Le Pentagone américain se joint au gouvernement canadien pour financer une mine de graphite au Québec
Manifestation part les résidents locaux en 2021 contre
l'ouverture de la mine de graphite
Le 16 mai, le ministère canadien de l'Énergie et des Ressources naturelles et le Département américain de la Défense (DoD) ont annoncé qu'ils investissaient respectivement 4,9 millions canadiens et 8,4 millions de dollars US dans la société Lomiko Metals pour développer un gisement de graphite situé près de Duhamel, dans le sud-ouest du Québec, ainsi qu'un financement similaire de la part des mêmes agences canadiennes et américaines pour développer une mine de cobalt et bismuth dans les Territoires du Nord-Ouest.
Dans le cas du gisement de graphite de La Loutre, près de Duhamel, au Québec, le gouvernement canadien indique que son objectif est de « financer des essais en usine pilote visant à transformer du graphite en paillettes en matériau de qualité batterie »[1], tandis que le DoD américain déclare que les fonds canadiens et américains doivent « permettre à l'entreprise de faire progresser le projet de graphite lamellaire naturel de La Loutre en tant que fournisseur de graphite de haute qualité pour les applications de défense et le marché croissant des véhicules électriques en Amérique du Nord »[2].
Le même jour, la Maison Blanche aux États-Unis et la vice première ministre du Canada, Chrystia Freeland ont émis une déclaration commune annonçant le renouvellement pour une année supplémentaire le groupe de travail sur la transformation de l'énergie (GTTE) Canada-États-Unis lancé en mars 2023 lors de la première visite d'État du président américain Biden au Canada. La déclaration concernant le renouvellement du GTTE et les investissements dans le secteur des minéraux, dit que « ces annonces des États-Unis et du Canada démontrent l'engagement des deux pays envers la mise en oeuvre d'une vision commune de la mise en place de chaînes d'approvisionnement en minéraux critiques durables et intégrées qui serviront les secteurs nord-américains de la fabrication de pointe, de l'énergie propre et de la défense »[3].
La déclaration poursuit en disant que « par l'intermédiaire du GTTE, le Canada et les États-Unis ont fait progresser des priorités communes visant à déployer des solutions à grande échelle en matière d'énergie propre et à soutenir la création de chaînes d'approvisionnement des minéraux critiques et du nucléaire civil. Ces initiatives alimenteront la mise en place d'une industrie nord-américaine intégrée capable de soutenir la transition énergétique dans nos pays respectifs et partout dans le monde. »
Le graphite, composant essentiel de la production de guerre des États-Unis et de leur quête d'hégémonie mondiale
Dans un article publié le 4 avril dans Mining.com et intitulé « Graphite's war-fighting capabilities » , il est dit que « la transition énergétique et la numérisation ont fait des minéraux critiques une priorité pour les décideurs politiques et les investisseurs. Cependant, on parle peu du rôle que ces minéraux, y compris le graphite, jouent dans le secteur de la défense, et de l'impact des perturbations de la chaîne d'approvisionnement sur les armées du monde entier.
« Le danger de manquer des minéraux nécessaires à la fabrication des armes et à la défense des territoires est un risque accru aujourd'hui, en période d'intensification des conflits mondiaux. Avec des guerres qui font rage sur deux fronts – l'Europe de l'Est et le Moyen-Orient – sans parler des nombreuses guerres de moindre importance, comme les conflits au Yémen et en RDC [République démocratique du Congo], les nations se préparent à la guerre et réarment leurs armées, ce qui fait grimper la demande de minéraux critiques et non critiques, notamment le graphite, l'aluminium, l'acier, le fer, les terres rares, le nickel et le titane. » L'article poursuit : « Selon le Département américain de la Défense, l'armée donne la priorité aux forces maritimes et aériennes qui joueraient un rôle central dans la région indo-pacifique [...] Malgré cette tendance au réarmement, l'armée américaine et ses alliés de l'OTAN doivent faire face à une diminution des stocks de mineraux à usage militaire. Le problème est d'autant plus grave que la Chine, qui est aujourd'hui l'ennemi le plus puissant de l'Amérique sur le plan militaire, contrôle le marché de la plupart des minéraux critiques et que les États-Unis dépendent de la Chine (et de la Russie) pour les matériaux nécessaires à la construction de leurs équipements militaires et de leurs armes ».
