Numéro 21

23 mars 2024

Le legs de Brian Mulroney

Prendre des vessies pour des lanternes

Brian Mulroney, le 18e premier ministre du Canada, est décédé le 29 février à l'âge de 84 ans. Sa famille a annoncé qu'il est décédé paisiblement dans un hôpital de Palm Beach, en Floride, où il était hospitalisé depuis une récente chute.

La Chambre des communes a ajourné en apprenant la nouvelle et ne s'est pas réunie le 1er mars, « les Canadiens pleurant l'ancien premier ministre Brian Mulroney ». Le premier ministre Justin Trudeau a dit le 1er mars que des funérailles d'État serait « un hommage approprié » pour un « géant de la politique canadienne ». « Brian Mulroney n'a jamais cessé de travailler pour le Canada. C'était un défenseur des valeurs qui nous unissent en tant que Canadiens, et nous nous souviendrons toujours de lui comme d'une force pour le bien commun. Ses funérailles nous offriront l'occasion de rendre hommage à son incroyable héritage, qui continuera à façonner notre pays pour de nombreuses générations », a-t-il dit.

On parle beaucoup du « p'tit gars de Baie-Comeau ». La cérémonie des funérailles d'État a eu lieu le 23 mars, à Montréal, et a été précédée « d'une exposition en chapelle ardente » à Ottawa et à Montréal.

Brian Mulroney

Brian Mulroney était un avocat, un homme d'affaire et un homme politique qui a été premier ministre du Canada de 1984 à 1993. En tant qu'avocat, il se spécialisait dans les négociations industrielles pour des intérêts tels que la compagnie Iron Ore of Canada et Power Corporation of Canada. Il est tôt devenu le vice-président exécutif de la Iron Ore, une filiale conjointe de trois grandes aciéries américaines.

Après avoir terminé au troisième rang à la chefferie du Parti progressiste-conservateur en 1976, il est devenu président d'Iron Ore en 1977. Il a été en poste jusqu'en 1983, lorsqu'il est devenu chef du Parti progressiste-conservateur. En 1984, il a mené les conservateurs à la victoire dans la 33e élection générale, après avoir mené une campagne auprès des travailleurs pour leur dire que « peu importe qui entre au Parlement, il faut sortir Trudeau de là ! ». Il a gagné l'élection avec cet opportunisme qu'on a qualifié de « coup de génie ».

Comme chef du Parti progressiste-conservateur, Mulroney a d'abord fait campagne en jurant que les programmes sociaux étaient « sacrés », puis, après avoir été élu avec une forte majorité, il a coupé dans les programmes destinés aux retraités, qu'il avait promis de protéger. Tout au long de son règne, il s'est ainsi imposé comme un homme politique prêt à dire n'importe quel mensonge, aussi éhonté soit-il, pour conserver le pouvoir et en faire profiter les riches oligarques qu'il représentait.

Lorsqu'il a été contraint de démissionner en 1993, la récession économique durait depuis trois ans. Le taux chômage s'était maintenu au-dessus de 10 % pendant toute cette période et son gouvernement s'était distingué en perfectionnant les moyens d'extraire davantage de revenu disponible des Canadiens. Grâce à un vaste plan de réduction des dépenses, il a mis de plus en plus d'argent à la disposition des plus puissants économiquement. La stratégie de son gouvernement consistait à utiliser divers prétextes pour retirer de l'économie plus d'argent qu'on n'y met. En décembre 1990, la taxe sur les produits et services (TPS) a été adoptée par le Sénat et est entrée en vigueur le 1er janvier 1991. Il a également privatisé 23 des 61 sociétés d'État, dont Air Canada et Petro-Canada.

