la Rencontre mondiale de solidarité avec Cuba,
qui s'est
déroulée au théâtre Karl Marx, le 25
novembre 1994, An 36 de la Révolution ».
***
Chers amis, et avec quel
plaisir je le dis : chers amis ! Il m'est difficile de faire
le compte rendu, la synthèse de ce qui s'est passé au
cours de cette rencontre ; je peux tout au plus me livrer à
quelques réflexions.
Nous avons vu défiler ici -- par ordre de
bataille, pourrait-on dire -- les meilleurs sentiments, les meilleures
idées de notre siècle. Nous avons parlé ici de
toutes les nobles choses qui ont été le fruit de la
préoccupation de l'humanité au cours d'une période
déjà longue. Vous avez exposé, d'une
manière ou d'une autre, les valeurs pour lesquelles
l'humanité a combattu et a lutté tout au long de ce
siècle qui s'achève.
Les questions qui ont soulevé le plus
d'inquiétude au cours de cette longue lutte pour
l'indépendance, contre le colonialisme, contre le
néocolonialisme, contre l'impérialisme, la lutte des
peuples pour l'égalité, pour la justice, pour le
développement, pour la souveraineté, qui
n'a jamais été aussi menacée qu'aujourd'hui ;
la lutte pour la justice sociale, la lutte contre l'exploitation, la
lutte contre la pauvreté, la lutte contre l'ignorance, la lutte
contre les maladies, la lutte en faveur de tous les
laissés-pour-compte, de tous les démunis, la lutte pour
la dignité, le respect envers les femmes; la lutte pour
l'unité entre les peuples et les races; la lutte pour la paix;
toutes ces valeurs et plus encore, et ici ont été
présents, non pas tous car il aurait été
impossible de les rassembler dans 1 000
théâtres, ni même dans 100 000
théâtres comme celui-ci, des personnes
généreuses,
désintéressées, altruistes, qui
représentent ce que l'humanité a de meilleur. Si nous
voulions une réunion de personnes de valeur, de personnes
possédant une profonde sensibilité humaine et morale,
nous l'avons eue, car ces personnes étaient présentes ici.
La capacité qu'a l'homme d'être bon, de se
sacrifier, d'être généreux m'émerveille
toujours, et à chaque fois que nous recevons un visiteur dans ce
pays je l'observe, je l'analyse, j'essaye de comprendre sa
manière de penser, ses sentiments et mon admiration devant tant
de valeurs
humaines est illimitée.
Beaucoup de gens que nous connaissons, qui ont
été nos amis, qui ont été solidaires et qui
ont été des exemples de sensibilité, de
solidarité et de générosité humaine ne sont
pas avec nous aujourd'hui. C'est l'impression, impérissable,
inoubliable, que
nous garderons, en premier lieu, de cette rencontre.
Comment s'est-elle déroulée ? Tous
ceux avec qui j'ai parlé m'ont dit que tout s'était bien
passé. Cette réunion n'a pas ressemblé à
tant d'autres où tous ceux qui le souhaitaient prenaient la
parole, ce qui donnait lieu à une interminable série de
discours. Nous en avons entendu ici de nombreux, excellents, brillants,
profonds et brefs, mais une rencontre de plusieurs jours qui se serait
résumée à une série de discours n'aurait
pas été une bonne rencontre.
Il y a donc eu des discours, des interventions, des
questions et des réponses ; les commissions se sont
réunies pour discuter de divers sujets ; ceux qui n'ont pas
pris la parole ici l'ont fait là-bas, et nous avons
réussi le miracle de voir des centaines de personnes intervenir,
même s'il a
été impossible que toutes le fassent.
Des centaines de personnes ont parlé, et je
crois que l'on a plus ou moins recueilli le sentiment de tous. C'est
pour cela qu'il faut féliciter ceux qui ont organisé et
qui ont dirigé cette rencontre (applaudissements) qui,
malgré les différences, n'a rien eu à voir avec la
Tour
de Babel, car
même si les langues étaient différentes et
même souvent les points de vue politiques puisque les
participants venaient de 109 pays, l'unanimité a
prévalu dans le sentiment noble de solidarité avec notre
peuple (applaudissements).
Le blocus s'est avéré le point
névralgique de la réunion. Bien des personnes ont
parlé du blocus, les camarades ont expliqué, il n'y a
donc pas grand-chose à ajouter. Mais, en essence, qu'est-ce que
le blocus ? Le blocus, ce n'est pas seulement l'interdiction,
décrétée par les États-Unis, de faire du
commerce avec notre pays, qu'il s'agisse de technologie,
d'équipements, d'aliments ou d'autre chose. Le blocus, cela
signifie que l'on ne peut même pas vendre à Cuba une
aspirine pour soulager un mal de tête, ou un médicament
contre le
cancer qui puisse sauver une vie ou apaiser la douleur d'un malade qui
se trouve dans la phase finale de la vie ; rien, on ne peut
absolument rien vendre à Cuba.
Le blocus ne se résume pas à
l'interdiction d'accorder un crédit ou une facilité
financière. Le blocus ne signifie pas seulement la fermeture
totale des activités économiques, commerciales et
financières de la part des États-Unis, la nation la plus
riche du monde, la nation la
plus puissante du monde en matière économique et
militaire, qui est située à 90 milles marins de nos
côtes, mais aussi à quelques centimètres, sur le
territoire occupé de la Base navale de Guantanamo. L'empire
puissant est non seulement près de nous, il est parmi
nous ; il n'est pas seulement à côté de nous
avec ses idées, sa conception et sa philosophie, il est parmi
nous, représenté par cette partie heureusement
minoritaire qui adhère aux conceptions, à la philosophie
et aux idées qui sont diffusées depuis tant
d'années
à travers le monde.
L'empire ne fait pas de commerce de marchandises avec
Cuba, il veut par contre exporter des idées et les pires ;
il n'exporte ni des aliments, ni des médicaments, ni de la
technologie, ni des équipements, mais il exporte des
quantités fabuleuses d'idées. Ce qui se passe c'est
qu'auparavant le
marché était plus large et l'empire exportait des
idées partout, mais surtout il en exportait en quantité
dans le camp socialiste, dans l'ancienne Union soviétique et
d'autres pays. Aujourd'hui l'empire n'a d'idées
contre-révolutionnaires que pour nous, un stock énorme et
des moyens de
diffusion puissants, immenses, infinis. Dans ce commerce -- mais un
commerce dans une seule direction, parce qu'en ce qui nous concerne
nous ne disposons pas de ces moyens considérables, de ces
énormes systèmes de communication qui coûtent des
millions, des milliards de dollars par an -- nous
sommes condamnés à recevoir, et non pas à
échanger.
Mais le blocus n'est pas que cela ; le blocus est
une guerre économique contre Cuba, une guerre
économique ; c'est la persécution tenace, constante,
de toute démarche économique de Cuba partout dans le
monde. Les États-Unis travaillent activement, par
l'intermédiaire de leurs
missions diplomatiques, exerçant des pressions contre tout pays
qui souhaite faire du commerce avec Cuba, contre toute entreprise qui
souhaite faire du commerce ou investir à Cuba, exerçant
des pressions ou punissant tout bateau qui transporte des marchandises
vers Cuba ; c'est la guerre universelle, avec cette
puissance immense en leur faveur, contre l'économie de notre
pays, au point de se livrer à des démarches
individuelles, y compris auprès de personnes, d'individus qui
tentent de développer n'importe quelle activité
économique en rapport avec notre pays.
Ils l'appellent euphémiquement embargo ;
nous appelons cela un blocus, mais ce n'est ni un embargo ni un
blocus : c'est la guerre ! Un genre de guerre qu'on ne livre
aujourd'hui contre aucun pays au monde, à l'exception de Cuba.
Mais non seulement nous avons été
obligés de supporter un blocus en ces année de
Révolution ; nous avons aussi dû supporter
l'hostilité incessante sur le terrain politique, depuis les
tentatives d'assassinats contre les dirigeants de la Révolution
jusqu'au sabotage direct et
continuel de notre économie, en passant par toutes les formes de
subversion et de déstabilisation.
Pendant 35 ans nous avons été
victimes de sabotages en tout genre. Je ne parle pas seulement des
attaques pirates, des invasions mercenaires, des sales guerres qui nous
ont été imposées dans les montagnes et dans les
plaines, des tentatives continuelles de déstabilisation dans
tous les
domaines, mais de sabotages directs à l'aide d'explosifs et
d'engins incendiaires.
Notre pays a même fait l'objet de guerres
chimiques, avec l'introduction d'éléments toxiques, et de
guerres biologiques, avec l'introduction de fléaux et de
maladies qui se sont abattus sur les plantes, les animaux et la
population. Il n'y a pas une arme, pas un moyen qui n'ait
été utilisé contre
notre pays et contre notre Révolution par les autorités
et le gouvernement des États-Unis.
Et ce n'est pas moi qui le dis. De temps en temps on
voit apparaître un de ces papiers qu'ils lâchent ou
publient au bout de 25 ans, bien qu'il y en ait qu'ils
gardent 50, 100 ans, et d'autres dont on dit qu'ils
moisissent pendant plus de 200 ans dans les tiroirs et qui iront
finir aux mains des petits-enfants et
arrières petits-enfants des générations actuelles,
leur révélant les atrocités qu'ont commises
ceux-là mêmes qui se posent en « champions
» de
la liberté et des droits de l'homme.
La guerre livrée contre la Révolution
cubaine a été une guerre totale, absolue ; et il ne
s'agit pas d'une vieille guerre, car elle persiste, car on trouve
toujours des plans de sabotage contre notre économie, contre nos
industries stratégiques.
À l'heure actuelle il y a des organisations
très proches du gouvernement des États-Unis qui
préparent des attentats contre les dirigeants de la
Révolution -- que personne n'aille penser que c'est une chose
qui appartient au passé ; c'est une chose très
actuelle, des plans de sale
guerre, d'infiltration de mercenaires armés qui viennent pour
tuer, pour saboter, pour créer un climat
d'insécurité et porter la mort dans n'importe quel recoin
de notre pays. Je le dis et j'assume toute la responsabilité de
mes paroles : ce sont des plans que les
États-Unis ourdissent
actuellement contre nous. C'est bien plus qu'un blocus
économique.
Cette politique s'accompagne d'une persistante campagne
de calomnies et de diffamation contre notre pays visant à
justifier leurs crimes, et à présent on brandit bien haut
la bannière des droits de l'homme : les droits de l'homme
dans la bouche de ceux qui ont commis et commettent toutes sortes
d'atrocités contre notre pays.
Nous le faisions remarquer récemment au
Haut-Commissaire des Nations unies pour les droits de l'homme, avec qui
nous
avons eu une longue conversation : la violation la plus brutale et
la plus cruelle des droits de notre peuple est celle que l'on commet
actuellement en essayant d'anéantir, d'amener à se rendre
par la faim et la maladie onze millions de Cubains (applaudissements).
Les États-Unis parlent de droits de
l'homme alors qu'ils ont eux-mêmes exterminé les anciens
habitants de leur pays, sa population autochtone, ses indigènes.
Comment oublier cette époque, cette tradition de collectionner
les scalps des Indiens ? Ils ont tué plus d'Indiens que de
bisons, et
ils ont même fini par exterminer les bisons (applaudissements).
Ils ont agrandi leur État en volant le
territoire des autres, ils se sont étendus en arrachant des
terres, en dépouillant leur voisin, d'une manière ou
d'une autre, de millions de kilomètres carrés de
territoire. Ils ont volé au Mexique plus de la moitié de
son territoire (applaudissements), ils occupent
toujours
Porto Rico (applaudissements), ils veulent
dévorer
Cuba depuis plus de 150 ans ; ils sont intervenus des
dizaines de fois dans des pays d'Amérique latine ; ils ont
imposé le canal au Panama. Et je ne parle que de ce qui s'est
passé de ce
côté du monde, sur notre continent. Je ne parle pas de la
guerre du Vietnam, du Laos et du Cambodge, ni de ce qu'ils ont fait
ailleurs (applaudissements).
Quelle histoire ! Et quel paradoxe que ce
projet de Loi 187 -- qui ne date pas d'il y a 100 ans, ni
même d'il y a cent jours ; il date de quelques semaines
à peine --, dont le but est de fermer l'accès aux soins
médicaux et à l'éducation aux enfants des
sans-papiers, aux familles des sans-papiers sur ce qui fit un jour
partie du territoire mexicain !
De quel respect des droits de l'homme parle-t-on ?
Quelle idée se font-ils de l'être humain ? Comment
peut-on concevoir qu'on refuse des soins à un enfant malade,
alors que d'un autre côté on affecte 300 milliards de
dollars au budget de guerre et à la fabrication des armes les
plus sophistiquées qui aient jamais existé ?
Il n'est pas besoin de remonter dans le passé.
Il suffit de jeter un coup d'oeil sur les temps modernes. Depuis
l'avènement de la Révolution, quelle a été
l'histoire de la politique extérieure des États-Unis, de
ces champions de la liberté et des droits de l'homme ? Ils
ont
établi une alliance étroite avec les régimes les
plus répressifs et sanglants qui aient existé dans le
monde.