Plus loin dans l'article, les propriétés uniques du graphite sont expliquées : « Pratiquement tous les systèmes militaires américains nécessitent des composants minéraux, de l'acier et du titane aux composites de graphite et aux alliages de cadmium. » Citant du Modern War Institute de l'armée américaine, l'article souligne que « les dépenses mondiales de défense montrent que la demande militaire augmente pour ces plates-formes, ces munitions et donc ces minéraux » et poursuit en disant que « le graphite est le matériau idéal pour la défense grâce à ses propriétés uniques : il est capable de résister à de très hautes températures avec un point de fusion élevé; il est stable à ces hautes températures; il est léger et facile à usiner; et il est résistant à la corrosion ».
« Le graphite est utilisé dans presque tous les composants des avions de combat les plus avancés et dans de nombreuses pièces de chars d'assaut. Le graphite est également utilisé pour fabriquer des bombes non létales qui désactivent les réseaux électriques et comme fumée obscurcissante sur le champ de bataille ».
L'article poursuit en expliquant pourquoi les impérialistes américains ont besoin d'une chaîne d'approvisionnement sécurisée pour leurs minéraux critiques tels que le graphite.
« Le graphite est :
- L'un des 14 minéraux répertoriés pour lesquels les États-Unis dépendent à 100 % des importations.
- L'un des neuf minéraux répertoriés répondant aux six indicateurs du secteur industriel/défense identifiés par le rapport du gouvernement américain.
- L'un des quatre minéraux répertoriés pour lesquels les États-Unis dépendent à 100 % des importations tout en satisfaisant aux six indicateurs du secteur de l'industrie et de la défense.
- L'un des trois minéraux répertoriés qui répondent à tous les indicateurs du secteur industriel/défense – et pour lesquels la Chine est le premier producteur mondial et le premier fournisseur des États-Unis.
« Un rapport publié l'année dernière par le Centre d'études stratégiques de La Haye a révélé que le graphite naturel et l'aluminium sont les matériaux les plus couramment utilisés dans les applications militaires et qu'ils sont également soumis à des risques considérables en matière de sécurité de l'approvisionnement qui découlent du manque de diversification des fournisseurs et de l'instabilité associée aux pays fournisseurs. »
Dans le tableau, le graphite naturel est classé comme
présentant un risque d'approvisionnement très élevé,
identifié
pour son utilisation dans les avions de combat, les
chars
d'assaut, les sous-marins, les corvettes, l'artillerie
et les
munitions – Source : Centre d'études stratégiques
de La
Haye. Cliquer sur l'image pour l'agrandir.
Le gouvernement du Québec en phase avec
les gouvernements canadien et américain
Interrogée sur le financement par le Département de la Défense des États-Unis du projet pilote de mine de graphite près de Duhamel, Québec), la ministre des Ressources naturelles du Québec, Maïté Blanchette Vézina, n'a pas voulu dire ce qu'elle pense de la subvention du Département de la défense des États-Unis, mais elle a dit que le projet devra être accepté par la population locale avant d'aller de l'avant. « Le projet minier doit aller de pair avec l'acceptabilité sociale », a-t-elle déclaré par écrit.
Se plaignant du fait que le gouvernement du Canada ait procédé à l'annonce financière de Lomiko Metals sans consulter le gouvernement du Québec, elle a ajouté que « ce dossier démontre toute l'importance de respecter notre champ de compétence pour s'assurer de la meilleure intégration possible des projets dans les milieux dans lesquels ils s'implantent ».
Que la ministre parle d'« acceptabilité sociale » et de « s'assurer de la meilleure intégration possible des projets dans les milieux dans lesquels ils s'implantent » est en totale contradiction avec ce que fait son propre gouvernement en la matière.
Le 28 mai, la ministre a déposé le projet de loi 63, Loi modifiant la Loi sur les mines et d'autres dispositions, à l'Assemblée nationale du Québec. Le projet de loi est censé répondre en partie aux préoccupations de nombreux propriétaires de terres privées confrontés à un boom de l'exploration minière pour des minéraux critiques tels que le graphite, qui dure depuis 2020.
La ministre des Ressources naturelles est responsable des consultations avant le dépôt du projet de loi 63 à l'Assemblée nationale. Elle avait déjà annoncé qu'elle voulait être à l'écoute de tous les citoyens. Or, le mécanisme de consultation a été laissé entre les mains d'une firme privée qui a réuni les différents intervenants à travers le Québec. Alors que le gouvernement ne s'est même pas donné la peine d'envoyer des représentants pour écouter la population, l'industrie minière, par contre, a eu le privilège d'apporter ses différents points de vue directement aux représentants du gouvernement.