Manifestation contre la participation du Canada aux préparatifs de la guerre impérialiste
américains lors de la visite du président Ronald Reagan à Ottawa les 5 et 6 avril 1987, alors que Mulroney était premier ministre

Manifestation à Montréal contre la première guerre impérialiste des États-Unis contre l'Irak,
novembre 1990

Parallèlement, le gouvernement Mulroney a participé à une vaste campagne idéologique dont la cible principale était la classe ouvrière. La classe ouvrière et le peuple se faisaient dire sans cesse qu'il n'y a pas d'alternative au chômage, aux hausses d'impôts et aux coupes dans les dépenses sociales. Cela a fermement établi la politique d'expropriation maximale de la richesse de l'économie, sans se soucier des conséquences pour les Canadiennes et les Canadiens, tout en réduisant au minimum ce qui est remis dans l'économie.

Dans cette politique idéologique et pratique, centrée sur l'attitude la plus inhumaine, le premier ministre insistait pour dire que ces mesues étaient nécessaires, bien qu'impopulaires. À cet égard, il a repris le mantra des chefs néoconservateurs de l'époque, Margaret Thatcher en Grande-Bretagne et Ronald Reagan aux États-Unis, qui ont tous deux inauguré une période de libre-échange néolibéral et d'offensive antisociale brutale. La déclaration de Margaret Thatcher à l'effet qu'il n'y a rien de telle que la société, il n'y a que des familles et des valeurs familiales, a mis le dernier clou au cercueil de l'État-providence et introduit une nouvelle normalité dans laquelle chacun doit se débrouiller seul.

Ce décret a créé une atmosphère de propagande des plus impitoyables. Un des objectifs était de faire tout ce qu'il fallait pour permettre à un gouvernement élu de faire ce qu'il voulait sans se soucier du sort des citoyens, de l'économie ou de la société. Le gouvernement a décidé de ne rien expliquer et de tout affirmer, en utilisant les méthodes d'un État corporatif tripartite dans lequel les grandes entreprises, le gouvernement et les syndicats prennent toutes les décisions imposées au peuple.

Si les gouvernements du Canada ont toujours servi les intérêts des détenteurs de capitaux, Brian Mulroney a engagé le Canada dans la voie néolibérale antisociale et antinationale tracée par les États-Unis. Tous les premiers ministres qui ont suivi, libéraux et conservateurs, ainsi que les néo-démocrates au niveau provincial, ont utilisé les fonds publics pour payer les riches en vidant de leur substance et en privatisant les programmes sociaux et en intégrant systématiquement les ressources naturelles, matérielles et humaines du Canada à l'économie de guerre des États-Unis. Peu à peu, les grandes centrales syndicales ont été écartées, elles qui avaient pourtant rendu un fier service à l'État dans la période précédente. Les négociations pour déterminer les salaires et les conditions de travail ont été supprimées, remplacées par des diktats de la part des entreprises et du gouvernement et par des mesures criminalisant les travailleurs et leurs collectifs qui défendaient la dignité du travail.

Ce qui est arrivé à l'économie capitaliste durant la période Mulroney a révélé que cette voie antisociale ne pouvait être poursuivie sans provoquer des perturbations massives. Et c'est ce qui s'est produit depuis lors en termes d'emploi, de réduction des dépenses sociales, de privatisation et de destruction du tissu social en sapant les attentes des citoyens dans tous les aspects de leur vie.

Alors que la crise mondiale s'aggravait et que les gouvernements d'Europe de l'Est étaient renversés les uns après les autres, le mécontentement et la désaffection des citoyens canadiens à l'égard des élus, des partis politiques et du parlement lui-même ont également pris de l'ampleur. Sans analyser les événements qui se produisaient et sans comprendre leur signification, le gouvernement Mulroney a profité de l'occasion pour se présenter lui et le système capitaliste sous un jour favorable, en tant que représentant de la liberté et de la démocratie dans le monde.

Cette attitude intéressée est passée à la duperie à mesure que l'évolution objective et la conscience du peuple se retournaient contre le système politique et les politiciens.