Si nous pensons à l'Europe, nous nous souvenons
qu'immédiatement après la Première Guerre mondiale
eut lieu l'alliance entre les États-Unis et le fascisme
espagnol, qui fut instauré avec les armes de Hitler et de
Mussolini
et qui causa des millions de morts.
Nous ne pouvons pas oublier non plus leur alliance avec
le régime sud-vietnamien ni leur guerre de génocide
contre le peuple du sud et du nord. Nous ne pouvons pas oublier non
plus la guerre de Corée, un pays qui fut complètement
rasé, réduit en poussière. Comment oublier
Hiroshima
et Nagasaki (applaudissements), où ils se servirent
de l'arme nucléaire -- ce qui n'était absolument pas
nécessaire ou, du moins ils auraient pu l'utiliser contre une
installation militaire quelconque et non pas contre une population
civile de centaines de milliers d'habitants -- pour inaugurer
l'ère de la terreur atomique dans le monde ?
Nous ne pouvons pas oublier non plus leur alliance avec
l'Afrique du Sud de l'apartheid (applaudissements). Nous ne
pouvons pas oublier que l'apartheid a fabriqué des armes
nucléaires, et que quand nous-mêmes combattions dans le
sud de l'Angola contre le régime de l'apartheid aux
côtés
des Angolais, l'Afrique du Sud possédait déjà des
armes nucléaires et que ces armes pouvaient être
utilisées contre les soldats cubains et angolais. Mais bien
sûr il s'agissait de l'Afrique du Sud, du racisme et du
fascisme !
Eux, qui ont monté tout un scandale et qui ont
même lancé des menaces de guerre sous prétexte que
les Nord-Coréens voulaient fabriquer des armes
nucléaires, ont toléré, permis et accepté
par des voies indirectes que l'Afrique du Sud fabrique des armes
nucléaires.
Mais rapprochons-nous de notre continent et de notre
époque : comment oublier la sale guerre livrée
contre le Nicaragua, organisée à travers des mercenaires
armés et qui a tué et mutilé des dizaines de
milliers de Nicaraguayens ? Qui peut oublier cela si ce n'est le
« champion » de la liberté !, le
« champion » des
droits de l'homme ?
Comment oublier la sale guerre du Salvador, le soutien
accordé par le gouvernement des États-Unis à un
gouvernement génocidaire, auquel ils ont remis des millions en
armes sophistiquées pour écraser la rébellion du
peuple ? Une guerre qui a fait plus de 50 000
morts !
Et qu'est-ce qui a été à l'origine
de la guerre des Malouines ? Tout simplement ceci : les
États-Unis se servaient du Bataillon 401 des Forces
spéciales argentines pour leur sale guerre contre le Nicaragua
et contre le Salvador, et celui-ci rendait des services si
agréables et si
brillants aux États-Unis qu'il s'est cru en droit d'occuper les
Malouines.
Ce qui n'a rien à voir avec le droit de
l'Argentine sur les Malouines que nous avons toujours défendu (applaudissements),
mais les militaires argentins ont cru que le moment
était venu de se faire rembourser les services qu'ils rendaient
aux États-Unis en Amérique centrale, ils croyaient en
outre
que les États-Unis les appuieraient dans cette aventure
militaire -- ce fut en définitive une aventure, parce que ce
n'est pas une manière de faire la guerre. Les guerres se font ou
ne se font pas, et si on les fait il faut aller jusqu'au bout si elles
sont justes (applaudissements) --, et ils ont envahi les
Malouines. Mais lorsque les États-Unis ont eu à choisir
entre leurs alliés et antécesseurs britanniques et le
gouvernement militaire argentin, ils ont choisi les premiers et les ont
appuyés.
Comment oublier ce qui s'est passé au Guatemala
depuis l'époque de Arbenz, dans les années cinquante (applaudissements),
lorsqu'un gouvernement populaire élu par le
peuple tenta de réaliser une réforme agraire pour aider
les paysans et les communautés
indigènes ? Tout de suite ils ont recouru à la sale
guerre, à l'invasion mercenaire. Et ensuite, que s'est-il
passé ? Que s'est-il passé jusqu'à ce
jour ? Plus de 100 000 disparus dans un pays où
pendant plusieurs décennies la catégorie de prisonnier
politique n'existait pas parce que tous ceux qui avaient
été arrêtés avaient disparu.
Jusqu'à aujourd'hui, qui a ravitaillé ce
gouvernement, qui l'a entraîné, qui l'a
préparé ? Les « champions » de
la liberté et des droits de l'homme !
Et que s'est-il passé au Chili sous le
gouvernement populaire de Salvador Allende ? (Applaudissements).
Ils ont conspiré contre lui, son
économie a été soumise à diverses formes de
blocus et ils ont peu à peu créé les conditions
pour le coup d'État
militaire, qui se solda par des milliers et des milliers de personnes
disparues ou assassinées.
Et que s'est-il passé en Argentine sous le
gouvernement militaire auquel je faisais allusion ? On parle d'au
moins 15 000 disparus (quelqu'un du public crie :
Trente mille !). J'ai dit au moins parce que je ne tiens pas
à ce qu'on dise que j'exagère, et on affirme que ce
fut 30 000 ; certains disent même qu'il y en eut
davantage. Considérons ce chiffre comme un minimum. Mais est-ce
vraiment peu, 15 000 disparus ?
Et qui armait ce gouvernement ? Qui le
soutenait ? Qui lui accordait son soutien politique ? Qui
utilisait ses services en Amérique centrale ? Les
« champions » de la liberté et des droits
de l'homme !
Que s'est-il passé en Uruguay ? Et au
Brésil ? Qui a appuyé les putschistes et les
tortionnaires, ceux qui assassinaient et faisaient disparaître
les gens ? Qui est intervenu à Saint-Domingue lors de la
rébellion de Caamano ? (applaudissements). Qui a
envahi la
Grenade (applaudissements), le Panama ? (applaudissements).
Les « champions » de la
liberté et des droits de l'homme !
Lequel, parmi ces gouvernements, fut
harcelé ? Lequel, parmi les gouvernements que j'ai
mentionnés, fut soumis à un blocus ? Auquel d'entre
eux refusèrent-ils les crédits et le commerce ?
À combien d'entre eux cessèrent-ils de vendre des armes
et du matériel
de guerre ? Combien d'entre eux n'ont-ils pas
entraîné aux actions subversives, à l'art du crime,
des disparitions et des tortures ? Et ce sont eux qui soumettent
Cuba à un blocus, ce sont eux qui calomnient Cuba, qui accusent
Cuba de violations des droits de l'homme pour justifier leurs crimes
contre notre
peuple.
Et Cuba est, je le dis sans passion, le pays qui a le
plus fait pour l'être humain (applaudissements
prolongés).
Quelle Révolution a été plus
noble, plus généreuse ? Quelle Révolution a
témoigné plus de respect à l'être
humain ? Et pas seulement en tant que Révolution
victorieuse installée au pouvoir, mais depuis les débuts
mêmes de
notre lutte révolutionnaire, où furent établis des
principes inviolables ; car ce qui fit de nous des
révolutionnaires, c'est précisément le rejet de
l'injustice, le rejet du crime, le rejet de la torture. Et pendant
notre guerre, qui dura 25 mois et fut intense, nous
capturâmes des milliers de
prisonniers, mais il n'y eut pas un seul cas de violence physique
contre l'un d'entre eux pour obtenir une information quelconque,
même pas au milieu de la guerre (applaudissements), il
n'y eut pas un seul cas d'assassinat de prisonnier ; ce que nous
faisions, c'était les remettre en liberté -- nous leurs
confisquions leurs armes, car c'était ce qui nous
intéressait le plus, et nous traitions avec toute la
considération qu'ils méritaient ces fournisseurs d'armes (rires
et
applaudissements).
Au début on leur avait fait croire
qu'on les tuerait tous, et pour cela ils résistaient jusqu'au
bout ; mais
lorsqu'ils découvrirent le véritable comportement de
l'Armée rebelle, ils commencèrent à déposer
plus facilement les armes lorsqu'ils étaient encerclés,
perdus. Il y eut des soldats qui se rendirent trois fois parce qu'ils
avaient été mutés d'un front à l'autre
et ils avaient de l'expérience en matière de reddition (rires
et
applaudissements).
Mais le plus important c'est que ces principes
de ne jamais recourir à la torture, au crime, la
Révolution cubaine les a maintenus sans une seule exception (applaudissements),
quoi qu'on dise, quoi qu'on écrive ; et on
sait que les gens à la solde de la CIA ont écrit pas mal
de
pamphlets mensongers.
Existe-t-il un exemple semblable dans l'histoire ?
L'histoire a connu beaucoup de révolutions, et en
général elles furent dures, très dures : la
Révolution en Angleterre, d'abord, et ensuite la
Révolution française, la Révolution russe, la
Guerre civile espagnole et la
Révolution mexicaine. Nous avons pas mal d'expérience en
matière de révolutions et on a beaucoup écrit sur
elles ; quant aux contre-révolutions, on se garde bien d'en
parler ; les révolutions sont souvent
généreuses et les contre-révolutions sont
invariablement impitoyables ; les communards de Paris sont bien
placés pour le dire (applaudissements). Dans le cas de
Cuba il n'y a pas eu une seule exception. Il n'existe pas dans
l'histoire de la Révolution cubaine un seul cas de personne
torturée, et je pèse mes mots --, un seul cas de crime
politique, un seul cas de disparition. Dans notre pays on ne trouve pas
ces escadrons de la mort qui prolifèrent comme des champignons
dans beaucoup de pays de ce continent (du public on crie des noms
de plusieurs pays). Vous parlez pour nous ! (applaudissements).
Nous avons préféré ne
pas citer de noms, mais on a vu de tout sur notre continent.
Et pourquoi ne pas mentionner les États-Unis,
où des hommes comme Martin Luther King et beaucoup d'autres ont
été sauvagement assassinés parce qu'ils
défendaient les droits civils, un pays où en règle
générale la peine de mort n'est appliquée qu'aux
Noirs et aux Hispanos ?
Dans notre pays on ne connaît pas bon nombre de
ces phénomènes qu'on rencontre dans d'autres, les enfants
assassinés dans les rues pour éviter le spectacle de la
manche et même pour combattre le vol. La
Révolution a
liquidé la mendicité, la Révolution a
liquidé le jeu, la Révolution a liquidé les
drogues, la Révolution a liquidé la prostitution.
Bien entendu, il peut y avoir certains cas,
malheureusement, ou certaines tendances qui sont les
conséquences des difficultés économiques et de
l'ouverture du pays à l'étranger ; il y a quelques jineteras,
nous ne le nions pas, on en voit quelques-unes sur la
Cinquième Avenue, mais
il ne faut pas prendre le risque de confondre des personnes
décentes avec des jineteras (applaudissements). Il y a
des cas, mais on lutte contre, on ne tolère pas la prostitution,
on ne légalise pas la prostitution (applaudissements).
On peut avoir quelques enfants envoyés
par leurs parents qui s'adressent à un touriste pour lui
demander un chewing-gum ou autre chose ; ces
phénomènes se présentent dans cette situation
spéciale que nous vivons, au milieu des grandes
difficultés économiques que nous
traversons après le durcissement du blocus, mais ils
n'existaient pas aux temps normaux de la Révolution.
On ne voit pas d'hommes qui dorment sur les trottoirs
enveloppés dans des journaux malgré la grande
pauvreté actuelle ; il n'y a pas un seul être humain
sans abri et sans sécurité sociale dans notre pays,
malgré notre grande pauvreté actuelle (applaudissements).
Les
vices que l'on observe quotidiennement dans les sociétés
capitalistes n'existent pas dans notre pays ; ce fut une oeuvre de
la Révolution.
Il n'y a pas un seul enfant sans école et sans
instituteur, il n'y a pas un seul citoyen sans assistance
médicale même avant de naître. Ici nous
commençons à nous occuper d'un citoyen alors qu'il se
trouve encore dans le ventre de sa mère, dès les
premières semaines
après sa conception (applaudissements).
Nous sommes le premier pays du monde pour le
nombre de médecins per capita, malgré la période
spéciale (applaudissements), je dis bien du monde et
pas du tiers monde ; le premier pays du monde, devant les
Nordiques, les Canadiens et tous ceux qui figurent à
l'avant-garde de la
santé publique. En faisant passer le taux de mortalité
infantile de plus de 60 à 10 pour mille enfants
nés vivants, sans compter les autres programmes de santé
infantile qu'elle a mis en place, la Révolution a sauvé
la vie de plus de 300 000 enfants.
Nous sommes le premier pays du monde pour le nombre
d'instituteurs et de professeurs per capita (applaudissements),
malgré les calamités que nous sommes en train de
supporter ; nous sommes le premier pays du monde pour le nombre
d'instructeurs d'art per capita, nous sommes le premier pays du monde
pour le nombre de professeurs d'éducation physique et sportive
per capita (applaudissements).
Et c'est ce pays qui est victime d'un blocus,
c'est ce pays que l'on tente de force à se rendre par la faim et
la maladie !
