Projet de loi 69,
Loi
assurant la gouvernance responsable
des ressources énergétiques
Opposition vive et immédiate d'organisations syndicales à la privatisation accrue d'Hydro-Québec
Le 6 juin, le ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie, Pierre Fitzgibbon, a déposé à l'Assemblée nationale du Québec, le projet de loi 69, Loi assurant la gouvernance responsable des ressources énergétiques et modifiant diverses dispositions législatives.
Le projet de loi de 56 pages s'inscrit dans le cadre de la restructuration de l'État pour mieux servir les grands intérêts privés supranationaux, plus particulièrement à intégrer les ressources du Québec aux corridors de transport d'énergie des États-Unis. Le projet de loi 69 accordera au ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie de nouveaux pouvoirs dont ceux « d'établir et de mettre en oeuvre un plan de gestion intégrée des ressources énergétiques » du Québec. Dans le préambule du projet de loi, il est mentionné qu'une partie de ce plan « précise la cible des approvisionnements en électricité aux fins de la satisfaction des besoins en cette matière des marchés québécois par Hydro-Québec au terme d'un horizon qu'il indique ». Le projet de loi permettra aux compagnies d'électricité privées de conclure des contrats gré à gré avec Hydro-Québec pour exploiter les ressources naturelles encore inexploitées du Québec en mettant « à la disposition d'Hydro-Québec des immeubles ou des forces hydrauliques du domaine de l'État » et en retirant à Hydro-Québec « l'obligation d'obtenir l'autorisation du gouvernement ».
De nombreuses organisations, dont des syndicats, ont publié des déclarations le même jour s'opposant au projet de loi 69.
Le Syndicat canadien de la fonction publique-Québec (SCFP-Québec)
Le SCFP-Québec déclare que le projet de loi 69 « est un pas de recul gigantesque pour les personnes citoyennes du Québec ».
Le SCFP-Québec qui représente plus de 16 000 membres dans le secteur de l'énergie, déclare : « C'est un jour sombre pour l'histoire du Québec. Le service public d'électricité, incarnée par Hydro-Québec, a permis des avancements sociaux économiques quasi miraculeux. Au contraire, aujourd'hui, nous assistons à une avancée pour les entreprises privées et les fonds d'investissement. Les travailleurs et travailleuses y perdront au change assurément », de dire Pierre-Guy Sylvestre, économiste du SCFP-Québec .
Le SCFP-Québec souligne que la tarification dynamique, qui sera mise en place à partir du 1er avril 2026, « est une mesure régressive qui pénalisera les ménages à faibles revenus », estimant que des efforts devraient plutôt être faits pour l'efficacité énergétique : « Diminuons la demande résidentielle , commerciale et institutionnelle en améliorant la performance des équipements de chauffage et de l'éclairage, plutôt que d'appliquer une tarification inéquitable », d'ajouter Patrick Gloutney, président du SCFP-Québec.
La Confédération des syndicats nationaux(CSN)
La CSN a émis un communiqué le 6 juin intitulé « Projet de loi 69 – Il faut rester complètement maîtres chez nous » qui dit :
« Le projet de loi 69 ouvre la porte à plus de production d'électricité privée, notamment par son article 38 [1], qui permet à une entreprise de produire de l'électricité et de la distribuer à un client situé sur un terrain adjacent. »
« La hausse à 100 mégawatts (MW) maximum, plutôt que les 50 MW actuels, de la production hydroélectrique privée, est une autre voie par laquelle de nouveaux producteurs privés pourraient apparaître.
« Malgré certains points positifs, comme la planification des besoins à long terme, le projet de loi [du ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie] Fitzgibbon ne ferme pas la porte à des projets privés. Ces derniers risquent de ne pas bénéficier d'acceptabilité sociale et d'empêcher l'atteinte d'une vision d'ensemble quant à ce qui sera produit à long terme », souligne Caroline Senneville, présidente de la CSN. La planification devrait permettre d'éviter les mauvaises surprises et permettre de prendre en compte l'ensemble des besoins sociaux, économiques et environnementaux du Québec.
La CSN s'oppose aux modifications importantes des tarifs : « Deux éléments de l'encadrement de la tarification disparaîtront après 2026 : la tarification dynamique ne serait plus seulement optionnelle et la tarification domestique pourrait varier en fonction de l'intensité énergétique. Le modèle de tarification pourrait donc changer radicalement à partir de 2026 en fonction de la consommation. » C'est un fait bien connu que les frais liés au chauffage d'une résidence ou d'un logement sont la part la plus importante d'une facture d'électricité, pouvant aller jusqu'à 55 % du montant total. Or, comme l'indique le communiqué de la CSN, « certaines personnes moins fortunées n'ont pas les moyens de rénover leur maison. C'est encore plus vrai pour les locataires aux prises avec un logement qui est une passoire thermique ».
La CSN dénonce le partenariat public-privé pour de l'énergie « propre » où Hydro-Québec prend tous les risques. Elle estime que « le modèle de développement du secteur éolien au Québec est intenable dans sa forme actuelle et souhaite qu'Hydro-Québec soit le seul maître d'oeuvre en la matière ».