En 1993, lorsqu'il est devenu évident qu'il ne pouvait plus tromper l'électorat et gagner sa confiance, Brian Mulroney était tellement discrédité qu'il a été incité, à la fois par les conditions et par la classe dirigeante, à démissionner de son poste de premier ministre. En juin 1993, il a cédé le pouvoir à sa ministre Kim Campbell, qui a ensuite été confirmée dans ses fonctions de cheffe du Parti progressiste-conservateur.

Lors des élections qui ont suivi en octobre de la même année, les progressistes-conservateurs ont été réduits à deux sièges, alors qu'ils disposaient d'une majorité gouvernementale de 156 sièges. L'élection a produit un gouvernement libéral majoritaire sous la direction de Jean Chrétien et fait du Bloc Québécois – avec des sièges uniquement au Québec – l'opposition officielle de Sa Majesté, tandis que le Parti réformiste, un parti de région, remportait 52 sièges. C'était le début d'un déséquilibre parlementaire qui mettait fin au bipartisme par lequel les libéraux et les conservateurs alternaient au pouvoir. Depuis, les partis ayant des sièges à la Chambre des communes ont formé un cartel. Ce cartel a adopté des amendements à la loi régissant les élections et leur financement afin de favoriser ses propres chances d'accéder au pouvoir tout en marginalisant l'électorat et les partis ne disposant pas de sièges à la Chambre.

Depuis le mandat Mulroney, la prétention démocratique des institutions a été discréditée, à tel point qu'elles ne peuvent plus être réparées et doivent être remplacées par un système démocratique moderne. Tous les efforts de l'élite dirigeante pour restaurer cette crédibilité ont été vains et elle s'est elle-même discréditée avec ces promesses sans lendemain. Tel est le legs de Brian Mulroney. S'il est encensé à sa mort, comme il l'a d'ailleurs été lorsqu'il a été contraint de démissionner en 1993, il demeure que les mesures qu'il a prises pendant qu'il était premier ministre ont rallié la quasi-totalité de l'opinion publique contre lui.

L'offensive antisociale brutale est l'héritage de Mulroney

L'offensive antisociale au Canada trouve son origine dans l'effondrement des mégaprojets dans le secteur des ressources naturelles dans les années 1970, entreprises dans lesquelles le gouvernement du chef libéral Pierre Elliott Trudeau avait mis beaucoup d'espoir dans son engagement envers le développement du Canada. L'impact de l'effondrement de ces mégaprojets, ainsi que les taux d'intérêt élevés imposés par les reaganistes, ont précipité la récession économique de 1981-82.

Manifestation à Ottawa en 1985 contre le projet du gouvernement Mulroney de désindexer les pensions. Le projet a par la suite été retiré.

L'offensive antisociale comme politique de l'ensemble de la classe bourgeoise s'est rapidement intensifiée avec l'introduction du libre-échange et des politiques néolibérales au milieu des années 1980. Elle a petit à petit et systématiquement changé le but de la société, qui est passé de la société dite juste de Trudeau, dont l'objectif était censé être la justice sociale, à faire des monopoles canadiens le numéro un sur le marché mondial, rembourser la dette et éliminer les déficits. La conception d'une société responsable envers ses membres et dont les gouvernements, à différents niveaux, assurent le financement, les infrastructures et l'organisation des soins de santé et d'autres programmes sociaux, a été abandonnée. Bien que ce financement a surtout été un moyen de financer l'expansion de l'impérialisme américain au Canada, par l'endettement du Canada auprès des institutions financières américaines, la chose a été présentée comme un « filet de sécurité » sur lequel les Canadiens pouvaient compter du berceau à la tombe, la pierre angulaire de la « société juste » de Trudeau. Tout cela s'est systématiquement effondré. 