Certains voudraient qu'on lève le blocus et
qu'en échange nous capitulions, nous renoncions à nos
principes politiques, nous renoncions au socialisme et à nos
formes démocratiques (exclamations de Non, Jamais!).
À la réunion de Rio, on
a
même vu émettre un document assez confus, malgré la
noble résistance des gouvernements du Brésil et du
Mexique et d'autres, et sur l'insistance de pays qui sont très
proches des États-Unis, je ne veux citer aucun nom, un document
un peu
confus -- qui peut être interprété de plusieurs
manières, mais dans lequel certains voient la position des
États-Unis -- qui conditionne la levée du blocus à
des changements politiques.
Des changements politiques ? Y a-t-il un seul pays
qui ait procédé à plus de changements politiques
que le nôtre ? Qu'est-ce qu'une Révolution, sinon le
changement politique le plus profond et le plus extraordinaire ? (applaudissements).
Nous avons fait cette Révolution
il y a plus de 35 ans, et tout au long de ces 35 ans nous
avons procédé à des changements politiques, nous
n'avons pas recherché une démocratie formelle,
aliénante, qui divise les peuples, qui les fragmente, nous avons
cherché une démocratie qui unisse réellement
les peuples et qui rende viable ce qui est le plus important et
essentiel, à savoir la participation constante du peuple
à la politique et aux questions fondamentales de sa vie (applaudissements).
Nous avons même apporté il y a peu de
temps des modifications à la Constitution, en vertu du principe
selon
lequel le peuple propose et élit (applaudissements).
Je ne critique personne, mais dans la plupart des pays
du monde, même en Afrique, qu'est-on en train d'introduire avec
le néolibéralisme et le néocolonialisme et toutes
ces choses, sinon les systèmes occidentaux ? ; des
gens qui n'ont jamais entendu parler de Voltaire, de Danton, de
Jean-Jacques Rousseau, qui n'ont jamais entendu parler des philosophes
de l'Indépendance des États-Unis - souvenez-vous comment
Bolivar, sur notre continent, se montrait réticent à
l'heure de copier mécaniquement les systèmes
européens et nord-américains, qui ont conduit nos pays
à la catastrophe, à la division, à la
subordination, au néocolonialisme ; nous voyons les
sociétés se fragmenter en mille morceaux, des
sociétés qui doivent unir leurs efforts pour le
développement ; on leur a imposé non pas le
pluripartisme, mais le
multipartisme ou le centipartisme, parce qu'il y a des centaines et des
milliers de partis.
Nous avons travaillé, nous avons
élaboré notre propre système, nous ne l'avons
copié sur personne ; nous avons établi le principe
de savoir qui propose en premier lieu et ce sont les citoyens qui
proposent. On peut être d'accord ou non, mais c'est un
système aussi respectable
que la démocratie grecque dont on parle tant, sans esclaves et
sans serviteurs. Parce que la démocratie grecque,
c'étaient quelques personnes qui se réunissaient sur une
place, ils étaient si peu nombreux qu'à cette
époque où les micros n'existaient pas, ils se
réunissaient tous sur
une place pour y tenir des élections (rires et
applaudissements). Les esclaves ne participaient pas, les
serviteurs ne participaient pas ; aujourd'hui non plus, d'ailleurs.
Lorsqu'on analyse les résultats des
élections on se rend compte qu'aux États-Unis on vient
d'élire un nouveau Congrès, où l'on observe
d'ailleurs des tendances ultra-conservatrices et
d'extrême-droite ; mais ce sont des affaires internes des
États-Unis. Je vous assure, je vous
jure, que pour normaliser nos relations nous n'avons pas exigé
des États-Unis qu'ils renoncent à ce système (rires
et
applaudissements).
Calculez par exemple qu'au
moins 80 % des gens doivent voter, et il se trouve
que 38 % ont décidé de voter et c'est tout (rires),
et les autres ont dit : « je vais
à la plage » ou « je vais au
cinéma » (rires) ou « je reste
me reposer à la maison. C'est une chose qui arrive chez les
« champions » de la liberté, des droits de
l'homme et des droits civils (applaudissements).
Dans de nombreux pays d'Amérique latine
c'est la même chose, beaucoup de personnes ne votent même
pas ; car les esclaves et les serfs disent :
« Pourquoi voter, si rien ne change pour
moi ? »
Comme il est difficile de nous mettre d'accord !
Car en effet, l'influence des médias est chaque jour plus
grande, et le noeud d'obstacles qui se dresse devant les forces
populaires est chaque fois plus difficile à surmonter.
Au contraire, plus de 95 % des citoyens
prennent part à nos élections, et personne n'est
obligé de voter, et même ceux qui ne sont pas pour la
Révolution vont voter, même s'ils votent blanc, pour ne
pas élire celui-ci ou celui-là ; ou pour
élire celui-ci ou
celui-là.
Chez nous - je le répète - ce sont les
citoyens qui proposent, le peuple propose et élit. De sorte que
les possibilités d'être élu pour un citoyen sont
infiniment plus grandes que dans n'importe quel autre pays.
Une bonne preuve : je conversais avec une
délégation mexicaine et ils m'ont dit :
« Avec nous est venue la benjamine des
députés » - « Quel âge
a-t-elle ? » « Vingt-cinq ans ».
J'ai été
agréablement surpris, mais soudain je me suis rappelé que
nous avions plusieurs députés de moins de vingt ans, car
les étudiants, à partir du secondaire, participent au
processus de choix des candidats, avec toutes les organisations de
masse (applaudissements).
Les paysans participent au processus de choix
des candidats ; l'organisation des femmes participe au processus
de choix des candidats ; les syndicats aussi, et les
Comités de défense de la Révolution, et il y a de
nombreux étudiants qui sont députés à
l'Assemblée
nationale, et des femmes, des paysans, des ouvriers, des travailleurs
et des intellectuels, des gens de tous les secteurs. Ce n'est pas le
Parti qui propose. Le Parti ne propose pas et n'élit pas, il
veille à ce que tous les principes et toutes les règles
soient respectés, mais il ne participe à aucun de ces
processus
électoraux. Voilà comment les choses se passent dans
notre pays.
L'une des dernières modifications du
règlement électoral établit que chaque candidat
à la députation doit obtenir plus de 50 % des
votes valides.
Alarçon a expliqué quelques-unes de ces
choses, et il rappelait avec une revue en main - il a l'avantage de
parler anglais et de temps en temps il peut lire des revues
nord-américaines (rires) -, comment un monsieur avait
englouti vingt-cinq millions de dollars dans sa campagne pour
être membre du
Congrès. Quelle est cette démocratie ? Combien de
personnes ont vingt-cinq millions de dollars à dépenser
dans une campagne ? À Cuba, on n'a même pas besoin de
dépenser vingt-cinq dollars, peut-être le ticket de bus
pour aller voter le jour des élections :
voilà la dépense du citoyen cubain (applaudissements).
Quelle est cette démocratie qui exige
qu'on soit millionnaire pour pouvoir disposer de tous les moyens
possibles pour persuader ses électeurs ? Et ensuite, on les
oublie jusqu'aux prochaines élections, quatre ou cinq ans plus
tard, on ne s'occupe jamais plus d'eux, pas une seule fois, on les
oublie.
Dans notre pays on peut être
révoqué de ses responsabilités, depuis le
délégué de circonscription jusqu'au fonctionnaire
au plus haut niveau, n'importe qui peut être élu et aussi
démis de ses fonctions. C'est notre système, nous ne
prétendons pas que les
autres l'appliquent, il serait absurde de prétendre que c'est un
modèle ; mais c'est celui que nous avons adopté,
personne ne nous l'a imposé, aucun gouverneur ou conseiller
nord-américain n'est venu établir un code
électoral ici, comme ils le faisaient auparavant.
La Constitution, nous l'avons faite nous-mêmes (applaudissements),
le Code électoral, nous l'avons fait
nous-mêmes, le système, nous l'avons pensé et nous
l'avons développé nous-mêmes, et c'est ce que vous
êtes en train de défendre : le droit du pays
à créer ses lois, le système économique,
politique et social qu'il estime pertinent. Agir autrement est
impossible, absurde, toute autre prétention est une folie, et
ces fous prétendent que tout le monde doit faire exactement ce
qu'ils font, mais ce qu'ils font ne nous plaît pas (applaudissements).
C'est pour cela que la suppression du blocus
en échange de concessions politiques, en échange de
concessions qui lèsent la souveraineté de notre pays est
inacceptable. C'est absolument inacceptable, révoltant, irritant
et réellement nous préférons mourir plutôt
que de
renoncer à notre souveraineté (applaudissements
prolongés).
Il y a bien des années que nous vivons
avec le blocus, mais il convient de réfléchir sur un
fait : au triomphe de la Révolution, il existait un certain
monde ; aujourd'hui, après 35 ans de
Révolution, il existe un autre monde. Le monde a changé,
mais il n'a pas
changé dans le sens du progrès ; en
réalité il a changé dans le sens de la
régression, car le monde bipolaire ne plaisait à
personne, mais le monde monopolaire nous plaît encore beaucoup
moins.
Au triomphe de la Révolution, il existait un
monde bipolaire. Les États-Unis nous imposent le blocus presque
dès le début, ils commencent à nous supprimer les
marchés du sucre, ils nous coupent le ravitaillement en
combustible. Imaginez un peu la jeune Révolution dans ces
conditions !
Évidemment, ils nous suppriment la fourniture des machines, des
pièces de rechange, de tout ; mais l'URSS existait, et le
camp socialiste aussi.
Ce fut une chance pour nous parce que, face au blocus
que nous imposaient les États-Unis ici, à 90 milles,
il existait une autre force dans le monde, un autre mouvement dans le
monde qui avait une origine révolutionnaire et qui était
en contradiction avec l'impérialisme américain.
Grâce à ce mouvement, nous pûmes trouver des
marchés pour notre sucre, du pétrole, des matières
premières, des aliments, beaucoup de choses. Tout cela a
été expliqué ici.
Nous bénéficions de prix
préférentiels ; mais il faut dire que Cuba ne fut
pas la seule à bénéficier de prix
préférentiels, la Convention de Lomé
établit des prix préférentiels pour le sucre et
d'autres produits pour beaucoup de pays qui sont
d'anciennes colonies. Même aux États-Unis, lorsqu'ils
étaient un important marché pour notre sucre, avant qu'on
nous supprime nos quotas pour les redistribuer dans toute
l'Amérique latine et dans d'autres parties du monde, il existait
aussi des prix préférentiels. Quatre-vingt pour cent du
sucre dans le monde est commercialisé
sur la base de prix préférentiels. Et tout à fait
en accord avec les principes de la doctrine politique, les pays
socialistes nous payaient à des prix préférentiels.
C'était la politique que nous défendions
pour tous les pays du tiers monde, car c'était l'unique
manière de réduire la différence qui existait
entre les pays développés et les pays
sous-développés. C'était une revendication du
monde, c'était une
revendication de tous les pays du tiers-monde. Et même ainsi
c'était correct, car bien qu'on nous accordât des prix
préférentiels, produire du sucre en Union
soviétique coûtait bien plus que ce qu'ils payaient pour
celui qu'ils nous achetaient. Mais de toute manière, ces prix
préférentiels étaient pour nous un avantage car
nous pouvions acheter du combustible, des matières
premières et beaucoup d'autres choses.
Dans cette situation survient l'écroulement du
camp socialiste et de l'URSS, et le blocus s'intensifie. Tant que le
camp socialiste et l'URSS existaient, nous nous arrangions mieux, nous
nous supportions mieux. Et même dans ces conditions, notre
économie s'est accrue presque pendant trente ans, et nous avons
atteint un
développement social extraordinaire.
Mais c'est dans ce monde qu'est née la
Révolution cubaine, il n'y en avait pas d'autre, il n'y avait
pas d'autre alternative pour ce pays assiégé par la plus
grande puissance du monde ; c'est pourquoi la disparition du camp
socialiste et de l'URSS a été pour nous un coup si
terrible, car non
seulement le blocus demeure, mais il se durcit encore. De sorte que
notre pays a perdu 70 % de ses importations et je me demande
combien de jours il aurait pu tenir, une semaine, 15 jours, un
mois (applaudissements). Comment y serions-nous parvenus si
le peuple n'avait pas soutenu la Révolution ?
Comment aurions-nous pu résister, vraiment, sans notre
système politique, sans notre système
démocratique, sans la participation directe du peuple à
toutes les questions fondamentales, qui constitue la véritable
démocratie ? (applaudissements)
Quel autre pays latino-américain aurait
pu résister après la perte de 70 % de ses
importations ? Quel pays européen aurait pu supporter une
telle épreuve ? Dès la veille les hommes politiques
auraient hésité, auraient capitulé, mais nous
avons de
la dignité, nous avons le sens de l'honneur et nous sommes
attachés à nos principes (applaudissements).
Pour nous, les principes valent plus que la vie elle-même, nous
n'avons jamais négocié les principes, jamais ! (applaudissements).
