La « copropriété » des lignes de transmission d'Hydro-Québec avec le fonds spéculatif Blackstone

Le 4 avril, le projet de loi 13, Loi sur la ligne d'interconnexion Hertel-New York, a été adopté à l'Assemblée nationale du Québec et a reçu la sanction royale le 6 avril. La loi officialise l'accord entre Hydro-Québec et le Conseil mohawk de Kahnawake (MCK) pour ce qui a été appelé un « partenariat » pour la construction d'une ligne de transmission haute tension à courant continu qui relie la Rive-Sud de Montréal à la frontière canado-américaine près de Champlain, dans l'État de New York.

De là, elle sera reliée aux 530 kilomètres restants d'une ligne de transmission souterraine/aérienne allant jusqu'à la sous-station d'Astoria, située dans l'arrondissement new-yorkais de Queens, d'ici 2026. Cette ligne fait partie de l'accord signé entre Hydro-Québec et la New York State Energy Research and Development Authority (NYSERDA) pour la livraison annuelle de 10,4 térawattheures d'électricité à la ville de New York par le biais de la ligne Champlain Hudson Power Express (CHPE). Cette énergie proviendra de barrages hydroélectriques déjà existants au Québec et à Terre-Neuve.


Carte montrant la localisation de la ligne de transmission électrique Hertel-Champlain
longue de 55 kilomètres

Des intérêts privés supranationaux derrière la construction des lignes de transport d'électricité

Un communiqué publié le 30 novembre 2022 par le bureau du gouverneur de l'État de New York, confirme que Transmission Developers Inc. (TDI) a obtenu le contrat de gestion de la construction et de l'exploitation de la partie américaine de la ligne de transport d'électricité. Dans une déclaration similaire datée du 14 avril 2022, Hydro-Québec a indiqué que « le partenaire américain d'Hydro-Québec, Transmission Developers Inc. (TDI), amorcera la construction de la ligne au cours de l'été 2022, en vue d'une mise en service en 2025 ». Ce que le communiqué ne mentionne pas, c'est qu'en 2021, la construction de la section canadienne a également été attribuée à TDI, une « société de portefeuille en propriété exclusive » appartenant à Blackstone, le fonds spéculatif qui possède 975 milliards de dollars d'actifs.

Dans un article intitulé « Sujets de préoccupation économique – Le partenariat d'institutions québécoises avec le fonds spéculatif Blackstone », Pierre Soublière fait référence à un article du Journal de Montréal qui mentionne que « Blackstone a joué un rôle de premier plan dans la renégociation du libre-échange avec les États-Unis et le Mexique. L'article fait remarquer qu'au début de 2017, [le PDG de Blackstone] Stephen Schwarzman, qui serait un proche de Donald Trump, est venu au Canada pour rencontrer l'ex-premier ministre du Québec Philippe Couillard et le premier ministre Justin Trudeau. »

Il est mentionné « qu'il existe des liens étroits entre Blackstone et la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), identifiant Blackstone comme le plus important 'partenaire' de la CDPQ dans les secteurs du placement privé et de l'immobilier. En 2020, la Caisse détenait pour 4,4 milliards $ d'investissements dans 25 fonds de Blackstone, soit 13 % de plus que deux ans plus tôt. »

L'article souligne que dans l'entente entre Blackstone et Hydro-Québec, le coût de transport d'électricité de la ligne de transmission Hertel-Champlain « était confidentiel en raison des informations commercialement sensibles qu'elle contient. Quoi qu'il en soit, selon des sources gouvernementales, Blackstone touchera environ 10 milliards de dollars en revenus sur 25 ans, soit le tiers du contrat global de 30 milliards de dollars » [1]. Voilà pour les retombées pour le Québec de la « vente de 30 milliards de dollars », dont le ministre de l'Énergie du gouvernement Legault, Pierre Fitzgibbon, ne cessait de se vanter, au regard de la nécessité d'exporter de l'électricité « propre » vers les États-Unis.