En 1986, le gouvernement Mulroney a réduit les paiements de transfert aux provinces pour la santé, l'éducation et l'aide sociale afin de consacrer les fonds au remboursement de la dette et à l'élimination du déficit. Le programme antisocial consistant à payer les riches et à retirer des fonds des programmes sociaux a été mis en oeuvre toutes voiles déployées, d'abord en réduisant le financement de la santé, puis de l'aide sociale et du logement. Cela est allé de pair avec la déréglementation et la réduction des allocations de chômage, ce qui a ouvert la voie à l'affectation de l'argent des allocations de chômage aux recettes générales, qui n'étaient plus considérées comme appartenant aux travailleurs et comme devant être pour leur bénéfice.

La Commission royale sur l'union économique et les perspectives de développement du Canada, également connue sous le nom de Commission MacDonald, mandatée par le gouvernement Trudeau en 1982 pour examiner les programmes sociaux, l'équité sociale et le libre-échange avec les États-Unis, a abouti à la conclusion de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis (ALE) par le gouvernement Mulroney en octobre 1987.

Bien que les négociations de l'accord aient été conclues et que l'accord ait passé l'examen du Congrès américain en octobre 1987, l'adoption de loi de mise en oeuvre de l'accord a été retardée au Sénat canadien, à majorité libérale. Pour résoudre le conflit, Brian Mulroney a déclenché des élections en novembre 1988. Ces élections ont été qualifiées de « référendum sur le libre-échange ». Bien qu'une majorité d'électeurs, soit plus de 6,8 millions, ait voté pour des partis opposés au libre-échange, Mulroney a obtenu une majorité gouvernementale avec 5,6 millions de voix et a déclaré qu'il avait « un mandat ». L'accord a été adopté.

Le Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste) a souligné à l'époque que « l'accord de libre-échange que le président Ronald Reagan considère comme le plus grand événement du XXe siècle et que le gouvernement Mulroney et d'autres applaudissent comme étant profitable pour le Canada, est un de ces mécanismes économiques brutaux qu'utilise le plus fort pour imposer sa loi au plus faible. L'attitude que l'on prend envers les États-Unis en matière économique est de la plus haute importance. On posera le dilemme : la prospérité par l'appui sur ses propres forces, qui exigera beaucoup de travail et de sacrifices mais qui en fin de compte en vaudra la peine, ou la dépendance, qui non seulement ne conduirait jamais à la prospérité mais entraînerait le Canada dans les guerres d'ingérence et d'agression des États-Unis. Le Canada n'a vraiment pas d'autre choix que l'appui sur ses propres forces. C'est la seule façon de faire sauter la pierre d'achoppement. »

Lors de la campagne électorale, le Parti libéral qui formait l'opposition s'est vivement opposé à l'accord, le chef libéral John Turner déclarant qu'il le « déchirerait » s'il devenait premier ministre. Cependant, lorsque les libéraux sont arrivés au pouvoir en 1993 sous la direction de Jean Chrétien, ils n'ont pas « déchiré » l'accord de libre-échange. Bien au contraire, ils ont promulgué l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) qui avait été négocié par le gouvernement Mulroney avant l'élection. L'imposition de l'ALÉNA en 1993, qui a remplacé l'ALE négocié et signé par le gouvernement conservateur, a notamment ouvert la porte aux monopoles américains dans le domaine de la santé. En vertu de l'ALÉNA, les services de santé n'étaient exemptés des investisseurs et fournisseurs de services étrangers que s'ils étaient offerts sans but lucratif. Depuis lors, la classe dirigeante a systématiquement poursuivi la privatisation des services de santé et a mis en place tous les stratagèmes imaginables pour payer les riches.

De même, à l'élection de 1993 les libéraux ont fait campagne contre la taxe sur les produits et services de Mulroney, mais une fois élus, ils ne l'ont pas abrogée. En outre, les libéraux ont saisi et mis à la disposition des riches tous les fonds sur lesquels le gouvernement Mulroney n'avait pas encore mis la main, tels que les fonds d'assurance-emploi, les régimes de pension, etc. Si ce n'était pas déjà évident pour tout le monde, cette élection a prouvé une fois pour toutes que lorsqu'un de ces partis affirme qu'il gouvernera mieux que l'autre, ce qu'il a en tête, c'est de mieux payer les riches.