Lorsque nous aidions les
révolutionnaires d'Amérique centrale, les
Nord-Américains disaient qu'ils lèveraient le blocus si
nous cessions de les aider, mais jamais une telle idée ne nous
est passée par la tête (applaudissements). À
d'autres
occasions
ils
se
disaient
disposés
à
lever
le
blocus
si
nous
cessions
d'aider
l'Angola
et
d'autres
pays d'Afrique, mais nous n'avons jamais
songé à négocier nos relations avec d'autres pays.
Dans d'autres circonstances ils promettaient de lever le blocus si nous
rompions nos relations avec l'Union soviétique, mais jamais cela
ne
nous est venu à l'esprit, car nous ne sommes pas un parti ou une
direction politique qui négocie ses principes. À ce prix
le blocus ne cesserait jamais d'exister, car nous ne sommes pas
disposés à le payer.
Cette situation nous a conduits à la
période spéciale.
Nous étions en train de mettre en oeuvre
d'excellents projets avant la catastrophe socialiste, des projets
excellents à tous points de vue, nous avions entrepris un
processus de rectification des erreurs et des tendances
négatives, des erreurs anciennes et nouvelles, des tendances
anciennes et nouvelles et nous
réalisions un travail intense lorsqu'est survenue cette
débâcle qui nous a conduits à ce que l'on pourrait
appeler un double blocus, car aussitôt après la
désintégration du camp socialiste et celle de l'URSS, et
même avant la désintégration de l'URSS, les
États-Unis ont fait pression plus que jamais, et pas en vain,
pour interrompre le commerce et les relations économiques entre
les anciens pays du camp socialiste et l'URSS, et Cuba.
Notre pays s'est ainsi vu en butte à un double
blocus, et cependant il fallait sauver la patrie, il fallait sauver la
Révolution et il fallait sauver le socialisme -- nous disons
sauver les conquêtes du socialisme, car nous ne pouvons pas dire
en ce moment que nous construisons le socialisme ; nous
défendons ce que nous avons fait, nous défendions nos
conquêtes --, un objectif fondamental dans un monde qui avait
changé d'une manière radicale et où tout le
pouvoir de l'empire se retournait contre nous ; car les
États-Unis n'imposent aucune condition à la Chine par
exemple, un grand pays, un pays immense qui défend les
idées du socialisme ; ils n'imposent pas non plus de
conditions au Vietnam, pays merveilleux et héroïque. On ne
leur impose pas de blocus, mais on en impose un à Cuba.
Mettez-vous à la place de notre Parti et de notre direction. Et
dans
des conditions comme jamais il n'en a existé, nous voulons
sauver la Patrie, la Révolution et les conquêtes du
socialisme. Quelles mesures devons-nous prendre dans ce monde
d'aujourd'hui, un monde qui, bien sûr, n'existera pas
toujours ? Ceux qui pensent que le néolibéralisme
est pour le
capitalisme le nec plus ultra, l'ascension au ciel et
à l'éternité du ciel se font des illusions (applaudissements).
Le monde nous donnera encore bien des leçons.
Il serait trop long d'expliquer ce qu'il adviendra de tout cela, nous
en aurions pour très longtemps si nous voulions approfondir le
sujet, mais pour eux le néolibéralisme est éternel.
On parle aujourd'hui de la globalisation de
l'économie. Nous allons voir ce que cette globalisation laissera
aux pays du tiers-monde lorsque tous les mécanismes de
défense dont celui-ci dispose aujourd'hui auront disparu, et il
lui faudra soutenir la concurrence sur le plan de la technologie,
soutenir la concurrence face
à l'immense développement des pays capitalistes
développés, qui tenteront alors d'exploiter plus que
jamais les ressources naturelles et la main d'oeuvre bon marché
du tiers-monde pour accumuler sans cesse plus de capital. Mais ce
capitalisme super-développé, comme celui des pays
d'Europe,
par exemple, génère de plus en plus de chômage,
plus il se développe plus il génère de
chômage. Que se passera-t-il avec nos pays ? Nous
assisterons à la globalisation des différences, des
injustices sociales, de la misère.
Mais ce monde est celui dans lequel nous vivons et dans
lequel nous devons développer nos relations commerciales et
échanger nos produits, dans lequel il nous faut survivre ;
c'est pourquoi nous devons nous adapter à ce monde et adopter
les mesures que nous jugeons indispensables, dans un objectif
très
clair.
Ce qui ne veut pas dire que tout ce que nous sommes en
train de faire soit uniquement le résultat de la nouvelle
situation ; nous avions déjà entrepris des
changements et l'idée de l'introduction de capital
étranger est même antérieure à la
période spéciale :
nous avions compris qu'il était impossible de développer
certains secteurs, certaines branches si nous n'avions ni capital ni
technologie pour le faire, parce que les pays socialistes ne
disposaient pas de cette technologie. Mais nous avons été
obligés de procéder à une plus grande ouverture,
nous
avons été obligés de procéder à ce
que nous pourrions appeler une ouverture assez large à
l'investissement étranger. Ceci a été
expliqué ici : Cuba, dans les circonstances actuelles, sans
capital, sans technologie et sans marchés, ne pourrait pas se
développer ; ce qui explique que les mesures, les
changements et les réformes que nous adoptons actuellement, dans
un sens ou dans l'autre, ont pour but, comme on l'a signalé
à cette conférence, de sauvegarder l'indépendance,
la Révolution -- car la Révolution est la
source de tout le reste -- et les conquêtes du socialisme, ce qui
veut dire que nous voulons préserver le socialisme ou le droit
à continuer de construire le socialisme lorsque les
circonstances le permettront (applaudissements prolongés).
Nous faisons des changements mais sans
renoncer à l'indépendance et à la
souveraineté (applaudissements) : nous faisons
des changements, mais sans renoncer au véritable principe :
le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple qui,
traduit en langage
révolutionnaire, veut dire gouvernement des travailleurs, par
les
travailleurs et pour les travailleurs (applaudissements
prolongés et exclamations de « Fidel !, Fide1 ! ».
Ce n'est pas le gouvernement des bourgeois, par les
bourgeois et pour les bourgeois ; ce n'est pas le gouvernement des
capitalistes,
par les capitalistes et pour les capitalistes ; ce n'est pas le
gouvernement des transnationales, par les transnationales et pour les
transnationales ; ce n'est pas le gouvernement de
l'impérialisme, par l'impérialisme et pour
l'impérialisme (applaudissements).
C'est là la grande différence,
quels que soient les changements et les réformes que nous
entreprenions. Si nous renoncions un jour à cela, nous
renoncerions à la raison d'être de la Révolution (applaudissements).
Nous avons été solidaires avec
le monde, mais il ne nous appartient pas de parler de cette
solidarité. Lorsqu'il s'agit de solidarité, en ce qui
nous concerne nous devons agir au maximum et en parler au minimum, car
nous n'allons pas faire ici l'auto-apologie de notre conduite.
Il y a quelques minutes, avant le début de cette
dernière partie de notre rencontre, un camarade disait :
« Cuba a fait un nombre de choses incroyables !
Lorsqu'on entend parler les visiteurs d'un pays ou d'un autre,
lorsqu'on les entend parler de médecins, de boursiers, de
personnes qui se font former ici, d'une activité, d'une autre et
d'une autre
encore, on se rend compte que tout au long de ces année notre
pays a fait beaucoup de choses. » Et c'est que pour nous, la
solidarité, l'internationalisme est un principe, et je dirais
plus, un principe sacré (applaudissements).
Je donnerai quelques chiffres à titre
d'exemple : plus de 15 000 médecins cubains ont
prêté leurs concours gratuitement dans des dizaines de
pays pendant ces années de Révolution, plus
de 15 000 personnes ont accompli des missions
internationalistes comme
médecins (applaudissements), plus de 26 000
instituteurs et professeurs en ont fait autant. Je me demande si un
autre petit pays, ou un pays moyen ou même grand a
égalé ce record.
Il suffit de dire qu'à un certain moment nous
avions trois fois plus de médecins qui travaillaient
gratuitement dans le tiers-monde que l'Organisation mondiale de la
santé elle-même (applaudissements), et nous
n'avions pas beaucoup de ressources, nous avions des ressources
minimes, nous ne comptions
que sur l'honneur de nos travailleurs de la santé et sur leur
vocation internationaliste. Combien de vies ont-ils
sauvées ? Et je me demande : est-ce juste d'imposer un
blocus à un pays qui a agi de la sorte ? (exclamations
de « Non » !).
Combien de centaines de milliers d'enfants
avons-nous éduqués grâce a nos instituteurs qui ont
travaillé à l'étranger ? Et nous n'avons pas
seulement envoyé des instituteurs, nous avons envoyé
aussi des professeurs universitaires ; nous avons fondé des
écoles de médecine dans divers pays du monde. Est-ce
juste d'imposer un blocus à un pays qui a fait tout cela et
qui, dans une certaine mesure, continue de le faire ?
Un demi-million de Cubains a accompli des missions
internationalistes de tous types, un demi-million ! (applaudissements).
Les Africains ont été
très nobles, très généreux, et ils ont
voulu rappeler à cette occasion l'aide solidaire apportée
par Cuba dans la lutte contre le colonialisme, dans la lutte contre
l'agression étrangère, dans la lutte contre l'apartheid
et le racisme.
Comme je l'ai déjà dit ici, nos soldats
combattaient dans le sud de l'Angola, 40 000
hommes, 40 000 hommes (applaudissements), qui aux
côtés des troupes angolaises, ont combattu
héroïquement. Il y avait des Cubains dans le sud de
l'Angola, face aux
Sud-Africains, après la bataille de Cuito Cuanavale, et au
moment de notre contre-offensive dans le sud-ouest de l'Angola, ces
hommes étaient même exposés au danger des armes
nucléaires. Nous le savions et dans la distribution des forces
lors de cette offensive il avait été tenu compte de la
possibilité de voir l'ennemi utiliser des armes
nucléaires.
À un moment donné, il y avait à
Cuba 25 000 boursiers étrangers (applaudissements).
Cuba était le pays au monde à avoir le
plus grand nombre de boursiers étrangers per capita, mais nous
ne nous en sommes jamais vantés ; nous accomplissions
simplement
notre devoir, comme nous l'enseigna Marti, nous avons fait tout ce qui
était à notre portée pour aider les autres pays.
Je crois que cette extraordinaire rencontre, que vos
nobles, généreuses et solidaires paroles,
reflètent en partie l'histoire solidaire de notre propre
Révolution (applaudissements). Ceci nous stimule et
nous encourage à poursuivre la lutte.
À l'heure où nous vivons il existe de
grandes options : l'option de la liberté, l'option de la
souveraineté, l'option de l'indépendance, l'option de la
justice sociale.
La justice sociale en tant qu'idée acquiert une
telle force face au néolibéralisme, qui est la
négation de tout principe de justice, que même quelques
organismes internationaux en parlent. La Banque interaméricaine
de développement parle de plus en plus de la
nécessité de
justice sociale dans cet hémisphère. Même la Banque
mondiale parle de la nécessité de justice sociale dans
cet hémisphère ! Ils sont les champions du
néolibéralisme et ils parlent de justice sociale, car ils
se rendent compte que les différences sont énormes et
qu'elles continuent de se creuser et ils rêvent d'un
néolibéralisme, d'un capitalisme assorti de justice
sociale ; ils ont peur que la misère, la faim et la
pauvreté minent les bases de ce néolibéralisme
auquel ils se consacrent aujourd'hui et c'est pourquoi ils parlent de
justice sociale.
Mais nous savons que seuls les peuples peuvent
appliquer la justice sociale et que le néolibéralisme et
la justice sociale sont incompatibles, inconciliables (applaudissements) ;
qu'un monde superdéveloppé et un monde
sous-développé sont incompatibles, inconciliables ;
que le
premier sera toujours plus riche et le second toujours plus pauvre,
c'est une réalité irréfutable.
Votre présence ici démontre que les
idées justes vivent, que les idées nobles vivent, que les
valeurs vivent. Et il faut multiplier ces idées, ces valeurs,
comme Jésus-Christ a multiplié les poissons et les pains (applaudissements).
L'Église parle d'une option pour les
pauvres et cela nous parait extrêmement positif ; mais je
pense que le monde actuel a besoin de quelque chose de plus qu'une
option : il a besoin d'une lutte énergique, tenace et
conséquente des pauvres (applaudissements et exclamations
de : « Fidel ! Fidel ! »). J'aurais dû parler
d'églises plutôt que de l'Église, car il ne s'agit
pas seulement de l'Église catholique.
Il faut une lutte de tous les instants contre les
causes qui sont à l'origine de la pauvreté (applaudissements) ;
il faut une lutte de tous les instants contre le
capitalisme, contre le néolibéralisme et contre
l'impérialisme (applaudissements), jusqu'au jour
où l'on cessera de
parler des milliers de millions d'êtres humains qui ont faim, qui
sont privés d'écoles, d'hôpitaux, de travail, de
toit, qui n'ont même pas de quoi satisfaire leurs besoins les
plus élémentaires.
La population de notre planète approche des six
milliards d'habitants, elle est quatre fois ce qu'elle était il
y a à peine 100 ans. Des menaces multiples pèsent
aujourd'hui sur l'humanité, et pas seulement des menaces de type
social, mais également de type économique, politique et
militaire.