Un autre article intitulé « NYC's Big Clean-Energy Project Poses a Major Climate Test for the Country » publié dans Huffpost, informe que « l'administration Biden, qui soutient Champlain Hudson [CHPE] et l'a inscrit parmi les projets prioritaires, a pris certaines mesures pour faciliter la construction de lignes de transport d'électricité. La loi bipartisane sur les infrastructures récemment adoptée, l'Infrastructure Investment and Jobs Act, consacre des milliards aux questions de transmission et donne au gouvernement fédéral américain plus de pouvoir pour désigner un intérêt national dans certains projets et routes pour les construire, ce qui permet aux promoteurs de surmonter plus facilement les opposants[2]. »

En d'autres termes, l'administration Biden, tout comme le gouvernement Trudeau, facilite le pillage du trésor public au nom de grands idéaux tout en veillant à ce que les pouvoirs de police prévalent lorsqu'il s'agit de corridors énergétiques, comme ce fut le cas avec l'expansion de l'oléoduc Trans Mountain et la construction du gazoduc Coastal GasLink en Colombie-Britannique, et maintenant, les lignes de transport d'électricité pour exporter de l'électricité vers les États-Unis.

Hydro-Québec pêche en eau trouble

Le contrat signé entre Hydro-Québec et NYSERDA pour l'exportation d'électricité vers les États-Unis stipule que l'entreprise publique ne peut pas vendre d'électricité provenant de barrages construits après la signature du contrat. Cette clause a été mise en place pour répondre aux préoccupations concernant le fait qu'Hydro-Québec n'a jamais signé d'accords avec de nombreux peuples autochtones, tels que les Innus, les Atikamekw et les Anishinabek, avant de construire des barrages dans les années 1940 et 1950 et par la suite, sur leurs terres non cédées.


Carte montrant le réseau de lignes de transport d'électricité d'Hydro-Québec par rapport aux provinces adjacentes et aux États américains.

Pourtant, le gouvernement Legault envisage maintenant de construire d'autres barrages hydroélectriques parce qu'Hydro-Québec est confrontée à une pénurie d'énergie avant la fin des années 2020. Cela est dû en partie à la promesse du gouvernement Legault de fournir de l'électricité « propre » et bon marché à de grands intérêts privés étrangers tels que Rio Tinto, avec sa fonderie de Sorel-Tracy, et General Motors (GM), BASF et Vale, qui veulent s'installer dans la région de Bécancour, surnommée la « plaque tournante des batteries » du Québec.

Tous les experts en énergie s'accordent à dire qu'à l'approche de l'échéance de 2026 pour commencer à exporter de l'électricité vers la ville de New York, Hydro-Québec devra chercher des moyens de produire plus d'électricité avant la fin de la décennie, sans pouvoir compter sur la construction de nouveaux barrages dans un laps de temps aussi court. La question de la modernisation des centrales hydroélectriques existantes est donc à l'ordre du jour d'Hydro-Québec, de même que la construction de nouveaux parcs d'éoliennes. Tous les parcs éoliens existants au Québec ont été construits dans le cadre de partenariats public-privé sous les gouvernements libéraux Charest-Couillard et tout indique que le gouvernement Legault poursuivra dans la même tradition.


Sources d'énergie et ventes de l'Hydro-Québec pour 2022

Même le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) du Québec s'est penché sur la question de l'approvisionnement en électricité d'Hydro-Québec pour répondre à la fois à la demande intérieure du Québec et aux contrats d'exportation d'énergie vers les États-Unis. Dans son rapport final du 16 mars sur le projet de ligne d'interconnexion Hertel-New York, ses deux commissaires y font allusion :

« Le rapport Trajectoires de réduction d'émissions de GES du Québec – Horizons 2030 et 2050, préparé pour le ministère de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, concluait d'ailleurs qu'atteindre les objectifs de réduction que s'est fixés le Québec nécessitera un changement de cap majeur pour la société, ce qui aurait des répercussions sur l'économie du Québec, son environnement et sa population. [...] Les projections montrent que, dès 2026-2027, Hydro-Québec aura besoin de nouveaux approvisionnements » pour garantir sa « transition énergétique » car « le contrat liant Hydro-Québec et la New York State Energy Research and Development Authority pour la livraison de 10,4 TWh/an d'électricité à la ville de New York » débute au printemps de 2026 [3].