Mulroney et la crise constitutionnelle et politique du Canada

Brian Mulroney est également passé à l'histoire comme un premier ministre qui a échoué à plusieurs reprises à faire adopter de nouvelles lois qui auraient renforcé le statu quo constitutionnel parce que les Canadiens, les Québécois et les peuples autochtones ont dit Non! aux arrangements constitutionnels qui n'enchâssent pas leurs droits.

La Constitution canadienne se distingue par le fait qu'aucune de ses dispositions ne définit les droits et devoirs fondamentaux des citoyens. En 1982, le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau y a annexé la Charte canadienne des droits et libertés, qui impose des « limites raisonnables » à tous les droits qu'elle énonce. Elle comportait en outre une « clause dérogatoire » qui permettait à n'importe lequel des onze gouvernements du Canada de passe outre aux clauses relatives aux libertés individuelles. Enfin, les fondements de l'État, tels que définis dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867, restent inchangés. Outre le fait qu'elle consacre des accords de partage du pouvoir avec les provinces que le développement de la société a rendus obsolètes, elle ne reconnaît ni la nation québécoise, ni les droits des autochtones ou des Métis sur une base ancestrale.

L'imposition aux peuples canadien et québécois ainsi qu'aux peuples autochtones et métis était tellement antidémocratique que le Québec a refusé de signer la Loi constitutionnelle de 1982. Mulroney a déclaré qu'il ramènerait le Québec « dans la famille canadienne dans l'honneur et l'enthousiasme ». En 1987, il a convoqué des négociations constitutionnelles sur les rives du lac Meech, dans le parc de la Gatineau, dans la région de la Capitale nationale. L'objectif était de modifier la Constitution de manière à satisfaire aux conditions minimales que le gouvernement québécois de Robert Bourassa estimait nécessaires pour que le Québec signe la Loi constitutionnelle de 1982, sans le reconnaître comme une nation ayant le droit à l'autodétermination pouvant aller jusqu'à la sécession si le peuple québécois en décide ainsi.

L'Accord du lac Meech, qui n'avait pas pour but de résoudre ces problèmes fondamentaux, proposait cette curieuse notion de « société distincte » pour caractériser le Québec. Au lieu de reconnaître le Québec comme une nation ayant le droit à l'autodétermination, y compris à la sécession si elle le souhaite, et de présenter des arguments valables pour que le Canada, le Québec et les peuples autochtones forment une union moderne, libre et égale, on a introduit une catégorie qui n'a aucune validité constitutionnelle ou juridique. Le seul but était d'attiser les passions contre le Québec, dont le statut de nation est toujours refusé, tout comme les droits de citoyenneté sur une base égale pour tous, ainsi que les droits ancestraux des peuples autochtones, dont les pouvoirs de décision sur leurs propres territoires ne sont toujours pas reconnus comme ayant préséance sur la loi coloniale.

L'Accord du lac Meech a été rejeté car il n'a pas été ratifié par toutes les assemblées législatives provinciales avant le 23 juin 1990 comme il le devait. Entre le 12 et le 21 juin, Elijah Harper, membre d'une nation autochtone et député à l'Assemblée législative du Manitoba, à son éternel crédit, a signalé à plusieurs reprises son refus d'approuver l'accord en brandissant une plume d'aigle. Cela a empêché le consentement unanime requis sur une motion permettant à l'Assemblée législative du Manitoba de voter sur l'accord avant son ajournement le 22 juin. L'Assemblée législative de Terre-Neuve a alors annulé le vote proposé et l'Accord du lac Meech est officiellement mort.