Ici quelqu'un disait qu'aujourd'hui on donne aux
guerres le nom de « missions
humanitaires », « opérations en faveur de la
paix ». Les guerres nous menacent de tous
côtés, les interventionnismes nous menacent de tous
côtés ; mais le
monde est également menacé par la destruction des
conditions naturelles de vie, par la destruction de l'environnement, un
problème qui attire de plus en plus l'attention et émeut
de plus en plus la conscience de l'être humain. L'effort qu'il
nous incombe de déployer sur tous les fronts pour sauver
l'humanité de ces dangers est immense.
Et quelle est l'origine historique de cette
situation ? Peut-on nier que c'est le colonialisme, le
néocolonialisme et l'impérialisme ? Peut-on nier que
c'est le capitalisme ? Nous en sommes pleinement conscients, quels
que soient les revers qu'aient subis le mouvement progressiste, le
mouvement
révolutionnaire et le mouvement socialiste.
Mais nous tenons à le dire ici, chers
camarades : Nous ne retournerons pas au capitalisme ! (applaudissements).
Ni au capitalisme sauvage -- ou quel que soit le nom
que veuille lui donner Perez Esquivel, capitalisme cannibale ou
capitalisme modéré, si tant est que cela existe --, nous
ne voulons pas y retourner, et nous n'y retournerons pas ! (applaudissements).
Nous sommes conscients de nos devoirs et de
nos obligations. Nous avons résisté déjà
pendant près de cinq ans dans des conditions très
difficiles, alors que certains pensaient que la Révolution
cubaine disparaîtrait rapidement de la surface de la terre.
Nous travaillons avec ténacité et de plus
en plus, mettant de plus en plus l'accent sur les choses subjectives,
sur nos propres erreurs, sur nos propres déficiences, insistant
sur les facteurs subjectifs pour que les facteurs objectifs ne
deviennent pas un prétexte pour justifier nos déficiences.
Nous devons élever encore beaucoup plus le
niveau de conscience de notre peuple. Ainsi nous devons lui expliquer
pourquoi il faut retirer l'excès d'argent en circulation, et les
mesures appropriées pour le retirer sans appliquer de
thérapies de choc ; rechercher l'efficacité dans
l'agriculture, dans
l'industrie.
Je sais que vous êtes préoccupés --
vous l'avez dit ici -- par le problème de la production
d'aliments. Je dois vous dire que nous sommes obligés de
produire des aliments sans engrais, sans pesticides, sans
désherbants, sans combustible bien souvent, en recourant
à la traction
animale, devant nourrir une population dont 80 % vit dans les
zones urbaines à l'inverse de la Chine et à l'inverse du
Vietnam, nous avons 20 % de la population vivant à la
campagne et 80 % vivant dans les villes. Chez eux, c'est le
contraire, 75 % ou 80 %
à la campagne, et 20 ou 25 % dans les villes.
Nous manquons même de main-d'oeuvre à la
campagne. Notre agriculture a été
mécanisée, comme d'ailleurs une grande partie de
l'activité du pays. Notre récolte sucrière a
été mécanisée. Quelqu'un demandait s'il
était réellement
indiqué de produire du sucre. Nous n'avons pas d'autre
alternative que de produire du sucre, nous devons en produire ;
bien
sûr, il revient plus cher si les sucreries et les machines
produisent moins parce que nous manquons d'engrais et si l'irrigation
est insuffisante, par exemple. En général nous savons
comment
produire des aliments, mais nous avons dû faire face à une
grande pénurie de ces produits nécessaires pour la
production des aliments.
Il nous a fallu développer d'autres secteurs. On
a déjà parlé ici du tourisme, qui est devenu une
nécessité et qui n'a pas été lancé
pendant les premières années de la Révolution, car
il a ses bons et ses mauvais côtés. Mais comme nous ne
pouvons pas vivre avec l'espoir de pouvoir nous enfermer dans une tour
d'ivoire, nous devons nous mêler aux problèmes de ce
monde, en sachant que la vertu nait de la lutte contre le vice et
que parfois du fumier naissent de magnifiques fleurs (applaudissements) ;
nous devons nous habituer à vivre avec
ce genre de problèmes, nous avons besoin de ces intrants
nécessaires à la production d'aliments.
Pour l'élevage nous nous sommes également
retrouvés sans alimentation, sans irrigation et sans combustible.
Les problèmes auxquels nous avons dû faire
face ne sont pas faciles à résoudre, mais nous les
affrontons, en répartissant le peu que nous avons entre beaucoup
et non
pas en répartissant beaucoup entre quelques-uns (applaudissements).
Nous
partageons ce que nous avons.
Cependant, dans ces conditions incroyablement
difficiles -- je le répète -- il n'y a à Cuba
aucune école sans instituteur, aucun enfant sans école,
aucun malade sans médecin et sans hôpital ; nous
maintenons la sécurité sociale, nous maintenons notre
mouvement de développement de la culture, de
développement du sport ; et pendant cette période
spéciale, nous avons même remporté la
cinquième place aux Jeux olympiques (applaudissements).
Ceci vous donne une idée de l'effort que nous réalisons
dans ces
conditions exceptionnellement difficiles.
De sorte que lorsqu'on partage le peu qu'on
possède entre beaucoup, on peut faire beaucoup de choses, et il
y a une infinité de pays dans le monde qui possèdent
beaucoup plus que nous et qui font peu de choses (applaudissements).
Cette rencontre touche à sa fin et,
réellement, elle est et elle restera pour nous une leçon
impérissable et nous espérons beaucoup de cette bataille
que vous vous proposez de livrer avec nous pour vaincre le blocus, pour
vaincre l'hostilité déchaînée contre notre
pays, pour
défendre l'espérance. Ce n'est pas que nous soyons
prédestinés au rôle d'espérance. Nous ne
nous considérons pas comme un peuple prédestiné,
nous sommes un petit peuple, un peuple modeste, auquel l'histoire en
ces circonstances particulières a assigné la mission
de défendre ce que nous sommes en train de
défendre : nos idéaux les plus sacrés, nos
droits les plus sacrés. Vous voyez cela comme une
espérance.
Nous comprenons ce que signifierait pour toutes les
forces progressistes, pour toutes les forces révolutionnaires,
pour toutes les forces éprises de paix et de justice dans le
monde, l'écrasement de la Révolution cubaine par les
États-Unis, et pour cela nous considérons que notre
devoir le plus
élémentaire et le plus sacré envers vous est de
défendre la Révolution, même au prix de notre vie (applaudissements).
Merci, merci, cent fois merci, merci
infiniment (applaudissements).
Permettez-moi de proclamer une fois de
plus :
Le Socialisme ou la Mort !
La Patrie ou la Mort !
Nous vaincrons !
Vive
la Solidarité !
(Cris de : « Viva!
»)
(Ovation)
Cent images de la révolution cubaine
-- 1953-1996
- Préface d'Abel Prieto -
La photographie de Fidel, Raúl Castro et Che Guevara qui figure
sur la couverture de Cien Imagenes de
la Revolucion Cubana
Cet ouvrage s'ouvre sur une photographie d'une forte
intensité : le 1er août 1953, un jeune
Fidel Castro au vivac, la
prison de Santiago de Cuba et
derrière lui sur le mur, par une coïncidence
inexpliquée que ses geôliers n'ont pu éviter, se
trouve un portrait de Marti. La dernière photographie,
du 1er mai 1996, s'étend en un flash lumineux sur la foule
rassemblée à la Place de la Révolution de La
Havane, comme si l'énergie contenue de la première image
jaillissait et se révélait sur cet espace public.
Sous le signe de Marti, Fidel Castro au vivac de
Santiago de Cuba, 1953
|
L'ensemble de ces photographies couvrent quatre
décennies de l'histoire de Cuba au cours desquelles celle-ci
semble se densifier et avancer bien plus rapidement avec des symboles
et des légendes qui en marquent chaque instant : quatre
décennies où les Cubains se sont donnés corps et
âme, sans aucune mesquinerie, à cette aventure de
transformation, de combat et de création, où le parcours
personnel de chacun s'est intégré à ce voyage
collectif et tous et chacun ont fait face à l'impossible sans
crainte et, encore et toujours, ont conquis leurs nombreux
démons et investi dans cette vie dure, grisante et
complète, dans cette vie unique, le meilleur d'eux-mêmes.
En janvier 1960, Nicolás Guillén
confiait être sidéré par la qualité
étonnante que le temps a donnée à cette
première année de la révolution
victorieuse : 1959 est passé « aussi vite que
l'éclair », mais était composé de jours
« annonciateurs » et « denses ». En
seulement douze mois, quelque chose
d'essentiel a changé dans l'air, sur la terre de l'île, en
particulier son peuple : « Nous assistons à la
naissance d'une nouvelle sensibilité, enracinée dans une
conception rare de devoir civique, nous dit le poète, et c'est
une sensibilité qui se manifeste par une autre manière de
pratiquer l'identité cubaine, de comprendre le patriotisme, de
faire
preuve d'honnêteté privée et publique. »
Les gens que nous découvrons dans ces
photographies, dans les tranchées, aux moissons, au travail
volontaire, dans les marches et les rassemblements, apportent avec eux
(et c'est un privilège secret que les photographes parviennent
à capturer) une conscience très précise et bien
définie de l'importance de leurs actes, de la cohérence
plus
grande que chaque personne, ses idéaux et son travail assument
lorsqu'on entreprend une véritable révolution. Ils ont
changé le destin d'une île qui semblait vouée
à l'avilissement et à la désintégration, en
même temps qu'ils comprennent qu'il s'agit d'une guerre
importante, d'un duel avec l'impossible qui dépasse les
frontières de l'île. « Chaque
homme , souligne Nicolás, chaque femme et même chaque
enfant sait ce qu'il a dans ses mains et n'est pas disposé
à se le laisser arracher. » [1]
Une curieuse synthèse entre engagement politique
et d'autres aspects de l'humanité est externalisée dans
les nombreuses photographies que contient notre livre : les
protagonistes de ces images se montrent dans leurs multiples
dimensions, dans leur intégralité. Vous avez (pour
l'expliquer mieux et avec plus d'éloquence) la milicienne en
uniforme, portant son fils avec la plus grande tendresse que l'on
puisse imaginer et le mariage du milicien, souriant aux plaisanteries
de ses compañeros, aux risques et aux difficultés qui
l'attendent dans un camp et à l'Histoire avec un H majuscule
ainsi qu'a son histoire personnelle (ou sont-elles les
mêmes ?) lorsqu'il passe au bras de son
épouse sous une haie de canons.
Le Cubain des années 1960 devient meilleur
et plus complet et est rempli de bonheur devant sa condition. Sur ces
photographies, on le voit se développer, pas seulement sur le
plan politique ; on le voit atteindre une dimension digne et
humaine, qu'il n'avait pas connue auparavant. Nous voyons
l'étincelle dans ses yeux (cette
étincelle d'émotion, d'espièglerie, de
perspicacité rapide) devenir plus claire, plus pure et plus
noble. Nous ne trouverons pas de héros figés, de papier
mâché dans nos centaines de photos : à chaque
étape, nous sommes frappés par leur authenticité,
leur force, le frémissement qui vient de l'intérieur et
monte à la surface, du plus profond à
l'action.
La Première déclaration de La Havane, discours de Fidel
Castro, Place de la Révolution,
2 septembre 1960
Dans cet ouvrage, le développement du Cubain se
présente à nous de deux façons : dans les
expressions, les gestes, le comportement des personnages anonymes
capturés par l'appareil photo et les innombrables actes qui
donnent du poids et un sens à un nouvel espace symbolique
né en 1959 : ce qui était la Place civique
à
l'époque coloniale de farce, de criminalité et de
négation de l'esprit public est rebaptisée Place de la
Révolution José Marti et devient un lieu exceptionnel
d'échanges entre les masses populaires et leurs dirigeants. Le
Che nous a laissé une description de cette «
méthode presque intuitive » de communication :
« Le maître de
celle-ci est Fidel, dont le mode particulier d'intégration avec
le peuple peut être apprécié en le voyant en
action. Dans les grands rassemblements publics, vous pouvez observer
quelque chose comme le dialogue de deux diapasons dont les vibrations
en induisent d'autres, nouvelles, dans l'autre. Fidel et la masse
populaire
commencent à vibrer dans un dialogue d'intensité
croissante jusqu'à ce qu'il atteigne un point culminant dans une
fin abrupte couronnée de nos cris de guerre et de nos cris de
victoire. » [2]
La photographie de Korda intitulée El Quijote
de la farola [Don Quichotte du lampadaire] capture une scène
du 26 juillet 1959 et nous dit quelque chose de plus. Environ
deux mois plus tôt, à La Plata, dans la Sierra Maestra,
Fidel et le Conseil des ministres avaient signé la Loi sur la
réforme agraire, et ce jour-là se tenait
le premier rassemblement de masse pour commémorer l'assaut de la
Moncada, et La Havane et la Place de la Révolution
étaient remplies de campesinos venus de toute l'île. Comme
dans la meilleure de nos cent photographies, le Don Quichotte au
chapeau de paille qui règne sur la foule, avec sa silhouette
longiligne et dégingandée, un cigare fumé
à moitié et l'expression de celui qui vit en harmonie
avec lui-même et avec son destin, nous attire vers les
circonstances spécifiques (le rassemblement des paysans, la
réforme agraire) et en même temps, évoque une
métaphore qui va au-delà de la situation et des
personnages photographiés.