Pour que le Québec ait meilleure mine (QMM), une coalition composée d'une trentaine d'organisations environnementales, s'est exprimée sur le refus de la ministre de prendre position face au financement par le DoD américain du projet d'exploitation de graphite de Lomiko Metal à La Loutre : « Dans un monde de plus en plus en conflits, il est établi depuis longtemps qu'une part importante des minéraux supposément critiques et stratégiques du Québec est convoitée pour alimenter la course aux armements. Durant l'étude des crédits du ministère québécois des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF) le 25 avril dernier, la ministre Maïté Blanchette Vézina a clairement indiqué son objectif de « développer une filière et une chaîne d'approvisionnement en énergie pour la transition du gouvernement américain. »
Les claims miniers actifs dans la région, en date d'août 2023, soulignés en rouge
Les résidents de la région s'organisent pour
s'opposer
à l'ouverture de la mine de graphite
Depuis 2021, les résidents du sud-ouest du Québec se sont regroupés au sein du Regroupement de protection des lacs de la Petite-Nation (RPLPN), qui comprend 25 villages et villes faisant partie des municipalités régionales de comté (MRC) de Papineau, avec une population de 23 000 personnes. Surle site Internet du groupe, il est dit : « Située sur le territoire des Premières Nations Kitigan Zibi Anishinabeg (KZA), la Petite-Nation forme un triangle vert de proximité avec Montréal, Ottawa/Gatineau et Mont-Tremblant »[4].
Le Regroupement ajoute : « Depuis récemment, l'industrie minière semble vouloir nous imposer une triste réalité : celle de l'exploitation à ciel ouvert du graphite. La menace de ces mines vient perturber la quiétude et potentiellement la santé de milliers de citoyens. Ceux-ci se mobilisent, aujourd'hui, pour contrer l'arrivée des entreprises d'exploration minière. Les communautés sont déterminées à défendre leurs droits à la santé et au bien-être, c'est-à-dire leur qualité de vie dans un milieu naturel précieux et riche en biodiversité. Nous ne voulons pas que notre territoire soit sacrifié pour des considérations de gains financiers camouflés par des prétextes écologiques (greenwashing). » On fait référence au fait que l'exploitation de la mine de graphite à ciel ouvert de St-Michel-des-Saints, la plus importante d'Amérique du Nord, située à 100 km au nord-est de Montréal, en est déjà la preuve des dommages causés..
D'autres organisations ont ajouté leur voix depuis l'annonce, le 16 mai dernier, que les États-Unis vont financer le projet de mine de graphite de Lomiko Metal : Coalition québécoise des lacs incompatibles avec l'activité minière et Coalition QLAIM. L'une des revendications actuelles de ces organisations est un moratoire sur tous les claims miniers au Québec, une demande que le gouvernement Legault a refusé d'accepter, affirmant que cela « enverrait un signal à travers le monde que le Québec n'est plus ouvert aux affaires ».
Les résidents de la région ont déjà organisé des manifestations pour exiger la fin de l'exploitation selon la méthode du « free mining » et prévoient d'assister à la réunion publique du 21 juillet dans le village de Duhamel, où des représentants de Lomiko Metals seront présents[5][6]. Une manifestation est prévue le 6 août à 10 heures et demi contre le projet minier de La Loutre. La marche partira de la plage municipale de Lac-des-Plages et se terminera à l'hôtel-de-ville de Lac-des-Plages et tout le monde est invité à y participer.
Rodrigue Turgeon, avocat et co-porte-parole de la coalition QMM et co-gestionnaire du programme national Mining WatchCanada, a souligné que le projet n'a fait l'objet d'aucune évaluation environnementale et que les gens sont en colère contre la façon dont les choses sont faites. Il a dit : « Militariser un projet minier nocif qui a été rejeté par la population avant même de procéder à une évaluation environnementale est un acte de violence inouï du système envers les gens et la nature que nos gouvernements sont censés défendre et non attaquer. »
Notes
1. « Le gouvernement du Canada et les États-Unis investissent ensemble dans le renforcement des chaînes de valeur des minéraux critiques », Ressources naturelles Canada, communiqué de presse, 16 mai 2024
2. « Department of Defense Awards $14.7 Million to Enhance North American Cobalt and Graphite Supply Chain », U.S. Department of Defense, May 16, 2024
3. « Le Canada et les États-Unis prolongent d'un an le mandat du groupe de travail bilatéral sur la transformation de l'énergie et annoncent de nouveaux investissements dans le secteur des minéraux », ministère des Finances Canada, 16 mai 2024
4. « Une biodiversité incompatible avec l'activité minière », La Petite-Nation
5. Voir « Une conception médiévale du 'free mining' – Pierre Soublière », Le Marxiste-léniniste mensuel, février 2023
6. Voir « La Loi sur les mines du Québec accorde des droits illimités à des intérêts privés » Le Marxiste-léniniste mensuel, février 2023
Cet article est paru dans
Volume 54 Numéro 6 - Juin 2024
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