Manifestation contre l'Accord du lac Meech devant l'Assemblée législative du Manitoba en juin 1990

Après l'échec de Meech, les autorités fédérales, provinciales et municipales, ainsi que leurs forces de police et leurs forces armées, ont multiplié les attaques contre les peuples autochtones. Face au refus répété des autorités municipales d'Oka, au Québec, de faire respecter leurs droits ancestraux, les Mohawks de Kanesatake se sont emparés d'un terrain où reposent leurs ancêtres et que les autorités municipales envisageaient de transformer en terrain de golf. La crise a duré plusieurs mois et ne s'est terminée que par l'usage de la force et l'envoi de l'armée canadienne, de la Sûreté du Québec et de la GRC. Les gouvernements fédéral et québécois ont déclaré que la saisie par les Mohawks de leurs propres terres méritait d'être brutalement réprimée par les forces armées canadiennes et la police provinciale, sous l'oeil d'une presse hystérique. Aujourd'hui encore, la propriété des Mohawks sur leurs propres terres est toujours niée.


À gauche : Mulroney envoie l'armée en août 1990 contre les Mohawks qui défendent
leurs terres à Kanesatake pendant la « crise d'Oka ». À droite : Manifestation à Winnipeg contre l'appel à l'intervention de l'armée.

Après avoir déclaré que leur échec au lac Meech était sans conséquence, les conservateurs se sont rabattus sur la Commission royale sur le financement des partis et la réforme électorale créée en 1989 « pour examiner, entre autres, les nombreuses anomalies dans le processus électoral mises en lumière par les contestations fondées sur la Charte », notamment en ce qui concerne les restrictions de la loi électorale incompatibles avec l'article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés qui garantit le droit d'élire et d'être élu. la Commission a refusé de s'attaquer aux problèmes auxquels les Canadiens exigeaient clairement qu'elle s'attaque. Cela comprenait notamment des changements au processus électoral qui élimineraient le rôle du pouvoir et des privilèges et donneraient plus de pouvoir aux Canadiens. Des centaines de milliers de personnes ont littéralement exprimé leur mécontentement à l'égard du processus politique, des élus, des partis politiques et des institutions dites démocratiques, mais aucun changement n'a été apporté à la politique gouvernementale. Depuis, rien n'a changé sur les grandes questions qui préoccupent l'électorat.

Un vaste mécontentement a été exprimé partout au Canada à l'égard du processus politique et des élus, le peuple ayant le sentiment qu'il n'exerce aucun contrôle sur ses affaires. La question de la souveraineté – celle du monarque en tant que chef d'État ou celle du peuple – s'est posée avec force. Loin de vouloir renoncer à leur pouvoir de décision, les Canadiens se sont montrés profondément préoccupés par les affaires constitutionnelles du Canada et par la définition de la loi fondamentale du pays.

En août 1992, à la suite d'une série de négociations à huis clos entre Mulroney, les ministres, les dirigeants provinciaux et territoriaux, y compris une porte de derrière avec le gouvernement du Québec, et d'autres élites, un nouvel accord a été conclu, l'Accord de Charlottetown, qui devait être soumis à un référendum national le 26 octobre 1992. L'objectif de l'accord de Charlottetown, intitulé Rapport du consensus sur la Constitution, était d'inscrire dans la Constitution le statu quo et de transférer aux premiers ministres du Canada – celui du Canada et ceux des provinces – le droit de prendre des décisions au nom du peuple canadien. L'accord de Charlottetown leur aurait donné carte blanche pour agir à leur guise, le peuple canadien étant marginalisé, considéré comme une masse votante à laquelle on fait appel à tous les quatre ans.