Avec ce campesino donquichottesque perché pour
l'éternité au sommet d'un lampadaire, le noble des
utopies, le chevalier sur une rosse efflanquée et affreuse qui
attaque l'injustice et l'impossible dans une lutte inégale avec
les armes de ses ancêtres et une armure en carton, entre dans le
livre et doit défaire les intrigues des nombreux prêtres,
barbiers et bacheliers qui veulent le lier (nous lier) au conformisme,
à la philosophie de la soumission, à la sagesse
médiocre des benêts et des esprits bornés.
Il y a beaucoup de donquichottisme non conformiste et
combatif dans le Cuba qui défend ses droits contre toute
attente. La Presse nationale, fondée en 1960, a
été inaugurée avec la publication
de 400 000 exemplaires de L'Ingénieux Noble Don
Quichotte de la Manche , en quatre volumes, qui ont
été vendus
(vingt-cinq cents) dans les kiosques à journaux. De cette
façon, les gens qui ont réussi à surmonter un
autre impossible, l'analphabétisme, pouvaient lire l'immortel
roman de Cervantes, et le dernier chevalier errant est devenu une
présence familière parmi nous. Rarement, une grande
œuvre littéraire a reçu un accueil aussi riche,
prolifique et massif.
« Une fois de plus, je sens les côtes de Rossinante sous
mes talons, je reprends la route avec mon bouclier au
bras », a annoncé le Che à ses parents avant
de partir pour le Congo.[3]
Fidel signe, le 17 mai 1959, dans la Sierra Maestra, la Loi de la
réforme agraire.
Si pour le bœuf docile qui tous les matins accepte
paisiblement le joug et l'avoine délicieuse abondante, si pour
le
gros bon sens de la bourgeoisie être un « Don
Quichotte » est considéré comme la pire des
insultes, la révolution assume ce symbole naturellement, dans
son sens le plus noble et le plus créatif. Dans la force du Non
qui
revient sans cesse dans la tradition éthique cubaine, dans le
Non qui refuse de renoncer face aux circonstances les plus
difficiles et rejette l'impossible à sa simple mention, il y a
un donquichottisme obstiné et fertile présent. En
retraçant la tradition éthique cubaine, Cintio Vitier
interprète la Protestation de Baraguá à la
lumière du Non qui brille
dans le meilleur de l'identité cubaine. Lorsqu'en 1878, les
possibilités de poursuivre la lutte pour l'indépendance
semblaient avoir été épuisées,
«
l' 'impossible' a surgi devant Cuba et a provoqué une
possibilité plus profonde et plus créative : le Non
d'Antonio Maceo, la négation de la négation, aux
Manguiers de Baraguá. Son
refus d'accepter les faits objectifs qui semblaient fermer
définitivement la porte à la révolution lui a
permis de donner un nouveau souffle à la patrie. Tous les
exploits militaires légendaires de Maceo sont bien pâles
face à la majesté morale pure de la Protestation de
Baraguá, une image cimentée dans la fierté et
l'espoir du peuple, une fondation
nouvelle de Cuba par un acte de foi
révolutionnaire. » [4]
« Pour notre peuple, rien n'est
impossible », a dit Fidel, devant le palais
présidentiel, le 20 janvier 1961, en saluant les
miliciens à leur retour à la vie civile après une
mobilisation massive. Le même jour, à Santiago de Cuba,
lors d'un rassemblement similaire, Raúl a
déclaré : « Nous avons détruit le mythe
que sans
les Américains, nous mourrions de faim. » [5] Tandis que ces événements
sont célébrés à La Havane et à
Santiago, les derniers diplomates américains repartent chez eux
après la rupture des relations diplomatiques, leur retrait
venant confirmer qu'en effet rien n'est impossible, que les mythes
maléfiques ont été fracassés : le
fatalisme géographique, les lois de la gravitation
annexionniste, les « sorts infernaux ».
Avec Moncada, selon José Lezama Lima, ces
« sorts » qui immobilisaient les Cubains ont
commencé à se dissiper. La révolution a
conféré le potens (« ce qui est
infiniment possible ») qui est la potentialité
illimitée de l'homme, sa capacité d'une création
poétique et historique d'une ampleur encore
inexplorée :
« Maintenant que le
possible, que le potens a été acquis par le
Cubain [...]. La révolution cubaine signifie que tous les sorts
négatifs ont été détruits. L'anneau qui est
tombé dans l'étang, comme dans les mythologies anciennes,
a été retrouvé. » [6]
Un des sorts qu'il fallait détruire, le sort le
plus diabolique et paralysant de l'impossible, a été
résumé dans la phrase souvent
répétée sous la république
néocoloniale : « Les Américains ne vont pas
permettre cela ». C'est le syndrome de l'Amendement Platt,
l'épée de Damoclès de l'intervention, qui a
survécu à l'amendement
constitutionnel odieux et est devenu une partie essentielle d'une
culture dépendante et imbécile. La philosophie plattiste
de « ils-ne-vont-pas-le-permettre » avait
été sérieusement ébranlée par la
réforme agraire, la nationalisation des sociétés
yankee et les autres mesures révolutionnaires, mais elle a
été défaite définitivement lors des
journées
de Girón, qui apparaissent ici avec la puissance et la
chronologie rapide d'une série de photographies :
le 15 avril, les bombardements et le sang abondant du combattant
de la milice Eduardo García Delgado [7],
le 16,
l'événement
à
l'angle
de
la 23e
et
de
la 12e,
aux
funérailles
de
ceux
qui
sont
tombés
quelques
heures
avant
et
les
mitrailleuses
et
les
fusils
pris
pour
défendre
maintenant
le
socialisme
et, le 17 avril, Fidel sur le champ de bataille
à la Playa Girón.
Voici comment l'Empire a goûté à la
défaite dans son arrière-cour, l'Amérique latine a
été un peu plus libre et un mot maudit comme le
socialisme (quelque chose que jamais, au grand jamais, en aucune
circonstance, les « Américains » n'auraient
permis) s'est implanté profondément dans la conscience du
peuple avec la notion
d'indépendance (« acceptable » seulement, bien
sûr, dans des manifestations de façade), et personne sur
l'île n'a plus jamais regardé vers le Nord pour se
demander jusqu'où nous pouvions aller ou ce que « les
Américains » penseraient de nous.
Bien sûr, la philosophie
qu'ils-ne-vont-pas-permettre-cela... tire son origine et a
été maintenue par l'appétit impérial pour
l'île, né à l'époque de Thomas Jefferson et
demeuré inchangé jusqu'à Torricelli et Helms. La
représentation géopolitique qui imagine Cuba comme une
sorte d' « île fruitière »
déterminée par le sort ou le destin ou
quelque chose du genre pour servir de nourriture pour « le
géant des sept lieues » a été un des
piliers de l'impossible, et les Cubains ont pu observer l'ombre d'un
voisinage aussi dangereux dès leurs premières aspirations
à l'indépendance. Le 1er janvier 1959,
l'« île-fruitière » a radicalement
renoncé à sa condition ;
elle est devenue « le fruit défendu »,
empoisonné, et dès ce jour-là, avec un
gouvernement Eisenhower qui a accueilli les assassins et les
tortionnaires qui fuyaient la justice populaire, une politique
d'hostilité a été mise en place qui a eu recours
au répertoire d'attaques le plus diversifié : Giron,
La Coubre, les complots pour
assassiner Fidel et d'autres dirigeants, les infiltrations, l'appui aux
bandes armées, la guerre bactériologique, les stations de
radio et de télévision aux missions subversives, les
diffamations, les pressions diplomatiques, le blocus, les lois
infâmes comme la loi Helms-Burton. Autrement dit, « les
Américains » ont pris au sérieux qu'il y avait
des
choses qu'ils « ne pouvaient pas permettre », et ont
utilisé tout leur pouvoir pour ne pas le permettre et ont
échoué.
Le 23 octobre 1962, les grands titres de la
presse déclaraient que « la nation s'est levée
armes à la main, prête à repousser toute
attaque ». La mémoire collective des Cubains est
restée marquée par ces heures où ce peuple, selon
le témoignage de Roberto Fernández Retamar, entre les
bombes qui allaient presque
certainement pleuvoir / et les missiles qui ont finalement
été renvoyés / [...] a mis son uniforme de
milicien / pour faire ce qu'il avait à faire . [8] Quelque 300 000
réservistes et soldats ont été
mobilisés : des hommes et des femmes de tous âges se
sont enrôlés dans la milice, ont
rejoint les brigades sanitaires, fait des dons de sang dans les
hôpitaux, remplacé ceux qui avaient été
mobilisés dans les industries et les autres endroits de travail,
et sont devenus un exemple collectif de courage et de force morale, en
se tenant debout au milieu du jeu d'échecs calculé
joué par les grandes puissances qu'a été «
la guerre
froide ». Dans ses adieux à Fidel, le Che a une
pensée spéciale pour ce moment « de dangers et de
principes » :
« À tes
côtés, j'ai senti la fierté d'appartenir à
notre peuple durant les jours ensoleillés et tristes de la crise
caribéenne. Rarement un homme d'État a-t-il brillé
autant que toi durant ces jours-là ; je suis fier
également de t'avoir suivi sans vacillation, de n'avoir fait
qu'un avec ta façon de penser, de voir et d'apprécier les
dangers et les
principes. [9]
Un bataillon de miliciens marche le long du Malecón à La
Havane.
Il y a une photographie emblématique de Corrales
qui
évoque l'atmosphère au jour le jour de la crise
d'octobre : ce qu'on pourrait appeler « le danger au
quotidien » qui s'accompagne « des principes au
quotidien » . Un bataillon de miliciens le long du
Malecón, à La Havane, avec leurs vieux fusils et leurs
vestes usées alors que
« le Nord » les punit et qu'ils sont frappés
par les rafales de pluie et les vagues de la mer
déchaînée. En regardant l'image, vous pouvez
presque toucher la bise glaciale qui fait s'agiter le drapeau et
transperce leurs corps humides comme un couteau. Partout sur
l'île, planent sur ces hommes et leurs familles les plus
terribles menaces
impériales, celles d'un blocus naval, des attaques
aériennes massives et même d'un recours aux armes
nucléaires. Ces fusils et la marche sombre du bataillon vers qui
sait quel endroit sur la côte peuvent sembler «
donquichottesques » sinon inutiles devant
l'énormité de l'ennemi. De la photo elle-même, si
on l'examine attentivement, émerge
lentement, contre toute attente, le Non de Baraguá. Cela
commence à évoquer Don Quichotte écrasant le
bachelier Samson Carrasco, et nous assistons à une autre «
fondation de Cuba par un acte de foi
révolutionnaire » et réalisons qu'un bataillon
comme celui-là, même s'il devait être
décimé et rayé de la carte, donnerait « un
nouveau
souffle à la patrie ».
Ce serait facile de décrire les objectifs de
Martí comme étant « donquichottesques »
lorsqu'il a préparé sans relâche le
soulèvement de 1895. Non seulement proposait-il d'arracher
Cuba aux griffes de l'Espagne coloniale, prêt à mettre
à contribution « jusqu'au dernier homme et la
dernière peseta » de l'île et à
édifier une république indépendante « avec
tous et pour le bien de tous », mais il voulait aussi
arrêter la progression de l'Empire du nord, jeter les bases d'une
Amérique latine libre et unie et contribuer à
l'équilibre mondial « encore chancelant ». Le
« donquichottisme » de Marti a été
repris par la Révolution de 1959 et
plusieurs de ses objectifs doivent leur réalisation et leur
expression à la marque laissée sur l'île, sur le
monde et son équilibre par les Cubains qui peuplent nos
cents images.
Des volontaires cubains luttent aux côtés des Angolais
dans leur guerre de libération contre l'Afrique du Sud.
Fidel en territoire libéré au Vietnam en 1973
|
Le caractère internationaliste et la vocation de
« la guerre nécessaire » et de la
République qu'elle laissait entrevoir semblent encore
aujourd'hui, par des voies mystérieuses, former le sang et la
substance de cette « sensibilité nouvelle » que
Nicolás a découverte pour nous en 1960. Lorsque les
sentiments patriotiques et la
défense des valeurs nationales sont renforcés, il n'y a
pas de place pour le chauvinisme ou pour une vision étroite de
nos efforts dans « cette conception hors du commun du devoir
civique ». Au contraire, l'identification avec « les
pauvres de la terre » se renforce de jour en jour, pas
seulement parmi l'avant-garde mais au sein des
masses. Ce peuple reconnaît sa cause dans la cause de beaucoup
d'autres peuples et la solidarité prend forme dans cette
façon nouvelle de « pratiquer la
cubanité ».