Ce à quoi fait allusion la CSN est le fait que depuis 2003,sous le gouvernement libéral de Jean Charest, Hydro-Québec a commencé à signer des contrats d'achat d'électricité auprès de producteurs privés d'énergie éolienne. Dans de nombreux cas, ces contrats ont garanti aux entreprises privées un tarif fixe que Hydro-Québec s'engageait à payer et à subventionner, quel que soit le prix de l'électricité sur les marchés nord- américains, ce qui a entraîné des pertes énormes à Hydro-Québec dans les périodes de surplus d'électricité[2].
Dans le cas de la période présente dite de grandes demandes d'électricité « propre » c'est Hydro-Québec qui garantira aux entreprises privées un tarif pour l'électricité produite, sachant que dès 2026 Hydro-Québec se retrouvera en déficit de production d'énergie alors que la société d'État devra honorer tous ses contrats d'exportation ferme d'électricité vers les États-Unis ainsi que pour fournir en électricité « propre » toutes les nouvelles installations de production de composantes de batteries et d'extraction/raffinage de minéraux critiques tels que le lithium, le nickel, le scandium, le titane, le niobium et l'aluminium, pour en nommer que quelques uns[3].
La CSN conclut en déclarant qu'elle « va étudier le projet de loi plus en profondeur pour mieux comprendre tous ses impacts sur les travailleuses et les travailleurs concernés ».
La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ)
« [...] le ministre concentre beaucoup de pouvoir dans ses propres mains en s'appropriant une portion significative des dossiers provenant du ministère de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parc et du ministère des Ressources naturelles et des Forêts », écrit la FTQ.
Les arrangements que le projet de loi 69 mettra en place sont ceux où Hydro-Québec « ne soit plus contrainte de procéder uniquement par appels d'offres. Elle pourra par exemple conclure des contrats d'approvisionnement de gré à gré, [...] développer elle-même de nouveaux approvisionnements ou établir des partenariats » et où les projets n'auront pas besoin de passer devant la Régie de l'énergie pour être approuvés[4].
Il a été révélé en 2022 que le gouvernement Legault et Hydro-Québec ont fait appel régulièrement à des firmes de consultants prives dont la plus célèbre est l'entreprise multinationale américaine de conseil en gestion McKinsey pour les conseiller sur la préparation et l'octroi de contrats gré à gré sans appel d'offres, faisant fi de l'expertise à l'interne au sein de la fonction publique du gouvernement et parmi les ingénieurs de la société d'État. Le nouveau vice-président exécutif – stratégies et finances, Hydro-Québec, Maxime Aucoin, est lui-même un ancien employé de la société de conseil en gestion McKinsey. Il faut donc prévoir qu'avec le projet de loi 69 cette tendance va se maintenir et s'accélérer.
« Comme le diable se cache dans les détails, la FTQ prendra le temps d'étudier attentivement ce projet de loi ambitieux de 56 pages. Pour la FTQ, il y a ici des enjeux démocratiques. Il faut craindre la politisation de l'avenir énergétique. Tout ne peut se décider au coin d'une table par un seul ministère », déclare la présidente de la FTQ, Magali Picard.
« Il y a aussi un enjeu de transparence et de vie chère. Par exemple, le fait qu'Hydro-Québec puisse se départir de certains actifs au profit du privé nous inquiète. Il y a aussi tout le débat à venir quant à la modulation tarifaire résidentielle. Le gouvernement plafonne à 3 % les tarifs résidentiels jusqu'en 2026, mais après 2026, il arrive quoi ? », s'interroge la présidente. « Pour la FTQ, Hydro-Québec doit rester maître d' oeuvre de ses projets », conclut le communiqué.
Notes
1. Projet de loi 69, Loi assurant la gouvernance responsable des ressources énergétiques et modifiant diverses dispositions législatives, Article 38 :
L'article 60 de cette loi [Loi sur la Régie de l'énergie] est modifié :
- par le remplacement, dans le premier alinéa, de « d'exploiter un réseau de distribution d'électricité » par « de distribuer de l'électricité à un consommateur »;
- par le remplacement du deuxième alinéa par les suivants :
« Ce droit n'empêche pas quiconque de consommer l'électricité qu'il produit.
Ce droit n'empêche pas quiconque produisant de l'électricité de source renouvelable de la distribuer à un seul consommateur pour les besoins des installations de ce dernier, dans la mesure où ces installations sont situées sur un emplacement adjacent au site de production et que le gouvernement autorise, aux conditions qu'il détermine, cette distribution. »
2. Voir « Le rôle attribué à Hydro-Québec par le gouvernement Charest, Pas du tout un projet de 'bâtisseur', Correspondant de Québec », Le Marxiste-Léniniste, numéro 78, 1er mai 2010
3. Voir « La 'copropriété' des lignes de transmission d'Hydro-Québec avec le fonds spéculatif Blackstone », Le Marxiste-Léniniste mensuel, avril 2023
4. « Projet de loi no 69 pour moderniser les lois entourant l'énergie », ministère de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie, 6 juin 2024
Cet article est paru dans
Volume 54 Numéro 7 - Juillet 2024
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