Outre le fait que des millions de dollars ont été dépensés pour inciter l'électorat à voter oui, par des flatteries ou par le chantage et les mances, pour s'assurer que personne de discute des questions de fond, la campagne référendaire était organisée de telle façon qu'il fallait ou bien appartenir au comité du oui, ou bien apparatenir au comité du non. Le gouvernement Mulroney a rallié dans une seule grande force de frappe le Parti libéral, le Nouveau Parti démocratique, le Congrès du travail du Canada, le Conseil canadien des chefs d'entreprise et d'autres, ainsi que les médias, bref tout l'establishment. De cette position de force il a lancé un ultimatum à l'électorat : voter oui ou faire face à de terribles conséquences. La Banque du Canada a même prédit l'effondrement de l'économie canadienne en cas de vote négatif.

Le PCC(M-L) a créé un Comité national pour voter Non ! le 26 octobre et a été la source principale d'information pour l'électorat sur le contenu de l'accord et ses enjeux. Les Canadiens ont réussi à faire rejeter l'Accord lors du référendum du 26 octobre par 54,9 % des voix contre 45,03 %. Brian Mulroney a essuyé la plus grande défaite de sa carrière, à la tête d'une coalition qui refusait d'écouter ce que le peuple voulait. La classe capitaliste a alors dû choisir un nouveau chef pour cette coalition par le biais du congrès de direction du Parti progressiste-conservateur, alors qu'elle faisait face à une élection fédérale qu'elle était sûre de pouvoir manipuler.


À gauche : Un forum public lance le Comité pour voter non à l'Accord de Charlottetown. À droite : Affiche annonçant des réunions pancanadiennes sur l'Accord de Charlottetown, octobre 1992.

En fin de compte, Brian Mulroney n'a pas démissionné de son plein gré. Il a été contraint de démissionner lorsque la classe dirigeante a constaté que son système se discréditait de plus en plus aux yeux de l'électorat, ce que confirment tous les sondages d'opinion. Mulroney a démissionné pour sauver la réputation du système politique et des élites politiques.

À peine avait-il démissionné que l'establishment canadien et la presse monopolisée se sont mis à la tâche de donner l'impression que les dirigeants du Canada sont désormais en faveur du changement. Le changement était réduit à la simple substitution d'une personne par une autre, d'un parti par un autre, d'un gouvernement par un autre. La classe dominante espérait ainsi détourner l'opinion publique de ce que les gens n'aiment pas, à savoir le système politique qui sert des intérêts en place et les politiciens qui occupent des positions de pouvoir et de privilège et les utilisent à leur propre avantage et à celui des intérêts privés qu'ils servent. Aujourd'hui encore, plus les gouvernements et ce qu'on appelle les institutions démocratiques libérales se discréditent, plus leurs apologistes sont déterminés à frustrer l'initiative de l'électorat en préservant le système politique et les hommes politiques, quoi qu'il en coûte en destruction.

Aujourd'hui, après la mort de Brian Mulroney, la classe capitaliste dans son ensemble n'a rien d'autre à dire que de répéter les mêmes éloges et critiques d'il y a 30 ans, lorsqu'il a démissionné. De la manière la plus éhontée, Mulroney est couvert d'éloges, d'une part, et de critiques, d'autre part.

On présente Mulroney comme un Canadian loyal, qui aimait son pays, un champion des valeurs canadiennes et une force pour le bien commun, tout cela pour cacher ses positions pro-impérialistes, anti-ouvrières et antipopulaires qui ont causé tant de tort aux Canadiens et au Canada. Cela confirme une fois de plus que les plus puissants économiquement et leurs politiciens ont un intérêt commun à continuer à commettre des fraudes pour maintenir leur système en place.

Selon certains médias et quelques hommes politiques, Brian Mulroney a « pris des décisions difficiles bien qu'elles fussent impopulaires ». Son échec, disent-ils, est qu'il n'a pas été capable de convaincre l'électorat de la justesse de ces décisions. Il a dû payer cet échec en démissionnant, disent-ils.

La falsification de l'histoire est une spécialité de l'élite dirigeante du Canada et le fait de falsifier ce que Brian Mulroney représentait et d'oser appeler cela l'État de droit sert à dissimuler ce qui se passe aujourd'hui.