Plusieurs images de l'internationalisme d'un Cuba
révolutionnaire nous interpellent : le Che, nos combattants
en Angola, nos médecins et enseignants, les enfants de
Tchernobyl, Fidel dans le territoire libéré du Vietnam du
Sud, avec Salvador Allende ou Mandela. Des photographies plus
récentes
(Fidel à Cartagena de Indias, à La Paz, à
Montevideo, alors qu'il est reçu par des milliers d'hommes et de
femmes qui saluent en lui la plus haute expression de la dignité
latino-américaine) nous présentent l'autre
côté de l'internationalisme pratiqué par les
Cubains : la solidarité que la Révolution a
reçue tout au long de son existence et qui est devenue beaucoup
plus large et plus
efficace depuis l'effondrement du « socialisme
véritable » européen. En 1995, la
manifestation populaire à Montevideo répond de
manière symbolique, après plus de trente ans, à la
réunion de janvier 1962 à Punta del Este, en
Uruguay, des ministres des Affaires étrangères qui avait
expulsé Cuba de l'OÉA.
Il y a des photographies qui touchent à
différents aspects de l'œuvre de la Révolution : la
santé, l'éducation, la culture, les sports. D'autres nous
rappellent des moments d'une importance particulière :
le 1er mai 1980, par exemple, avec la marche le long du
Malecón de plus d'un million de Cubains devant l'ancienne
ambassade des États-Unis, connue sous le nom de Seconde marche
du peuple combattant.
Seconde marche du peuple combattant, le 1er mai 1980
Deux photographies (l'inauguration d'une garderie et la
relance des micro-brigades) évoquent le processus
de rectification qui a été initié en 1986. Le
pays intensifiait les préparatifs pour se défendre, seul,
face aux menaces de Reagan qui, trois ans plus tôt, avait envahi
la Grenade et déclaré sa détermination à
contenir «
l'expansion communiste en Amérique centrale » par le
fer et le feu alors qu'il affûtait sa rhétorique
belliciste contre Cuba et le Nicaragua. Dans cette conjoncture, Fidel
dénonce un ennemi intérieur qui essentiellement est aussi
dangereux que l'ennemi extérieur. La société
cubaine
réalise qu'en son sein, dans sa structure officielle et son
tissu
social, existent des « mécanismes
diaboliques », des « erreurs et des tendances
négatives » qui, en fait, peuvent endommager
irrémédiablement les fondements mêmes de la
Révolution : « il ne s'agit pas ici d'une
campagne ; c'est une grande bataille, un grand processus, une
grande lutte ininterrompue », une «
contre-offensive stratégique » qui fait appel
à la « richesse morale » et à «
l'esprit critique » du peuple pour faire face aux
distorsions, à la corruption, à l'irrationalisme qui
existent dans « la logique » des technocrates, «
la tendance créole vers le chaos, l'anarchie et le manque de
respect de la loi », la démoralisation,
le « copismo » [ attitude visant à copier
les modèles des autres - note de la rédaction],
l'attitude d'éviter la controverse et ce « genre de
mysticisme, de rêve [...] à l'effet que les
mécanismes allaient résoudre tous les
problèmes ».
À gauche : Fidel ouvre une garderie ; à droite, les
micro-brigades sont relancées.
Avec ce processus, avec la volonté de rectifier
et l'autocritique sans détour et courageuse qui l'accompagne,
la Révolution cubaine démontre une nouvelle fois ses
réserves morales, son esprit antibureaucratique, sa
capacité d'autorenouvellement intelligent et de combattre et
surmonter les formes de l'impossible qui pourrait surgir (et ressurgir)
en son sein. En fait, lorsque nous exorcisons à partir de
positions révolutionnaires les démons «
créoles » et ceux qui se sont
développés dans d'autres expériences socialistes,
nous n'œuvrons pas seulement pour Cuba « mais pour la cause du
socialisme en général ».
« C'est un long combat
qui je crois ne concerne pas uniquement notre Révolution. Il a
été prouvé que ce problème a surgi à
d'autres endroits. C'est prouvé. Ici des privilèges,
ailleurs quelque chose d'autre, ici et là la
démoralisation, et on en arrive à un point où les
masses, confuses, démoralisées, deviennent les victimes
de quiconque leur
raconte des contes de fées, démagogue,
pseudo-révolutionnaire ou pseudo-démocrate.[10]
Deux de ces centaines d'images ont été
prises lors d'une cérémonie à Camagüey :
la célébration en 1989 du 26 juillet. Il y
avait une bruine qui ne s'arrêtait pas (on voit des gouttes sur
l'uniforme de Fidel et quelques parapluies dépassent de la foule
silencieuse, debout en rangs, écoutant attentivement le
discours), et en
arrière-plan, une fois encore, sur un panneau, un portrait de
Marti, et une citation sur «notre moralité et
notre honneur ». Ce n'est pas simplement une
cérémonie de plus : elle a été tenue
à un moment décisif dans l'histoire du siècle.
Bush venait d'effectuer une tournée triomphale en visitant la
Pologne et la Hongrie où les forces de la
restauration capitaliste jouissaient déjà d'un poids
décisif ; en URSS les soi-disant réformateurs
consolidaient leurs positions tandis que les contradictions nationales
et interethniques s'aiguisaient en même temps que d'autres
tensions internes ; l'Empire et la réaction organisaient
les funérailles du socialisme, au milieu d'une chorale
assourdissante à laquelle s'étaient joints les
opportunistes et les repentis.
En ce jour de pluie, devant une foule silencieuse qui
devenait de plus en plus consciente des défis sans
précédent qui attendent Cuba, Fidel a
évoqué les « missiles moraux » qui ont
été installés parmi nous durant la Crise d'octobre
et qui n'ont pas quitté l'île :
« Nous devons mettre
en garde l'impérialisme de ne pas avoir tant d'illusions
à propos de notre Révolution et contre l'idée que
notre Révolution ne serait pas en mesure de résister si
une débâcle se produisait dans la communauté
socialiste ... »
Célébration du 26 juillet 1989, la Journée de la
rébellion, à Camagüey
Même s'il arrivait que l'URSS se
désintègre, « si demain ou un autre jour nous nous
réveillons [...] avec la nouvelle que l'URSS s'est
désintégrée [...], même dans ces
circonstances, Cuba et la Révolution cubaine continueront de
combattre et continueront de résister ! » De
plus, « lorsqu'il est question de la défense, nous avons
appris depuis longtemps à compter uniquement sur nos propres
forces [...] Même les pires situations ne nous effraient pas, ni
la pire prémisse ou la pire hypothèse ! »
[11]
Fidel avec de jeunes étudiants qui étudient Lénine
À partir de 1989, la Révolution
cubaine se heurte à nouveau à l'impossible. Trois ou
quatre mois après la cérémonie immortalisée
par la photo, voilà qu'on célèbre la chute du mur
de Berlin. Certains se mettent à théoriser sur un «
effet domino » par lequel tous les pays socialistes se
mettraient à tomber un après l'autre. Les
évènements en Europe de l'Est semblent confirmer ces
prophéties : l'avènement annoncé avec fanfare
d'un monde unipolaire et d'un quatrième Reich beaucoup plus
puissant et totalitaire que celui dont rêvait Hitler ; le
capitalisme et le marché sont portés aux nues d'un bout
à l'autre de la planète comme étant le
système conçu par la
providence pour sauver l'humanité ; toute objection au
capitalisme, aussi timide soit-elle, est immédiatement
disqualifiée comme étant un moment de folie
déplorable, une spéculation absurde, malsaine et contre
nature, une illusion donquichottesque fiévreuse. À
certains
endroits, les statues de Marx et Lénine sont remplacées
par celles de Scrooge
McDuck, l'oncle millionnaire de Donald Duck. Des partis communistes
changent de nom, disparaissent ou se fractionnent tandis que d'autres
éléments de la gauche ne savent plus à quel saint
se vouer et sombrent dans la confusion la plus totale, alors que
d'autres s'écroulent, comme le mur lui-même, et tentent
d'enterrer leur passé rouge »
par l'autoflagellation et l'autocritique et se bousculent pour saluer
les vainqueurs et leur veau d'or.
En décembre 1989, les Yankees envahissent
le Panama, bombardent le pays et enterrent les gens tués avec
des bulldozers. En février 1990, le Front sandiniste perd
ses élections sous la pression des États-Unis et de
« contras » armés jusqu'aux dents, instrument
ignominieux du chantage impérial. En janvier 1991 a lieu
la première mondiale télévisée
(diffusée sur une plus vaste échelle que la Soirée
des Oscars) du spectacle de guerre, la Guerre du Golfe, où la
Rome étasunienne affiche son impunité et les technologies
modernes de sa puissance destructrice. En février,
suite à un débat sur une loi d'exportation, le
Sénat des États-Unis approuve l'amendement
Mack, prélude à la « loi Torricelli ».
Aussi, en septembre de la même année, on annonce
l'effondrement officiel de l'Union soviétique. À Cuba, le
peuple et ses dirigeants ainsi que le Parti qui défend sans
broncher son nom et ses idéaux réitèrent le
Non ! de Maceo et commencent leur longue et pénible lutte
d'endurance.
À la défense de Cuba révolutionnaire, en 1990
Il y a des photographies, bien qu'en nombre
insuffisant, qui traitent des exploits tranquilles des Cubains dans la
vie quotidienne extrêmement difficile de la Période
spéciale. Un jour, il faudra un ouvrage rempli de photographies
consacrées uniquement à ces années au cours
desquelles le peuple a lutté avec toute son énergie, son
imagination, sa force et sa créativité pour exprimer le
Non ! qui était requis par un impossible aussi colossal. Bien
sûr, on trouvera dans ce recueil de photographies, pour la
même raison qu’elle figure dans cet ouvrage, Fidel avec son
peuple le 5 août 1994, aux premières lignes, au moment
où
des éléments lumpen (non patriotiques par
définition) font cadeau à l'empire d'un soi-disant
« conflit
interne ». Cet ouvrage devra aussi comprendre une prise de
la foule rassemblée un an plus tard, en 1995, devant le
Castillo de La Punta : à ce moment-là, des centaines
de milliers de résident de La Havane remplissent l'esplanade du
Malecon, Prado, San
Lazaro, pour déclarer que le 5 août est et sera
toujours le jour de la Révolution,
une de ces dates non réclamées que nous avons
décidé de nous approprier et de faire briller. [12]
Fidel aux premières lignes avec le peuple cubain, le 5
août 1994
Un jour, cette affiche, sans vie et vide comme les
cérémonies organisées par Batista pour le
Centenaire de Marti, s'est aussi animée de signification et
s'est mise à briller. Un simple portrait accroché dans le
bureau du chef de la prison comme un geste stérile, formel et
offensant, prend une signification inattendue dans la première
photographie du
livre. Une autre photographie, prise le 11 avril 1995, cent
ans
après l'arrivée de Marti, représente l'hommage
personnel de Fidel dans l'environnement escarpé et rocheux de La
Playita de Cajobabo. La pensée de Marti et l'homme
lui-même sont présents dans la première
déclaration de la Havane en septembre 1960, et dans la
deuxième
de février 1962, ainsi qu'à la Moncada et dans
« L'Histoire m'acquittera », et dans chaque digne
Cubain du 26 juillet 1989, et dans les « masses
mestizos, industrieuses et inspirantes du pays », cette
« masse intelligente et créatrice de blancs et de
noirs » [13] qui
continuent de surmonter les épreuves et les obstacles des
dernières années.
La relation de Fidel avec l'Histoire (qu'on voit si
bien dans les photos de Playitas et d'autres de l'ouvrage) n'est pas
celle, froide et cérébrale, d'un académicien, bien
qu'elle soit fondée sur une mine d'informations qui vont souvent
dans les moindres détails. Elle n'est pas non plus celle du
politicien traditionnel qui se réfère au passé
pour
appuyer son programme actuel sur d'illustres antécédents,
ni un simple exercice rhétorique. Fidel traite de l'histoire
pour la comprendre intellectuellement, en analyser les tours et les
détours, ses évènements et ses
personnalités, et en extraire les leçons essentielles.
Mais il vit cette histoire avec « l'âme d'un
guérilléro » et y cherche de la
matière pour planifier ce Cuba qui est «
possible », ce Cuba qui recevra la reconnaissance unanime
uniquement de la « postérité ». De la
prison Isla de Pinos, dans une lettre du 3 mars 1954, il
parle de l'influence qu'a exercée le livre « Chroniques de
la guerre » de Miro Argenter sur ceux qui ont pris d'assaut
la
Moncada. « C'était pour nous une véritable
bible », dit-il.