La préoccupation soulevée par les commissaires du BAPE ainsi que par plusieurs organismes oeuvrant dans le domaine de l'énergie a également trouvé écho à l'Assemblée nationale du Québec le jour de l'adoption du projet de loi 13. Le député de Québec solidaire dans la circonscription de Maurice-Richard (Montréal-Nord), Haroun Bouazzi, a notamment déclaré ce qui suit :

« Moi, je mets au défi les gens ici présents de nous indiquer le document qui explique la stratégie du gouvernement d'ici 2030, voire 2050, sur les questions énergétiques. Il n'y en a tout simplement pas. [...]On est en train de signer un contrat, donc je le rappelle, de 10,4 térawattheures d'électricité sur 25 ans. Si mes souvenirs sont bons, ça correspond à 8 % à 9 % de nos productions québécoises, alors que nous n'avons pas de plan, un contrat sur 25 ans, alors que nous n'avons pas de plan. [...] Sur les questions d'éoliennes et de privatisation de la génération d'énergie au Québec, il y a aussi des affaires à se faire, clairement, dans la vente de notre électricité, entre autres choses, comme on voit dans ce contrat vers New York. C'est comme si le fait de voir les 30 milliards de dollars sur 25 ans fait en sorte qu'on est prêt à signer tout et n'importe quoi sans avoir décidé en amont quel serait notre plan énergétique.[...] il est aussi possible que ce soit une énorme bêtise de signer ce contrat-là et de faire ce transfert-là, alors que nous ne savons pas encore quel est le plan pour pouvoir éviter des pénuries d'électricité en 2026 ou même on va se retrouver à acheter nous-mêmes de l'électricité à un prix absolument exorbitant sur le marché de l'électricité instantanée [4]. »


Graphique montrant les prévisions d'Hydro-Québec en matière d'énergie et de demande de
pointe pour la prochaine décennie. Les achats sur les marchés à court terme (spot) (en gris foncé)
et les approvisionnements supplémentaires nécessaires (en gris hachuré) augmentent régulièrement à partir de 2026.

Ce que tout cela révèle, c'est que le peuple québécois ne peut pas être pris en otage par des plans intéressés des gouvernements où la construction de nouvelles infrastructures est imposée et le financement de stratagèmes pour payer les riches est approuvé avant que l'on ne sache quoi que ce soit à leur sujet. Les ressources naturelles du Canada doivent être utilisées de manière à contribuer au bien-être des peuples du Québec, du Canada et des peuples du monde, tel que défini par les peuples eux-mêmes, et non par des intérêts privés étroits. Selon la logique des accords de libre-échange nord-américains, l'augmentation des exportations d'énergie vers les États-Unis s'accompagne d'un décret stipulant que ce flux constant ne peut être réduit pour quelque raison que ce soit. Cela signifie que de plus en plus d'infrastructures canadiennes seront directement revendiquées par l'armée américaine comme étant essentielles à son fonctionnement. Les actions des travailleurs et du peuple de ce pays seront interdites et criminalisées. Il est urgent d'élaborer une alternative dans laquelle les vastes ressources du Canada peuvent être utilisées pour l'édification  nationale d'une manière qui fasse du Canada une zone de paix.

Notes

1. « Sujets de préoccupation économique : Le partenariat d'institutions québécoises avec le fonds spéculatif Blackstone », Pierre Soublière, Forum ouvrier, 16 avril 2022

2. « NYC's Big Clean-Energy Project Poses A Major Climate Test For The Country », par Alexander C. Kaufman, Huffpost, 13 avril 2022

3. « Projet de ligne d'interconnexion Hertel-New York - Le BAPE publie son rapport », 16 mars 2023, Rapport du BAPE no. 369, pages 29-31

4. « Journal des débats de l'Assemblée nationale du Québec », Vol 47, no 30, mardi 4 avril 2023


Cet article est paru dans
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Volume 53 Numéro 4 - Avril 2023

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