Quant aux louanges adressées à Mulroney pour s'être opposé à l'apartheid en Afrique du Sud, comme c'est le cas pour tout le reste, il y a les paroles et il y a les actes. C'est comme dans le cas de Diefenbaker avant lui. On a dit de Diefenbaker qu'il a contribué à l'expulsion de l'Afrique du Sud du Commonwealth, mais on ne dit pas qu'il a en même temps facilité l'augmentation des investissements économiques en Afrique du Sud de l'apartheid. De même, alors que Mulroney est loué pour avoir joué un rôle clé lors de la réunion des Nations du Commonwealth à Londres en 1986, au cours de laquelle plusieurs sanctions économiques ont été adoptées contre l'Afrique du Sud, il a été révélé deux ans plus tard que les investissements économiques du Canada en Afrique du Sud avaient augmenté durant cette même période.

On sait que le système d'apartheid en Afrique du Sud était calqué sur le système mis en place au Canada pour placer les peuples autochtones dans des réserves. Le Canada n'a jamais renoncé à ce système. De nombreuses réserves – bien que de taille plus réduite – rappellent le système des bantoustans mis en place par le régime raciste blanc en Afrique du Sud. Il s'agissait d'un dispositif administratif visant à exclure les Noirs du système politique sud-africain dans le cadre de la politique d'apartheid. Il n'y a pas de crédibilité aux prétentions de ceux qui, comme Brian Mulroney, disaient s'opposer à l'apartheid en Afrique du Sud alors qu'il le soutenait au Canada. C'est comme dire que la classe dirigeante canadienne s'oppose à l'apartheid israélien. Loin de là, elle en fait partie intégrante.

Les travailleurs se souviendront toujours de Mulroney pour avoir lié le Canada au « libre-échange » américain, imposé la TPS dont ils sont affligés jusqu'à ce jour et n'avoir jamais eu à rendre compte de toutes les défaites subies par l'establishment sous son mandat. La classe dirigeante le présente comme un « brillant négociateur » de Baie-Comeau qui s'est fait un nom à régler des grèves du secteur minier québécois en faveur des propriétaires.

Entre-temps, les travailleurs se souviennent, entre autres, qu'il a reçu des milliers de dollars en pots-de-vin. Lorsque la GRC a fait des allégations en 1995, il les a niées et a intenté un procès en diffamation de 50 millions de dollars contre le gouvernement canadien, alléguant que le gouvernement libéral nouvellement élu de Jean Chrétien se livrait à une campagne de diffamation contre lui.

Le gouvernement a conclu un accord à l'amiable au début de l'année 1997 et a accepté de présenter des excuses publiques à Brian Mulroney, ainsi que de payer ses frais juridiques, d'un montant de 2,1 millions de dollars. Puis en 2003 Mulroney a reconnu avoir accepté 225 000 dollars sur 18 mois, en trois versements de 75 000 dollars chacun. L'accord pour ces paiements aurait été conclu le 23 juin 1993, deux jours avant sa démission en tant que premier ministre, le 25 juin 1993. Mulroney était encore membre de la Chambre des communes lorsqu'un des paiements a été effectué (le Parlement a été dissous le 8 septembre 1993 avant les élections fédérales du 25 octobre 1993). Brian Mulroney affirme que cet argent lui a été versé pour des services de conseil qu'il a fournis pour aider à promouvoir une entreprise de pâtes fraîches et pour développer des contacts internationaux pour son bienfaiteur qui a déclaré qu'il avait en fait effectué trois paiements distincts de 100 000 dollars chacun en billets de 1 000 dollars, pour un total de 300 000 dollars.

Aujourd'hui, à l'occasion de la mort de Brian Mulroney, les cercles dirigeants voudraient nous faire prendre des vessies pour des lanternes. La classe ouvrière et les peuples du Canada et du Québec ne sont pas impressionnés. Aujourd'hui encore, ils paient le prix fort pour ses réalisations tant louées.

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