« À maintes reprises, dira Fidel, il nous a
accompagnés dans nos réflexions sur la marche immortelle
de l'Armée d'invasion, faisant revivre chaque bataille avec
émotion et essayant d'en extraire autant de détails
tactiques et stratégiques que possible. Et même lorsque
les temps ont
changé, et avec eux l'art du combat, tous ces gestes partent
d'un sentiment immuable, le seul qui rende possible l'impossible et
force la postérité à croire de façon
unanime ce que plusieurs contemporains considéraient impossible
à croire. Les pages de « Chroniques de la
guerre » regorgent de ce sentiment, et si quelqu'un peut
lire ces pages
sans sentir son sang bouillir, sans partager cette foi, sans que son
âme ne brûle d'un désir d'émulation et que
son visage ne devienne rouge de colère devant l'affront, alors
cette personne n'est pas née avec l'âme d'un
guerillero. » [14]
Fidel Castro à la plage de Playitas en 1995
Des années plus tard, alors que « ce que
plusieurs contemporains considéraient impossible à
croire » s'est déjà produit, que la
Révolution a triomphé et a été
consolidée, Fidel reprend une des idées centrales de
cette lettre. Cintio Vitier nous le rappelle lorsqu'il évoque
« cette confiance nourrie d'analyse, contagieuse, qui irradie et
attire
par le magnétisme moral de son
héroïsme », qui donne naissance au miracle
renouvelé de l'unité et fait en sorte que « tout ce
qui semblait impossible, comme Fidel l'a dit lui-même le 26
juillet 1971, devient possible ». [15]
Foi et analyse, histoire et avenir : l'insistance
de Fidel à ne pas perdre le fil, la continuité, le
dialogue avec les fondateurs de la nation, oui, un regard vers le
passé, certes, mais une orientation de tous les instants vers
l'avenir. Le Cuba imaginé, qui est anticipé ou
esquissé, entre les revers et les succès, qui est
perçu avec plus ou moins de
clarté mais n'en est pas moins toujours là, dans le flux
et le reflux, comme dans la potens de Lezama. Les
poètes en général captent / le passé /
vague et nostalgique / ou le présent immédiat avec ses
feux et ses réverbérations subtils , nous rappelle le
poète Miguel Barnet dans son poème «
Fidel ». Combien c'est
difficile cependant de capter l'avenir / et de lui trouver une place
à jamais / dans la vie des poètes / de tous les humains.
[16]
L'histoire et son influence sur ce qui est
créé, les réverbérations du présent,
le façonnement laborieux de l'avenir : autant de
références qui dans une révolution sont
juxtaposées et, contre toute attente, s'entremêlent, se
nourrissent l'une l'autre et engendrent la légende qui
crée un autre espace et une autre temporalité. Voici des
photographies qui
nous font découvrir la transfiguration de la
réalité en mythologie. Ces photographies sont
miraculeuses parce qu'elles captent un moment clé de ce parcours
indéfinissable : l'environnement et les personnages y
prennent un relief qui n'est plus conforme à
l'objectivité historique mais à un moment autre,
où les contours sont troubles et la scène se
déroule au-delà des dates et des calendriers et commence
à entrer dans un temps mythique. Nous voyons le visage du Che,
avec son béret et ses cheveux longs, qui regarde dans le vide,
ou peut-être vers l'avenir, un cliché de Korda
capté pendant un évènement en 1960, qui
occupe une place d'honneur parmi les images essentielles
du 20e siècle, se joignant à celles sur lesquelles
devront se pencher les érudits du nouveau millénaire pour
comprendre même un peu ce siècle ébranlé.
C'est une des contributions qu'ont faites les photographes cubains
à l'héritage symbolique universel, à la
mémoire de tous ceux et celles qui, d'une façon ou d'une
autre, se sont agrippés à
l'idée de l'émancipation.
La silhouette de Celia Sanchez, accentuée par un
rayon de lumière, et coupée de façon à ce
qu'elle
apparaisse en surimpression d'une autre photo en arrière-plan,
une photo du Che, une image portant le sceau de la mort, appartient
à cette catégorie où fusionnent saga et histoire.
L'héroïne qui vit et travaille parmi nous, la
légende vivante, est
surimposée à celle du héros légendaire
assassiné en Bolivie quelques mois avant qu'Osvaldo Salas ne
crée ce double hommage avec ses lentilles. Cela faisait
longtemps que Celia Sanchez était devenue «
Celia » pour le peuple ; « Celia »,
simplement. Elle était déjà mythe et
réalité, mythe et création palpable, et le peuple
la
voyait comme l'ange gardien de Cuba, de Fidel, de la Révolution.
Athées et croyants priaient pour elle, chacun à sa
façon, et la sentaient très proche de leurs
problèmes, grands et petits, comme une grande sœur, ou une amie
irremplaçable qui soigne et nourrit les malades et les enfants.
Ce cliché de Celia par Salas dit tout cela et plus encore, sans
que les mots soient nécessaires et mieux que les mots pourraient
le faire.
Camilo Cienfuegos, simplement «
Camilo », comme « Celia » était un autre
des mythes qui se sont immédiatement enracinés dans la
conscience populaire. Le 28 octobre 1959, seulement dix mois
après le triomphe révolutionnaire, il a soudainement
disparu en mer, et nous a laissé un vide, une cicatrice. Il est
là, dans
certaines des photographies les plus légendaires : en
mai 1957 dans la Sierra avec Fidel, Raúl, Celia,
Almeida ; puis le 8 janvier 1959, la seule année
où il a été connu et aimé par tous les
Cubains, lors de l'arrivée de Fidel à La Havane ; le
même 8 janvier, quelques heures plus tard, présidant
la
cérémonie à Columbia [ l'ancien camp Columbia,
un complexe militaire établi d'abord en tant que base
américaine en 1899 - note de la rédaction ]
durant laquelle plusieurs pigeons ont survolé le podium et dont
un
s'est perché sur l'épaule de Fidel, qui en tant
qu'athée a vu cela comme un symbole et les croyants comme un
signe de Dieu
ou des dieux ; et le 10 mars, détruisant les murs
militaires de Colombia, et en septembre, avec Raúl et Hart lors
de la remise de l'installation militaire convertie en école au
ministère de l'Éducation ; à la tête de
la cavalerie le 26 juillet, faisant un commentaire drôle,
entre les cavaliers et les drapeaux, à l'homme barbu
chevauchant à sa droite. Avec ce commentaire et les sourires de
Camilo et de « l'homme barbu » , nous détectons dans
l'œuvre épique la présence de la plaisanterie, de
l'humour, le sourire cubain, le sourire du milicien lors de son
mariage, du coupeur de cannes noires (plus noires encore parce
qu'il coupait la canne brûlée), qui devient tout à
coup
ce rire chaleureux, sans retenue et purificateur qui nous a si bien
servi contre l'impossible.
Camilo, Celia, Che, Roa, Haydée, Fidel,
Raúl et les personnages innombrables, inconnus et vibrants
qui habitent ce livre : l'histoire, le mythe, les jours
chargés et intenses, joyeux et tristes, les sorts
décapités, les dangers, les principes et le rire cubain,
le dialogue dans la Plaza des deux diapasons, un donquichottisme tenace
qui continue et
ne faiblit pas et donne un nouveau souffle à la patrie et aux
« autres terres ». Le sentiment immuable qui rend
possible l'impossible, la foi
nourrie par une analyse qui ne prend pas
de repos, et se propage, rayonne, attire par le magnétisme moral
de l'héroïsme, et sauve la situation qui semblait
perdue.
L'avenir attrapé et
installé à jamais dans
la vie de tous les humains, et les nombreuses dates vides que nous
allons faire briller. Dans une centaine d'images, nous voyageons
à travers une révolution qui a démenti
tous les manuels, les schémas dessinés d'avance et les
dogmes, qui a fait mentir les plattistes, les théoriciens des
« conditions objectives et subjectives », les
prophètes de malheur, les neveux de Scrooge McDuck, ceux qui ont
accusé Marti d'être « fou » et «
utopique », ceux chez qui « l'habitude de la
servilité » est tellement enracinée que cela
les conduit à « présumer que l'impuissance qu'ils
reconnaissent en eux-mêmes existe chez nous ». [17]
Pedro Álvarez Tabio doit être
félicité pour son travail de recherche et de
sélection, pour nous offrir un panorama visuel aussi percutant
de notre grande histoire et en même temps (peut-on faire
autrement ?) de notre histoire personnelle, qui ont
été et sont une et même chose. Dans ce livre, les
Cubains de tous les âges retrouveront ce qui
est le plus pur et le plus digne de nous-mêmes. Pour beaucoup,
des souvenirs de moments forts du passé seront
enclenchés, et les plus jeunes pourront partager les souvenirs
des autres et se les approprier. Ils sentiront « leur sang
bouillir, pleins de foi en l'humanité » s'ils
examinent ces images « avec l'âme d'un
guerillero », et
regardent ces cent images comme les combattants du 26 juillet
lisent les Chroniques de Miró Argenter. Merci aussi bien
sûr aux artistes comme Korda, Corrales et Salas, qui ont
admirablement combiné leurs talents et leur vocation pour les
témoignages pour produire les meilleures œuvres
rassemblées ici, et à tous les photographes cubains
qui ont préservé ces fragments vigoureux de la vie,
réalité et légende. Grâce à eux, nous
pouvons regarder ce recueil de photographies à partir du
présent et admirer sans se lasser la dimension épique de
la lutte cubaine contre l'impossible, la stature de nos héros,
et de tant d'hommes et de femmes, de trois ou quatre
générations, qui ensemble ont porté
plus haut la résistance de l'île, son
intégrité morale, sa ténacité et sa
capacité à répéter le Non de Maceo, de
Marti, de Fidel.
La Havane,
juillet 1996
Notes
1. Nicolas Guillen : «
Tiempos de victoria y lucha », Lunes de
Revolución, 4 janvier 1960. Prosa de prisa, Editorial Arte y
Literatura, Havana, 1975, t. II, p. 265.
2. Ernesto Che Guevara : « El socialismo y
el hombre en Cuba » (lettre de 1965 à Carlos
Quijano, éditeur de Marcha, Montevideo). Revolución, letras, arte, Editorial
Letras Cubanas, Havana,, 1980, p. 36.
3. Ernesto Che Guevara : « Carta a sus
padres ». Obras 1957-1967,
Casa
de
las
Américas,
Havana,, 1970,
t.
II,
p. 693.
4. Cintio Vitier : Ese sol del mundo moral, Siglo XXI
Editores, México, 1975, p. 67.
5. Cronología : 25
años de Revolución (1959-1983), Editora
Política, Havana,, 1987, p. 24.
6. Jose Lezama Lima : «
A partir de la poesía » (1960). La cantidad hechizada, Ediciones
Unión, Havana, 1970, pp. 50-51. Dans «
El 26 de Julio : imagen y posibilidad » (La Gaceta de Cuba,
novembre-décembre 1968), il déclare que l'assaut de
la Moncada « n'était pas un échec,
c'était un test décisif de la possibilité et de
l'image de notre contrepoint historique, proche de la mort, le plus
grand test, tel qu'il doit être ». Les Cubains, a-t-il
dit, « avaient perdu le sens profond de leurs symboles [...].
Mais le 26 juillet a brisé les sorts infernaux
apporté la joie, puis déclenché le temps de
l'image comme un polyèdre
dans la lumière, ». Imagen y posibilidad, Editorial Letras Cubanas,
Havana, 1981, pp. 20-21.
7. Nicolas Guillen : «
La sangre numerosa ». Dans : Poesía completa, Editorial
Letras Cubanas, Havana, 1973, t. II, p. 143 : Cuando con
sangre escribe / FIDEL este soldado que por la Patria muere...
8. Roberto Fernandez Retamar : "Sonata para
pasar esos días y piano" (Poesia reunida, 1966).
Dans : Palabra de mi pueblo,
Editorial Letras Cubanas, Havana, 1989, p. 87.
9. Ernesto Che Guevara : "Carta a Fidel."
Dans : Obras..., ed.
cit., pp. 697-698.
10. Déclaration de Fidel à la 10e
session régulière de l'Assemblée nationale du
Pouvoir populaire, le 3 juillet 1986. Version publiée
dans Granma , le 4 juillet et reproduite dans Cuba
Socialista de septembre-octobre 1986, page 124. Les
citations sont
prises du numéro de Cuba Socialista, dans lequel sont
rassemblées les interventions importantes de Fidel «
relatives au processus de rectification des erreurs et des tendances
négatives faites aux réunions et aux
événements tenus entre le 19 avril et le 26
juillet ».
11. Fidel Castro : Socialismo, ciencia del ejemplo
(booklet), Editora Política, Havana, 1989, p. 30.
12. Roberto Fernandez Retamar : "Que veremos arder"
(1970). Dans : Palabra de mi
pueblo, ed. cit., p. 122. Les héros de Moncada et de
Sierra n'avaient pas de nom / Personne ne savait leur nom. Les dates /
étaient vides comme l'est une maison vide.../Maintenant, ceux
qui n'ont pas
de nom / ou dont les noms sont inconnus / préparent les flammes
dans l'ombre / des dates vides qui vont bientôt s'enflammer.
13. José Martí : "Carta a Manuel
Mercado," 18 mai 1895. Dans : Obras completas, Editorial
Nacional de Cuba, Havana, 1963, t. XX, p. 162.
14. Lettre citée par Mario Menda : La prisión fecunda, Editora
Política, Havana, 1980, p. 34.
15. Cintio Vitier : Ese sol..., ed. cit.,
pp. 180-181.
16. Miguel Barnet : "Fidel" (Carta de
noche 1983). Dans : Con
pies de gato, Ediciones Unión, La Havane, 1993,
p. 159.
17. José Martí : "El remedio
anexionista," Patria, New York, 2 juillet 1892. Dans : Obras completas, ed. cit.,
t. 11, p. 49.
Lisez Le
Marxiste-Léniniste
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